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Full text of "Revue encyclopédique : liberté, égalité, association"

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University  of  Ottawa 


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I 


REVUE 

ENCYCLOPÉDIQUE. 


REVUE 

ENCYCLOPÉDIQUE, 

ou 

ANALYSE  RAISONNÉE 

DES    rfvODUCTIONS   LES    PLUS    REMARQUABLES 

«ANS  LA  LITTÉRATURE,  LES  SCIENCES  ET  LES  ARTS, 

PAR   UNE   RÉUNION 

DE    MEMBRES    DE    L'INSTITUT, 

ET    d'autres    hommes    DE    LETTRES. 

(  totoiàieiiizj  Qj\DWiie€j.  ) 


TOME  X. 


PARIS, 

AU  BUREAU  CENTRAL  DE  LA  REVUE  ENCYCLOPEDIQUE, 

Rue  d'Enfer-Saint-Michel,  n"  18. 

:t  cuEz  ARxnus  Bertrand,  rue  hautefeuille,  n*  20. 

LONDRES. — TREUTTEL  ET    WURTZ,  IT  DULAU  ET  C  ''• 
AVRIL    1821. 


a  Toutes    les   sciences   sont   les   rameaux    d'une  même    tige.  » 

Bacon. 

«  L'art  n'est  autre  chose  que  le  contrôle  et  le  registre  des  meilleures 

productions A  contrôler  les  productions  (et  les    actions) 

d'un  chacun,    il  s'engendre  envie  des  bonnes  ,  et   mépris  des  mau- 
vaises. >■) 

Montaigne. 

«  Les  Lelles -lettres  et  les  sciences,  bien  étudiées  et  bien  comprises  , 
sont  des  instruraens  universels  de  raison  ^  de  vei'tu,  de  bonheur.  » 

(M.  A.  J.)   . 


REVUE 

ENCYCLOPÉDIQUE , 

ou 
ANALYSES  ET  ANNONCES  RAISONNÉES 

Des  productions  les  plus  remarquables  dans  la 
Littérature ,  les  Sciences  et  les  Arts, 

«VV%^VV%tV\(\tiVV\iVWti\>WVWV«WV\r%VV\ivVV\lvllV\  WWVWWW%%IVWMLllA/MiWVI.VM«VW 

L  MÉMOIRES,  NOTICES^ 

LETTRES    ET    MÉLANGES. 


RAPPORT 

Fait  à  L'Académie  des  sciences  par  M.  /e  eonite  de 
LAcipi;DE,  stir  /'Histoire  naturelle  des  mammifîîhes, 
par  MM.  Geoffroy  de  Saint -Hilaibe  et  Frédéric 

CÙVIER. 

L'académie  m'a  chargé  de  lui  rendre  compte  d'un 
grand  ouvrage  dont  les  auteurs  lui  ont  fait  hommage  , 
et  qui  est  intitulé  :  Histoire  naturelle  des  mammifères  , 
avec  des  figures  originales  enluminées,  dessinées  d'après 
nature  sur  des  individus  vivans.  C'est  à  MM.  Geoffroy 
DE  Saint-Hilaire  ,  Frédérig  Cuvieu  et  Charles  de 
Lasteyrie  que  les  naturalistes  doivent  cette  histoire. 

Depuis  long-tems  les  amis  des  sciences  naturelles 
désiraient   posséder,    indépendamment   des  ouvrages 


6  RAPPORT 

immortels  publiés  par  les  pères  de  la  science  sur  les 
mammifères ,  une  collection  de  figures  de  ces  mammi- 
fères ou  quadrupèdes  aussi  exactes  que  le  demandait 
l'état  de  la  science  zoologique  ,  et  assez  belles  pour  être 
associées  aux  savantes  descriptions  des  plus  habiles 
zoologues ,  ainsi  qu'aux  magnifiques  tableaux  de  très- 
grands  écrivains.  Celles  qui  avaient  été  publiées  par  les 
éditeurs  de  Buffon  et  de  Daiibenton  ,  par  Pcnna7it, 
ShaUi  Schreber,  Allamand,  Edward,  Daniel,  et  par 
d'autres  auteurs,  ne  pouvaient  remplir  qu'imparfaite- 
ment les  désirs  des  naturalistes ,  à  une  époque  où  les 
sciences  naturelles  venaient  de  faire  tant  de  progrès  ,  et 
où,  chaque  jour,  leurs  trésors  étaient  augmentés  par  de 
célèbres  voyageurs.  Un  grand  nombre  de  ces  figures 
ne  donnaient  que  des  idées  très-incomplètes  des  cou- 
leurs variées ,  des  teintes  délicates,  des  nuances  fugitives 
si  nécessaires  cependant ,  dans  beaucoup  de  circons- 
tances, pour  déterminer  les  caractères  des  espèces. 
D'autres  ne  présentaient  aucun  de  ces  traits  particuliers 
de  conformation  dont  l'observation  est  si  importante 
pour  le  véritable  naturaliste.  Celles-ci  n'avaient  été  faites 
que  sur  des  peaux  mal  préparées  et  décolorées  par  le 
tems;  celles-là  n'avaient  été  dessinées  et  coloriées  que 
d'après  des  descriptions  trop  peu  étendues  pour  com- 
prendre toutes  les  formes  et  toutes  les  couleurs  de 
l'animal. 

L'ouvrage  de  MM.  Geoffroy  de  Saint-Hilaire ,  Fré- 
déric Cuvier  et  de  Lasteyrie  a  paru  aux  zoologues  ré- 
pondre à  leurs  vues  et  mériter  tous  les  suffrages.  Aucun 
auteur  d'une  histoire  des  mammifères  n'a  eu  à  sa  dis- 
position une  collection  aussi  belle ,  aussi  rare ,  aussi 


]' AIT  A  L'ACADIÎMIE  DES  SCIENCES.  7 

nombreuse  que  celle  du  Muséum  d'histoire  naturelle, 
dont  peuvent  se  servir,  pour  leurs  travaux,  les  auteurs 
de  l'ouvrage  dont  j*ai  l'honneur  de  rendre  compte  à 
l'académie.  Ils  en  ont  profité  avec  le  succès  que  l'on 
devait  attendre  de  leurs  lumières  et  de  leurs  talens. 
Les  dessins  et  les  peintures  ont  été  faits  par  M.  Werner, 
ou  les  peintres  du  Muséum ,  sous  les  yeux  de  l'un  des 
auteurs.  Toutes  les  figures  faites  sur  des  animaux  vi- 
vans  représentent  avec  fidélité  les  formes ,  les  propor- 
tions, l'attitude  ,  le  port,  les  nuances  et  la  distribution 
des  couleurs ,  tous  les  organes  extérieurs  ,  tous  les 
traits  dont  le  naturaliste  a  besoin  de  constater  la  pré- 
sence et  de  reconnaître  la  nature. 

Le  texte  olTre ,  pour  chaque  espèce  figurée  ^  non 
seulement  une  description  détaillée  de  l'animal ,  mais 
encore  des  observations  sur  ses  facultés  ,  ses  habitudes, 
son  instinct  et  son  intelligence,  dignes  des  auteurs  de  ce 
texte  précieux. 

Des  comparaisons  soignées  et  des  rapprochemens  ha- 
biles montrent  les  rapports  qui  lient,  les  uns  avec  les^ 
autres ,  les  espèces  du  même  genre ,  les  genres  du 
même  ordre ,  et  les  ordres  qui  composent  la  grande 
classe  des  mammifères. 

L'ouvrage  a  d'ailleurs  été  exécuté  de  manière  que  tes 
figures  et  les  textes  qui  y  sont  relatifs  peuvent  être 
séparés  ou  réunis  ,  et  offrir  ainsi  la  classification  mé- 
thodique que  chaque  naturaliste  croira  devoir  pré- 
férer; et,  ce  qui  ajoute  beaucoup  à  l'importance  de 
l'ouvrage  ,  dont  plus  de  vingt  livraisons  ont  déjà  paru  , 
c'est  que  l'on  y  trouve  des  figures  et  des  descriptions 
très  -  exactes ,  non  seulement  d'espèces  dont  l'image. 


8  ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

n'avait  jamais  été  donnée  au  public,  mais  encore  d'un 
grand  nombre  d'autres  espèces  dont  les  naturalistes  n'a- 
vaient aucune  connaissance. 

Les  amis  des  sciences  naturelles  doivent  donc  une 
grande  reconnaissance  aux  auteurs  de  la  nouvelle  his- 
toire des  mammifères ,  et  ils  la  leur  doivent  d'autant 
plus  que  les  planches  gravées  lithographiquement,  sous 
la  direction  de  M.  de  Lasteyrie ,  offrent  ce  qu'a  produit 
pour  eux  de  plus  digne  d'éloges  cet  art  lithographique, 
avec  lequel  on  rend  si  bien  le  fini  et  Je  moelleux  du  pelage 
des  animaux,  et  peuvent  servir  aux  études  d'un  grand 
nombre  de  naturalistes  qui  n'auraient  pas  pu  les  acqué- 
rir, si  les  beaux  dessins  de  M.  Werner  ou  des  peintres 
du  Muséum  avaient  été  multipliés  par  les  procédés  de 
la  gravure  ordinaire  (i). 

vwvvvv\*tvv\w» 

Esquisse  d'in  cotjbs  d'histoire  ,  ou  d'ux  plan  de 
LECTURES  historique?,  rapporté  spécialement  à  l'ii^- 
FLUENCE  des  FEMMES,  considcréc  dans  les  différcns 
siècles  et  chez  les  différentes  nations. 

La  plupart  de  ceux  qui  lisent  des  livres  d'histoire, 
les  lisent  sans  ordre ,  sans  suite  et  sans  méthode.  Ils 
prennent  au  hasard  des  auteurs  anciens  ou  modernes, 
des  époques  reculées  ou  récentes,  et  ils  entassent  dans 
leur  esprit  des  notions  vagues  et  confuses.    Ils  trouvent 


(i)  On  souscrit  pour  cet  ouvrage,  à  raison  de  i5  fr.  ]a  livraisou  ,  à 
rétablissement  lithographique  de  M.  de  Lasteyrie,  rue  du  Bac,  n°58. 
Chaque  livraison  est  compose'e  de  6  planches  enlumine'es,  papier  Jésus 
vélin  ,  accompagnée  d'un  lexle  in-folio.  Il  en  paraît  une  chaque  mois. 


RAPPORTÉ  A  L'INFLLENCI']  DES  FEMMES.      D 

peu  d'intérêt  dans  de  semblables  lectures  ,  nécessairement 
mal  dirigées,  qui  sont  de  continuelles  divagations.  Mais 
un  cours  complet  de  lectures  historiques,  bien  ordonné 
et  constamment  suivi,  pourrait  offrir  de  grands  avantages 
et  un  charme  inexprimable.  Il  serait  utile  de  déterminer 
d'avance,  par  un  choix  judicieux,  les  ouvrages  qu'on  vou- 
(h-ait  lire,  et  l'ordre  dans  lequel  on  les  lirait  successive- 
ment. Cet  ordre  devrait  être  basé  sur  la  chronologie,  afin 
qu'on  pût  suivre,  de  siècle  en  siècle,  les  progrès  et  les 
déviations  de  la  civilisation,  et  les  différentes  vicissitudes 
dont  les  nations  ont  tour  à  tour  été  la  proie.  La  connais- 
sance et  la  distribution  des  tems  peuvent  seules  établir  de 
l'ordre  dans  l'histoire,  et  nous  fournir  le  fild'Arîadne  dans  le 
vaste  labyrinthe  des  tradili-ons  et  des  annales  humaines.  Les 
époques  sont  comme  des  points  de  repos,  d'où  l'on  con- 
sidère ce  qui  est  avant  et  ce  qui  est  après.  On  peut  exami- 
ner, en  s'arrêtant  à  ces  stations  convenues,  la  physionomie 
particulière  de  chaque  nation  et  de  chaque  siècle.  «  La 
science  des  tems,  a  dit  le  savant  M.  Daunou  (i),  serait  in- 
complète, inanimée  et  stérile,  si  elle  ne  comprenait  point 
les  progrès  et  les  égaremens  propres  à  chaque  siècle.  Un 
exposé  chronologique,  avec  des  traits  distinctifs  de  chaque 
époque  ,  qui  est  un  guide  nécessaire  dans  les  études  histo- 
riques, doit  offrir  une  image  rapide  et  successive  des  faits 
mémorables,  des  vicissitudes  de  la  civilisation,  des  des- 
tinées du  genre  humain.  »  Il  conviendrait  ensuite  de  se 
proposera  soi-même  un  rapport  particulier  sous  lequel  on 
envisagerait  la  marche  des  siècles  et  des  peuples,  et  qui 
procurerait,  dans  ce  genre  de  travail,  une  sorte  d'unité 
d'action,  d'intérêt  et  de  but,  qu'on  demande  dans  une 
tragédie,  dans  un  poème  épique,  dans  un  tableau,  et  en 

(i)  Leçons  d'histoire  au  collège  de  France  ,  en  i8ifj. 


10        ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

général  dans  toute  composition  ,  qui  n'a  de  mérite  qu'au- 
tant que  les  détails,  bien  combinés  et  habilement  fondus, 
concourent  à  former  un  bel  ensemble.  La  personne  qui 
entreprend  un  cours  d'histoire ,  doit  choisir  avec  soin  ce 
rapport  spécial  qu'elle  se  propose  d'étudier  et  d'approfon- 
dir, de  manière  qu'elle  y  trouve  pour  elle-même,  et  sui- 
vant la  nature  de  son  esprit,  son  goût  et  sa  destination, 
une  instruction  utile  et  une  occupation  agréable. 

Un  militaire  s'attachera  particulièrement,  dans  ses  lec- 
tures historiques,  à  Vart  militaire ,  à  ses  premiers  et  in- 
formes essais,  à  ses  procédés  plus  ou  moins  compliqués, 
aux  modifications  qu'il  a  subies.  Un  diplomate  rappro- 
chera, pour  les  comparer,  les  traités ,  les  conventions ,  les 
alliances  et  les  relations  de  tout  genre  entre  les  peuples , 
ainsi  que  les  variations  qu'ont  pu  subir  le  droit  des  gens 
et  la  politique  générale,  suivant  les  époques  et  les  formes 
de  l'organisation  des  sociétés.  Un  jurisconsulte  saisira 
les  traces  et  les  caractères  des  législations  qui  se  sont 
succédées  ou  modifiées  dans  les  diflférens  âges  du  monde , 
dans  les  différentes  contrées  de  la  terre,  et  aux  diverses 
périodes  de  la  civilisation  ,  en  appréciant  l'influence  salu- 
taire ou  malfaisante  que  ces  législations  ont  exercée  sur  la 
liberté  et  sur  la  moralité  des  peuples,  sur  la  prospérité  des 
états,  sur  la  stabilité  des  gouvernemens.  Un  moraliste 
recherchera  les  coutumes,  les  usages,  les  mœurs;  il  s'oc- 
cupera des  causes  qui  ont  pu  les  produire;  il  voudra 
observer  les  nuances  qui  les  distinguent.  Un  médecin 
étudiera  les  grands  événemens  publics  et  les  principaux 
phénomènes  qui  intéressent  Vart  de  guérir,  considéré  sous 
le  double  rapport  des  choses  et  des  personnes ,  soit  des 
découvertes,  des  systèmes,  des  doctrines  successivement 
professés  dans  l'école  ,  soit  des  maladies  épidémiques  qui 
ont  désolé  des  villes  ou  des  contrées  entières,  soit  enfin 


RAPPORTE  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.      11 

des  personnages  distingués,  ou  des  grands  médecins,  qui 

ont  fait  avancer  la  science. 

Un  lecteur  assidu  et  laborieux  pourra  même  ne  point  se 
borner  à  un  seul  rapport,  mais  fixer  son  attention  sur  un 
plus  grand  nombre  d'objets.  L'observateur  philosophe, 
qui  embrasse  dans  sa  pensée  les  grands  intérêts  de  l'hu- 
manité, pourra  jeter  un  coup  d'œil  général  sur  les  divers 
élcmcns  de  la  civilisation  rapprochés  et  comparés  dans  les 
dift'érens  pays. 

Chacun ,  pouvant  ainsi  prendre  à  son  choix  et  considé- 
rer dans  l'histoire ,  comme  dans  une  grande  école  des 
sciences  morales  et  politiques,  un  ou  plusieurs  sujets  par- 
ticuliers ,  donne  plus  de  précision  et  de  fixité  à  son  esprit, 
en  lui  offrant  un  but  déterminé  dans  ses  recherches,  et  un 
mobile  puissant  pour  exciter  et  entretenir  son  activité. 
L'esprit  n'acquiert  pas  seulement,  par  cette  habitude  sa- 
lutaire, un  plus  grand  degré  de  pénétration,  de  justesse 
et  d'énergie,  mais  aussi  plus  d'étendue  et  de  force  d'obser- 
vation, et  une  manière  plus  large  de  voir  les  choses.  Il 
s'habitue  à  remonter  des  effets  à  leurs  causes ,  aux  ressorts 
ou  aux  agens  moteurs  ,  et  à  redescendre  de  ces  causes  pro- 
ductrices aux  effets  ou  aux  résultats.  En  même  tems' qu'on 
donne  plus  de  rectitude,  d'étendue  et  de  vigueur  à  l'es- 
prit, et  qu'on  le  fortifie  dans  l'exercice  de  l'observation  et 
de  la  méditation,  on  réunit  les  trois  avantages  de  cultiver 
et  d'orner  la  mémoire,  d'exciter  l'imagination,  de  former 
le  style;  car  on  doit  fixer  par  écrit,  dans  des  tables  coor- 
données, dont  nous  présenterons  bientôt  le  modèle,  un 
résumé  analytique  des  faits  les  plus  remarquables  qui  ap- 
partiennent au  rapport  particulier  qu'on  a  choisi. 

Supposons  maintenant  que  des  femmes,  dont  la  sensi- 
bilité plus  délicate  et  plus  vive  rend  leur  goût  plus  fin  et 
plus  sûr,  leur  jugement  plus  exquis,  mais  dont  l'éducation , 


12        ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

en  général  trop  superficielle,  les  habitue  à  ne  rien  appro- 
fondir, et  nuit  au  développement  de  leurs  facultés,  veuil- 
lent appliquer  à  leur  usage  ces  idées  préliminaires,  et  faire, 
pour  leur  instruction ,  un  cours  complet  et  suivi  de  lectures 
historiques.  Voici  l'un  des  points  de  vue  qui  paraîtrait  le 
mieux  leur  convenir  : 

L'Influence  MORALE  ET  POLITIQUE  des  femmes,  considérée 
chez  tous  les  peuples  ,  dans  tous  les  siècles,  et  tour  à  tour 
dans  les  différentes  sphères  de  la  vie  privée  et  de  la  vie 
publique ,  est  un  objet  digne  de  fixer  la  curiosité  et  la  mé- 
ditation. Cette  influence  du  sexe  le  plus  faible  sur  le  sexe 
le  plus  fort,  qui  rétablit  entre  eux  l'équilibre,  est  une  loi 
de  la  nature,  dont  la  société,  les  législateurs,  les  gouver- 
nemens  doivent  s'emparer  et  faire  l'application,  pour  l'avan- 
tage de  l'espèce  humaine.  C'est  à  la  fois  un  sujet  gracieux 
et  sérieux,  qui  sourit  à  l'imagination,  qui  plaît  à  la  raison, 
qui  éclaire  l'esprit  et  nourrit  le  cœur,  qui  se  lie  à  toutes 
les  affections  douces,  tendres,  généreuses,  à  tous  les  sen- 
timens  nobles,  à  toutes  les  pensées  profondes.  L'histoire, 
étudiée  sous  ce  point  de  vue ,  offre  des  tableaux  animés, 
des  récits  attachans  et  instructifs  aux  observateurs  des  deux 
sexes.  Mais  les  femmes  surtout  peuvent  y  puiser  des  leçons 
et  des  exemples  salutaires.  Elles  apprendront,  par  des  faits 
multipliés,  reproduits  sous  toutes  les  formes  et  à  toutes  les 
époques ,  quelle  est  la  puissance  réelle  de  leur  sexe,  sou- 
vent inaperçue,  mais  toujours  active,  et  comment  cette 
puissance,  bien  ou  mal  dirigée,   devient  un  levier  utile 
pour  élever  l'homme  aux  plus  hautes  conceptions,  aux  en- 
treprises les  plus  hardies,  aux  actions  les  plus  difficiles  et 
les  plus  louables,  ou  bien  un  véritable  fléau  pour  l'espèce 
humaine,   qui  est  quelquefois  entraînée  par  cette  même 
cause,  devenue  malfaisante  et  corruptrice,  dans  les  plus 
affreux  abîmes  de  la  dépravation  et  du  malheur. 


RAPPORTJÎ  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.      13 

La  moitié  la  plus  intéressante  du  genre  humain  devient 
alors  comme  un  seul  et  même  personnage,  qu'on  peut 
suivre  et  observer  dans  toutes  les  périodes  de  l'histoire, 
dont  on  étudie  à  fond  l'action  et  l'influence,  difTéremrnent 
modifiées  par  l'éducation,  par  la  législation,  par  les  mœurs 
et  par  l'esprit  général  des  sociétés.  On  recueille  une  foule 
de  faits  curieux,  d'anecdotes  instructives,  d'événemens, 
de  portraits,  de  caractères  épars  çù  et  là  ,  qu  on  réunit  en 
faisceau,  ou  qu'on  dispose  dans  une  vaste  galerie.  L'his- 
toire ,  sans  rien  perdre  de  sa  dignité  et  de  son  utilité,  prend 
la  couleur  et  l'intérêt  d'un  roman,  riche  en  épisodes  et  en 
aventures  bizarres  ou  tragiques ,  toujours  variées  ,  quoique 
rapportées  à  une  même  considération  générale. 

Dés  l'origine  du  monde,  nos  livres  sacrés  font  paraître, 
sur  la  scène  de  l'histoire ,  la  compagne  d'Adam,  Eve,  qui 
séduit  son  époux  et  le  porte  à  la  désobéissance  envers  le 
Créateur.  Adam,  chassé  du  Paradis,  est  condamné,  ainsi 
que  toute  la  race  humaine,  à  travailler,  à  souffrir  et  à 
mourir  :  la  première  femme  devient  la  première  cause  de 
toutes  les  misères  qui  affligent  notre  vie.^ 

L'histoire  des  Hébreux  nous  offre  tour  à  tour,  dans  des 
situations  et  avec  des  détails  plus  ou  moins  attachans , 
mais  qtri  nous  font  connaître  leurs  coutumes  et  leurs 
mœurs,  les  épouses  d'Abraham  et  des  autres  patriarches, 
de  Loth,  de  Jacob,  de  l'égyptien  Putiphar  :  la  rivalité  de 
Sara,  mère  d'Isaac,  et  à''Agar,  obligée  de  fuir  dans  le  dé- 
sert avec  son  fils  Ismaël,  fournit  des  épisodes  toiichans  qui 
ont  souvent  inspiré  les  peintres  et  les  poètes.  Nous  re- 
cueillons avec  intérêt  les  circonstances  qui  accompagnent 
la  naissance  de  Moïse  ,  destiné  à  sauver  les  Israélites,  et 
sauvé  lui-même  dans  son  berceau  par  2Viermatis,  fille  du 
roi  Pharaon.  Nous  remarquons  la  tribu  de  Benjamin  pres- 
que entièrement  anéantie  pour  avoir  abusé  de  la  femme 


lA         ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

d'un  lévite  ;  la  prophélesse  Dèhora  excitant  la  valeur  des 
troupes  par  ses  cantiques;  le  sacrifice  de  la  fille  de  Jephté, 
juge  et  chef  d'Israël;  le  triomphe  de  l'innocente  Susanne, 
d'abord  injustement  condamnée;  Samson  privé  de  sa  force 
et  livré  aux  Philistins  par  l'artificieuse  Dalila ;  Saiil  con*» 
sultantla  Pythonisse  de  Hendor;  la  fille  de  Saûl,  Michol, 
qu'avait  épousée  le  roi  David,  dérobant  son  mari  aux  pour- 
suites de  son  père;  la  colère  de  David  adoucie  par  la 
beauté ,  les  grâces  et  la  prudence  ô.'Abigaïl,  femme  de 
Nabal;  ce  inême  roi  oubliant  sa  gloire^  ses  devoirs  et  son 
Dieu  dans  les  bras  de  Bethsahée ;  NicausiSj  reine  de  Saba  , 
rendant  hommage  à  Salomon  comme  au  plus  sage  des 
hommes  et  au  plus  magnifique  des  rois ,  et  la  sagesse  de 
Salomon  succombant  sous  l'influence  des  plus  honteuses 
voluptés  ;  un  autre  roi  d'Israël ,  Achab ,  entraîné  par  son 
épouse  Jèsabel,  reine  orgueilleuse  et  impie,  dans  les  voies 
de  l'injustice  et  du  crime;  la  fille  de  Jésabel,  la  cruelle 
Athalie,  mise  à  mort  par  ses  propres  soldats,  et  la  pieuse 
Jozahet,  s'unissant  au  grand-prêtre  Joïada  pour  sauver  le 
jeune  roi  Joas  ;  la  ville  de  Béthulie  délivrée  par  le  dévoue- 
ment de  la  fière  et  audacieuse  Judith  ;  enfin,  la  touchante 
Esthevy  triomphant  d'Assuérus,  et  sauvant,  par  son  heu- 
reuse influence ,  une  nation  entière  Touée  à  la  proscrip- 
tion. 

Dans  la  religion  poétique  des  Grecs  ,  la  compagne  de 
Deucalion,  Pyrrha,  devient,  après  le  déluge,  la  seconde 
mère  du  genre  humain.  Cèrès  partage  avec  Triptolème 
l'honneur  d'avoir  enseigné  aux  hommes  l'usage  de  la 
charrue ,  et  d'avoir  policé  leurs  mœurs  par  l'agriculture. 
Le  premier  vaisseau  qui  paraît  sur  les  côtes  de  la  Grèce 
porte  les  cinquante  filles  de  Danaus. 

L'Olympe  des  anciens  n'est  pas  moins  peuplé  de  déesses 
que  de  dieux,  qui  reçoivent  également  les  hommages  des 


RAPPORTÉ  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.       15 

mortels.  Junon  préside  aux  mariages  et  aux  accoiichemens; 
Vénus,  à  la  beauté;  la  savante  et  belliqueuse  Minerve 
protège  à  la  fois  les  arts  et  les  guerriers;  la  chaste  Diane, 
les  vierges  et  les  chasseurs.  Amphitrite  règne  au  sein  des 
mers;  la  présence  de  Proserpine  embellit  jusqu'au  sombre 
empire  de  Pluton.  Hèhè  est  la  déesse  de  la  jeunesse;  Flore 
est  celle  des  fleurs  et  des  jardins  ;  à  Pomone  appartient 
l'empire  des  fruits  et  des  vergers.  Les  Dryades  et  les 
Nymphes  animent  les  arbres  et  les  forêts  ;  les  Naïades  se 
jouent  dans  les  eaux;  Its  Muses  inspirent  les  poètes;  les 
Grâces  conduisent  les  amours;  les  Parques  tiennent  dans 
leurs  mains  nos  fragiles  destinées  ;  les  Furies ,  armées  de 
serpens,  poursuivent  les  criminels  ;  et  l'affreuse  Nèmésis 
s'assied,  à  côté  des  tyrans,  sur  leurs  trônes  ensanglantés. 

Ainsi,  la  mytboiogie  qui  retrace,  dans  les  objets  de  la 
croyance  et  de  la  superstition  des  peuples,  une  image  de 
leurs  coutumes  et  de  leurs  mœurs,  consacre  de  mille  ma- 
nières, par  ses  fictions  ingénieuses,  l'influence  et  la  puis- 
sance du  beau  sexe ,  également  actives  et  dominatrices 
dans  le  ciel  et  sur  la  terre. 

Les  traditions  des  tems  héroïques  nous  offrent  le  farouche 
Hercule,  vainqueur  des  brigands  et  des  monstres  des  fo- 
rêts, filant  aux  pieds  di' Ompliale ,  et  recevant  des  mains 
de  Dêjanire  la  tunique  empoisonnée  du  centaure  Nessus  ; 
puis  Antiope ,  reine  des  Amazones,  vaincue  et  prise  par 
Hercule,  qui  la  donne  pour  épouse  à  Thésée  ;  la  jeune  et 
belle  Ariadne,  servant  de  guide  au  même  prince  dans  le 
labyrinthe  de  Crète  ;  Phèdre  brûlant  pour  Hippolyte  d'une 
ardeur  incestueuse;  la  fierté  sauvage  d'Hippolyte  vaincue 
par  la  douceur  et  par  les  charmes  dH Aricie ;  Mèdée  secon- 
dant les  travaux  de  Jason  ;  le  palais  des  Atrides  agité  par 
les  tempêtes  de  l'Amour,  de  la  Jalousie,  de  la  Vengeance, 
que  des  femmes  ont  soulevées.  Nous  donnons  encore  des 


ie         ESQUISSE  D'UN  COURS   D'HISTOIRE, 

pleurs  à  la  tendresse  fraternelle  (TElectre  et  à  la  piété 
filiale  A''Antigone.  Les  noms  de  Clytemnestre,  d'Iphigénie, 
de  la  sage  Pénélope;  la  trop  fatale  beauté  ^Hélène,  les 
malheurs  à'JIécube,  A''Andromaque ,  de  Polixène ;  les 
jalouses  fureurs  d'Oreste,  qui  veut  s'assurer  par  la  mort  de 
Pyrrhus  la  possession  A^Hermione^  s'unissent  dans  nos 
souvenirs  aux  exploits  des  héros  grecs  et  troyens ,  com- 
battant sous  les  murs  d'Ilion. 

Si  nous  arrivons  aux  tems  historiques,  le  royaume 
d'Assyrie  nous  transmet  le  nom  de  la  superbe  Sèmiramls; 
Artémise,  reine  de  Carie,  devientcéIèbre,long-tems  après, 
par  l'immortel  hommage  que  sa  tendresse  conjugale  rend 
aux  mânes  de  Mausole;  Panthée,  femme  d'Abradate,  roi 
de  Suse ,  se  tue  de  désespoir  sur  le  cadavre  de  son  époux. 
Nous  conservons  encore  la  mémoire  de  plusieurs  autres 
reines  fameuses  dans  l'antiquité  :  de  Thomyris _,  reine  des 
Messagètes;  de  la  reine  des  Amazones,  Thalestris ,  con- 
.temporaine  d'Alexandre;  àeLaodice,  reine  d'Antioche; 
de  Teuta,  reine  d'Illyrie;  de  plusieurs  reines  d'Egypte, 
qui  portaient  le  nom  de  Cléopâtre,  et  qui  ont  agité  cette 
contrée  par  de  fréquentes  révolutions,  et  arraché  le  sceptre 
à  des  princes;  dCAlexandra,  reine  de  Judée,  qui  s'empare 
du  trône;  Ag. Bérénice ^  qui  avait  inspiré  cette  passion  im- 
périeuse dont  Titus  eut  la  gloire  de  triompher;  de  Boa- 
dicée,  reine  de  Britannie,  et  de  Zènobie,  reine  de  Palmyre 
et  d'Orient,  qui  succombent  l'une  et  l'autre  sous  la  for- 
lune  des  Romains. 

Ces  noms  et  tant  d'autres  de  femmes  célèbres,  qui  sur- 
nagent dans  l'océan  des  siècles,  viennent  confirmer  la 
vérité  générale  que  nous  avons  avancée.  Dans  tous  lef 
tems,  sous  tous  les  climats,  dans  tous  les  gouvernemens. 
à  toutes  les  époques  de  la  civilisation,  dans  les  monarchie; 
absolues,  comme  dans  les  républiques;  chez  les  peuples 


RAPPORTE  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.     17 

chasseurs,  pasteurs  et  nomades;  chez  les  nations  agricoles, 
guerrières,  commerçantes,  libres  ou  esclaves,  de  mœurs 
simples  ou  corrompues,  l'influence  des  femmes  s'est  hki- 
nifestée  par  des  preuves  publiques  et  solennelles,  par  de 
grands  événemens ,  par  une  foule  de  faits  irrécusables, 
dont  les  monumens  subsistent  encore. 

La  fugitive  Didon,  portant  ses  pénates  au-delà  des 
mers ,  va  jeter  sur  le  rivage  africain  les  fondemens  de 
Carthage.  Le  nom  et  les  poésies  de  Sapho  passent  à  la 
postérité  avec  les  noms  et  les  vers  d'Homère,  d'Anacréon 
et  de  Pindare.  La  prêtresse  de  Delphes  attire  par  ses  oracles 
les  différens  peuples  de  la  Grèce. 

Chez  les  Spartiates,  nous  admirons  plusieurs  traits 
héroïques,  qui  caractérisent  les  femmes  formées  par  la 
législation  de  Lycurgue.  Nous  remarquons  des  coutumes 
et  des  institutions  puisées  dans  une  connaissance  profonde 
du  cœur  humain ,  qui  donnent  une  plus  grande  force  et 
une  meilleure  direction  à  l'influence  des  femmes  sur  les 
hommes,  et  surtout  à  celle  des  jeunes  filles  ur  les  jeunes 
gens.  Cette  influence  devient,  par  le  génie  du  législateur, 
un  des  puissans  mobiles  de  l'esprit  public.  Nous  croyons 
encore  assistera  ces  fêtes,  à  ces  cérémonies  nationales, 
où  les  chansons  publiques  des  jeunes  filles  lançaient  des 
traits  satiriques  sur  les  citoyens  et  sur  les  guerriers  qui 
{avaient  mal  rempli  leur  devoir,  et  célébraient  par  leurs 
ilouanges  ceux  qui  avaient  fait  des  actions  dignes  de  mé- 
moire. «  Elles  embrasaient  ainsi,  dit  Plutarque,  les  cœurs 
ides  jeunes  citoyens  de  l'amour  de  la  gloire  et  de  la  vertu  : 
elles  allumaient  entre  eux  une  noble  jalousie,  une  salu- 
taire émulation.  »  Les  guerriers  étaient  excités  ,  dans  les 
.eux  et  dans  les  combats,  par  cette  acclamation  solennelle  : 
■  "  Souviens-loi  que  les  embrassemens  de  ta  belle  compagne 
•' seront  le  prix  de  tes  exploits.  »  A  la  bataille  de  Sellasie, 
FoME  X.      Avril  1821.  2 


18         ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

le  roi  Cléomène  ,  voyant  son  frère  enveloppé  par  les  en- 
nemis, et  jugeant  qu'il  n'était  plus  possible  de  le  sauver  : 
«  Mon  frère,  s'écrie-t-il,  tu  es  perdu;  mais  tu  meurs  au 
champ  de  la  gloire,  et  tu  vertu  sera  éternellement  le  sujet 
des  éloges  et  des  chants  des  femmes  de  Sparte.  » 

Les  mœurs  de  Lacédémone  nous  montrent  le  mariage  et 
la  paternité  honorés,  la  population  encouragée^  les  céliba- 
taires privés  des  respects  dus  à  la  vieillesse.  Les  hommes 
sont  courageux,  parce  que  les  femmes  inspirent  et  ré- 
compensent leur  courage  :  ils  sont  citoyens,  et  ils  ont  une 
patrie,  parce  que  les  femmes  sont  citoyennes.  — La  mère 
de  Brasidas  s'applaudit  qu'on  ait  trouvé  un  grand  nombre 
de  Spartiates  dignes  d'être  préférés  à  son  fils.  L'amour  de 
la  patrie  l'emporte  sur  l'esprit  de  famille  et  sur  la  tendresse 
maternelle.  La  mère  de  Cléomène,  envoyée  comme  otage 
auprès  du  roi  Ptolémée ,  ne  veut  pas  que,  pour  sauver  sa 
vie,  son  fds  néglige  de  conclure  avec  les  Achéens  une 
alliance  utile  aux  intérêts  de  l'état.  Sous  le  règne  d' Agis, 
la  mère  de  ce  jeune  roi  et  les  dames  de  sa  cour  pressent 
les  autres  femmes  de  Lacédémone  de  favoriser  le  projet) 
du  monarque  tendant  à  rétablir  dans  son  ancienne  vi-i 
gueur  la  discipline  laconique.  «  Les  LacédémonienS; 
ajoute  Plutarque,  avaient  de  tout  tems  une  grande  défé- 
rence pour  leurs  femmes  ,  et  leur  laissaient  plus  de  pou- 
voir et  d'autorité  dans  les  affaires  publiques  ,  qu'ils  n'er 
prenaient  eux-mêmes  dans  leurs  affaires  particulières  e 
dans  l'intérieur  de   leurs  maisons.  » 

Qui  n'a  pas  recueilli  avec  attendrissement  et  vénératioi 
le  généreux  exemple  de  dévouement  donné  par  Chélonide 
fille  de  Léonidas,  roi  de  Sparte,  qui  s'attache  tour  à  tour 
par  une  vertueuse  inconstance,  à  la  destinée  de  son  pèri 
proscrit  par  son  époux,  et  à  celle  de  son  époux,  quand  ■ 
est   poursuivi  par  la   vengeance   de   son  père  ?  Léonidas  II 


RAPIPORTÉ  À  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.     19 

:hassé  du   trône   de  Sparte,    avait  été  remplacé   par   son 
2;endre  Cléombrotus;  et  la  femme  de  Cléombrolus ,  quit- 
tant  son    mari  devenu    roi,    s'était   rendue  la  compagne 
irolontaire  des  malheurs  de  son  père,  détrôné    et  fugitif. 
Mais  bientôt  Léonidas  fut  rappelé  dans   son  royaume  ,  et 
Cléombrotus  était  proscrit  à  son  tour.  Alors  Chélonide  , 
jui    avait   embrassé  le   parti   de   son  père  malheureux  et 
»'était  associée  à  son   exil,    et  qui   avait   abandonné  son 
îpoux   élevé    au  faîte    de  la   puissance,   voyant   celui-ci 
tombé  dans  la  disgrâce,  et  son  père  rétabli  dans   sa  pre- 
mière dignité,  n'hésita  point  à  changer  comme  la  fortune, 
et  à  quitter  Léonidas,  devenu  roi,  poursuivre  Cléombrotus 
devenu  malheureux.  On  la  vit  assise  auprès  de  son  mari, 
suppliante  comme  lui ,  et  le  tenant  tendrement  embrassé 
avec  ses  deux  enfans  à  ses  pieds.  Tous   ceux  qui  étaient 
présens  fondaient  en  larmes,  et  admiraient  cet  amour  con- 
jugal et  cette  vertu  si  rare.  L'infortunée  Chélonide,  mon- 
trant ses  habits  de  deuil  et  ses  cheveux  épars  et  négligés  : 
«  Mon  père,    s'écriait-elle,  ces  vêtemens  lugubres,   ce 
visage  abattu  et  cette  grande  affliction  où  vous  me  voyez, 
ne  viennent  pas  de  la  compassion  que  j'ai  pour    Cléom- 
brotus; ce  sont    les  restes  et  les  suites  du  deuil  que  j'ai 
pris  pour  tous  vos  malheurs  et  pour  votre  fuite  de  Sparte. 
Que  dois-je  donc  faire  aujourd'hui  ?  .  .  .   dois-je,  pendant 
Ique  vous  régnez  à  Sparte ,  et  que  vous  triomphez  de  vos 
ennemis,  continuer  à  vivre  dans  la  désolation  et  le  déses- 
ipoir  ?  ou  dois-je  prendre  des  robes  magnifiques  et  royales, 
quand  le  mari  que  vous   in' avez  donné  dans  ma  jeunesse 
est  poursuivi  par  vous,  sous  mes  yeux,  et  menacé  d'être 
égorgé  par  vos  propres  mains  ?  S'il  ne  peut  désarmer  votre 
tolère,  ni  vous  fléchir  par  les  larmes  de   sa  femme  et  de 
-t-  enfans,  sachez  qu'il  souffrira  un  supplice  plus  cruel  que 
I  t;lui  que  vous  lui  préparez,  lorsqu'il  verra  son  épouse,  qui 

2* 


20         ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

lui  est  si  chère,  mourir  avant  lui.  Car,  comment  pourrai- 
je  vivre  j  comment  pourrai-je  me  trouver  avec  les  autres 
femmes  de  Sparte,  moi  qui  n'aurai  pu,  par  mes  prières  , 
toucher  de  compassion,  ni  mon  mari  pour  mon  père^  ni 
mon  père  pour  mon  mari,  et  qui,  femme  et  fille,  me  serai 
toujours  vue  également  malheureuse,  et  toujours  un  objet 
de  mépris  pour  les  miens  ?  Quant  à  mon  époux,  s'il  a  pu 
avoir  quelques  motifs  apparens  pour  excuser  sa  conduite, 
je  les  lui  ai  ravis,  en  le  quittant  et  en  prenant  votre  parti, 
pour  servir  presque  de  témoin  contre  lui-même.  Et  vous, 
vous  lui  fournissez  des  moyens  plausibles  de  colorer  son 
injustice,  en  faisant  voir  par  vos  actions  que  la  royauté 
est  un  bien  si  précieux  et  si  désirable,  qu'on  peut,  pour 
l'obtenir,  égorger  ses  propres  enfans  et  sacrifier  tout  le 
bonheur  de  sa  famille  et  les  plus  douces  affections  de  la 
nature.  » 

Lorsque  Agis,  roi  de  Sparte,  jeune  et  sensible,  confiant 
et  vertueux,  eut  succombé  sous  les  efforts  d'une  faction 
ennemie,  par  les  intrigues  de  Léonidas,  auquel  il  avait 
sauvé  la  vie,  sa  veuve  Agiatis  s'unit  à  Cléomène,  et  le 
conjura  de  suivre  sur  le  trône  l'exécution  des  plans  de  sorj 
premier  époux.  C'est  vme  femme  qui  inspire  le  noble  pro- 
jet de  rétablir  la  discipline  et  les  lois  de  Lycurgue. 

A  l'époque  où  Pyrrhus  fait  le  siège  de  Lacédémone,  les 
habitans  délibèrent  d'envoyer  les  femmes  en  Crête,  mai: 
elles  s'y  opposent;  l'une  d'elles,  nommée  Archidamie 
prend  une  épée  ,  entre  dans  le  sénat,  et ,  poi'tant  la  paroi 
au  nom  de  toutes  les  autres,  demande  à  tous  ces  homme 
assemblés  s'ils  ont  été  assez  injustes  envers  elles  pou 
supposer  qu'elles  puissent  encore  aimer  ou  souffrir  la  vi 
après  la  ruine  de  Sparte.  Comme  on  s'occupait  ensuite  d 
tirer  une  tranchée  parallèle  au  camp  des  ennemis,  le 
femmes  et  les  filles  vinrent  aider  les  hommes  employés 


RAPPORn-:  A  L'IISFLUENCE  DES  FEMMES.     21 

ce  travail;  et,  après  avoir  invité  ceux  qui  devaient  com- 
battre à  se  reposer  pendant  la  nuit,  elles  mesurèrent  la 
longueur  de  la  tranchée  ,  et  en  prirent  pour  leur  triche  la 
troisième  partie ,  qu'elles  eurent  achevée  avant  le  jour. 
(Elle  avait  six  coudées  de  largeur,  quatre  de  profondeur 
et  huit  cents  pieds  de  long.  )  Dès  que  le  jour  parut,  les 
ennemis  commençant  à  se  mettre  en  mouvement,  elles 
présentèrent  elles-mêmes  les  armes  à  tous  les  jeunes  gens  ; 
et,  leur  laissant  la  tranchée  qu'elles  avaient  faite,  elles 
les  exhortèrent  à  la  bien  garder,  et  leur  représentèrent 
vivement  quelle  douceur  ce  serait  pour  eux  de  vaincre 
aux  yeux  de  leur  patrie,  ou  quelle  gloire  de  mourir  entre 
les  bras  de  leurs  mères  et  de  leurs  femmes ,  après  s'être . 
montrés  dignes  de  Sparte  par  leur  valeur. 

Les  vieillards  et  la  plupart  des  femmes  étaient  de  l'autre 
côté  de  la  tranchée,  et  voyaient  les  exploits  et  les  grands 
faits  d'armes  d'Acrotatus,  guerrier  lacédémonien,  qui, 
après  le  combat,  traversa  encore  la  ville  pour  retourner 
à  son  premier  poste,  couvert  de  sang,  joyeux  et  fier  de 
sa  victoire.  En  cet  état,  il  parut,  aux  yeux  de  ces  femmes, 
plus  grand  et  plus  beau,  et  il  n'y  en  eut  pas  une,  dit  Plu- 
tarque,  qui  ne  portât  envie  à  Chèiidonide  d'avoir  un 
amant  si  généreux. 

Les  Lacédémoniens  se  défendirent  avec  une  ardeur  et 
une  intrépidité  qui  suppléèrent  à  l'infériorité  de  leurs 
forces.  Les  femmes  ne  les  abandonnaient  point ,  mais  se 
tenaient  toujours  auprès  d'eux,  occupées  à  leur  donner 
des  armes  ,  à  fournir  à  leurs  besoins ,  à  retirer  et  à  panser 
les  blessés. 

Ainsi,  de  nos  jours,  les  braves  Lilloises,  s'associant  à 
la  gloire  de  la  défense  de  leur  ville,  s'exposaient,  sur  les 
rem'parts,  aux    bombes  et  aux  boulets,  partageaient  les 


22        ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

fatigues  et  les  dangers  de  leurs  maris  et  de  leurs  fils,  et 
menaçaient  de  l'ignominie  et  des  derniers  supplices  qui- 
conque aurait  pu  songer  à  se  rendre.  Leur  dévouement 
magnanime  inspira  leurs  concitoyens^  et  créa  des  héros. 

La  rudesse  farouche  et  la  fierté  presque  sauvage  des 
Spartiates  n'empêchent  pas  que  leur  histoire  ne  fournisse 
un  très-grand  nombre  d'exemples  qui  attestent  quelle 
fut  chez  eux  l'influence  des  femmes.  Les  annales  des 
Athéniens,  peuple  poli  et  plein  d'urbanité,  amolli  et 
voluptueux,  reproduisent  des  faits  du  même  genre,  qui 
reçoivent  d'autres  modifications ,  d'après  la  difi'érence  de 
leur  caractère  et  de  leurs  mœurs. 

Dans  Athènes ,  l'ambitieux  Périclès  et  le  sage  Socrate 
recherchent  également  les  entretiens  et  le  suffrage  de  la 
belle  et  spirituelle  Aspasie.  Elle  s'attachait,  dit  Plutarque, 
aux  plus  puissans  et  aux  premiers  citoyens,  et  gouvernait 
ainsi  les  plus  grands  personnages  de  la  république. 
.  Après  que  Phocion  eut  été  condamné  à  boire  la  ciguë, 
et  que  son  cadavre  même  fut  exilé  du  territoire  de  l'Attique, 
une  dame  de  Mégare  célèbre  ses  funérailles,  lui  consacre 
un  bûcher  et  recueille  ses  cendres.  C'est  une  femme  qui 
répare,  autant  qu'il  dépend  d'elle,  l'injustice  des  Athé- 
niens envers  un  grand  homme,  et  qui  devance  pour  lui 
l'opinion  de  la  postérité. 

L'orateur  Démosthène  reprochait  à  la  Pythie  de  philip- 
piser;  un  monarque  astucieux  avait  cru  devoir  gagner  Ig 
prêtresse  pour  assurer  ses  succès. 

Dans  la  guerre  de  ce  même  Philippe  avec  les  Athéniens, 
ceux-ci,  ayant  pris  les  courriers  du  roi ,  ouvrent  toutes  le; 
lettres,  mais  respectent  celles  de  la  reine  Olympias ,  sor 
épouse,  et  les  lui  renvoient,  sans  en  briser  le  sceau. 

L'histoire  a  consigné  la' répartie  courageuse  d'une  femme 


RAPPORTE  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.     25 

à  laquelle  ce  même  prince  refusait  de  rendre  justice  : 
«  We  poiis  mêlez  donc  pas  d'elre  roi.  »  Frappé  de  sa  ré- 
ponse, Philippe  fait  droit  à  sa  réclamation. 

Chez  les  femmes  Spartiates,  on  voit  dominer  lecouraj^e, 
l'héroïsme,  l'amour  de  la  patrie,  des  passions  fortes  et 
généreuses;  chez  les  femmes  athéniennes,  on  trouve  des 
sentimens  moins  énergiques  et  moins  profonds,  le  désir 
de  briller,  l'ambition,  la  vanité,  l'amour  de  la  célébrité 
ou  de  la  gloire.  Les  mœurs  des  deux  nations  offrent  les 
mêmes  différences;  et,  quoiqu'on  puisse  les  imputer  à 
plusieurs  causes  réunies  ,  on  ne  peut  se  dissimuler,  en 
reconnaissant  chez  l'un  et  l'autre  peuple  une  première 
action  du  climat,  de  la  législatimi ,  du  gouvernement,  de 
l'éducation,  de  l'opinion  publique  sur  le  caractère  et  la 
conduite  des  femmes,  qu'il  existait  aussi  une  réaction  non 
moins  puissante  de  l'influence  des  femmes  sur  la  législa- 
tion,  le  gouvernement,  l'éducation,  l'opinion,  et  sur  les 
mœurs  et  le  caractère  du  peuple. 

La  fameuse  courtisane  Phriné,  attachée  au  sculpteur 
Praxitèle,  qui  fit  sa  statue,  dont  nous  admirons  peut-être 
encore  les  proportions  et  la  beauté  dans  cette  Vénus  de 
Médicis,  chef-d'œuvre  de  l'antiquité,  attribué  au  ciseau 
de  cet  artiste  célèbre,  offrit  de  rebâtir  à  ses  dépens  les 
murs  de  Thèbes,  pourvu  qu'où  y  mît  cette  inscription: 
«  Alexandre  a  détruit  Thèbes,  et  Phriné  Va  rétablie.  » 

La  vie  de  cet  Alexandre,  dont  la  déplorable  folie  lui  fit 
préférer  le  rôle  de  conquérant  aventurier  et  de  fléau  des 
nations  à  celui  de  grand  roi,  fournit  une  foule  d'exemples 
de  femmes  qui  exercent  leur  influence ,  plus  ou  moins 
directe  et  puissante,  sur  ses  actions  et  sur  sa  gloire.  Sa 
conduite  noble  et  généreuse  envers  la  mère,  la  fctnnie  et 
les  filles  de  Darius,  lui  concilient  plus  de  suffrages  que 
ses  conqu-C'lcs.  11  sait  honorer  le  malheur  et  admii'cr  le- 


U         ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

courage  et  la  yertu.  Lors  de  la  ruine  de  Thèbes,  Timocléa^ 
faite  prisonnière  par  les  Thraces,  est  amenée  devant  lui; 
interrogée  par  le  roi,  qui  veut  connaître  son  nom  :  «  Je  suis, 
répond-elle,  la  sœur  de  Théagè?ie,  qui  a  combattu  contre 
Philippe  votre  père  pour  la  liberté  de  la  Grèce ,  et  qui  a 
été  tué  à  la  bataille  de  Chéronêe  où  il  commandait.  » 
Alexandre,  admirant  la  réponse  noble  et  généreuse  de  cette 
femme ,  ordonne  qu'on  la  laisse  aller  en  liberté  avec  ses 
enfans.- — Son  respect  pour  sa  mère  Olympias  est  un  de  ses 
titres  à  la  gloire,  Antipaterlui  ayant  écrit  une  longue  lettre 
contre  elle,  il  dit,  après  l'avoir  lue  :  «  Cet  homme  ignore 
quune  seule  larme  d'une  mère  suffit  pour  effacer  mille 
lettres  comme  la  sienne.  » 

Sa  vengeance  cruelle ,  livrant  aux  flammes  le  palais  de 
Xercès  et  les  murs  de  Persépolis,  est  le  crime  d'une  vile 
courtisane  qui  excite  sa  fureur-  Le  vainqueur  du  monde 
est  vaincu  par  Thiaîs ,  dont  les  yeux  étincelans  d'une 
coupable  joie  commandent  à  son  amant  l'incendie  et  le 
ravage. 

Mais  Alexandre,  plus  maître  de  lui,  quand  ses  courti- 
sans veulent  l'ériger  en  dieu,  se  moque  lui-même  de  l'opi- 
nion accréditée  parleurs  flatteries,  et  accueillie  quelquefois 
par  son  orgueil  ;  il  se  reconnaît  mortel  par  le  double  besoin 
du  sommeil  et  de  l'amour. 

Toutes  les  républiques  et  les  villes  grecques,  ainsi  que  les 
états  en  relation  avec  elles;  la  patrie  d'Epaminondas,  si  res- 
pectueux envejs  sa  mère;  celle  deTimoléon,  où  la  fière  et 
généreuse  Tliesta  déclare  à  Denys-le-Tyran  qu'elle  préfère 
le  titre  d'épouse  de  Polixenus,  banni  pour  la  cause  de 
la  liberté,  à  celui  de  Denys,  tyran  de  la  patrie  ;  Argos.  où 
le  roi  Pyrrhus  périt  au  milieu  de  ses  succès ,  par  la  main 
d'une  mère  qui  venge  la  mort  de  son  fils;  les  monarchies 
contemporaines ,  où  tour  à  tour  des  reines  intrépides  ou 


RAPPORTE  A  L'INFLUENCE   DES  FEMMES.    25 

efféminées,  vertueuses  ou  cqi'rompues,  et  d'autres  femmes, 
sorties  de  différentes  classes  de  la  société ,  influent  sur  les 
destinées  des  rois  et  des  peuples  ,  nous  offrent  également 
les  noms ,  plus  ou  moins  illustres,  de  beaucoup  de  femmes 
qui  ont  honoré  quelquefois  leur  sexe  par  de  grandes  actions^ 
ou  qui  l'ont  flétri  par  de  grands  crimes,  et  qui  confirment, 
par  des  preuves  multipliées,  la  vérité  historique  sur  la- 
quelle nous  appelons  l'attention  des  femmes  et  celle  des 
politiques  et  dea  moralistes. 

Si  nous  arrivons  aux  annales  de  la  république  romaine, 
nous  trouvons,  à  toutes  les  grandes  époques  de  son  histoire, 
des  femmes  qui  jouent  les  principaux  rôles ,  ou  qui  influent 
sur  les  événemens  les  plus  importans. 

Une  femme  dérobe  aux  bêtes  féroces,  et  nourrit  en  secret 
le  fondateur  de  Rome,  qui,  sans  elle,  périssait  inconnu. 
L'enlèvement  des  femmes  sabines  allume  la  guerre  entre 
les  Sabins  et  les  Romains.  Ces  mêmes  femmes  éplorées 
enchaînent  la  fureur  des  deux  peuples,  prêts  à  s'entr'égor- 
ger^  et  le  pinceau  de  notre  David  fait  revivre  devant  nos 
yeux  cette  scène  touchante  et  sublime.  Les  noms  d'Iletsi  lie 
et  de  Tarpela  s'associent  dans  l'histoire  à  celui  de  Romulus. 

Le  pieux  et  sage  Numa  fortifie  sa  puissance,  en  persua- 
dant à  un  peuple  crédule  et  superstitieux  qu'il  a  des  en- 
trevues mystérieuses  avec  la  nymphe  Egérie. 

La  victoire  des  Horaces  sur  les  Curiaces,  qui  conserve  aux 
Romains  leur  domination  sur  le  Latium,  domination  qu'ils 
doivent  étendre  sur  l'Italie  et  sur  le  monde,  est  souillée  par  le 
meurtre  d'une  femme  jugée  indigne  d'être  Romaine,  parce 
que  ses  pleurs  sur  la  mort  de  son  amant  semblent  insulter 
au  succès  de  son  frère  et  au  triomphe  de  sa  patrie.  Le  génie 
de  Corneille  s'empare  de  ce  fait  historique  pour  émouvoir 
nos  âmes,  par- la  peinture  énergique  des  mœurs  romaines. 

L'ambition  et  la  cruauté  de  l^'épouse  do  Tarquin  font 


26         ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

naître  les  premiers  mouvemens  de  l'indignation  populaire, 
qui  doit  renverser  le  trône.  L'outrage  fait  à  Lucrèce  et  son 
noble  et  volontaire  sacrifice  excitent  les  principaux  séna- 
teurs à  chasser  les  rois.  Le  courage  de  l'héroïque  délie  se 
communique  aux  jeunes  Romaines,  ses  compagnes,  et  ob- 
tient l'admiration  dePorsenna,  qui  fait  la  paix  avec  Rome. 
La  mère  et  l'épouse  de  Coriolan,  Véturie  et  Volumnie , 
triomphent  de  son  orgueil  et  de  sa  fureur,  et  sauventla  patrie 
menacée.  Un  temple  est  alors  consacré  par  les  Romains  à /a 
fortune  des  femmes.  Lajeune  et  innocente  Virginie.^  poignar- 
dée par  son  père  qui  n'a  pas  d'autres  moyens  de  la  soustraire 
auxdésirs  infâmes  d'Appius,  détermine  la  chute  des  décem- 
virs.  La  jalousie  de  l'épouse  d'un  plébéien  contre  sa  sœur 
mariée  à  un  patricien,  fait  participer  l'ordre  du  peuple  aux 
honneurs  du  consulat,  réservé  jusqu'alors  à  la  seule  noblesse. 
Ainsi,  même  chez  une  nation  fière  et  superbe,    presque 
barbare,  et  endurcie  parla  guerre,  dans  un  sénat  auguste, 
composédes  plus  graves  personnages,  nous  voyons  une  ques- 
tion politique  importante  ,  décidée  au  gré  de  l'influence  et 
de  la  volonté  d'une  femme  vaine,  ambitieuse  et  jalouse. 
Telle  est  la  double  puissance  des  femmes  et  des  passions. 
Plutarque  nous  apprend   qu'après  la  mort  violente  de 
Tibérius  et  de  Caïus  Gracchus,  le  peuple  fit  faire  leurs 
statues,   les  exposa  en  public,  consacra  les  lieux  où  ils 
avaient  été  immolés,  et  fit  aussi  élever  à  Cornèlie,  qui  vivait 
encore,  une  statue  de  bronze  sur  laquelle  on  mit  cette  ins- 
cription :  «  CoRNÉLiE,  MÈRE  DES  GRACQrEs.  »  On  rendait  cet 
hommage  à  l'influence  d'une  mère,  dont  l'ame  généreuse, 
le  caractère  altier,  l'énergie,  et  peut-être  aussi  l'ambition, 
avaient  passé  dans  l'ame  de  ses  fils.  Les  funestes  pressenti- 
mensdeXzciVzîrt,  femme  de  Caïus,  et  ses  tristes  ettouchaus 
adieux  à  son  époux,  qui  se  rend  sur  la  place  publique  où 
il  doit  trouver  la  mort,  rappellent  les  adieux  d'Hector  et 


RAPPORTÉ  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.    27 

fVA  ndromaque,  et  arrachent  des  larmes  d'attendrissement 
et  de  pitié,  au  milieu  des  scènes  d'horreur  et  des  fureurs 
sanguinaires  des  factions. 

Dans  la  guerre  de  Rome  contre  Carthage,  Sophonisbe , 
épouse  de  Syphax,  enlève  son  mari  à  l'alliance  des  Romains. 
Les  femmes  des  Carthaginois  coupent  leurs  longues  cheve- 
lures pour  en  faire  des  (?&rdages  qui  puissent  servir  aux 
machines  destinées  à  défendre  leur  ville. 

Environ  un  demi- siècle  après,  c'est  une  femme,  appelée 
Fuli^ie,  qui  recueille  dans  les  épanchemens  de  la  confiance 
et  de  l'amour,  et  qui  révèle  au  consul  Cicéron  les  atroces 
complots  de  l'ambitieux  Catilina  :  elle  retarde  ainsi  de 
quelques  années  la  ruine  delà  république.  Une  autre  i^zi/p'/g, 
épouse  d'Antoine  ,  femme  hardie,  vindicative  et  cruelle, 
prend  part  à  toutes  les  exécutions  barbares  du  triumvirat  ; 
elle  fait  prosci-ire  et  immoler  ce  même  Cicéron  ,  naguère 
proclamé  le  sauveur  de  la  patrie ,  et  perce  d'un  poinçon 
d'or  la  langue  de  l'orateur  qui  avait  charmé  les  Romains. 
Quand  les  femmes  s'abandonnent  aux  passions  violentes  et 
à  la  cruauté,  leur  tempérament  plus  délicat,  mais  plus  iras- 
cible que  le  nôtre  ,  les  rend  plus  susceptibles  d'excès  en 
tout  genre  ;  il  les  pousse  au-delà  des  bornes,  et  plus  loin  que 
les  hommes,  dans  la  carrière  où  elles  sont  lancées. 

Nous  avons  vu  l'influence  des  dames  romaines  dans  les 
beaux  jours  de  la  république  :  nous  la  retrouvons  encore , 
aux  différentes  époques  de  sa  décadence.  Les  mariages  po- 
litiques de  César  avec  la  fille  de  Pompée,  de  Pompée  avec 
celle  de  César,  d'Antoine  avec  la  sœur  d'Octave,  suspen- 
dent quelque  tems  les  guerres  civiles,  qui  doivent  embra- 
ser l'empire  et  l'univers. 

Une  reine  égyptienne  voit  tour  à  tour  à  ses  pieds  le 
grand  César,  vainqueur  des  Gaules  et  maître  de  Rome, 
et  le  voluptueux  Antoine;  ce  Romain  dégénéré  lui  sacrifie 


28         ESQUISSE  D'UN  COURS   D'HISTOIRE, 

ses  devoirs,  son  caractère,  sa  puissance,  sa  gloire,  cl 
subit  la  loi  d'Auguste.  Lorsque  Antoine  est  vaincu ,  c'est 
Cléopâtre  qui  triomphe ,  et  le  caprice  d'une  femme  ;t 
décidé  de  la  journée  d'Actium. 

Livie ,  femme  d'un  proconsul,  devient  la  compagne  du 
maître  du  monde ,  et  ses  intrigues  font  passer  le  gceptrc 
dans  les  mains  de  l'affreux  TflSère. 

Les  noms  de  Cornélie,  veuve  de  Pompée,  qui,  du  haut 
de  son  navire,  voit  assassiner  son  époux  sur  le  rivage 
d'Egypte;  de  Porciej  digne  compagne  du  dernier  Brutus; 
à^Ariuj  qui  donne  à  Psetus  le  noble  exemple  d'un  géné- 
reux dévouement  et  d'une  mort  volontaire;  à^Èponime , 
qui  s'associe  à  la  proscription  de  Sabinus,  et  qui  s'ense- 
velit vivante  avec  lui  dans  un  antre  sauvage,  sont  consa- 
crés par  les  hommages  des  siècles.  Un  opprobre  éternel 
poursuit  les  noms  abhorrés  Ùl  Agi-îppine ^  de  Messaline , 
de  Poppée  ^  et  de  plusieurs  femmes  ambitieuses,  corrom- 
pues et  cruelles,  qui  ajoutent  aux  scènes  d'horreur  et  de 
crime ,  si  multipliées  dans  la  décadence  du  bas  empire. 
Un  grand  nombre  d'impératrices  président  successivement 
aux  destins  de  Rome  et  de  l'univers;  les  premières  im- 
pressions qu'elles  ont  repues  dans  l'enfance,  les  leçons, 
les  exemples  qui  ont  entouré  leur  berceau ,  et  qui  ont 
formé  leur  jeunesse ,  déterminent  les  actions  qui  influent 
sur  le  sort  du  monde,  et  qui  préparent,  après  elles,  des 
empereurs,  trop  souvent  l'opprobre  et  le  fléau  du  genre 
humain 

En  traçant  une  esquisse  aussi  rapide  et  aussi  imparfaite 
d'une  partie  de  l'histoire  ancienne,  à  laquelle  nous  aurions 
pu  ajouter  beaucoup  défaits  du  même  genre,  puisés  dans 
le  moyen  âge  et  dans  les  tems  modernes,  nous  avons 
voulu  seulement  donner  une  idée  de  la  marche  qu'on  peut 
suivre  pour  l'exécution  de  notre  plan.   Ce  simple  aperçu 


RAPPORTE  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.     29 

suffit  pour  faire  entrevoir  combien  est  riche  et  féconde  la 
mine  qu'on  invite  les  femmes  à  exploiter  dans  l'histoire  : 
celles  qui  entreprendront  des  lectures  historiques,  d'après 
cette  direction,  et  qui  les  continueront  avec  persévérance, 
trouveront  un  intérêt  toujours  croissant  dans  ce  travail.  Elles 
perfectionneront,  par  l'habitude,  leur  talent  d'observer  et 
d'écrire  ;  elles  acquerront  à  la  fois  plus  de  finesse  et  de 
sagacité;  elles  seront  mieux  initiées  aux  mystères  du  cœur 
humain  ;  elles  posséderont  une  connaissance  plus  appro- 
fondie de  leur  sexe,  de  ses  devoirs,  de  ses  droits,  de  sa 
puissance,  de  son  intérêt  bien  entendu,  et  du  meilleur 
emploi  qu'elles  peuvent  faire  de  leur  influence. 

Cette  itijluence  des  femmes^  toujours  active  et  puis- 
sante? est  le  sujet  d'un  Essai  historique  et  philosophique , 
entrepris  depuis  plusieurs  années  par  l'auteur  de  cette 
Notice.  Des  recherches  dirigées  particulièrement  vers  ce 
but  lui  ont  paru  le  complément  naturel  et  nécessaire  des 
travaux  sur  l'éducation,  auxquels  il  a  consacré  une  partie 
de  sa  vie.  L'influence  des  femmes  modifie  ou  détruit  les 
impressions  de  la  première  éducation  ;  elle  suffît  souvent 
pour  corriger  ou  pour  corrompre  les  caractères  des  hommes: 
elle  se  reproduit  enfin,  avec  toute  sa  force ,  dans  tous  les 
âges  de  la  vie,  dans  toutes  les  conditions  de  la  société, 
dans  les  cours  et  dans  les  palais  des  rois  comme  sous  le 
chaume  des  bergers,  dans  les  villes  et  au  fond  des  cam- 
pagnes les  plus  reculées,  au,  milieu  de  la  civilisation 
comme  au  sein  de  la  barbarie ,  sous  toutes  les  formes  de 
gouvernement,  et  dans  les  pays  même  où  l'esclavage  des 
femmes  est  consacré  par  les  mœurs  et  par  les  lois  (i). 

(l)  Les  trois  agp.s  de  i.a  vie,  cgalcment  cmLcilis  par  riiillucnce 
(]p  la  femnae,  domiée  à  l'hoinme  ,  moins  encnio  comme  une  coni- 
pai^nc  nécessaire  j  que  comme  une  sorte  de  pvoYidencc  placée  auprès 


50         ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

Ce  serait  une  circonstance  heureuse  qu'un  monument 
historique,  élevé  à  la  gloire  du  sexe,  qui  est  l'ornement 
et  le  charme  de  la  vie  humaine ,  pût  être  composé  de 
matériaux  recueillis  par  des  femmes  qui  aimeraient  à  faire 
des  recherches  et  des  extraits  rapportés  au  but  qu'on  leur 
propose.  Nous  offrirons  donc  maintenant  la  partie,  pour 
ainsi  dire ,  mécanique  de  la  méthode  de  lectures  qu'elles 
pourraient  suivre. 

En  lisant  un  ouvrage,  quel  qu'il  soit,  une  histoire, 
une  vie  particulière  d'un  personnage  célèbre,  un  voyage', 
même  un  roman,  on  s'attache  à  rechercher  tout  ce  qui 
concerne  la  condition  ou  l'influence  des  femmes.  A  mesure 
qu'on  trouve  un  passage,  un  fait,  une  observation,  qui 
tient  de  près  ou  de  loin  à  ce  sujet,  on  met,  à  cette  page 
du  livre ,  une  petite  bande  de  papier  pour  la  retrouver 
facilement;  ou  bien  l'on  écrit,  soit  au  crayon,  soit  à 
l'encre,  sur  une  feuille  de  papier  détachée,  les  numéros 
des  pages  que  l'on  veut  revoir. 


de  lui  sur  la  terre ,  et  comme  un  lien  commun  de  la  famille  et  de  la 
société ,  ont  fourni  à  notre  grand  peintre  Gérard  le  sujet  d'un  de 
ses  tableaux  les  plus  gracieux.  On  voit  une  jeime  femme,  d'une 
physionomie  douce  et  tendre,  qui  tient  sur  ses  genoux  un  enfant 
dont  elle  est  la  mère  et  la  nouri'ice ,  qui  pre'seate  sa  main  gauche 
à  un  hedM  jeune  homme  sur  lequel  son  regard  se  fixe  avec  complai- 
sance ,  et  qui  étend  sa  maiu  droite  sur  les  épaules  d'un  respectable 
vieillard.  Son  père ,  son  époux  et  sou  fils ,  qui  partagent  et  réu- 
nissent toutes  ses  affections ,  semblent  recevoir  d'elle  seule  le  bon- 
heur et  la  vie.  Le  fond  du  tableau  représente  une  solitude  agréable, 
un  paysage  isolé,  les  boi'ds  d'im  lac,  une  ville  dans  le  lointain.  Ce 
n'est  point  l'horreur  du  désert ,  ni  le  tumulte  de  la  cité  ;  le  gi'oupe 
est  assis  sur  des  ruines  ;  les  souvenirs  de  la  ciTilisation  s'unissent  à 
l'aspect  sauvage  d'un  lieu  abandonné.  C'est  à  la  fois  une  conception 
philosophique  et  poétique  ,  qui  réveille  des  idées  mélancoliques  et 
douces;    la  sensibilité  a    inspiré  le  génie. 


RAPPORTÉ  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.     31 

Le  passage  qu'on  a  remarqué  est-il  au  milieu  de  la 
page,  on  place  une  barre  àcôié  du  chiffre.  Exemple  :  12/. 
—  Si  le  passage  est  au  commencemeut  de  la  page,  la  barre 
est  placée  au-dessus  du  chiffre.  Exemple  :  i5.  —  Si  le  pas- 
sage est  au  bas  ou  à  la  fin  de  la  page  ,  on  place  la  marque 
au-dessous  du  chiffre.  Exemple  :  18. — Si  toute  la  page  est 
à  relire,  on  enveloppe  tout  le  chiffre.  Exemple:  20.) 

Par  ce  moyen,  sans  interrompre  sa  lecture,  on  con- 
serve l'indication  de  tous  les  passages  à  revoir;  puis, 
quand  on  a  fini  un  volume ,  ou  quand  on  a  lu  seulement 
une  centaine  de  pages,  on  reprend  les  pages  lues,  d'après 
leurs  numéros  inscrits  à  part,  et  l'on  fait  de  courts  extraits 
sur  un  cahier  à  colonnes ,  disposé  d'après  le  modèle  qui 
suit. 

Modèle  d'un  Journal  des  extraits  et  des  analyses  de 
ses  lectures. 


s   o 


DATES 

OU  pages 

des  volum. 

cites. 


DETAILS    DIVERS , 

faits 
et  obserrations. 


rvioTs 

de 

lecheiclie. 


XOTES 

et 
signes. 


1.  "Lsi première  colonne  est  destinée  à  déterminer  chaque 
article  par  un  numéro  d^ ordre  ^3iVX\c\xWcv ,  qui  sert  ensuite 
à  le  retrouver  au  besoin, 

2.  On  inscrit,  dans  la  seconde  colonne,  soit  la  date, 
soit  le  titre  et  la  page  du  volume,  d'où  l'on  a  tiré  des 
extraits. 


;32         ESQUISSE  D'UN  COURS  D'HISTOIRE, 

3.  La  troisième  colonne,  qui  est  la  plus  étendue,  con- 
tient le  précis  des  faits  et  des  ohseivations  que  l'on  veut 
conserver. 

4.  La  quatrième  colonne  indique,  par  un  ou  par  quel- 
ques mots  de  recherche^  le  sujet  particulier  de  chaque  ar- 
ticle, et  facilite  singulièrement  les  recherches  à  faire  dans 
le  recueil.  Pour  le  sujet  particulier  de  l'histoire  et  de  l'in- 
fluence des  femmes ,  ces  m,ots  de  recherche  pourront  être  : 
piété  filiale  j  amour  conjugal,  tendresse  maternelle ,  édu- 
cation, amour  de  la  patrie,  courage,  héroïsme ,  ambition  ^ 
mariage  politique  j  législation  relati\-'e  aux  fetnmes  j  esprit 
de  famille ,  vertus  domestiques  j  économie,  etc.,  musique  _, 
poésie ,  peinture ,  etc. 

5.  La  cinquième  colonne ,  pour  les  notes  e,l  signes ,  per- 
met de  désigner,  par  un  même  signe  générique  convenu, 
les  différens  mots  de  recherche ,  susceptibles  d'une  sorte 
d'association,  ou  qui  peuvent  être  considérés  sous  un 
même  point  de  vue  général.  Ainsi  le  signe  A  [album  de 
l'histoire)  pourra  caractériser  tous  les  traits  historiques  où 
l'influence  des  femmes  se  sera  manifestée  d'une  manière 
utile  et  honorable  ;  le  signe  N  {iiigruni)  rangera  sous  la 
même  classe  tous  les  faits  qui  signalent  cette  influence 
comme  funeste.  D'autres  signes  convenus  pourront  servir 
à  distinguer  la  même  influence,  en /jo/^^/^if^^  en  religion, 
dans  la  législation  ^  dans  la  guerre ,  en  littérature ,  dans  les 
beaux  arts,  dans  les  mœurs  publiques  j  dans  la  vie  pri- 
vée,  etc.  Les  deux  colonnes  des  mots  particuliers  de  re- 
cherche et  des  signes  généraux  ont  pour  objet  de  donner 
la  double  habitude  de  Vespritde  détail  et  de  V esprit  d'en- 
semble. 

6.  La  sixième  et  dernière  colonne,  pour  les  numéros  de 
renvois,  qui  correspond  avec  la  première,  celle  des  nu- 
mérofi  d'ordre ,  sert  à  établir  des  rapports  et  des  renvois 


RAPPORTÉ  A  L'INFLUENCE  DES  FEMMES.  33 
nntre  les  articles  qui  se  correspondent,  ou  qui  ont  entre 
eux  quelque  analogie.  On  dispose  les  chiffres  inscrits  dans 
cette  colonne,  ainsi  qu'il  suit  :  |.  Le  chiffre  supérieur ,  ou 
placé  au-dessus  de  la  ligne,  indique  le  nutmho  d'ordre  de 
l'article  précédent  le  plus  rapproché  qui  traite  du  même 
sujet.  Le  chiffre  inférieur,  ou  placé  au-dessous  "de  la  ligne, 
renvoie  à  l'article  le  plus  rapproché  de  l'une  des  pages  sui- 
vantes, dans  laquelle  le  même  sujet  se  trouve  reproduit. 
On  peut  ainsi  revoir  et  parcourir  les  extraits  qu'on  a  re- 
cueillis, soit  dans  un  o?'dre  chronologique  y  et  d'après  la 
succession  des  faits,  soit  dans  un  ordre  analytique ,  et 
d'après  la  nature  des  matières,  considérées,  oxi paj-ticu- 
lièrement  à  l'aide  des  mots  de  recherche  ^  ou  sous  un  point 
de  vue  général,  au  moyen  des  signes  génériques.  Comme 
on  a  pris  soin  d'enregistrer,  sous  un  même  titre,  les  ar- 
ticles qui  traitent  un  même  sujet,  et  d'affecter  à  chacun 
d'eux  un  numéro  d'ordre  particulier,  l'usage  des  numéros 
de  renvois  permet  de  retrouver  et  de  rapprocher,  au  milieu 
même  d'une  multitude  de  fragmens  écrits  sans  suite  ni 
liaison ,  tous  les  articles  qui  ont  entre  eux  quelque  analogie, 
et  qui  peuvent  s'éclairer  mutuellement. 

Cette  manière  de  lire  et  de  conserver  des  extraits  de  ses 
lectures  est  à  la  fois  simple  ,  commode ,  instructive  et 
agréable.  On  réunit,  au  bout  de  quelques  années,  la  sub- 
stance de  plusieurs  volumes  ou  de  beaucoup  d'ouvrages 
différens ,  sous  un  rapport  déterminé,  dans  un  petit 
nombre  de  pages.  On  se  ménage  des  points  d'appui  pour 
la  mémoire ,  des  sujets  variés  pour  la  méditation  et  la  ré- 
flexion. 

Aucun  sujet,  surtout  dans  les  tems  où  nous  vivons,  dans 

cette   grande    époque   historique,    qui    est  une   sorte   de 

transition  d'un  degré    de    civilisation    à    un  autre  degré 

plus  avancé,  ne  paraît  plus  digne  que  celui  de  V Influence 

l'oME  \.  2 


SA  OBSERVATION. 

chi  femmes^  de  fixer  l'attention,  le»  recherches  et  les 
pensées  d'une  femme  qui  joint  à  un  esprit  judicieux  et 
observateur  une  ame  généreuse  ,  animée  d'un  véritable 
amour  de  son  pays  et  de  l'humanité.  C'est  par  l'influence 
des  femmes,  bien  dirigée,  qu'on  peut  régénérer  les  hommes, 
réformer  l'éducation  et  la  législation,  améliorer  les  mœurs 
particulières  et  publiques,  calmer  les  passions  haineuses, 
prévenir  les  discordes  funestes,  faire  peut-être  un  jour 
cesser  le  déplorable  fléau  de  la  guerre  ,  adoucir  enfin 
la  plupart  des  maux  qui  désolent  la  triste  humanité. 

M.  A.  JuLLlEN,   de  Paris. 


\\/K\\.\/V\\.\IW\JW\ 


OBSERVATION. 


QroiQCE  nous  admettions  très-rarement  des  pièces  de 
vers  dans  ce  Recueil ,  qui  est  grave  par  sa  nature ,  les  deux 
pièces  qu'on  va  lire  nous  ont  paru  mériter  une  exception 
et  pouvoir  être  placées  à  la  suite  de  V Esquisse  sur  l'in- 
fluence des  femmes  ^  parce  qu'elles  forment,  pour  ainsi 
dire,  la  continuation  du  même  sujet,  présenté  sous  des: 
formes  plus  agréables  et  plus  animées. 

Dans  la  première,  le  Portrait  de  Clarisse,  on  voit  une 
créature  angélique,  aussi  distinguée  par  les  qualités  de 
son  cœur,  par  la  pureté,  la  candeur  et  la  noblesse  de  son 
caractère,  que  par  la  solidité  et  les  grâces  de  son  esprit,  et 
par  les  charmes  de  sa  figure.  Nous  laisserons  à  nos  lecteurs 
le  soin  de  deviner  si  Clarisse  est  un  personnage  réel  ou 
imaginaire.  Si  elle  existe,  nous  craindrions  de  blesser  sa 
modestie,  en  soulevant  à  moitié  le  voile  sous  lequel  k 
vertu,  comme  la  beauté,  semble  vouloir  se  dérober  à  nos 
hommages.  Quoi  qu'il  en  soit,  comme  un  esprit  philoso- 
phique aime  toujours  à  s'élever  d'un  fait  particulier  et  isol« 
H  une  considération  générale,  on  peut  trouver  dans  ce  por- 


LE  PORTRAIT   DE  CLARISSE.  35 

trait  une  sorte  de  modèle  d'une  perfection  idéale,  qu'il  n'est 
pas  sans  intérêt  d'offrir  à  l'émulation  des  jeunes  personnes 
du  même  sexe  et  du  même  âge  ,  de  cet  âge  heureux  et 
brillant,  qui  ne  connaît  encore  ni  les  regrets  du  passé,  ni 
les  inquiétudes  de  l'avenir,  et  dont  le  présent  se  compose 
d'aimables  illusions,  d'espérances  et  de  fleurs. 

La  seconde  pièce  de  vers,  en  rapprochant,  dans  quel- 
ques stances,  les  femmes  et  les  fleurs^  qui  ont  entre  elles 
tant  d'analogie,  et  qui  sont  peut-être  en  effet  les  deux 
plus  beaux  ornemens  de  la  nature,  a  pour  objet  de  rappeler 
que  la  destination  des  femmes  n'est  pas  uniquement  d'em- 
bellir par  leurs  charmes  la  carrière  de  la  vie,  mais  qu'elles 
peuvent  surtout  s'honorer  et  se  rendre  utiles  par  une 
bonne  direction  morale  donnée  constamment  à  leur  in- 
fluence naturelle  et  légitime  sur  les  hommes. 

Ces  deux  pièces  de  vers  n'appartiennent  donc  pas  seu- 
lement aux  circonstances  et  aux  personnes  qui  les  ont 
inspirées;  mais  elles  retracent  des  exemples  de  vertu,  ou 
elles  expriment  des  vérités  philosophiques ,  qui  sont  de 
tous  les  tems  et  de  tous  les  lieux,  et  qui  ne  sont  pas  in- 
dignes de  l'attention  des  femmes  elles-mêmes,  ni  des 
méditations  des  moralistes;  c'est  ce  motif  qui  en  a  fait  dé- 
cider l'insertion. 


WX'»  VVV\W*'\'WV\ 


LE  PORTRAIT  DE  CLARISSE. 

Une  image  me  suit  :  elle  est  partout  présente  ; 
Elle  est  à  la  fois  belle  ,  aimable ,  séduisante  ; 
Elle  enivre  les  yeux  et  captive  le  cœur  : 
Elle  exerce  en  tout  lieu  son  ascendant  vainqueur.  . 

Dans  ses  mobiles  traits  ,  la  jeunesse  et  la  vie , 
La  sensibilité ,  germe  heureux  du  génie , 
La  tendre  piété  ,  le  filial  amour  . 


56  J.L  ruRIKAir  D£  CLARISSE. 

La  candeur  .  la  liert«  se  peignent  tour  à  tour. 
Son  oeil  lance  un  éclair ,  dont  la  rapide  Qamme 
Par  un  charme  secret  pénètre  jusqu" à  lame; 
Et  «on  divin  soum-e .  oii  bnile  la  bcnté , 
Dont  la  grâce  angelique  ajoute  à  sa  beauté , 
Est  comme  un  doux  rayon  de  la  rive  lumière 
Que  le  soleil  répand  sur  la  nature  entière. 

Mais  sa  beauté  nest  rien  pour  qui  connaît  son  cœur  , 
Consacré  par  Dieu  même  au  culte  du  malheur. 
J'ai  recueilli  les  pleurs  que  sa  pitié  touchante 
Accorde  aux  malheureux.   Une  laiTne  éloquente 
A  mouillé  sa  paupière,  au  douloureux  récit 
Des  revers  d'un  rieillard  que  le  destm  poursuit. 
Ces  rerers  ont  cessé.  Beauté  ,  grâce  ,  innocence  . 
Dans  un  sexe  enchanteur ,  quelle  est  TOtre  influence  ! 
Quel  homme  impunément  peut  voir  Clarisse  en  pleurs? 
J'ai  vu,  j  ai  ressenti ,  j  ai  calmé  ses  douleurs. 
Le  vieillard  a  béni  l'aimable  bienlaitrice 
Qui  des  hommes  pour  lui  réparait  1  injustice. 

A  la  fleur  de  ses  ans  ,  descendue  au  tombeau  , 
Une  mère  laissait  son  enfant  au  berceau  . 
Faible  .  pauvie  ,  soufl'rant .  sans  appui  sur  la  teiTC  , 
Déplorable  oi-phelin  qu'attendait  la  misère. 
Mais  Clarisse  a  connu  ces  victimes  du  sort. 
La  mère  infortunée  ,  au  moment  de  sa  mort , 
Lui  confia  son  hls  ;   et  sa  douleur  pieuse 
De  Clarisse  implora  la  l>onté  généreuse. 
Les  malheureux  jamais  ne  font  priée  en  vain  ; 
Et ,  vierge  ,  elle  a  servi  de  mère  à  roi"phelin. 

Dans  ces  jours  désastreux  oui  Europe  en  fiune. 
Torrent  dévastateur  .  inondait  ma  patine  : 
Quand  nos  villes  en  deuil .  quand  nos  champs  ravagés 
Offraient  de  toutes  parts  des  Français  égore;é$  : 
De  ses  sanglantes  mains  quand  le  dieu  des  batailles 
Sur  nos  plaines  au  loin  semait  les  funérailles  ;- 
Aux  remparts  de  Nancv  .  sous  le  toit  paternel , 


L£  PORTiaiT  DE  CLàKIJSE.  57 

De  sa  Toix  innocente  invoquant  rEtemeL- 
Clarisse .  à  peine  alors  échappée  à  Toifance . 
Dans  on  Dieu  de  bonté  mettait  sa  confiance  ; 
Et  dans  ce  jeune  cœur  .  soutenu  par  la  foi . 
Dieu  lui-même  semblait  aroir  graTé  sa  loi. 
De  la  reUgion  mystérieux  empire  ! 
Elle  donne  la  force  aux  âmes  qu  elle  inspire  : 
Une  vierge  timide  ,  en  son  débile  sein 
.  Porte  une  ame  héroïque ,  où  brûle  un  fea  dirin. 

Aux  horreurs  de  la  guerre .  aux  discordes  civiles 
Vont  enfin  succéder  des  momens  plus  tranquilles  : 
La  France  a  vu  partir  le  superbe  étranger 
Qui ,  lui  dictant  ses  lois  .  prétend  la  protéger  ; 
Et .  de  ce  joug  honteux  noblement  affi^uichie. 
A  ses  fils  consolés  elle  rend  leur  patrie. 
Bellone  a  déposé  ses  sançlans  étendards; 
La  paix  vient  ranimer  le  culte  heureux  des  arts  ; 
A  ce  culte  sacré  par  ses  goûts  destinée , 
Dans  les  murs  de  Paris  Clarisse  est  amenée. 

D  une  industrie  active .  en  ce  monde  nouveau . 
Son  œU  avidement  observe  le  tableau. 
Elle  n  admire  point  ces  parures  frivoles 
Dont  un  sexe  léger  fait  souvent  ses  idoles  : 
Un  luxe  fastueux  n"a  pour  elle  aucun  jwix  ; 
Ses  veux  dun  vain  éclat  ne  sont  point  éblouis. 
Mais  les  produits  des  arts ,  chefs-d'œuvre  du  géme 
Par  d'utiles  travaux  honoi'ant  la  patrie  ; 
Un  immortel  burin  gravant  pour  l'avenir 
D  une  grande  action  l'éloquent  souvenir: 
Mais  Fénélon  .  Rousseau ,  dans  leurs  pag»  brûlantes. 
Traçant  de  la  vertu  les  images  vivantes  ; 
Massillon  dun  grand  roi  bravant  l'autorité 
Pour  offrir  à  ses  veux  laustère  vérité  : 
Mais  Corneille ,  Shakspear .  dont  la  muse  inspirée 
Allume  dans  les  ccems  une  ilanuue  sacrée  ; 
Mais  l'auteur  de  Corinne ,  eu  ses  brillaos  tableaa.\  , 


58  LE  PORTRAIT  DE  CLARISSE. 

Du  divin  Michel-Ange  empruntant  les  pinceaux  : 
Ces  nobles  écrivains  ,  ces  peintres  \  ces  poètes  , 
Des  vertus  ,  du  génie  augustes  interprètes  , 
A  la  jeune  Clarisse  ont  bientôt  lévélé 
Le  secret  du  talent  dans  son  sein  recelé. 

Des  vulgaires  penchans  la  fougue  impétueuse , 
Dans  son  cœur,  animé  d  une  ardeur  généreuse  , 
Ne  saurait  exciter  ni  troubles  ni  combats  : 
EUe  peint  leurs  dangers ,  et  ne  les  connaît  pas. 
Mais  l'amour  de  la  gloire  et  lenflarame  et  l'inspire  : 
La  sainte  humanité ,  son  sublime  délire  , 
Le  besoin  d'être  utile  au  pauvre  ,  à  l'oiphehn  , 
Au  vieillard  opprimé ,  font  palpiter  son  sein. 
Dans  l'être  infortuné  ,  dans  la  faible  innocence , 
Elle  honore  d'un  Dieu  l'invisible  présence  : 
Pour  elle ,  les  bienfaits  que  répand  sa  bonté 
Sont  un  hommage  offert  à  la  divinité  ; 
Et  la  gloire  ,  à  ses  yeux  ,  noble  et  brillante  image , 
Des  siècles  à  venir  honorable  suifi-age , 
Flambeau  resplendissant  dans  l'éternelle  nuit , 
Dont  le  trompeur  éclat  trop  souvent  nous  séduit , 
De  la  seule  vertu  légitime  salaii-e  , 
N'appartient  qu'aux  mortels  bienfaiteurs  de  la  terre. 

Cette  gloire  pour  elle  a  seule  des  appas. 
C'est  ainsi  qu'elle  veut  échapper  au  trépas. 
Du  tems  qui  détruit  tout ,  tu  peux  braver  l'outrage. 
Un  étemel  oubh  serait-il  le  partage 
Des  vertus  ,  des  talens ,  unis  à  la  beauté  ? 

Dans  cet  âge  brillant  où  la  frivolité  , 
Les  profanes  plaisirs  ,  la  gaîté  ,  la  folie 
Dissipent  les  momens  et  consument  la  vie  : 
Libre  de  passions ,  dédaignant  le  repos  , 
Tout  entière  livrée  à  ses  nobles  travaux  , 
Clarisse  tour  à  tour  recueille  pour  l'enfance 
Des  préceptes  sacrés  la  féconde  semence  , 
Et ,  les  faisant  goûter  à  ses  jeunes  lecteurs  , 


LES  FEMMKS  ET  LES  FLEURS.  ^ 

Des  plus  douces  vertus  sait  pénétrer  leurs  cœui's  ; 
Ou  bien  ,  d'un  vol  hardi ,  mais  non  point  téméraire , 
Parcourant  à  la  fois  la  France  et  l'Angleterre  , 
Elle  ose  interroger  leurs  poètes  fameux , 
Rapprocher  leurs  travaux  ,  les  comparer  entre  eux , 
Et  des  rangs  assignés  à  leurs  muses  rivales 
Dans  le  temple  du  goût  marquer  les  intervalles  ; 
Ou ,  comme  on  vit  jadis ,  dans  nos  tournois  guerriers  , 
Des  femmes  revêtant  l'arme  des  chevaliers  , 
La  visière  baissée  ,  émules  de  leur  gloire  , 
Avec  eux  noblement  disputer  la  victoire  : 
Ainsi ,  cachant  son  sexe  ,  et  déguisant  son  nom , 
Armée  en  chevalier ,  un  casque  sur  le  front , 
La  modeste  Clarisse  ,  abaissant  sa  visière , 
Vient  partager  les  prix  d'un  tournoi  littéraire. 

Mais ,  malgré  le  secours  du  voile  officieux 
Qu  elle  oppose  à  dessein  aux  regards  curieux  , 
Ses  écrits  pleins  de  feu ,  de  fraîcheur  et  de  vie , 
Semblent  nous  révéler  son  ame  et  son  génie  ; 
Et  son  nom ,  consacré  par  im  doux  souvenir , 
Bien  après  son  trépas  ,  vivra  dans  l'avenir. 

M.  A.  JcLLiEN ,  de  Paris. 


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LES  FEMMES  ET  LES  FLEURS. 

Stances  composées  pour  une  fête  célébrée  chez  madame  la 
Marquise  de  *** ,  le  S  décembre  1 820. 

I. 

Les  femmïs  kt  les  pleurs  ,  dans  ce  charmant  séjour 
Font  régner  à  la  fois  le  printcms  et  l'amour. 
Les  beaux  arts ,  animés  par  leur  douce  influence ,. 
Viennent  y  consacrer  la  gloire  de  la  France  ; 
Et  celle  dont  les  soins  ont  embelli  ces  lieux  , 
Par  qui  le  grand  Vollaire  est  présent  à  nos  yeux , 


AO  LES  FEMMES  Eï  LES  FLEURS, 

Des  lettres  et  des  arts  aimahle  protectrice , 
Va  faire  entendre  ici  leur  voix  inspiratrice. 

Muses ,  que  vos  accords  célèbrent  tour  à  tour 
Les  femmes  et  les  fleurs ,  le  printems  et  rameur  ! 

n. 

Vivantes  fleurs  !  ô  vous  ,  divinités  mortelles  ; 
Des  plus  douces  vertus ,  vous ,  les  touchans  modèles  ; 
O  femmes  !  la  nature  a  soumis  à  vos  lois 
Et  les  humbles  bergers ,  et  les  superbes  rois. 
De  nos  faibles  destins  arbitres  sorveraines  , 
Par  léclat  des  vertus  ennoblissez  nos  chaînes  ; 
Honorez  votre  empire  ,  en  nous  rendant  heureux  : 
Quand  vous  l'ordonnerez ,  nous  serons  vertueux  ; 
Et  nos  cœurs  épui'és ,  fiers  de  votre  sufirage , 
Des  viles  passions  briseront  l'esclavage. 

Muses ,  que  vos  accords  célèbrent  tour  à  tour 
Les  femmes  et  les  fleurs ,  le  printems  et  Taraour  ! 

m. 

o  femmes  !  sous  vos  traits  ,  la  gloire  et  la  patrie  ^ 
La  liberté ,  la  paix  et  la  philosophie , 
L'amitié ,  la  vertu ,  la  tendre  piété , 
La  noble  bienfaisance  et  la  douce  honte  ; 
La  charité  divine  et  l'humanité  sainte , 
Dont  la  natiu-e  en  nous  grava  l'auguste  empreinte  , 
Dominant  tour  à  tour  par  vos  charmes  vainqueurs , 
Vous  doivent  leur  puissance,  et  régnent  sur  nos  cœurs. 
C'est  vous  qui  leur  prêtez  votre  empire  et  vos  grâces  ; 
C'est  par  vous  que  le  dieu  qui  marche  sur  vos  ti-aces , 
L'Amour,  sait  ramener  dans  nos  cercles  brillans , 
Même  au  sein  de  l'hiver ,  les  fleurs  et  le  printems. 

Des  lettres  et  des  arts  l'aimable  protectrice 
Veut  faire  entendre  ici  leur  voix  inspiratrice  : 
Muses  ,  que  vos  accords  célèbrent  en  es  jour 
Les  femmes  et  les  fleius ,  le  printems  et  l'amciir  ! 


LES  FEMMES  ET  LES  FLEURS.  M 

IV. 

Du  printems  et  des  fleurs  séduisantes  images , 
Vous ,  dans  tous  les  climats ,  objets  de  nos  hommages  ; 
Astres  étincelans  ,  dont  la  vive  clarté 
Vient  embellir  pour  nous  la  sombre  adversité  : 
O  femmes  !  en  tous  lieux ,  votre  aimable  influence 
Peut  devenir  pour  Thomme  une  autre  providence, 
Vous  régnez  par  l'amour ,  les  vertus  et  les  arts  ; 
Nos  destins  sont  souvent  écrits  dans  vos  regards  : 
Du  moins  sachez  user  de  vos  droits  légitimes , 
Sans  vouloir  sous  le  joug  dégrader  vos  victimes. .  . . 

Muses  !  que  vos  accords  célèbrent  tour  à  tour 
Les  femmes  et  les  fleurs ,  le  printems  et  Tamour  ! 


Ah  !  lorsqu'un  chaste  amour  sert  de  guide  à  la  gloire  ; 
Quand  la  jeune  beauté ,  pour  prix  de  sa  victoiie , 
Impose  à  son  amant  des  talens ,  des  vertus , 
Ordonne  qu'eu  son  cœur  les  vices  combattus 
Laissent  régner  en  paix  le  besoin  magnanime , 
L'ardeur  de  conquérir ,  par  la  publique  estime , 
Cette  rare  faveur  où  tendent  tous  ses  vœux  , 
Le  don  de  sa  tendresse  et  le  droit  d'être  heureux  ; 
Alors  ,  un  cœur ,  nourri  d'une  douce  espérance , 
Aux  grandes  actions  avidement  s'élance. 

Muses  !  que  vos  accords  célèbrent  tour  à  tour 
Les  femmes  et  les  fleurs ,  le  printems  et  l'amour  ! 

VI. 

Le  myrte ,  de  l'amour  est  l'arbre  tutélaire  ; 
Le  laurier,  du  héros  est  le  noble  salaire; 
L'olivier ,  de  la  paix  symbole  précieux  , 
Semble  un  don  accordé  par  la  bonté  des  cieux. 
Dans  l'humble  violette ,  ornement  du  village  , 
L'aimable  modestie  a  caché  son  iraa.ge  : 


2  LES  FEMMES  ET  LES  FLEURS. 

La  rose ,  en  nos  hameaux  ,  des  vertus  est  le  prix  ; 
Chaque  arbre ,  chaque  fleur  s'ofire  aux  yeux  attendris 
Comme  un  être  animé  ,  comme  un  touchant  emblème 
Que  chacun  ,  à  son  choix ,  donne  à  celle  qu'il  aime. 

Muses  !  que  vos  accords  célèbrent  tour  à  tour 
Les  femmes  et  les  fleurs ,  le  printems  et  l'amour  ! 


VIL 

Hommage  à  madame  de  *** 

Vous,  qu'entourent  ici  tant  de  nymphes  légères, 
Qui  du  tendre  Gessner  rappellent  les  bergères  ; 
Dont  la  voix  rassembla  cet  aimable  congrès. 
Où  brillent  à  la  fois  les  arts  chers  à  la  paiix , 
Les  femmes  et  les  fleurs ,  les  plaisirs  et  les  grâces  ; 
Vous  dont  tant  de  bienfaits  marquent  partout  les  traces, 
Et  que,  du  haut  des  cieux,  d'un  regard  paternel, 
Se  plaît  à  contempler  un  poète  immortel  (i) , 
L'amour  du  monde  entier ,  l'orgueil  de  sa  patrie , 
Dont  l'humanité  seule  inspira  le  génie , 
Qui ,  de  la  vérité  rallumant  le  flambeau , 
Des  antiques  erreurs  déchira  le  bandeau  ; 
Vous  n'aurez  pas  en  vain  sollicité  ma  muse  : 
Vous  plaire  est  son  désir,  son  espoir,  son  excuse; 
Et ,  par  vous  inspirée ,  elle  chante  en  ce  jour 
Les  femmes  et  les  fleurs ,  le  printems  et  l'amour. 

M.  A.  JuLLiDN ,  de  Paris. 

(i)  Voltaire. 


».WVVWVtWVVW\VVV»IVWVV\VVVVA.^VlVVViVVVV«.'il.VV»l1l\VVVViX'V\VVVVV\lVVV\\VV».* 


II.  ANALYSES  D'OUVRAGES. 


SCIENCES  PHYSIQUES. 

Observations  sur  la  fiîîvre  jaune  ,  faites  à  Cadix  en 
1819,  pa/'  M.  le  docteur  Pariset,  chevalier  de  la 
Lêgion-d" H onneiir y  médecin  de  la  maisonroyale  de 
Bicôtre,  membre  de  l'académie  royale  de  m,éde- 
cine  ,  etc.  (1). 

La  fièvre  jaune,  plus  nouvelle  et  presque  aussi  redou- 
table que  la  peste  d'Oinent,  ne  paraît  pas  avoir  été  observée 
avant  la  fin  du  17*  siècle  (de  1 683  à  1687),  et  fut  désignée, 
un  peu  plus  tard  et  d'une  manière  assez  peu  exacte,  sous 
le  nom  de  mal  de  Siam,  par  le  père  Labat,  qui  en  fut  at- 
teint plusieurs  fois  dans  le  cours  de  sa  vie.  En  effet,  cette 
fièvre,  que  l'on  a  appelée  dans  la  suite  typhus  ictèrode _, 
a  été  entièrement  inconnue  aux  anciens;  et  vainement  on 
chercherait  même  à  reconnaître  quelques-uns  des  traits  qui 
lui  appartiennent,  parmi  les  maladies  si  violentes  et  si  fu- 
nestes qui  se  manifestèrent  à  l'occasion  des  grandes  entre- 
prises maritimes,  dans  le  seizième  siècle  et  dans  la  première 
moitié  du  dix-septième.  Elle  se  montra  en  Europe ,  pour 
la  première  fois,  en  1701,  avec  tous  les  caractères  d'une 
violente  épidémie.  Elle  reparut  plus  tarda  Carthagène,  en 
1730,  et  régna  presque  chaque  année,  depuis  cette  époque, 
tantôt  à  Cadix,  tantôt  à  Carthagène,  tantôt  à  Séville,  etc. 
La  fréquence,  les  ravages  de  ses  invasions,  soit  en  Amé- 

(1)  Paris,  1820. — Grand  iii-4°  de  i44  pages,  ayec  figures  coloriées, 
— Audot  j  rue  des  Maçons-Sorbonne  ,  n"  11. 


AA  SCIENCES  PHYSIQUES. 

rique,  soit  dans  plusieurs  parties  de  l'Espagne,  attirèrent 
l'attention  des  hommes  les  plus  éclairés.  En  1817  ,  cette 
maladie  fut  en  France  le  sujet  d'une  dissertation  inaugurale 
justement  estimée,  et  soutenue  par  M.  de  Bouillon,  jeune 
médecin  très-instruit,  qui  se  préparait  pour  aller  exercer 
la  médecine  à  la  Guadeloupe,  sa  patrie;  et  divers  gou- 
vernemens,  mais  surtout  le  gouvernement  français,  ne 
furent  pas  sans  inquiétude  sur  les  dangers  de  cette  cruelle 
épidémie,  qui  attira  l'attention  de  ce  dernier,  en  i8o4, 
époque  à  laquelle  plusieurs  professeurs  de  la  faculté  de 
Paris  eurent  la  commission  d'aller  recueillir,  sur  le  théâtre 
même  de  la  contagion,  les  documens  nécessaires  pour  en 
connaître  mieux  la  nature,  et  s'opposer,  au  besoin,  avec 
plus  d'efficacité,  uses  invasions.  De  nouvelles  instructions, 
de  nouveaux  rapports  furent  demandés  à  la  même  com- 
pagnie savante,  en  1817,  dans  le  même  intérêt,  dans  la 
même  intention;  et  M.  le  professeur  Halle,  chargé  de  ré- 
pondre à  cette  honorable  confiance,  remplit  ce  devoir  avec 
autant  de  zèle  que  de  lumières  (1). 

L'invasion  de  1819,  qui  commença  par  l'île  de  Léon,  et 
se  répandit  ensuite  à  Cadix,  à  Xérès  ,  à  Séville,  etc.  ,  ne 
fut  pas  une  des  moins  désastreuses.  Comme  elle  paraissait 
plutôt  s'aggraver  que  s'affaiblir,  vers  la  fin  de  septembre  et  au 
commencement  d'octobre,  elle  excita  vivement  l'attention, 
même  à  une  grande  distance  de  l'Espagne.  A  cette  époque, 
M.  le  docteur  Pariset  se  trouvant  à  une  séance  du  conseil 
général  des  prisons  du  royaume,  S.  E.  le  duc  Decazes 
lui  écrivit  sur  un  billet  :  Vous  serait  -  il  agréable  df aller 


(2)  Rapport  de  la  faculté  de  médecine  de  Paris  ^  en  réponse  à  la 
demande  du  ministre  de  l'intërieur ,  relativement  à  la  nécessite  de 
prévenir  l'introduction  de  la  fièvre  jaune  par  la  voie  des  communica- 
tions commerciales,  [iullet,  de  la  faculté  de  1807,  n''  7. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  AS 

à  Cadix  obseruer  la  fie i^re  jaune?  «  Je  ne  m'attendais 
à  rien  moins  qu'à  cette  proposition,  dit  M.  l'ariset;  je 
passai  rapidement  en  revue  dans  mon  esprit  les  raisons  que 
j'avais  d'accepter  ou  de  refuser;  l'idée  du  péril  l'emporta, 
et  je  répondis  presque  tout  de  suite:  Oui  certainement. 
Monseigneur.  Sur  la  demande  de  M.  Guizot  et  la  mienne, 
un  jeune  médecin  de  Paris,  M,  Mazet,  fut  nommé  pour 
m'accompagner.  Nous  fîmes  nos  préparatifs  de  voyage  avec 
toute  la  diligence  possible,  et,  le  5  novembre  1819,  à  huit 
heures  du  matin ,  nous  étions  sur  la  route  d'Orléans.  » 

«  Nous  étions  trois,  M.  Mazet,  moi  et  M.  Guido,  offi- 
cier en  retraite ,  Maltais  d'origine,  et  mon  ami  particulier. 
Je  l'avais  connu,  en  i8i4,  à  Bicêtre,  où  il  servait,  en  qua- 
lité de  capitaine,  dans  l'une  des  compagnies  de  vétérans  , 
chargées  de  garder  la  prison.  M.  Guido  est  un  homme 
d'un  esprit  très-cultivé;  il  sait  par  cœur  Virgile,  Horace, 
Martial,  l'Arioste,  le  Tasse;  il  a-  une  grande  expérience 
des  voyages  :  personne  n'a  plus  de  ressources  dans  la  tête, 
et  de  promptitude  dans  l'action.  Lorsqu'il  apprit  que  je 
partais  pour  Cadix,  son  premier  mouvement  fut  l'effroi;  le 
second  fut  de  me  suivre.  Avec  un  tel  auxiliaire,  je  n'avais 
plus  qu'à  songer  au  principal  objet  de  la  mission  :  pour  tout 
le  reste,  le  capitaine  semblait  se  multiplier  pour  y  suffire, 
et  nos  besoins  étaient  aussitôt  satisfaits  que  sentis.   » 

On  devine  déjà,  par  ce  début,  comment  la  mission  de 
M.  Pariset  a  dû  être  remplie  :  on  s'attend ,  et  ce  n'est  pas 
sans  raison,  à  y  trouver  tout  l'empressement,  toute  l'acti- 
vité d'une  ame  courageuse,  heureusement  unis  à  l'esprit 
le  plus  prompt,  le  plus  pénétrant,  le  mieux  disposé  à  l'en- 
thousiasme ;  en  un  mot,  toutes  les  qualités  d'un  écrivain 
que  le  hasard  seul  et  l'entraînement  de  son  zèle  pouvaient 
appeler  à  tracer  un  tableau  aussi  pénible  que  celui  de  la 
lièvre  jaune.  Les   moindres   détails  de  la  narration   suffi- 


A6  SCIENCES  PHYSIQUES. 

raient  pour  appuyer  cette  opinion,  qui  d'ailleurs  n'aura 
besoin  d'aucune  preure  pour  tous  ceux  qui  connaissent  la 
trempe  de  l'esprit,  et  les  traits  les  plus  prononcés  du 
caractère  de  l'auteur. 

La  fièvre  jaune  paraissant  se  montrer  de  nouveau  à  Sé- 
ville,  il  brûlait  de  s'y  rendre;  il  part,  lorsque  déjà  il  était 
nuit;  et,  malgré  les  tristes  idées  qui  devaient  l'occuper,  il 
ne  peut  s'empêcher  de  regretter  de  ne  pouvoir  distinguer, 
lorsqu'il  passe  à  Aranjuès,  les  beaux  arbres  qui  s'y  trou-  ; 
vent,  et  il  s'écrie,  comme  Ajax,  Grand  Dieu  !  rends-nous 
le  jour  f  en  se  promettant  de  prendre,  à  son  retour,  des 
arrangemensplus  favorables  à  sa  curiosité.  Arrivé  à  Se  ville, 
M.  Pariset,  qui  se  trouvait  porteur  de  plusieurs  lettres  de 
recommandation  du  docteur  Luzuriaga,  fut  accueilli,  par 
une  suite  de  cette  bienveillante  médiation,  avec  le  plus 
vif  intérêt,  par  les  docteurs  Velasquez,  Rodriguez  et  par 
don  Mariano  de  la  Fuente,  un  des  principaux  magistrats  de 
la  ville. 

La  fièvre  jaune  ne  régnait  plus  à  Séville;  mais  l'impres- 
sion de  terreur  qu'elle  avait  inspirée  subsistait  encore,  et 
l'autorité  avait  demandé  aux  médecins  une  exposition 
officielle  et  détaillée  de  cette  grande  calamité.  Le  rapport 
rédigé  par  le  docteur  Velasquez  pour  justifier  cette  con- 
fiance, est  la  première  pièce  authentique  recueillie  par 
M.  le  docteur  Pariset,  dans  le  cours  de  son  voyage.  L'extrait 
fort  étendu  qu'il  a  fait  de  ce  rapport,  et  qui  se  trouve 
consigné  dans  sa  narration,  doit  être  regardé  comme  l'un 
des  documens  les  plus  importans  sur  la  fièvre  jaune  d'An- 
dalousie. Non  seulement  cette  cruelle  maladie  est  décrite, 
dans  cette  pièce  officielle,  à  ses  dififérens  degrés  ou  époques , 
mais  encore  dans  ses  principales  variations,  et  même  dans 
quelques-unes  de  ses  anomalies.  On  y  fait  connaître,  en 
outre,  les  principales  méthodes  de  traitement  qui  lui  ont 


SCIENCES  PHYSIQUES.  A7 

été  opposées,  ses  différentes  issues  ou  terminaisons,  le 
résultat  de  quelques  recherches  anatomiques  sur  le  corps 
des  personnes  qui  ont  succombé.  M.  Velasquez  et  tous  les 
membres  de  la  commission  médicale  sans  exception ,  ont 
regardé  la  fièyre  jaune  de  Séville  comme  éminemment  con- 
tagieuse. 

«  Le  mémoire  dont  je  viens  de  donner  un  extrait ,  dit 
M.  Parizet,  porte  presque  dans  sa  totalité  sur  la  supposition 
d'une  contagion;  et  jusqu'à  ce  qu'on  ait  détruit  les  faits 
dont  s'autorise  une  pareille  opinion ,  ou  jusqu'à  ce  qu'il  soit 
démontré  que,  de  deux  fièvres  réputées  de  même  nature, 
celle-ci  peut  être  contagieuse,  et  celle  -  là  ne  pas  l'être  , 
que  leur  identité  en  soit  altérée,  j'oserai  soutenir  qu'il  est 
téméraire  de  les  confondre  l'une  avec  l'autre,  comme  il 
le  serait  de  les  assujétir  à  la  même  police  et  au  même  trai- 
tement. » 

Quelle  était  l'origine  de  cette  contagion?  Nos  voyageurs 
trouvèrent  une  grande   divergence  d'opinions   sur  cette 
question,  qui  paraissait  un  point  de  fait  si  simple,  et  en 
apparence  si  facile  à  vérifier.  Ils  adoptèrent,  du  reste,  le 
sentiment  du  docteur  Velasquez  et  de  don  Mariano,  qui 
regardaient  comme  certain  que  la   maladie  avait  été  ap- 
portée par  une  femme  qui  s'était  sauvée  de  San  Fernando 
pour  venir  à  Séville.  Cette  femme ,   reçue  dans  la  maison 
d'un  chanoine,  y  tomba  malade  et  mourut;   le  chanoine 
ne  tarda  pas  à  la  suivre,  et  telle  fut  la  première  étin- 
celle qui  bientôt  embrasa  tout  le  quartier  de  Sainte-Croix, 
dont  cette  maison  fait  partie.  Ce  quartier  de  Sainte-Croix 
offrit  à  nos  voyageurs  plusieurs  dispositions  locales,  pro- 
pres non  seulement  à  propager,  mais  encore  à  produire 
spontanément  les  maladies  les  plus  meurtrières.  On  ferma 
cequartier  par  desbarricades,  etlaprudence,  l'activité  des 
magistrats ,  dans  le  développement  des  mesures  sanitaires , 


I 


A8  SCIENCES  PHYSIQUES. 

préservèrent  Séville  des  calamités  de  l'année  1800;  dételle 
sorte  que,  dès  les  premiers  jours  de  novembre,  l'épidémie 
n'existait  plus  :  succès  qui  semble  prouver  beaucoup  en 
faveur  de  ceux  qui  regardent,  sans  hésiter,  la  maladie    I 
comme  contagieuse. 

Les  choses  n'étaient  pas  aussi  avancées  à  Cadix,  où 
MM.  Pariset  et  Mazet  purent  voir  encore  dans  l'hôpital 
militaire  plusieurs  infortunés  qui  étaient  sur  le  point  de 
succomber  àla  fièvre  jaune,  dans  différentes  périodes  de  la 
maladie.  Ce  fut  à  leur  aspect  que  M.  Pariset  eut  l'idée 
d'employer  un  peintre  habile  pour  fixer,  comme  il  le  dit, 
et  par  des  dessins  fidèles ,  les  étranges  caractères  que  la 
fièvre  jaune,  dans  ses  périodes  principales,  imprime  sur 
le  visage  de  ceux  qu'elle  a  frappés.  M.  Flores,  qui  l'avait 
prévenu ,  le  favorisa  dans  l'acquisition  de  plusieurs  dessins  . 
exécutés  dans  cette  intention ,  et  que  notre  savant  compa- 
triote a  fait  lithographier  pour  son  ouvrage.  Ce  fut  d'ail- 
leurs à  Cadix  que  M.  Pariset,  qui  avait  trouvé  quelques 
documens  très-instructifs  dans  ses  conférences  avec  les 
médecins  de  Séville,  parvint  à  recueillir  un  plus  grand 
nombre  de  faits  sur  la  fièvre  jaune  :  matériaux  avec  les- 
quels il  a  pu  tracer  la  description  de  cette  maladie^  d'après 
sa  dernière  invasion.  Il  indique  plusieurs  des  phénomènes 
qu'elle  a  présentés,  lorsqu'elle  se  ter-minait  par  la  gué- 
rison,  ce  qui  n'est  guère  arrivé  avant  le  quatorzième, 
le  dix-septième  ou  même  le  vingt-unième  jour.  Dans  le 
cas  contraire ,  la  marche  de  la  maladie  était  beaucoup  plus 
irrégulière  et  beaucoup  plus  rapide  :  on  cite  des  exemples 
de  personnes  qui  ont  succombé,  le  premier  et  le  deuxième 
jour,  même  dans  les  deux  premières  heures,  et  par  une 
mort  véritablement  subite,  ce  qui  arriva  plusieurs  fois 
dans  la  peste  de  Londres,  en  i665.  Il  eût  été  à  désirer, 
peut-être,  que  M.  Pari*et  n'eût  pas  mêlé  des  vues  théo- 


SCIENCES  PHYSIQUES.  A9 

riqiies  ù  des  tableaux  si  fidèles,  à  des  résultats  d'observa- 
tions si  vrais,  et  qu'il  n'eût  pas  avancé  à  ce  sujet  l'idée 
j)ureu:ient  hypothétique,  que,  dans  ces  grands  désastres,  les 
gfos  centres  nerveux  sont  le  foyer  dic  mal;  que  de  ces  foyers 
de  vie  if  le  inal  rayonne  sur  tous  les  points  de  l'organisa- 
tion, etc. ,  etc. 

Dans  la  suite  de  sa  description,  notre  auteur,  oubliant 
bientôt  cette  digression  théorique,  revient  à  l'histoire  de 
la  maladie  ;  il  en  fait  connaître  le  pronostic,  le  traitement 
populaire  et  usuel  dans  les  cas  les  moins  graves  et  dans  les 
ci?'constances  les  plus  fâcheuses ,  ainsi  que    les   résultats 

■de  V oiwerture  du  corps  de  plusieurs  personnes  qui  ont  suc- 
combé. Dans  cette  dernière  circonstance,  qui  semblerait 
exiger  plus  qu'aucune  autre  la  sévérité,  je  dirais  même 
la  s'écheresse  de  la  science ,  ou  retrouve  encore  M.  Pa- 
riset  sous  le  charme  et  le  pouvoir  de  ses  habitudes  litté- 
raires et  poétiques  :  «  Nous  n'avons  assisté,  dit-il,  M.  3Ia- 
zet  et  moi,  qu'à  deux  ouvertures  de  corps,  les  i3et  i4  dé- 
cembre 1819;  jamais  l'impression  que  fit  sur  moi  la  vue 
des  deux  cadavres  ne  s'effacera  de  mon  esprit  :  de  loin, 
sur  les  épaules  des  infirmiers  qui  les  apportaient  à  l'am- 
phithéfttre ,  ils  montraient  le  squalentem  barbam  ei  le 
concrètes  sanguine  crines  de  Virgile  ;  mais  ce  qu'on  ne 
saurait  peindre,  ce  sont  ces  visages  gonflés  comme  après 
la  strangulation,  et  souillés  d'une  écume  sanguinolente, 
qui  semblait  encore  s'épancher  des  coins  de  la  bouche; 
enfin,  ce  sont  ces  corps  teints  d'un  bleu  d'ecchymose,  sur 
le  fond  duquel  se  dessinaient,  d'une  manière  brusque  et 
tranchée,  de  larges  plaques  jaunes,  à  contours  irréguliers, 

j  et  qu'on  y  aurait  crues  incrustées  par  leurs  bords,  sur  le 
dos,  sur  la  poitrine,  l'abdomen,  les  cuisses  ctlesbras.  » 
Du  reste ,  M.  Parisct  n'oublie  point  de  remarquer  que 

il  les  ouvertures  de  corps  faites  à  Cadix  comme  à  Séville, 

i:  Tome  x.  l^ 


50  SCIENCES  PHYSIQUES. 

ne  se  sont  point  étendues  à  l'examen  de  la  moelle  épinière, 
-dont  il  eût  été  très-important  de  reconnaître  les  disposi- 
tions ;  les  remarques  auxquelles  il  s'est  livré  ont  eu  pour 
objet  dans  la  suite ,  et  comme  dans  une  seconde  partie  de 
son  ouvrage  ,  de  considérer  la  fièvre  jaune  comme  épidé- 
mique,  après  l'avoir  décrite,  en  quelque  sorte,  comme 
une  maladie  individuelle;  d'en  découvrir  l'origine,  d'en 
marquer  les  développemens  et  les  phases  divers  dans  soa 
extension  et  ses  progrès  ;  exposition  qu'il  n'a  pu  faire  à  la 
Térité  d'après  ses  observations  immédiates ,  mais  en  con- 
sultant des  hommes  placés  entre  lui  et  les  faits,  de  ma- 
nière à  les  bien  observer,  et  non  moins  remarquables  par 
leur  droiture  que  par  leurs  lumières. 

La  fièvre  jaune  se  manifesta,  dès  le  mois  de  juillet,  à 
l'île  de   Léon,  dans  le  quartier  appelé  Bario  del  Cristo. 
Elle  paraissait  y  avoir  été  apportée,  suivant  l'opinion  la 
plus  généralement  répandue, par  le  vaisseau  du  roi  le  Saint- 
Julieit.  Dans  les  premiers  tems  de  l'invasion  de  la  maladie,, 
comme  dans  la  poste  de  Marseille,  on  se  méprit  gravement 
sur  la  nature  de  ce  fléau.  A  Marseille  ,  le  premier  médecin 
(et  dans  ce  tems  un  premier  médecin  était  une  puissance) 
déclara  hautement  que  la  maladie  n'était  pas  contagieuse. 
Les  médecins,  qui  furent  envoyés,  avec  le  titre  de  commis- 
saires, n'hésitèrent  pas  de  s'exposer' aux  plus  grands  dan- 
gers, au  milieu  des  progrès  de   la  maladie,   dont  il  leur 
fut  impossible  de    méconnaître    le    caractère.    Mais   ccj 
hommes   qui  bravaient  la  mort  craignirent  une  disgrâce, 
et  n'eurent  pas  le  courage  d'énoncer  une  opinion  contraire 
à  celle  du  premier  médecin.  On  sait  quelles  furent  les  suite; 
de  cette  funeste  condescendance. 

A  l'île  de  Léon,  le  mal  ne  vint  pas  des  médecins.  M.  1(1 
docteur  Flores  reconnut  et  proclama  la  fièvre  jaune  à  sj 
premièi'e   apparition,    et  proposa,  dès    ce  moment,  d< 


SCIENCES  PHYSIQUES.  6i 

«ncUie  le  quartier  Barlo  del  Cristo  en  quarantaine;  ce 
qui  aurait  eu  infailliblement  le  même  succès  que  les  me- 
f;ures  de  ce  genre  qui  lurent  employées  à  Séville.  Malheu- 
reusement, dans  cette  déplorable  circonstance,  les  dépo- 
silaires  de  l'autorité  se  crurent  intéressés  à  étoufFer  des 
mesures  alarmantes  et  à  suspendre  en  conséquence  des 
mesures  de  salubrité,  dont  l'appareil  pouvait  exciter  la 
consternation  et  le  découragement  dans  l'armée.  Lesjuntes 
de  santé  (i)  ,  sur  l'organisation  vicieuse  desquelles  on  vovi- 
drait  que  M.  Pariset  eût  donné  quelques  renseignemens, 
ne  prirent  et  ne  pouvaient  même  prendre  que  des  mesures 
tardives,  et  par  cela  même  inutiles  et  insuffisantes.  Pour 
comble  de  malheur  et  de  danger,  M.  le  marquis  de  F., 
général  en  chef  par  intérim  de  l'armée  d'outre-mer,  et 
dirigé  par  des  motifs  qui  nous  sont  inconnus,  se  prononça 
.avec  véhémence  contre  toute  opinion  qui  pouvait  tendra  à 
faire  croire  à  l'apparition  de  la  fièvre  jaune.  Dans  cette 
disposition  d'esprit,  il  fit  faire  une  visite  médico-légale 
dans  laquelle  les  commissaires  (2)  qui  en  furent  chargés, 
ne  virent  point  les  malades  que  M.  Flores  avait  observés 


(1)  Ces  juiiles  forment  une  espèce  cl'ailrniiiisli'ation  sanitaire,  dont 
l'organisation  n'est  rien  moii.s  qu'appropriée  à  l'objet  de  leur  fonda- 
lion  ;  elles  sont  composées  de  commissaires  qui  consultent  bien  les 
médecins  au  besoin  ,  jnais  qiii  seulà  ont  voix,  délibérutive,  avec  des 
pouvoirs  d'ailleurs  limités;  et,  ne  pouvant  proposer  de  grandes  mesures 
de  salubrité  publique  ,  telles  que  le  séquestre ,  risolément ,  sans  avoir 
l'autorisallon  d'une  junte  suprême  ,  elles  siègent  à  Madrid.  —  Voyez  ô.Axis 
le  Journal  complémentaire  des  sciences  m.édicaL's  ,  pour  janvier  1821 , 
la  relation  de  M.  Mazct  qui  donne  ces  renseignemens,  que  M.  Pariset 
se  reprocbera  sans  doute  d'avoir  négligés,  et  qui  se  rattachent  d'une 
manière  si  directe  à  l'objet  de  sa  mission. 

(2)  Ces  commissaires  étaient  MM.  Flores,  proto-médecin,  Arejida  > 

Amelei-,  Coll.  secrétaire. 

A* 


.^2  SCIENCES  THYSIQUES. 

auparavant,  et  n'eurent  ainsi  à  prononcer  que  sur  des 
personnes  dont  la  situation  n'avait  rien  de  suspect;  ce 
qu'ils  déclarèrent  dans  leur  procès-verbal  :  alors  M.  le 
marquis  de  F.  s'emporta  avec  violence  contre  M.  le  docteur 
Flores,  qu'il  traita  de  sujet  indigne  de  S.  M.,  se  proposant 
de  le  dénoncer  comme  coupable  de  haute  trahison j,  ajou- 
tant ozi^zVs^^'fii^^  bien,  lui,  que  ce  n'était  pas  la  fièçre  jaune 
qui  existait  à  l'île  de  Léon  ,  et  que  d' ailleurs ,  si  l' épidémie 
venait j  il  la  recevrait  à  la  pointe  de  son  épée. 

On  regrette  que  M.  Pariset,  qui  n'est  avare  ni  de  pen- 
sées ni  de  paroles,  et  qui  d'ailleurs  s'est  souvent  écarté 
de  la  fièvre  jaune  dans  sa  narration,  ait  parlé,  avec  trop 
de  concision  et  avec  une  sorte  de  ménagement  diploma- 
tique,  de  cette  conduite  plus  qu'imprudente  de  M.  le 
marquis  F.  ,  que  M.  Mazet  a  exposée  dans  sa  relation , 
avec  une  franchise  et  un  courage  qui  prouvent  à  la  fois 
la  justesse  de  son  esprit  et  la  noblesse  de  son  caractère. 
«Nul  ne  voit  pourquoi  la  conduite  de  M.  Flores  pouvait 
être  aussi  sévèrement  interprétée,  dit  M.  Mazet:  en  quoi 
un  médecin  peut-il  être  répréhensible  de  dire  qu'il  a  vu 
ce  qu'en  effet  il  a  cru  voir?  Dans  tout  ce  qui  concerne 
M.  Flores,  on  n'aperçoit  aucune  intention  de  malveil-j 
lance.  Il  avait  parlé  en  homme  convaincu  de  l'existence 
d'un  imminent  danger,  et  certes  le  résultat  n'a  que  trop 
prouvé  qu'il  ne  s'était  pas  trompé;  mais  M.  le  général 
avait  des  préventions  qu'il  fallait  épouser,  sous  peine  de 
culpabilité.  C'est  toujours  une  chose  déplorable  que  de 
voir  l'autorité  suprême  confiée  à  des  personnes  suscep- 
tibles de  préventions  et  capables  d'imputer  à  crime  des 
avis  parfaitement  désintéressés,  et  émanés  de  la  plus  sage 
prudence.  Quoi  qu'il  en  soit,  des  médecins,  appelés  en  con- 
sultatiori,  décidèrent  que  la  fièvre  jaune  n'existait  pas  à 
l'ilc  de  Léon;  funeste  décision,  qui  plongea  dans  le  deuil 


SCIENCES  PHYSIQUES.  53 

lant  de  familles,  mais  dont  toute  la  responsabilité  pèse 
sur  ceux  qui  ourdirent  d'odieuses  trames  pour  l'oblenir! 
II  résulta  de  là  que  pas  une  mesure  de  précaution  ne 
fut  mise  en  usage.  L'inquiétude  et  les  soupçons  du  peuple 
étant  un  peu  calmés,  les  communications  restèrent  libres  : 
on  ne  se  gêna  plus;  les  habitans  de  tous  les  quartiers  sains 
ou  infectés  s'entremêlèrent,  on  opéra  des  divisions  parmi 
les  troupes  de  l'armée  expéditionnaire;  des  régimens  qui 
étaient  ù  l'île  de  Léon  allèrent  à  Cadix,  et  ceux  de  Cadix 
vinrent  à  l'île  de  Léon;  en  sorte  que,  tandis  que  les  uns 
portaient  la  contagion,  les  autres  venaient  la  chercher; 
enfin,  en  peu  de  jours,  la  Cèvre  jaune  fit  de  tels  progrès, 
qu'il  ne  fut  plus  possible  de  dissimuler  son  existence:  elle 
s'étendit  dans  l'île  de  Léon,  et  bientôt  à  Cadix ,  à  tel  point 
que  le  général,  avec  les  mesures  les  mieux  entendues  et 
les  plus  zélés  auxiliaires,  n'avait  pu  venir  à  bout  de  cacher 
que  la  plus  petite  partie  des  malades.  » 

«Voilà  donc  toute  une  province  envahie  par  la  fièvre 
jaune  !  voilà  donc  l'existence  de  toute  une  population  mise 
en  péril!  et  le  général,  témoin  des  terribles  conséquences 
de  son  obstination,  obligé,  pour  se  conserver  lui-même,  de 
fuir  ces  lieux  de  désolation  !  Il  était  unanimement  accusé 
d'être  l'auteur  de  la  propagation  de  la  fièvre  jaune;  et  déjà, 
à  notre  passage  à  Madrid,  l'on  nous  dit  qu'il  devait  être 
traduit  devant  une  commission  militaire.  Je  suis  bien  porté 
à  croire  que  sa  conduite  ne  pouvait  point  lui  être  imputée 
à  crime  ;  assurément  il  était  mu  par  des  intentions  qu'îî 
croyait  bonnes  ,  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il  eut 
le  tort  très-grave  d'empêcher  d'agir,  quand  il  en  était 
encore  tems.  Il  abusa  de  son  autorité  pour  empêcher  la 
vérité  d'être  connue ,  et  pour  faire  taire  ceux  qui  se  por- 
taient ses  organes.  En  dernière  analyse,  le  résultat  d'une 
pareille  conduite  fut  qu'à  Cadix  seulement,  plus  de  qua- 


5/i  SCIENCITS  PHYSIQUES. 

rante  mille  personnes  furent  atteintes  de  la  fièvre  jatiney 
et  que  de  ces  quarante  mille,  un  7^  au  moins  succomba.  » 
Dès  la  fin  d'août,  le  nombre  des  malades  était  de  i3o  par 
jour  à  l'île  de  Léon.  Il  fut  de  260  dans  la  première  moitié 
de  septembre ,  pour  diminuer  ensuite  avec  différentes 
oscillations,  jusqu'au  jo  novembre.  A  Cadix,  le  nombre 
des  personnes  qui  avaient  été  frappées  de  la  contagion 
se  trouvait  de  9,626,  le  8  octobre  ,  et  de  i2,4()4  dix  jours 
plus  tard ,  avec  une  grande  mortalité.  Au  commencement 
de  décemibre,  on  proclama,  par  de  solennelles  actions  de 
grâces,  la  fin  de  l'épidémie.  Pendant  toute  sa  durée, 
48,000 personnes  furent  malades  à  Cadix,  et  4  ou  5ooo  suc- 
combèrent, ce  qui  établit  plus  d'un  dixième  par  rapport 
à  la  totalité  des  malades;  du  reste,  sa  disparition  ne  fut 
ni  complète  ni  subite,  dans  le  mois  de  décembre,  et 
deux  enfans  en  moururent  encore  à  Cadix,  le  la  janvier. 
Les  différens  lieux  qui  en  souffrirent  davantage,  furent 
la  ville  de  Léon,  celle  de  Cadix,  le  charmant  village  de 
Chiclana,  où  elle  moissonna  plus  de  neuf  cents  personnes, 
le  Port-Royal,  le  Port-Sainte-Marie,  Rota,  San  Lucar, 
enfin  Xérès  de  la  Frontera,  et  Séville,  où  de  sages  pré- 
cautions resserrèrent  les  progrès  de  la  contagion. 

Suivant  le  récit  de  M.  Pariset,  et  d'après  les  dooumens 
qu'il  a  pu  recueillir,  la  dernière  invasion  de  la  fièvre  jaune 
n'aurait  point  épargné  les  animaux  de  tous  genres  et  de 
toutes  classes,  différentes  espèces  d'oiseaux,  les  chiens, 
les  chats,  les  chevaux,  etc.,  ce  qui  devient  une  belle 
occasion  pour  l'auteur  de  rappeler  que ,  dans  la  fameuse 
peste  des  Grecs,  devant  Troye,  Homère  fait  d'abord  périr 
les  animaux,  les  chiens  par  exemple,  les  mulets,  puis 
enfin  les  hommes.  Cette  redoutable  invasion  de  la  fièvre 
jaune  de  1819  offrit  évidemment  tous  les  caractères  d'une 
épidéniic  contagieuse. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  55 

^  La  maladie  une  fois  formée  dans  un  point  quelconque  de 
l'Andalousie,  dit  M.  Pariset,  en  est  sortie  pour  se  répandre 
au-dehors,  à  la  manière  d'un  torrent  qui,  franchissant  des 
rivages,  court  et  gagne,  de  proche  en  proche,  des  lieux  les 
plus  voisins  aux  plus  éloignés;  mais  si  la  pente  suffit  pour 
entraîner  l'eau ,  si  elle  est  à  elle-même  son  propre  véhi- 
cule, quel  a  été  celui  de  la  fièvre  jaune?  Sur  ce  point,  il 
n'y  a  qu'une  voix;  après  qu'elle  se  fut  développée  à  l'île 
de  Léon,  la  maladie  ne  parut  nulle  part  que  parce  qu'elle 
y  fut  apportée  par  des  personnes  qui  l'avaient  prise  dans 
son  foyer  primitif.  C'est  par  le  déplacement  des  hommes, 
c'est  par  le  mouvement  des  troupes,  c'est  par  les  commu- 
nications ordinaires  (et  il  eût  fallu  les  rompre)  que  le  mal 
voyagea  :  on  a  vu  par  qui  il  fut  introduit  à  Cadix.  Il  venait 
de  San  Fernando,  et  des  champs  de  Chiclana  qui  en  sont 
voisins.  Une  fugitive  de  San  Fernando  l'apporta  à  Sainte- 
Marie.  Un  soldat  licencié  de  l'île  de  Léon  vint  à  Xérès  , 
dans  le  courant  du  mois  d'août.  Le  3i ,  il  tomba  malade  , 
et  sa  maladie  offrit  tous  les  caractères  de  la  fièvre  jaune. 
Une  femme  de  Xérès  s'était  rendue  à  l'île  de  Léon  pour 
y  soigner  son  fils,  qui  avait  la  fièvre  jaune  et  qui  en  mourut. 
De  retour  chez  elle,  cette  femme  fut  obligée  de  loger  deux 
soldats  qui  venaient  de  l'intérieur  et  se  rendaient,  dans  le 
port;  ces  deux  soldats  contractèrent  la  maladie,  et  mou- 
rurent, l'un  dans  la  maison  de  son  hôtesse ,  l'autre  à  l'hô- 
pital où  il  s'était  fait  porter,  poury  être  traité  d'une  hernie. 
Au  commencement  de  septembre,  un  Italien,  venant  éga- 
lement de  l'île  de  Léon,  fut  pris  de  la  même  fièvre,  et  suc- 
comba. La  place  de  VArrojo,  la  rue  de  Pauie,  V hôpital, 
et  la  rue  de  la  Gloire _,  voilà  les  quatre  points  de  la  ville  où 
ces  malheureux  périrent,  et  d'où  partit  le  mal,  avec  cette 
circonstance  très-digne  d'attention ,  que  la  rue  de  la  Gloire, 
petite  rue  étroite,  et  pleine  de  cabarctg,  n'était  remplie 


56  SCIENCES  PHYSIQUES. 

que  de  pauvres  et  d'étrang;ers.  Ce  fut  là  que  la  fièvre  dé- 
ploya toute  sa  fureur.  J'y  ai  vu  des  maisons  entièrement 
vides  d'habitans,  et  fermées  de  haut  en  bas.  Rota  n'eut 
d'abord  qu'une  malade ,  et  cette  ville  se  fût  aisément  pré- 
servée si  on  lui  eût  épargné  le  passage  des  régimens 
que  l'on  renvoyait  de  l'île  de  Léon.  Je  ne  sais  rien  sur 
l'origine  du  mal  au  Port-Royal  et  à  San  Lucar  ;  mais  il  est 
constant  aujourd'hui  qu'à  Séville,  le  premier  malade  que 
l'on  observa  dans  la  rue  de  Barrabas  était  une  femme  qui 
venait  de  CJiiclana.  Ceux  que  l'on  découvrit  plus  tard  dans 
la  maison  d'un  chanoine  s'étaient  probablement  sauvés  de 
l'île  de  Léon.  » 

Ce  qui  concerne  la  contagion  de  la  fièvre  jaune,  consi- 
dérée sous  un  point  de  vue  plus  général,  occupe  d'ailleurs 
une  place  très-étendue  dans  la  narration  de  M.  Pariset, 
qui  expose  dans  le  plus  grand  détail  les  différens  faits 
favorables  ou  contraires  à  l'idée  de  la  contagion  pour  la 
fièvre  jaune  d'Espagne.  L'opinion  que  la  fièvre  jaune  est 
contagieuse,  adoptée  par  plusieurs  médecins  espagnols 
très-éclairés ,  parmi  lesquels  on  distingue  M.  Arejula, 
paraît  appuyée  par  un  nombre  suffisant  de  preuves  et 
d'exemples.  En  cflet,  la  maladie,  dans  ses  différentes  inva- 
sions, commence  toujours  par  un  individu  qui  devient  un 
foyer  de  contagion,  et  qui  sert  à  la  propager  lorsque  des 
mesures  de  salubrité  convenables  ne  sont  pas  mises  en 
usage.  La  maladie  se  répand  d'ailleurs  sans  le  concours 
des  grandes  causes  d'insalubrité  qui  font  naître  les  épidé- 
mies les  plus  désastreuses,  paraissant  en  outre  s'attacher 
de  préférence  aux  étrangers  chez  lesquels  on  ne  peut  pas 
supposer  une  aptitude  constitutionnelle  assez  développée 
pour  exciter  cette  funeste  prédilection. 

Quelques  faits  particuliers  qui  paraissent  opposés,  au  pre- 
mier aperçu,  à  cette  opinion,  l'ont  toujours  confirmée,  lors- 


SCIENCES  PHYSIQUES.  57 

qu'il  a  été  possible  de  mieux  connaître  toutes  les  particula- 
rités de  ces  exemples,  comme  dans  le  trait  suivant  rapporté 
par  M.  Pariset,  d'après  M.  Ramon  Romero,  de  Barcelonne. 

«Une  jeune  personne,  promise  en  mariage,  avait  été 
confiée  à  une  famille  qui  demeurait  dans  une  rue  où  il  n'y 
avait  plus  de  malades,  et  à  une  grande  distance  de  celle 
où  il  y  en  avait.  Cette  fomille  employait  toutes  les  précau- 
tions imaginables  pour  se  garder.  La  jeune  personne  elle- 
même  vivait  dans  la  retraite,  et  ne  sortait  pas;  sa  situa- 
tion le  lui  défendait.  Cependant  elle  tomba  malade.  Lorsque 
le  médecin  la  vit,  elle  était  dans  la  seconde  période  de  la 
fièvre,  et  déjà  abattue,  anéantie,  mourante;  on  ne  pou- 
vait par  conséquent  supposer  qu'elle  eût  reçu  la  maladie 
du  médecin  lui-même,  qui  la  lui  avait  apportée?  A  force 
d'être  pressée,  elle  avoua  que,  la  nuit,  pendant  que  tout 
était  en  repos  dans  la  maison,  elle  avait  eu  l'imprudence 
d'entretenir  son  fiancé  par  une  petite  fenêtre  basse  qui 
s'ouvrait  sur  la  rue.  Or  ce  fiancé  demeurait  précisément 
dans  la  rue  où  s'étaient  montrés  les  premiers  malades  : 
son  père  et  sa  mère  étaient  actuellement  au  lit  et  ne  rece- 
vaient des  soins  que  de  lui  et  de  sa  jeune  sœur;  mais,  la 
nuit,  emporté  par  son  amoureuse  impatience,  il  corrom- 
pit ses  gardes,  s'échappa  et  courut  à  la  maison  de  sa 
future.  Elle  expira  le  troisième  jour;  quant  à  lui,  il  ne  fut 
pas  malade.  » 

Les  faits  cités  par  les  médecins,  qui  refusent  d'admettre 
la  contagion  de  la  fièvre  jaune,  et  parmi  lesquels  on  cite 
principalement  M.  Gonzalès,  sont  en  petit  nombre,  si  on 
les  compare  à  ceux  qui  militent  en  faveur  de  l'opinion 
opposée.  On  pourrait  même  ne  les  regarder  que  comme 
des  exceptions  qui  dépendent  d'une  disposition  indivi- 
duelle et  spéciale,  qui  s'opposerait  ù  l'infection,  comme 
on  l'a  vu  dans  quelques  circonstances,  pour  des  maladie? 


58  SCIENCES  PHYSIQUES. 

contagieuses  beaucoup  plus  évidentes  et  beaucoup  pfu* 
déterminées  que  la  fièvre  jaune,  telle  que  la  variole,  la 
syphilis,  la  vaccine. 

Quant  aux  principes,  aux  effluves  délétères  qui  servent 
à  répandre  la  fièvre  jaune,  ils  nous  sont  parfaitement  in- 
connus, et  ne  devraient  pas  être  regardés  peut-être  comme 
un  virus;  ils  ne  résultent  pas  du  moins,  comme  le  virus 
de  la  petite  vérole,  ou  de  la  syphilis,  d'une  sécrétion 
morbide  particulière,  constante,  déterminée,  mais  d'une 
altération  générale  de  l'organisme,  qui  paraît  s'étendre, 
d'une  manière  spéciale,  à  la  perspiration  cutanée  et  à  la 
perspiration  pulmonaire.  Cette  remarque,  qui  aurait  dû  se 
présenter  à  M.  Pariset,  nous  paraît  importante.  Elle  con- 
duit naturellement  à  reconnaître  une  sorte  d'analogie  entre 
la  fièvre  jaune,  typhus  ictérode,  et  notre  typhus  des  pri- 
sons ou  des  hôpitaux;  maladies  qui  sont  également  spo- 
radiques  et  contagieuses,  dont  le  mode  de  propagation  est 
d'ailleurs  inconnu,  et  que  l'on  ne  doit  jamais  confondre 
avec  les  maladies  contagieuses  déterminées.  Quoi  qu'il  en 
soit,  les  différentes  saisons,  les  divers  étals  de  l'atmos- 
phère et  les  variétés  individuelles  de  constitution,  ne 
sont  pas  également  favorables  au  développement  de  la. 
fièvre  jaune.  M.  Arejula  paraît  convaincu  que  ce  déve-; 
loppement  ne  peut  guère  avoir  lieu,  au-dessous  de  treize 
degrés  au  thermomètre  de  Réaumur,  sans  pouvoir  décider 
si  le  principe  contagieux  de  cette  maladie  se  détruit  au- 
dessous  de  cette  température.  Quant  aux  saisons,  tout  porte 
à  croire  qu'indépendamment  d'une  température  plus  ou 
moins  forte,  au-dessus  du  terme  que  nous  venons  d'indi- 
quer, la  fièvre  jaune  se  balance,  en  quelque  sorte,  entre 
le  solstice  d'hiver  et  le  solstice  d'été.  Ce  que  M.  Pariset 
exprime  d'une  manière  toute  poétique,  en  disant  que  la 
fièvre  jaune  parait  dès  que  le  soleil  commence  à  rétrogra' 


SCIENCES  PHYSIQUES.  59 

d'etj  qu'elle  s'élève  à  mesure  qu'il  décline^  et  qu'au  mo- 
ment  où  il  s'arrête  au  solstice  d'hii^er  pour  revenir ,  elle 
s'arrête  elle-même,  comme  si  elle  redoutait  le  retour  de 
l'astre  )  ou  que,  si  elle  dépasse  le  terme  du  solstice ,  ce  n'est 
plus  que  par  quelques  explosions  isolées ,  sem,blah les  aux 
dernières  étincelles  d'un  incendie  ou  aux  derniers  murmures 
d'une  tempête.  Cela  peut  être  vrai ,  quoique  très-poétique, 
pour  la  fièvre  jaune;  mais  les  médecins  seront  loin  d'ac- 
corder à  M.  Pariset  que  le  typhus  des  hôpitaux,  qu'il  a 
observé  deux  fois  en  hiver,  ne  se  montre  que  dans  cette 
saison  ;  une  cruelle  expérience  ayant  appris  que  cette  ma- 
ladie, qui  est  toujours  sporadique  avant  de  devenir  épidé- 
mique  et  contagieuse,  devait  se  manifester  et  se  manifeste 
en  effet  dans  tous  les  tems,  dans  tous  les  lieux,  lorsqu'une 
multitude  d'hommes  est  réunie  et  comme  entassée  dans 
un  local  étroit,  mal  aéré,  sur  des  pontons,  dans  les  pri- 
sons ou  les  hôpitaux  encombrés.  Les  praticiens,  qui  sans 
doute  feront  cette  remarque,  n'attacheront  pas  un  grand 
prix  à  la  digression  toute  métaphysique,  dans  laquelle 
M.  Pariset,  rappelant  son  article  Causes,  du  dictionnaire 
des  sciences  médicales,  s'occupe  des  différens  degrés 
d'aptitude  ou  d'immunité  pour  les  maladies  contagieuses, 
les  maladies  endémiques  et  cette  foule  d'affections  mor- 
bides, qui  semblent  inséparables  des  déplacemens  très- 
étendus,  tels  que  les  voyages  de  long  cours,  les  grandes 
expéditions  maritimes  ou  commerciales,  les  émigrations 
et  les  colonies.  On  lira  même  peut-être  avec  quelque  sur- 
prise dans  cette  digression,  et  malgré  l'autorité  ou  la  parole 
d'Hippocrate,  que  la  disposition  de  l'homme  n'est  que 
maladie  dès  le  berceau,  que  le  jeu  des  mouvemens  intè^ 
rieurs  emporte,  dissipe  sans  cesse  les  élémensmorhijiques 
accumulés  sans  cesse,  et  qu'un  germe    accidentel  pour^^ 


60  SCIENCES  PHYSIQUES. 

rait   se  ironiser  alors  emporLé  jioiii-  toujours  dans    cetis 
espèce  de  circulation. 

Une  autre  assertion  de  M.  Pariset,  plus  grave,  plus 
importante,  ne  donnera  peut-être  pas  moins  à  penser  aux 
médecins,  les  seuls  et  les  Aeritables  juges  de  l'auteur, 
qui  n'adopteront  pas  aisément  desimpies  conjectures,  et 
qui  n'admettent  les  faits  eux-mêmes  qu'après  les  avoir 
long-tems  comparés  dans  les  vues  et  avec  l'habitude  du 
doute  philosophique.  Cette  assertion  a  pour  objet  la  possi- 
bilité et  même  la  probabilité  d'une  invasion  de  la  fièvre 
jaune  en  France. 

«  La  France  est-elle  menacée  du  môme  fléau  que  l'Es- 
pagne, dit  à  ce  sujet  M.  Pariset  ?  sera-t-elle  un  jour 
attaquée  par  la  fièvre  jaune  ?  Si  j'en  croyais  les  médecins 
espagnols,  M.  Arejula  tout  le  premier,  je  répoudrais 
hardiment  om/.  D'après  ce  grand  médecin,  que  faut-il 
pour  que  la  fièvre  jaune  s'introduise  parmi  nous  ?  Les  trois 
choses  qui  l'ont  introduite  dans  l'Andalousie  :  des  dispo-* 
sitions  personnelles,  nous  ne  les  avons  que  trop;  une 
chaleur  forte  et  soutenue,  elle  peut  être  telle  dans  les 
parties  méridionales  de  France ,  à  Marseille ,  à  Toulon , 
dans  les  petits  ports  de  la  Méditerranée;  dans  ceux  de 
l'Océan,  à  Bayonne,  et  même  à  Bordeaux,  etc.  Par  une 
température  vive  de  trois  mois,  en  mai,  juin  et  juillet, 
les  organisations  auraient  reçu  la  préparation  nécessaire. 
Cela  posé,  que  la  troisième  chose  se  présente,  et  la  fièvre 
jaune  éclatera.  Quelle  est  cette  troisième  chose  ?  On  le 
sait  d'avance.  Un  principe  contagieux,  un  germe,  un 
miasme;  des  malades  déjà  frappés,  des  communications 
imprudentes  avec  des  équipages  arrivant  d'Amérique  ou 
d'Asie  :  un  déploiement  subit  d'une  grande  quantité  de 
marchandises   ou  d'effets  usuels,  pris   dans  les  lieux  in- 


SCIl'lNCES  PHYSIQUES.  61 

Icctés,  entassés  dans  un  vaisseau,  long-tcms  privés  d'air, 
et  peut-être  altérés  par  le  repos    et  la  chaleur.   Fallait-il 
d'autres  moyens  pour  introduire  tout  récemment  en  Eu- 
rope l'ophtalmie    d'Egypte,  et  la  disséminer  en  France, 
en  Allemagne,  dans  les  Paj^s-Bas,  et  surtout  en   Angle- 
terre, où  elle  était  si  opiniâtre?  En  a-t-il   fallu   d'autres 
pour  la  variole,  lorsqu'elle  a  passé  d'Europe  en  Amérique? 
Souvenons-nous  que  des  exemples  de  fièvre  jaune  ont  paru 
à  Bayonne,  à  Bordeaux,  à  Rochefx)rt,  à  Brest.  N'en  a-t-on 
pas  vu  dans  le  Nouveau-Monde  ,  jusqu'à  l'emhouchure  du 
fleuve    Saint-Laurent ,  sous   un  parallèle  plus    élevé  que 
celui  de  Paris  ?  La  fièvre  jaune  de  Livourne,  en  iSci,  est 
déjà  un    avertissement  très-significatif.   Que   dirai-je  des 
effets  de  la  fièvre  jaune  ,  observes  deux  fois  en  Suisse  par 
Haller?  Que   cette    fièvre  ait   été  importée,  qu'elle  soit 
née  d'elle-même,    qu'en   résulte- 1- il,    si   ce   n'est   une 
double  leçon  sur  la  nécessité  de  prendre  des  mesures  ? 
Remarquez  que  cette  fièvre  de  Suisse  a  eu  quelque  chose 
de  contagieux.  Je  ne  parle  pas  d'une  épidémie  plus  récente 
qui  s'est  montrée,  m'a-t-on  dit,  dans  un  canton,  et  dont 
le  germe  résidait  dans  des  papiers  qu'un  soldat  suisse  en- 
voyait de  la  Havane  à  sa  famille.   J'avoue  que  les   fièvres 
jaunes  sporadiques  ,  aperçues  de  loin  en  loin  dans  les  ports 
de  France,  n'ont  rien  eu  de  ce  caractère.   Mais  tout  change 
avec  le  tems  :  les  lieux,  les  émanations,  les  animaux,  les 
hommes,  les  maladies  elles-mêmes;  et,  par  l'effet  des  ma- 
ladies, aussi  b  ien  que  par  le  mélange  des  peuples  entre  eux, 
les  générations  qui  se    succèdent   ne  se  ressemblent  pas; 
les   fils  de  ceux  qui  ont  eu  la  fièvre  jaune  d'Andalousie 
l'auront  peut-être  d'une  autre  façon  que  leurs  pères.  » 

Nous  ne  nous  engagerons  pas  avec  M.  Pariset  dans  une 
discussion  concernant  une  partie  des  assertions  contenues 
dans   ce  passage  ;   nous  laisserons  cette  tâche  auxsavans, 


62  SCIENCES  PHYSIQUES. 

à  qui  leur  expérience  donne  le  droit  de  prononcer  sur  des 
matières  aussi  délicates,  et  qui,  par  cela  même  qu'ils  ont] 
beaucoup  vu ,  beaucoup  appris  ,  hésiteront  sans  doute  éga- 
lement, soit  pour  donner  à  leurs  concitoyens  une  sécurité 
dangereuse  au  moment  des  épidémies  de  fièvre  jaune  , 
soit  pour  les  inquiéter  hors  de  saison  par  d'alarmantes 
prophéties ,  et  gêner  le  commerce  par  un  appareil  perma- 
nent de  mesures  sanitaires,  que  peut-être  il  suffirait  de 
mettre  en  usage,  à  l'époque  de  l'année  où  la  fièvre  jaune 
&e  manifeste  le  plus  ordinairement. 

M.  Pariset,  qui  n'a  rien  négligé  pour  trouver  ,  dans  ses 
éludes  ou  dans  ses  lectures, des  notions  très-étendues  sur  la 
maladie  dont  il  s'occupe ,  ne  pouvait  guère  manquer  de  par-  - 
1er,  dans  sa  narration,  delà  fièvre  jaune  d'Amérique;  savoir,, 
de  la  fièvre  jaune  dans  l'Amérique  équatoriale,  et  de  la 
fièvre  jaune  dans  les  états  de  l'Union  ,  de  leur  origine,  de 
leurs  invasions  diverses,  du  caractère  propre  à  chacune 
de  ces  invasions,  et  de  leur  rapport  avec  la  fièvre  jaune 
d'Andalousie.  Ces  difTérens  objets  ont  en  e0"et  occupé  notre 
voyageur,  ainsi  que  la  comparaison  du  typhus  ictérode  avec 
les  maladies  qui  paraissent  s'en  rapprocher  davantage  ; 
tels  .que  la  fièvre  ardente  et  la  maladie  noire  d'Hippo- 
^rale  ,  les  fièvres  bilieuses  de  différens  types,  les  affections 
ataxiques  et  putrides  les  plus  violentes,  la  peste  d'O- 
rient, le  typhus  des  Indes,  le  typhus  des  prisons  et  des 
hôpitaux. 

Après  s'être  occupé  de  ces  différens  sujets,  M.  Pariset 
termine  sa  narration  par  d'excellentes  remarques  sur  l'état 
actuel  de  l'Espagne,  les  défectuosités  de  sa  législation,  qui 
fait  un  si  triste  contraste  avec  la  beauté  de  son  climat. et 
ia  richesse  de  son  territoire.  «  Quel  admirable  pays,  dit-il, 
serait  l'Espagne  dans  d'habiles  mains  Pet  que  manque-t-il 
au  peuple  qui  l'habite  pour  être  un  des  premiers  peupks 


SCIENCES  PHYSIQUES.  63 

■de  la  terre  ?  Avec  les  rares  qualités  qui  le  distinguent,  il 
avait  plus  de  lumières  qu'il  n'en  fallait  pour  soutenir  tout 
le  malheur  de  sa  position  ;  et  l'expression  de  ce  sentiment 
venait  à  nous  de  toutes  parts  sans  que  nous  lu  provoquas- 
sions le  moins  du  monde,  car  nous  nous  étions  imposé  la 
loi,  mon  jeune  ami  et  moi,  de  tout  respecter  dans  cette 
nation  généreuse,  jusqu'à  ses  préjugés  et  ses  erreurs,  ou 
ce  qui  nous  eût  semblé  tel.  Singulier  et  inévitable  effet  des 
guerres  et  des  mélanges  qu'elles  occasionnent  entre  les 
peuples  !  Les  prisonniers  espagnols  ,  que  nous  avions  eus 
parmi  nous,  avaient  pris  de  plus  justes  idées  et  de  notre 
caractère  et  des  vrais  intérêts  des  sociétés  humaines.  Les 
souvenirs  qu'ils  avaient  rapportés  de  France  nous  avaient 
réconciliés  depuis  long-tems  avec  leurs  compatriotes;  mais 
ils  en  tiraient  des  comparaisons  de  notre  état  avec  le  leur, 
et  ces  comparaisons  les  faisaient  soupirer.  Combien  de  fois, 
Il  la  nouvelle  de  notre  arrivée,  des  officiers  sont  accourus  ù 
nous  pour  nous  parler  avec  affection  du  bonheur  de  leur 
ancienne  captivité  !  combien  de  fois  ce  mot  si  connu  de 
•Charles-Quint  leur  est  échappé  :  Tout  abonde  en  France^ 
tout  manque  en  Espagne  !  Ce  qu'il  fallait  surtout  déplorer, 
c'est  que  le  gouvernement  actuel  ne  songeait  pas  ù  tirer 
l'Espagne  de  ce  chaos  de  barbarie  et  de  misère.  Comment 
en  sortira-t-elle  ?  disions- nous;  certainement  le  roi  ni 
l'armée  ne  voudront  rien  changer  à  un  état  de  choses,  qui 
est  en  partie  leur  ouvrage  :  le  clergé  le  voudrait  moins 
encore;  on  ne  peut  rien  attendre  de  ces  deux  côtés.  Qu'at- 
tendre du  peuple,  qui  ne  sait  que  supporter  ses  maux,  et 
en  ignore  également  les  causes  et  les  remèdes  ?  qu'attendre 
des  hommes  éclairés  d'Espagne  qui,  à  tout  prendre  ,  sont 
en  petit  nombre  ^  ont  les  mains  liées,  et  osent  à  peine  se 
plaindre  ?  Entre  tant  d'élémens  hétérogènes,  quels  liens 
'•ouimuns  !  quelles  communications  de  scnlimcns,  d'idées. 


6A  SCIENCES  PHYSIQUES. 

de  volontés,  de  conseils,  de  projets  ?  Comment  s'entendre 
et  comment  agir?  En  pesant  ces  difficultés,  nous  en  lirions 
cette  conclusion  finale,  que  l'Espagne  serait  encore  plon- 
gée dans  le  néant  pendant  des  siècles  :  le  lendemain,  et 
sur  le  terrain  même  où  nous  raisonnions  ainsi,  la  révolu- 
tion éclata.  » 

L'étendue  de  notre  extrait  annonce  assez  l'importance 
que  nous  avons  attachée  à  la  narration  de  M.  Pariset;  cet 
écrit  ne  réunit  peut-être  pas  toutes  les  conditions  que  l'on 
doit  exiger  dans  un  rapport  officiel,  et  adressé  au  gou- 
vernement sur  une  grande  question  de  salubrité  publi- 
que (i);  mais  il  doit  être  placé  au  premier  rang  parmi  les 
voyages  qui  ont  été  publiés  sur  l'Espagne,  et  il  ne  pourra 
manquer  d'être  lu  avec  le  plus  grand  intérêt  par  cette 
classe  de  lecteurs  qui,  même  dans  les  ouvrages  de  science, 
désirent  que  l'on  parle  à  leur  imagination,  et  qu'on  attire 
leur  attention  parle  mouvement,  l'éclat  du  style,  la  viva- 
cité^ la  rapidité  des  impressions  et  la  variété  des  con- 
naissances. 

L.  J.  MoREATJ  (  de  la  Sarte^j  j  professeur  de  la  faculté  de 
médecine  de  Paris  ^  membre  de  la  société  royale  de 
médecine  ^  etc. 


(i)  Il  existe  dans  notre  langue  plusieurs  écrits  de  ce  genre  ,  que  l'on 
peut  regarder  comme  des  ouvrages  classiques  :  tels  sont  le  rapport  de 
Tlienon  sur  les  hôpitaux,  les  rapports  de  Bailly  sur  les  hôpitaux  et  sur 
le  magneïisme,  le  rapport  de  Morand  sur  les  convulsiounaires,  celui  de 
Thouret  pour  l'exhumation  du  cimetière  des  Innocens,  et ,  pins  près  de 
nous,  le  rapport  de  M.  le  professeur  Halle,  que  nous  avons  cité,  sur  la 
question  adressée  par  le  miuistre  de  l'intérieur  à  la  faculté  de  Paris, 
en  1S17,  concernant  la  nécessité  de  préuenir  l'introduction  de  la 
fièvre  jaune  par  la  voie  des  communications  commerciales. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  (Jâ 


■V\'»1V^X^W\'«\l  \\ 


Monographie  historique  et  médicale  de  la  fièvre 
JAUNE  DES  Antilles  ;  et  recherches  physiologiques  sur 
les  lois  du  développement  et  de  la  propagation  de 
cette  maladie  pestilentielle ,  lues  à  i' Académie 
royale  des  sciences  de  L'institut  de  France  ,  dans  ses 
séances  des  ^décembre  1819,  i-javrilet  ig^amiSao. 
Par  Al.  Moreau  de  JoNNiiS  ,  correspondant  de 
l'Académie  royale  des  sciences  de  l'institut  de 
France  ,  clc.  ,  etc.  (1). 

On  dispute  beaucoup,  depuis  quelque  tems ,  de  con- 
tcigioii  c\.  Ag.  fièvre  jaune  ;  et,  selon  l'usage,  on  dispute 
beaucoup  sans  rien  décider  :  peut-être  même  ne  décide- 
t-on  rien,  par  cela  seul  qu'on  dispute.  Demander  s/ /a  ^i^r*? 
jaune  est  contagieuse  j  paraît  d'abord  une  simple  question 
de  fait  :  malheureusement,  comme  on  ne  convient  du  sens 
précis  ni  du  mot  contagion  ,  ni  des  mois  fih-re  jaune,  en 
affirmant  ou  niant  la  contagion  de  La  fièvre  jaune ,  on  ne 
«ait  réellement  ni  ce  qu'on  affirme  ,  ni  ce  qu'on  nie. 

La  contagion  est,  dit-on,  la  transmission  d'une  maladie 
par  contact;  mais  y  a-t-il  de  transmission  possible  autre- 
ment que  par  le  contact?  Transmission  et  contagion  sont 
donc  absolument  synon3'^mes;  toute  maladie  Iransmissible 
est  donc  luie  maladie  contagieuse  (2). 

(1)  Paris,  1820.  1  vol,  io-B".  I\Ii,^neret,  lil))airpj  lue  tlu  Dragon, 
11°  20. 

(2)  On  a  ■voulu  distinguer  encore  le  contact  immédiat  du  contact 
médiat  -,  mais  ,  à  la  ligueur,  il  y  a  toujours  contact  immédiat  du  prin- 
cipe contagieux,  sans  quoi  il  n'y  auiait  pas  contagion.  Coutaglori 
implique  donc  toujours  ne'cessairemcnt  contact  irùmiidiat  du  principe 
contagieux. 

Tome  x.  3 


GO  SCIENCES  PHYSIQUES. 

Les  particules  gazéiformes ,  continuellement  dégagées 
des  corps  organisés  en  putréfaction,  et  dont  l'effet  meur- 
trier est  d'autant  plus  actif  qu'elles  sont  plus  concentrées, 
n'agissent  que  par  contact.  Les  individus  qu'elles  frappent 
peuvent  les  transmettre  à  d'autres  individus,  et  ces  nou- 
veaux individus  à  d'autres.  Les  vêtemens,  la  laine,  le  bois, 
les  fourrures,  etc.,  leur  servent  également  de  véhicule. 
Voilà  donc  des  causes  de  maladies,  et  conséquemment  des 
maladies  transmises  par  contact;  voilà  donc  des  maladies 
contagieuses. 

Remarquez,  toutefois,  que  ces  individus,  tour  à  tour 
frappés  par  ces  particules,  se  les  font,  pour  ainsi  dire, 
passer  sans  les  reproduire.  Un  individu  ,  atteint  de  sy- 
philis,  au  contraire,  reproduit,  et  parla  transmet  indé- 
finiment la  cause ,  ou  le  virus,  de  sa  maladie ,  et,  avec  elle , 
la  faculté  de  la  reproduire  et  de  la  transmettre.  Il  y  a  donc 
ainsi  deux  modes  de  transmission  ou  de  contagion.  Dans 
le  premier,  transmission  sans  reproduction  ;  dans  le  se- 
cond, transmission  et  reproduction  tout  ensemble. 

Aux  maladies  simplement  transmises,  on  a  donné  le 
nom  de  maladies  pa?-  infection ^  et  aux  particules  gazéi- 
formes, causes  de  ces  maladies ,  le  nom  de  miasmes;  par 
où  le  nom  de  maladies  contagieuses  se  trouve  définitive- 
ment réservé  aux  seules  maladies  tout  à  la  fois  transmis- 
sibles  et  reproductibles. 

Cela  p  osé ,  voyons  si  la  fièvre  jaune  est  contagieuse. 
Mais  d'abord,  qu'est-ce  (\w'wne  fièvre _,  et  surtout  qu'une 
fièvre  jaune?  \}xiG  fièvre  essentielle  n'en  qu'une  abstraction 
personnifiée.  Ou  \e.\x\o\. fièvre  ne  signifie  rien  du  tout,  ou  il 
signifie  tout  simplement  désordre  circulatoire.  Ce  désordre 
n'est  évidemment  qu'un  effet;  car  une  fonction  n'est  que 
le  jeu  d'un  organe.  Voulez-vous  donc  caractériser  un  dé- 


SCIENCES  PHYSIQUES.  67 

sordre  fonctionnel?  montrez   l'altération  organique  qui  le 
provoque. 

Quant  à  l'épithète  <1&  jaune ,  si  sing-ulièrement  associée 
au  moifièçre^  on  en  sent  assez  toat  le  ridicule.  Concluons 
que  bien  poser  une  question  est  le  premier  pas  ù  faire 
pour  la  résoudre,  et  que,  mieux  posée,  la  question  de  la 
fièvre  jaune  serait  peut-être  déjà  résolue.  L'ouvrage  de 
M.  de  Jonnès  justifle  assez,  du  reste,  cette  assertion.  Le 
jour  qu'il  jette,  en  effet,  sur  cette  question  si  long-.tems 
et  si  vainement  débattue ,  me  paraît  tenir  surtout  à  l'art 
avec  lequel  il  l'a  conçue  et  développée, 

La  nouvelle  monographie  de  la  fièvre  jaune  se  partage 
en  trois  sections  :  son  histoire j  sa  description  et  sa  théorie. 
Tour  à  tour  érudit,  observateur,  ou  ph3"siologiste ,  l'au- 
teur essaie  tour  à  tour  de  remonter  aux  premiers  vestiges 
de  ce  fléau,  d'en  peindre  le  développement  et  les  suites, 
et  même  d'en  expliquer  l'origine  et  la  formation. 

Ainsi,  selon  lui,  \di  fièvre  jaune  j  exclusivement  origi- 
naire et  endémique  aux  Antilles,  ne  parvient  ailleurs  que 
par  voie  d'importation;  semblable  en  ce  point  à  la  peste  _, 
endémique  en  certains  lieux,  et  partout  ailleurs  importée. 
On  a  prétendu  récemment  que  la  peste  est  tiniquement 
contagieuse.  Cela  n'est  point  exact.  La  peste  est  tout  à  la  fois 
endémique,  contagieuse,  et  par  infection  :  end è inique jCav 
elle  ne  prend  naissance  qu'en  certains  lieux;  contagieuse j 
car  l'individu  qu'elle  frappe  peut,  à  son  tour,  en  frapper 
un  auii'c;  par  infection,  car  le  virus  pestilentiel,  s'atta- 
chant  à  la  surface  des  corps,  se  trouve  par  là  transmis 
avec  eux. 

L'objet  principal  de  M.  de  Jonnès  est  de  montrer  que 
\a  fièvre  jaune  ^^i,  sous  tous  ces  rapports,  parfaitement 
comparable  à  la  peste  :  par  infection,  endémique  et  con- 
tagieuse comme  elle. 

5* 


I 


68  SCIENCES  PHYSIQUES.    - 

M.  Devèze  a  dernièrement  soutenu,  comme  on  sait  (t)  > 
que  Xa  fièvre  jaune  est  exclusivement  transmise  par  infec- 
tion. M.  de  Jonnès  ne  nie  point  l'infection  ,  mais  il  y  ajoute 
la  contagion.  Qu'il  y  ait,  au  reste,  simplement  infection  , 
ou  contagion  et  infection  tout  ensemble,  le  fait  est  que  la 
maladie  est  essentiellement  transmissible  ;  et  ce  fait  est 
plus  que  suffisant  sans  doute  pour  exiger  et  justifier  de 
sages  mesures  palliatives. 

M.  Moreau  de  Jonnès  a  exposé  ces  mesures  avec  une 
précision  remarquable.  J'y  joindrai  pourtant  une  réflexion. 
Les  partisans  déterminés  de  l'infection  crient  beaucoup 
contre  le  système  des  lazarets;  les  partisans  de  la  con- 
tagion ne  crient  guère  moins  contre  l'absolue  liberté  des 
communications;  et  peut-être  tout  le  monde  a-t-il  raison 
de  crier. 

Quelle  que  soit,  en  effet,  votre  opinion,  vous  convenez 
que  l'entassement  d'individus  infectés  suffit,  à  lui  seul, 
pour  reproduire  et  éterniser  les  germes  de  l'infection  : 
pourquoi  donc  les  entasser  dans  un  lazaret?  M.  Devèze  a 
raison  sur  ce  point  :  le  premier  besoin  d'individus  infectés 
est  d'être  séparés  entre  eux,  et  de  respirer  un  air  pur. 
Mais,  quelle  que  soit  aussi  votre  opinion,  laisser  toute  com- 
munication libre ,  c'est  inévitablement  propager  le  mal , 
qu'il  vienne  d'infection  ou  de  contagion. 

Il  faut  donc  et  séparer  les  individus  infectés  entre  eux  et 
les  tenir  séparés  des  individus  non  infectés.  Par  là ,  vous 
sauvez  tout  à  la  fois  les  uns  et  les  autres;  vous  prévenez 
la  contagion ,  et  vous  détruisez  l'infection  ;  vos  lazarets 
ne  sont  plus  des  prisons,  et  la  sûreté  publique  n'exige  plus 
des  victimes.  Fiourens,  D.  M. 


(i)  Voyezson  Traité  de  la  fièvre  jaune ,  ou  l'analyse  de  ce  traité, 
p,ig.  270  tlu  Tom.  yil  de  notre  Reuue. 


I 


SCIENCES  PHYSIQUES.  69 


iW^tWt^WtuVWVt 


Considérations  sur  l'art  de  la  guerre  ,  par  le  lieu- 
tenant général  Rogniat  (i). 

Remarques  critiques  sur  l'ouvrage  de  M.  le  lieutenant 
général  Rogniat,  intitulé  :  Considérations  sur  l'art 
de  la  guerre,  par  le  colonel  Marcellin  Marbot  (2). 

S'il  fallait  en  croire  les  détracteurs  de  l'armée  française, 
qui  s'est  illustrée  de  nos  jours  par  tant  de  faits  d'armes 
immortels,  elle  n'aurait  dû  ses  succès  qu'à  l'intelligence 
naturelle  et,  pour  ainsi  dire,  à  l'instinct  militaire  de  la 
nation  française;  et,  sauf  quelques  rares  exceptions,  ja- 
mais armée  n''aurait  possédé  moins  de  talens,  fruits  de 
l'étude  et  du  savoir. 

En  songeant  d'ailleurs  à  cette  foule  d'officiers  si  distin- 
gués par  leur  habileté,  que  nos  victoires  ou  nos  revers 
ont  fait  disparaître  de  nos  rangs ,  on  serait  tenté  de  croire 
qu'après  de  telles  pertes ,  une  armée  qu'on  assurfe  avoir 
été  si  peu  riche  en  hommes  d'un  grand  savoir  et  d'une 
expérience  raisonnée,  ne  doit  plus  compter  parmi  ses  dé- 
bris que  des  officiers  recommandables  seulement  par  de 
l'activité ,  du  courage ,  de  la  constance ,  par  la  force  du 
corps  ou  l'énergie  du  cœur,  bien  plutôt  que  par  la  culture 
de  l'esprit  et  l'étendue  des  connaissances. 

Combien,  depuis  la  paix,  le  tems  a  démenti  cette  injuste 
opinion  !  Dans  les  âges  paisibles  qui  succédèrent  aux  guerres 
les  plus  longues  et  les  plus  fertiles  en  beaux  faits  d'armes, 
jamais,  chez  aucun  peuple,  on  ne  vit,  dans  un  aussi  petit 


(1)  Paris,  1821.    Un  vol.  in-8"  de   6oS  pages;    tleuxitme   édition 
i-cviie  par  l'auleur.  Anselin  et  Pocliard.  Pjix  ,  7  IV.  5o  c. 

(2)  Paris,  1821.  1  vol.  in-S"  de  638  pages.  Aiiscliii  et  Pocliiird. 


70  SCIENCES  PHYSIQUES 

nombre  d'années,  paraître  autant  d'écrits  importans,  pro- 
duits par  les  loisirs  des  militaires  rendus  au  repos.  La  paix 
qui  couronna  les  beaux  tems  du  siècle  d'Auguste  et  de 
Louis  XIV,  n'a  pas  offert  l'exemple  d'une  activité  d'esprit 
comparable  à  celle  dont  sont  animés  aujourd'hui  les  offi- 
ciers français.  Dans  un  petit  nombre  d'années  où ,  par 
l'effet  des  plus  funestes  catastrophes,  tant  d'officiers  ont 
perdu  leur  état,  quand  la  sécurité,  si  nécessaire  aux  grands 
et  longs  travaux,  est  retirée  à  tous  par  l'instabilité  des  or- 
ganisations si  diverses  qui  se  sont  succédées  avec  tant  de 
rapidité,  c'est  alors  que  nous  avons  vu  paraître  une  foule 
d'ouTrages  qu'on  croirait  ne  pouvoir  être  exécutés  que  dans 
la  situation  la  plus  favorisée  et  dans  le  calme  le  plus  heu- 
reux ;  de  grands  écrits  historiques,  où  la  théorie  des  arts 
militaires  est  habilement  déduite  des  plus  mémorables 
exemples;  des  recherches  variées,  nombreuses,  sur  le 
service  des  diverses  armes,  sur  les  moyens  qui  leur  sont 
propres,  sur  les  perfectionnemens  qui  leur  manquent  et 
sur  les  améliorations  qu'on  propose.  A  voir  cette  émula- 
tion générale,  on  dirait  qu'une  autorité  puissante  et  pro- 
tectrice sollicite,  encourage  et  récompense  tous  ces  tra- 
vaux ;  mais  l'admiration  redouble ,  lorsqu'on  découvre  que 
la  seule  énergie  des  individus  produit  ce  concours  d'efforts 
si  variés  et  cet  ensemble  de  travaux  si  recommaudables. 

Observons  enfin,  à  la  gloire  de  l'ancienne  armée  fran- 
çaise, que  les  officiers  n'ont  pas  seulement  produit  des 
travaux  militaires.  Les  licenciemens  et  les  épurations,  en 
rendant  à  la  vie  civile  une  foule  d'hommes  habitués  à  la 
double  activité  du  corps  et  de  l'esprit,  les  ont  forcés  à 
porter  cette  activité  sur  des  objets  directement  utiles  à 
l'ordre  social  ou  à  l'économie  de  la  vie  civile.  Les  uns, 
retournant  dans  nos  campagnes,  sous  le  toit  paternel,  ont 
repris  les  soins   de  l'agriculttu-e ,  première  occupation  de 


SCIENCES  PHYSIQUES.  71 

Iciu"  adolescence.  Ils  ont  introduit  des  procèdes  qu'ils 
avaient,  aux  jours  de  nos  succès  ,  observés  sur  les  ihéûlrcs 
si  nombreux  de  nos  exploits,  c'est-à-dire  en  Hollande, 
en  Allemagne,  en  Pologne,  en  Russie,  en  Espagne,  en 
Portugal,  en  Italie,  en  Grèce,  en  Egypte;  d'autres  ont 
cultivé  avec  succès .  diverses  branches  de  l'industrie,  et 
créé  des  fabriques  nouvelles,  qu'ils  font  prospérer  par  cette 
ardeur  et  cette  constance  ,  sources  de  leurs  succès  passés; 
d'autres  ont  cultivé  les  sciences,  les  lettres,  les  beaux 
arts.  Les  voyages  d'Andréossy  et  de  Bory  Saint-Vincent, 
les  poèmes  de  Viennet,  les  tableaux  de  Lejeune  ont  mon- 
tré que  les  mains  qui  surent  manier  l'épée  avec  honneur, 
savaient  manier,  avec  autant  de  gloire,  et  le  compas ,  et 
la  lyre,  et  le  pinceau.  Enfin,  sous  les  formes  heureuses  d'un 
gouvernement  constitutionnel,  toujours  officiers  sans  cesser 
d'être  citoyens,  la  France  voit  avec  orgueil  des  hommes 
dont  elle  aimait  à  citer  les  talens  militaires  aux  jours  des 
combats,  s'illustrer  par  des  talens  civiques  aux  jours  de  la 
paix;  et  les  communes,  en  confiant  leurs  plus  chers  intérêts 
aux  généraux  à  qui  jadis  la  patrie  confiait  la  défense  de 
nos  foyers,  ont  pu  voir  avec  orgueil  que  les  palmes  du 
civisme  et  de  l'éloquence  étaient  cueillies  par  des  mains 
qui  d'abord  n'avaient  appris  qu'A  cueillir  des  lauriers ,  et 
le  paisible  citadin  redit  avec  orgueil  les  discours  des  Fpy, 
des  Gouvion,  des  Lafayette,  des  Macdonald,  des  Maison,  etc. 
Honneur  aux  armées  françaises  ! 

Parmi  les  écrivains  militaires ,  également  i-ecomman- 
dables  par  leurs  talens  et  leurs  belles  actions ,  le  général 
Rogniat  occupe  un  des  rangs  les  plus  distingués  ;  ses  ser- 
vices se  rattachent  aux  époques  mémorables  de  nos  cam- 
pagnes les  plus  célèbres. 

En  1806,  auprès  de  Neubourg,  dans  l'armée  de  Morcau, 
Rogniat,    simple   capitaine   du  génie,    prend  la  direclion 


72  SCIENCES  PHYSIQUES. 

d'une  des  colonnes  d'attaque  de  la  division  Lecourbe,  pour 
forcer  la  position  d'Unterhausen,  où  périt  Latour-d'Au- 
vergne.  Moreau ,  félicitant  le  jeune  capitaine  sur  ce  noble 
service,  et  le  faisant  nommer  chef  de  bataillon,  le  déclare 
digne  de  la  fortune  milititire  qui  dut  être  la  récompense 
de  sei'vices  plus  grands  encore  et  bien  plus  éclatans. 

En  1806,  au  siège  de  Danlzig,  le  commandant  Rogniat 
dirige  la  principale  attaque  ;  en  1808,  il  est  fait  colonel.  H 
passe  en  Espagne,  prend  part  au  siège  de  Saragosse,  se- 
conde d'abord  et  remplace  ensuite  le  général  du  génie  ,  tué 
devant  cette  place.  Nommé  général  de  brigade,  il  dirige 
en  cette  qualité  les  travaux  du  siège  de  Tortose;  enfin, 
après  l'assaut  et  la  prise  de  Tarragone,  il  est  fait  lieute- 
nant général ,  dix  ans  après  sa  première  action  d'éclat, 
en  comptant  tous  ses  grades  par  autant  de  grands  travaux 
et  de  grands  succès.  Depuis  1810,  le  général  Rogniat  a 
rendu  d'autres  services  à  son  pays,  par  des  comman- 
demens  distingués,  et  notamment  par  celui  du  génie, 
durant  la  campagne  de  Dresde,  enfin  par  les  organisations 
qu'on  lui  a  confiées  et  les  travaux  des  conseils  aus.quels 
il  a  pris  une  part  importante. 

Il  faut  à  présent  rendre  compte  de  ses  travaux,  comme 
écrivain  militaire.  L'ouvrage  qu'il  a  publié  sous  le  titre  de 
Considérations  sur  l'art  de  la  guerre  j  est  le  fruit  de  l'ex- 
périence d'un  militaire,  habile  observateur.  Le  général 
Rogniat  n'a  pas  borné  ses  méditations  au  seul  examen  des 
faits  relatifs  à  l'arme  spéciale  dont  il  a  dirigé  les  travaux. 
Il  a  fait  une  étude  approfondie  des  causes  de  succès  et  de 
revers,  dans  toutes  les  branches  essentielles  de  l'art  de  la 
guerre;  son  ouvrage  abonde  en  vues  heureuses,  en  obser- 
vations pleines  de  perspicacité ,  en  jugemens  remplis  de 
profondeur  sur  toutes  les  grandes  opérations  militaires. 

Le  général  Rooniat  c:;t  moins  heureux,  lorsou'il   entre 


SCIENCES  PHYSIQUES.  1i 

dans  les  détails  de  l'organisation  des  corps,  et  c'est  pré- 
cisément cette  partie  vulnérable,  dont  le  colonel. Marbot 
a  publié  la  réfutation.  Mais,  avant  d'offrir  à  cet  égard  de 
plus  amples  développemens ,  exposons  le  plan  général 
des  Considérations  sur  l'art  de  la  guerre. 

Dans  une  introduction  fort  étendue ,  l'auteur  jette  un 
coup  d'œil  sur  le  système  de  guerre,  fondé  sur  l'emploi 
des  anciennes  armes.  Il  expose  les  principaux  moyens  de 
levée,  d'organisation  et  d'armement  de  la  légion  romaine, 
qui  doit  servir  de  type  à  l'ordre  nouveau  qu'il  propose.  Il 
compare  ensuite  la  légion  romaine  avec  laphalange  grecque, 
qui,  n'offrant  pas  les  précieux  avantages  de  diversité  des 
armes,  de  mobilité  et  de  subdivision,  qui  rendaient  la 
légion  si  propre  à  toutes  sortes  d'actions,  devait  nécessai- 
rement avoir  l'infériorité. 

Ayant  exposé  le  service  isolé  de  la  légion,  l'auteur  con- 
sidère le  service  d'une  armée  consulaire,  composée  de 
deux  légions  romaines  placées  au  centre ,  et  des  alliés 
placés  aux  ailes  avec  la  cavalerie  et  les  auxiliaires. 

L'armée  romaine,  après  avoir  atteint  la  perfection  dé 
l'ordre  et  de  la  discipline,  sous  les  Scipions,  sous  César 
et  sous  Pompée ,  fui  bientôt  déchue  de  sa  vaillance  et  de 
sa  force,  sous  la  tyrannie  ombrageuse  et  timide  des  em- 
pereurs. Les  barbares,  n'ayant  pour  eux  que  leur  courage, 
commencèrent  à  triompher  des  légions  dégénérées,  et 
l'empire  romain  s'écroula  de  toutes  parts.  L'art  militaire 
retomba  pour  dix  siècles  dans  l'enfance,  et  ne  se  releva 
qu'au  tems  où  les  rois  de  l'occident  commencèi*ent  à  tenir 
sur  pied  des  armées  permanentes.  Le  général  Rogniat 
montre  le  progrès  des  organisations  nouvelles,  comman- 
dées par  l'introduction  des  armes  à  feu  dans  les  combats, 
depuis  le  règne  de  Charles  VII  jusqu'aux  dernières  guerres 
de  notre  révolution. 


7A  SCIENCES  PHYSIQUES 

Après  ce  rapide  coup  d'œil  historique,  le  général  Ro- 
gniat  fait  connaître  la  base  de  son  système.  Voici  la  subs- 
tance de  ses  idées  à  ce  sujet  : 

Le  système  de  guerre,  fondé  sur  les  armes  à  feu,  n'est 
pas  encore  fixé  ;  l'expérience  parle  en  faveur  de  plusieurs 
usages;  l'opinion  se  partage  ou  demeure  incertaine  sur 
quelques  points;  la  généralité  de  quelques  faits  semble 
établir  des  règles  et  des  principes  qui  sont  encore  épars  et 
mal  tracés.  Les  matériaux  sont  innombrables  ;  il  s'agit  de 
trouver  un  architecte  qui  sache  les  classer,  les  mettre  en 
œuvre  et  élever  l'édifice  ;  il  s'agit  de  rechercher  et  de 
puiser  dans  l'ancien  système ,  fondé  sur  les  armes  de  main, 
que  les  Romains  portèrent  au  plus  haut  degré  de  perfection, 
les  principes  éprouvés  par  le  succès  et  le  tems ,  applicables 
au  système  moderne,  fondé  sur  les^armes  à  feu;  il  s'agit 
de  fixer  ce  nouveau  système  d'après  l'expérience  des 
guei'res  du  siècle  dernier  et  de  celui-ci ,  d'éclairer  l'opi- 
nion sur  quelques  erreurs ,  de  balancer  les  avantages  et 
les  inconvéniens  des  difFérens  usages,  afin  de  choisir  ce 
qu'il  y  a  de  mieux,  de  soumettre  les  innovations  ù  l'exa- 
men critique  de  la  raison,  et  de  rassembler  les  règles  et 
les  principes  qui  résultent  de  l'expérience,  des  faits  et  du 
raisonnement,  pour  en  former  un  corps  de  doctrine  mili- 
taire. 

L'ouvi'age  est  divisé  en  quatorze  chapitres,  qui  traitent 
successivement  de  la  levée  des  troupes,  de  l'organisation 
légionnaire  telle  que  l'auteur  la  propose,  des  grades  mili- 
taires et  des  avancemens,  des  armes  qu'il  faut  donner  soit 
ù  l'infanterie ,  soit  à  la  cavalerie,  des  exercices  et  des  tra- 
vaux militaires,  de  l'ordre  de  bataille  de  la  légion  et  des 
armées  et  de  leurs  opérations,  des  positions  et  des  campe- 
mcns,  des  retranchemens  de  camppgne,  des  marches  et 
des  batailles.   Un  chapitre  spécial  est  consacré  à  ce  qu'il 


SCIENCES  PHYSIQUES.  75 

ippelle  la  métaphysique  de  la  guerre ,  ou  l'art  d'inspirer 
iu  courage  aux  troupes;  enfin,, les  deux  derniers  traitent 
séparément  des  grandes  opérations  offensives  et  défen- 
sives. 

On  voit  que  ce  vaste  plan  embrasse  les  objets  les  plus 
importans  à  considérer  dans  l'art  de  la  guerre.  Beaucoup 
sont  traités  avec  toute  la  supériorité  qu'on  était  en  droit 
d'attendre  de  l'auteur.  S'il  est  moins  heureux  dans  quel- 
ques parties,  rappelons-nous  combien  il  est  difficile,  peut- 
Dtre  impossible,  d'exceller  dans  toutes  :  c'est  déjà  mé- 
riter les  plus  rares  éloges  que  d'exceller  dans  plusieurs. 

Maintenant  ,  il  faut  faire  marcher  de  front  le  compte 
que  nous  essayons  de  rendre  de  l'ouvrage  du  général  Ro- 
gniat,  et  des  ohserçations  critiques  du  colonel  Marbot. 

M.  le  colonel  Marbot  a  servi  avec  beaucoup  de  distinc- 
tion, comme  chef  de  corps  et  comme  chef  d'état-major; 
il  connaît,  de  la  manière  la  plus  parfaite,  tous  les  détails  du 
service  des  régimens,  et  ce  n'est  point  une  routine  que 
cette  connaissance.  Le  colonel  s'est  rendu  compte  du  motif 
et  des  conséquences  de  chacun  des  objets  dont  se  compose 
le  service  ,  l'armement  et  la  manœuvre  de  nos  corps  d'in- 
fanterie et  de  cavalerie ,  tels  qu'ils  ont  été  formés  dans 
les  guerres  dernières.  Il  en  a  reconnu  les  avantages  et  les 
inconvéniens  pratiques;  il  appuie  ses  jugemens  par  des 
faits  nombreux  et  parfaitement  choisis;  il  cite  des  expé- 
riences intéressantes  sur  beaucoup  de  points  d'organisation 
ou  d'opérations.  Par  ce  moyen,  il  fixe  les  idées  sur  des 
difficultés  où  la  théorie  seule  ne  suffirait  pas  pour  pronon- 
cer. Si  j'étais  roi,  comme  disent  les  bonnes  gens,  ou 
seulement  si  j'étais  ministre  de  la  guerre,  je  ferais  du 
colonel  Marbot  mon  organisateur  régimentaire  ;  et,  quand 
l'organisation  serait  finie,  je  le  ferais  inspecteur,  pour  qu'il 


76  SCIENCES  PHYSIQUES. 

surveillât  mieux  que   personne  ce  qu'il  aurait   organisé 
mieux  que  tout  autre. 

Tel  est  le  rude  adversaire  qui ,  sans  s'effrayer  de  la 
grande  réputation  du  général  Rogniat  et  des  succès  de  son 
livre,  est  fièrement  descendu  dans  le  champ  clos,  pour  i 
livrer  un  combat  ù.  outrance  aux  erreurs  de  son  antago- 
niste. Il  le  suit  pas  à  pas,  et  ne  lui  fait  grAce^ur  rien  ; 
aucune  idée,  aucune  assertion,  aucun  projet,  qui  peuvent 
prêter  le  flanc  n'échappent  à  son  austère  critique  ;  et,  quoi- 
qu'il combatte  sur  un  grand  nombre  de  points,  il  faut  . 
avouer  qu'il  paraît  presque  partout  avoir  pour  lui  la  raison 
et  la  victoire. 

Mais  il  faut  observer  que,  même  en  ôtant  de  l'ouvrage 
du  général  tout  ce  que  le  colonel  attaque,  les  parties  les 
plus  importantes  subsisteraient  encore ,  et  leur  ensemble 
formerait  un  traité  digne  de  la  réputation  de  son  auteur. 

Enfin,  pour  faire  à  la  fois,  des  deux  côtés,  la  part  équi- 
table des  éloges  et  de  la  censure,  disons  que  le  colonel  se 
laisse  un  peu  trop  emporter  par  l'amour  de  la  critique; 
ses  formes  sont  quelquefois  aceibes  et  dures,  et  l'ardeur 
de  la  contradiction  lui  fait  aussi  parfois  pousser  trop  loin 
des  idées  dont  le  fonds  est  juste  en  lui-même. 

Les  bornes  que  doit  avoir  cet  article  ne  nous  permet- 
tent pas  d'exposer  avec  détail  les  divers  sujets  d'une  telle 
controverse  ,•  les  idées  des  adversaires  et  les  motifs  qui , 
dans  chaque  cas,  semblent  donner  droit  à  l'un  ou  à  l'autre. 

Le  colonel  commence  d'abord  par  rendre  hommage  aux 
talens  du  général.  J'ai,  dit-il,  admiré  le  talent  avec  lequel 
l'auteur  a  tracé  le  tableau  du  genre  de  guerre  actuelle- 
ment en  usage  ,  et  développé  le  mécanisme  des  différens 
niouvemens  des  armées  en  campagne.  Sous  ce  rapport, 
en  effet,  ainsi  que  s'empresse  de  le  reconnaître  le  colonel 


SCIENCES  PHYSIQUES.  77 

Marbot,  les  Considérations  sur  VarL  de  la  guerre  sont  un 
juvrage  extrêmement  important.  Mais  les  beautés  de  l'on- 
n-age  n'aveuglent  pas  le  réfutateur  sur  les  défauts  qui  le 
léparent;  il  a  des  yeux  de  lynx  pour  les  découvrir  et  des 
ïrgumens  irrésistibles  pour  les  réfuter. 

Pour  mettre  de  l'ordre  dans  la  critique,  et  ne  rien  laisser 
passer,  le  colonel  divise  son  ouvrage  en  autant  de  cha- 
pitres qu'en  présentent  les  Considérations. 

Au  sujet  de  la  levée  des  troupes,  il  commence  parfaire 
['éloge  des  vues  du  général,  dont  l'ouvrage,  qui  parut 
en  1816,  eut  le  mérite  de  défendre  une  institution  alors 
fort  peu  populaire  :  la  conscription  (i). 

Il  veut  que  le  tems  du  service  soit  de  dix  ans  au  lieu  de 
cinq;  mais  qu'à  la  fin  de  ce  tems,  les  congés  soientreligieuse- 
ment  accordés ,  même  au  milieu  de  la  guerre.  Le  colonel 

(i)  Voici  ce  qu'en  i8i4  l'aiiteui-  de  cet  article  publiait  à  ce  sujet, 
daus  un  opuscule  sur  les  lois  fondamentales  de  la  France  : 

«  Au  milieu  des  tourmentes  de  la  révolution ,  des  choses  vraiment 
grandes  ont  e'te'  faites  ;  il  faut  être  assez  gene'reux  pour  leur  reudre 
justice  et  leur  payer  le  tribut  qu'elles  me'ritent. 

Car,  si  nous  allons  sans  cesse,  imitant  la  démence  de  nos  devanciers, 
détruii'e  pour  édifier,  sans  réfléciiir  si  c'est  le  pire  ou  le  mieux  que 
nous  nous  proposons  de  mettre  à  la  place  du  bien ,  nous  auront  beau 
dire  ^  comme  on  l'a  dit  tant  de  fois  ,  et  si  dérisoirement ,  que  nous 
sortons  enfin  de  la  révolution;  nous  y  serons  encore;  et  qui  ne  fré- 
mirait pas  à  cette  seule  idée  !  Revenons  donc  à  ces  institutions  qu'il 
est  beau,  qu'il  est  utile  de  conserver,  et  même  de  rendre  plus  illustres 
encore  qu'elles  ne  le  sont  déjà. 

La  conscription  !  oui ,  la  conscription  quia  sauvé  la  France  ,  qui 
a  fait  notre  gloire  pendant  vingt  ans  ,  qui  fera  notre  indépendance  à 
venir,  qui  est  en  elle-mèni'^  la  plus  juste  des  lois  (puisqu'elle  oblige 
également  les  pauvres  et  les  riches  à  servir  la  patrie  ),  et  qui  n'en  est 
devenue  la  plus  inique  et  la  plus  infâme  que  par  l'abus  inoui  qu'on  en 
a  fait.  Eh  bien,  réprimons  les  abus,  mais  conservons  les  lois  salu- 
taires. » 


78  SCIENCES  PHYSIQUES. 

démontre  qu'en  teins  de  guerre  ce  licenciement  ponctuel 
serait  presque  toujours  impolitique  ,  dangereux,  impos- 
sible, et  menacerait  de  substituer  promptement  une  ar- 
mée de  recrues  à  des  corps  de  vétérans. 

M.  le  colonel  Rogniat  voudrait  qu'on  donnât  aux  troupes 
françaises  «ne  organisation  calquée  sur  la  formation  de 
l'ancienne  légion  romaine. 

Sous  le  titre  de  légion ,  il  crée  des  corps  ainsi  composés  : 

Fantassins  de  ligne 5,700 

Fantassins  légers 1,900 

Cavaliers 760 

Artilleurs 150  (i) 

Pontonniers-Sapeurs 190 

8,700 
Cette  légion,  commandée  par  un  chef  unique,  ayant 
plusieurs  colonels  sous  ses  ordres,  ne  pourrait  jamais  être 
démembrée  pendant  la  guerre,  et  servirait  toujours  en 
masse  dans  la  même  armée;  pendant  la  paix,  elle  serait 
cantonnée  dans  une  même  province.  Le  colonel  Marbot 
montre  d'abord  l'impossibilité  de  suivre  constamment  un 
système  qui,  fixant  toujours  une  même  proportion  entre 
les  diverses  armes,  donnerait  autant  de  cavalerie  pour  une 
même  foixe  d'infanterie  dans  les  plaines  de  la  Belgique  et 
de  l'Italie,  que  dans  les  Alpes  et  les  Pyrénées. 

La  légion  du  général  Rogniat  se  divise,  comme  la  légion 
romaine,  en  dix  cohortes  ou  bataillons,  composés  chacun 
de  760  hommes.  Chaque  cohorte  se  subdivise  en  quatre 
compagnies,  dont  trois  d'infanterie  de  ligne  et  une  d'infan- 
terie légère;  celle-ci  ne  doit  jamais  se  mettre  en  ligne 
avec  le  reste  du  bataillon. 


(1)  Le  colonel  Marbot  se  trompe  en  donnant  ij5  hommes  à  l'artil- 
lerie, puisqu'alors  le  total  serait  de  8,645  liommcs  au  lieu  de  8,700. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  79 

Les  trois  compagnies,  fortes  chacune  de  190  liouimes, 
sont  placées  chacune  sur  un  rang  ;  la  première  compa- 
gnie,  celle  des  grenadiers,  élite  du  bataillon,  occupe  le 
premier  rang;  les  soldats  les  meilleurs  après  ceux-lù 
forment  la  2"  compagnie  et  le  2"  rang;  enfin,  les  conscrits 
et  les  soldats  les  plus  mauvais  forment  le  3°  rang.  Il  faut 
l'avouer,  une  telle  formation  présente  dans  l'exécution 
des  difficultés  insurmontables;  elle  aurait,  dans  les  ma- 
nœuvres et  dams  les  combats,  des  inconvéniens  majeurs  , 
et  qui  doivent  la  faire  proscrire  ;  c'est  ce  que  démontre 
parfaitement  le  colonel  Marbot,  en  prouvant  que  cette 
formation  détruirait  le  moral  du  soldat  qui  ne  se  sentirait 
plus  appuyé  par  les  hommes  avec  lesquels  il  vit  habituel- 
lement, et  dont  il  connaît  l'affection  et  la  vaillance. 

Ensuite  190  hommes  étant  sur  un  seul  rang,  et  occupant 
un  espace  de  près  de  120  mètres,  le  capitaine,  placé  dans  le 
rang  même  et  sur  la  droite,  ne  peut  apercevoir  ni  l'ex- 
trême droite ,  ni  même  le  centre  de  sa  compagnie  ;  il  ne 
peut  pas  juger  si  les  officiers  et  les  sous-officiers,  répartis 
au  milieu  des  soldats  dans  cette  ligne  étendue,  remplissent 
exactement  leur  devoir  et  surveillent  la  conduite  de  leurs 
subordonnés  respectifs.  Quand  même  le  capitaine ,  doué 
d'un  coup  d'œil  extraordinaire,  parviendrait  à  juger  plus 
ou  moins  parfaitement  de  ces  objets ,  dans  une  position  si 
peu  commode,  la  même  inspection  deviendrait  tout-ù-fait 
impossible  aux  capitaines  des  2"  et  S*  compagnies,  lorsque 
le  bataillon  manœuvrerait  à  rangs  serrés,  c'est-à-dire 
dans  les  momens  les  plus  importans. 

Les  trois  capitaines  d'un  bataillon  étant  sur  la  même 
file ,  un  même  boulet  lancé  de  front  ne  pourra  guère  frap- 
per le  premier  sans  abattre  les  deux  autres ,  et  le  corps 
entier  se  trouvera  dans  l'instant  privé  de  ses  principaux 
chefs. 


80  SCIENCES  PHYSIQUES. 

Si ,  dans  les  manœuvres,  il  faut  que  le  bataillon  rompe 
par  pelotons  ou  par  sections ,  chaque  subdivision  sera 
formée  d'une  fraction  de  trois  compagnies  différentes,  et 
dès-lors  il  y  aura  toujours  les  deux  tiers  des  soldats,  des 
sous-ofliciers  et  des  officiers  qui  obéiront  à  des  chefs  d'une 
autre  compagnie  que  la  leur  :  ce  qui  nuira  beaucoup  à 
l'énergie,  à  l'efficacité  du  commandement. 

La  division  des  rangs  par  ordre  de  vaillance,  telle  que 
l'établit  îe  général  Rogniat,  est  aussi  trcs-vicieuse,  car  le 
premier  rang  éprouve  à  la  guerre  une  perte  à  peu.  près 
double  du  2'  rang  et  du  3".  Ainsi,  l'élite  du  bataillon  sera 
moissonnée  deux  fois  plus  vite  que  le  reste  du  corps.  Enfin, 
les  plus  mauvais  soldats  sont  placés  au  3"  rang,  c'est-à-dire 
au  seul  rang  où  les  lâches  aient  la  facilité  de  tourner  le 
dos  et  de  fuir,  sans  que  les  braves  puissent  les  retenir. 

Voilà  quelques-uns  des  inconvéniens  attachés  à  la  for- 
mation des  cohortes  par  compagnie,  formant  chacune  un 
seul  rang;  celte  formation  a  beaucoup  d'autres  désavan- 
tages parfaitement  développés  par  le  colonel  Marbot,  et 
pour  lesquels  nous  renvoyons  à  son  ouvrage. 

Rappelons-nous  qu'outre  les  trois  compagnies  de  ligne, 
il  reste  par  bataillon  une  compagnie  d'infanterie  légère 
qui  ne  doit  jamais  entrer  en  ligne.  Les  voltigeurs  étant 
destinés  à  combatti'e  isolément,  il  est  inutile,  dit  le  géné- 
ral ,  de  leur  donner  un  pas  uniforme  et  de  leur  enseigner 
à  manœuvrer  avec  régularité  et  ensemble  comme  la  troupe 
de  ligne  (i).  Il  suffit,  selon  lui,  qu'ils  soient  formés  à  se 


(i)  Pages  171  de  la  dernière  édilionj  et  11011  pas  pages  lOi  ,  iCfi  et 
168,  comme  l'indique  le  colonel  Marbot,  sans  doute  d'après  la  pre- 
mière e'dition,  qu'il  paraît  avoir  suivie  dans  toutes  ses  remarques. Ainsi^ 
le  colonel  critique  l'opinion  que  le  général  émet  contre  le  tambour, 
d'après  iili  passage  qui  se  trouve  en  effet  dans  la  première   édition^ 


SCIENCES  PHYSIQUES.  SI 

réunir  rapidemcnl  en  cercle  contre  la  cavalerie,  et  habi- 
tués à  se  rallier  derrière  des  lignes.  Il  faudrait  que  ces 
voltigeurs  se  rassemblassent  au  pas  de  course,  pour  se 
pelotonner  tiunultaairement  autour  de  leurs  officiers. 

Ici,  l'antagoniste  du  général  trouve  avec  raison  qu'on 
donne  trop  peu  d'instruction  à  cette  grande  masse  de 
voltigeurs  que  présente  une  légion.  Que  faire  en  effet, 
au  camp  ou  dans  la  garnison,  de  1,900  voltigeurs,  ne 
sachant  ni  marcher  au  pas,  ni  se  former,  ni  prendre 
rang  avec  leur  bataillon.  Qu'on  se  figure  le  désordre  qui 
régnerait  dans  une  armée,  où  le  quart  de  l'infanterie  mar- 
cherait par  bandes  désorganisées!  Comment,  alors,  évaluer 
au  juste  la  profondeur  des  colonnes,  le  tems  qu'elles  vont 
mettre  à  passer  un  défilé  et  l'instant  précis  de  leur  arrivée 
sur  un  champ  de  bataille  ?  Ces  estimations  offrent  déjà  les 
difficultés  les  plus  grandes,  lorsqu'il  faut  les  faire  sur  des 
troupes  rangées  par  pelotons  réguliers,  égaux  et  distincts; 
elles  deviendront  absolument  impossibles,  quand  un  quart 
de  la  troupe,  marchant  pêle-mêle  et  sans  garder  de  dis- 
tances ,  cachera  même  le  véritable  nombre  des  troupes 
qui  sont  en  ordre.  Un  jour  de  bataille  enfin,  dans  une  plaine 
décQuverte,  où  placer  G, 000  voltigeurs  qui  no  savent  pas 
même  se  mettre  en  rang?  où  les  placera-t-on ,  lorsque  la 
cavalerie  forcera  les  troupes  de  ligiie  de  former  des  carrés 
pour  lui  résister? 

Des  difficultés  d'un  autre  ordre  et  non  moins  graves  se 
présenteront  dans  l'emploi  des  voltigeurs,  lorsqu'ils  de- 
vront concourir  à  la  défense  d'un  retranchement  ou  d'une 
place  forte. 

mais  qui  n'est  plus  dans  la  deuxième^  publiée  trois  ans  avant  les 
Remarques  critiques;  du  reste  ,  cela  donne  an  colonel  l'occasiou  t'e 
rappoiter  des  faits  d'expérience  sur  les  dislanccs comparées  ,  auxquelles 
on  peut  entendre  les  sons  du  tambour  el  des  iiisUituiens  à  vent. 

Tome  x.  6 


82   -  SCIENCES  PHYSIQUES. 

Après  avoir  ainsi  critiqué  l'emploi  des  tirailleurs,  tel  que 
le  propose  le  général  Rogniat,  le  colonel  Marbot  expose  le 
véritable  emploi  de  l'infanterie  de  ligne  pour  le  service  des 
troupes  légères;  il  appuie  sa  théorie  par  des  exemples 
nombreux  et  frappans;  il  justifie  la  pratique  de  nos  plus 
habiles  généraux,  pendant  les  guerres  de  la  révolution, 
de  former,  au  moment  du  besoin,  des  masses  plus  ou  moins 
considérables  de  tirailleurs  pris  dans  la  ligne ,  pour  leur 
faire  exécuter,  dans  certains  cas,  un  service  spécial. 

Parmi  les  exemples  les  plus  remarquables  ,  il  faut  indi- 
quer d'abord  les  premières  victoires  remportées  par  les 
armées  de  la  république  dans  la  Flandre,  dans  l'Alsace, 
aux  Alpes,  aux  Pyrénées;  les  combats  que  les  armées 
françaises  ont  livrés  dans  les  Alpes  juliennes  et  dans  les 
Alpes  noriques,  eu  1797  et  en  1809;  puis  la  bataille  de, 
Hanau ,  où  l'armée  française  eut  momentanément  plus 
de  5,000  tirailleurs  dans  un  bois  dont  il  fallait  repousser 
l'ennemi.  Enfin ,  on  peut  citer  comme  un  exemple  très- 
récent  le  combat  livré  par  le  général  Allix.  Après  sa  belle 
défense  de  Sens,  il  reçoit  l'ordre  de  conduire  au  quartier 
général  les  2,000  hommes  qu'il  commandait;  en  traversant 
la  forêt  de  Fontainebleau,  il  se  trouve  en  face  d'une  divi- 
sion d'Autrichiens  ,  marchant  comme  lui  en  colonne  sur 
la  grande  route.  Les  seules  têtes  de  colonnes  pouvaient 
prendre  part  au  combat  qui  s'engage.  Le  général  Allix 
jette  sur  ses  flancs  8  à  900  tirailleurs,  et  remporte  un 
succès  complet  sur  un  ennemi  six  fois  plus  nombreux. 

Le  colonel  Marbot  passe  ensuite  à  l'examen  du  service 
de  la  cavalerie  et  de  l'artillerie  attachées  aux  légions  :  ce 
qu'il  réprouve  aussi  fort  que  des  tirailleurs  inexercés  à  la 
marche  régulière. 

Au  sujet  des  grades  militaires,  le  colonel  Marbot  pré- 
cnle  une  foule  d'observations  judicieuses  sur  le  service 


SCIENCES  PHYSIQUES.  8."? 

des  sous-officiers,  des  adjudans  et  des  autres  officiers 
des  bataillons  et  des  régimens.  Tout  officier  supérieur,  et 
même  tout  capitaine  ,  devrait  méditer  ce  chapitre  des 
légions  et  des  régimens  ;  l'avantage  spécial  du  colonel 
Marbot,  c'est  d'avoir  long-tems  administré,  commandé 
et  manié  des  corps.  On  conçoit,  en  effet,  que  les  détails 
du  service,  le  maintien  de  la  discipline,  mille  difficultés 
à  prévoir  ou  à  surmonter,  ne  peuvent  être  bien  connus  que 
des  officiers  qui  ont  acquis  par  eux-mêmes  une  pareille 
expérience. 

Un  des  meilleurs  chapitres  des  Remarques  critiques  est 
celui  qui  traite  des  armes.  Quelque  simples  que  soient  en 
•apparence  les  armes  de  l'infanterie  et  de  la  cavalerie, 
leurs  proportions,  leurs  qualités  et  leur  usage  sont  le  sujet 
d'une  foule  d'observations  de  la  plus  haute  importance, 
<lans  le  moment  du  combat. 

Le  colonel  Marbot  combat  d'abord  l'idée,  qu'on  a  depuis 
mise  en  pratique  pour  les  voltigeurs,  de  placer  la  gi- 
berne sur  le  ventre  du  fantassin,  en  l'attachant  à  un  cein- 
turon :  il  montre  ampleinent  les  désavantages  de  cette 
disposition. 

Le  général  Rogniat  voudrait  qu'on  ûtût  au  cuirassier  la 
partie  postérieure  de  la  cuirasse.  Un  premier  inconvénient 
de  cette  innovation^  c'est  de  laisser  en  avant  de  l'homme 
une  charge  qui,  n'étant  plus  balancée  par  un  contre-poids 
pareil  fixé  sur  les  reins,  fatiguera  beaucoup  le  cavalier,  en 
le  forçant  à  tomber  en  avant.  Mais  ce  n'est  là  qu'un  désa- 
vantage secondaire;  c'est  dans  les  batailles  que  la  priva- 
tion d'une  cuirasse  sur  les  reins  et  sur  les  épaules  donne- 
rait surtout  un  grand  désavantage  aux  cuirassiers  du  général 
Rogniat.  Le  colonel  Marbot  rapporte  à  ce  sujet  un  fait 
d'armes  extrêmement  curieux,  et  que  nous  devons  indiquer 
succinctement. 

G  * 


I 


U  SCIENCES  PHYSIQUES. 

En  1809,  les  Français  étant  vainqueurs  à  Eckmull,  les 
Autrichiens  se  retirent  sur  Ratisbonne  à  travers  un  pays 
couvert,  où  notre  grosse  cavalerie  ne  pouvait  agir  par 
masses.  A  trois  lieues  en  avant  de  Ratisbonne,  on  entre 
dans  un  pays  plat  et  découvert.  Aussitôt  deux  de  nos  di- 
visions de  cuirassiers  passent  à  l'avant-garde,  pour  soute- 
nir la  cavalerie  légère  et  poursuivre  l'ennemi  :  tous  vont  de 
concert  attaquer  l'arrière -gafde  autrichienne,  composée 
de  grenadiers  et  d'un  corps  considérable  de  cuirassiers.  La 
nuit  approchait;  les  Autrichiens,  trop  pressés,  avaient 
besoin  de  tenter  un  effort  décisif  pour  repousser  notre 
avant-garde,  et  laisser  à  leur  infanterie  fatiguée  le  loisir 
d'achever  sa  marche.  Toute  leur  cavalerie  d'arrière- 
garde  fait  volte  face  et  charge  notre  avant-garde.  En  peu 
d'instans,  les  troupes  légères  se  dispersent  pour  ne  pas 
être  écrasées  par  les  deux  masses  de  cuirassiers,  qui  se  pré- 
cipitent l'une  sur  l'autre,  se  pénètrent  sur  plusieurs  points, 
et  bientôt  ne  forment  plus  qu'une  immense  mêlée. 

Le  crépuscule  finissait  :  on  n'entendait  que   les   reten- 
lissemens  des  sabres ,  frappant  sur  les  casques  et  sur  les 
cuirasses,  d'où  jaillissaient  des  gerbes  d'étincelles,  seules 
clartés   de    cette   nuit  tombante.    Des  deux   côtés   même 
valeur,    même    opiniâtreté,    mêmes    efforts   pour   rester 
maîtres  du  champ  de  bataille.  Mais  le  dos  des  Autrichiens 
n'étant  pas  cuirassé,  tous  les  coups  de  pointe  qui,  durant 
la  mêlée,  leur  étaient  portés  par  derrière,  étaient  décisifs. 
Au  bout  de  quelques  minutes ,  la  perte  des  Autrichiens 
est  immense;  et,  malgré  leur  rare  bravoure,   ils  sont  for- I 
ces  à  la  retraite.  Mais  à  peine  ont-ils  fait  volte  face,  que,  j; 
plus  exposés  encore  aux  coups  de  l'ennemi,  parce  qu'ils!' 
n'étaient  pas  cuirassés  par  derrière,  le  combat  ne  devint It 
plus  qu'une  boucherie... 

On  conçoit  tout  l'intérêt  que  doit  oflfrir  un  ouvrage  où  l'on 


SCIENCES  PHYSIQUES.  85 

troiivc  d'aussi  beaux  faits  crarincs,«xposùsavcc  celte  intel- 
ligence qui  ne  présente  que  des  détails  instructifs,  mars 
qui  les  présente  tous. 

Je  ne  suivrai  pas  le  colonel  Marbot  dans  ses  nombreuses 
remarques  sur  la  marche  comparée  et  sur  les  exercices  de 
l'infanterie  et  de  la  cavalerie;  il  faut  les  étudier  en  détail 
dans  son  livre  même. 

Le  général  Piogniat  voudrait  qu'on  dressât  des  fantassins 
à  suivre  les  cavaliers  à  la  course,  à  combattre  de  concert 
avec  eux,  et  au  besoin,  à  sauter  en  croupe,  le  cheval  étant 
en  marche. 

En  i8o3  ,  on  avait  eu  celte  idée  :  des  essais  furent  faits 
en  i8o5,  au  camp  de  Boulogne ,  et  l'expérience  a  démontré 
l'impossibilité  de  ce  genre  de  manœuvre. 

Le  colonel  Marbot  ayant  servi  spécialement  dans  la  ca- 
valerie, on  peut  dire  que  c'est  surtout  en  parlant  de  cette 
arme  qu'il  fait  briller  son  érudition,  son  expérience  et  sa 
sagacité. 

Dans  tout  ce  qui  précède,  nous  nous  sommes  efforcés 
de  rendre  une  entière  justice  aux  talens  du  colonel ,  et 
nous  n'avons  dissimulé  aucun  des  avantages  que  lui  don- 
nait, sur  le  général  du  génie  ,  celui  d'avoir  commatjdé  des 
troupes. 

Revenons  maintenant  à  l'ouvrage  du  général  Rogniat  : 
on  en  prendrait  une  fausse  idée,  si  l'on  voulait  le  juger  uni- 
quement d'après  les  lieinarqiœs  critiques  du  colonel  Mar- 
bot. Ce  n'est  point  par  le  nombre  de  leurs  taches  et  de  leurs 
défauts  qu'on  doit  juger  des  ti'avaux  d'un  vrai  talent;  c'est 
par  le  nombre  et  la  valeur  de  leurs  beautés  ,  c'est  par  le 
mérite  de  l'ensemble ,  c'est  par  la  force  d'esprit  et  l'étendue 
de  conception  qu'ils  supposent  dans  leur  auteur.  Les  Cou- 
sidéralio/is  nii/ilaire.s  sont  un  ouvrage  d'un  ordre  supérieur, 
parce  qu'elles  oflVcnl  un  syslèmc  complot  d'arl  militaire, 


86  SCIENCES  PHYSIQUES. 

exposé  savamment,  écrit  avec  intérêt,  et  conçu  d'après  un 
plan  général,  sur  un  type  de  perfection  dont  il  faut  tâcher 
d'approcher  dans  la  pratique. 

Les  Remarques  du  colonel  Marbot  n'influent  point  sur 
la  théorie  et  sur  les  principes  généraux  développés  par  le 
général  Rogniat.  Souvent  même,  elles  ne  sont  relatives  qu'à 
certaines  idées  secondaires  de  chapitres  fort  importans  des 
Considérations. 

Si,  dans  ses  efforts  pour  adapter  l'institution  de  l'an- 
cienne légion  romaine  aux  troupes  modernes,  le  général  n'a 
pu  triompher  de  difficultés  d'exécution,  insurmontables  peut- 
être,  ces  mêmes  efforts,  quoique  infructueux  à  cet  égard, 
ont  pourtant  eu  cet  avantage  d'attirer  l'attention  des  mili- 
taires sur  plusieurs  vices  réels  de  l'organisation  moderne. 

Enfin,  la  publication  même  des  Remarques  critiques  doit 
être  mise  au  rang  des  services  rendus  par  la  publication 
des  Considérations  militaires. 

Indiquons  quelques-unes  des  principales  vues  du  géné- 
ral Rogniat,  passées  sous  silence  ou  légèrement  indiquées 
parle  sévère  critique.  Si  le  général  paraît  trop  mépriser  les 
exercices  réguliers  pour  les  troupes  légères ,  en  revanche 
tous  les  exercices  qu'il  demande  pour  les  former  au  service 
spécial  qu'elles  doivent  remplir  sont  d'une  extrême  impor- 
tance. Le  général  voudrait  qu'on  encourageât  toutes  les 
troupes  aux  exercices  spéciaux  qui  leur  sont  propres,  en 
distribuant  des  prix  d'adresse.  A  cet  égard,  les  idées  dû 
général  Rogniat  ont  paru  bien  appréciées ,  puisqu'on  a 
créé,  depuis  leur  publication,  un  gymnase  (  i  )  où  sont 
exercées  les  troupes  de  la  garde ,  et  puisque  M.  le  maré- 


(i)  Le  Gymnase,    dirige  par  M.  Amoios ,   place  Dupleix  ,  derrière 
l'e'cole  militaire. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  87 

chai  Gouvion-Saint-Cjr,  qui,  pendant  son  ministère,  a 
tant  fait  pour  réorganiser  l'armée ,  avait  décidé  que  tous 
les  régimens  enverraient  à  Paris  des  soldats  d'élite,  afin 
d'apprendre  les  exercices  gymnastiques. 

Une  autre  vue  éminemment  utile,  est  celle  d'habituer 
les  soldats  français  à  travailler  constamment  en  tems  de 
paix.  Les  Romains,  avec  quelques  légions,  tenaient  dans 
l'obéissance  des  contrées  d'une  immense  étendue  ;  et  les 
troupes  qu'ils  employaient  à  ce  service  trouvaient  encore 
le  tems  d'exécuter  ces  routes ,  ces  ponts,  ces  aqueducs, 
ces  monumens  d'utilité  publique  ou  de  triomphe  et  de 
gloire  qui  font  encore  notre  admiration,  après  vingt  siècles 
de  durée. 

Le  général  Rogniat  voudrait  que  les  colonels  ne  fussent 
étrangers  à  aucune  des  armes,  à  aucun  des  services  mili- 
taires. Nous  l'avouerons ,  nous  sommes  fâchés  de  voir  le 
colonel  Marbot  rejeter  entièrement  cette  idée,  pour  se 
précipiter  dans  l'extrême  opposé.  Sans  doute,  peu  d'hommes 
excellent  également  dans  beaucoup  de  parties  ;  mais,  s  i 
l'essentiel  est  d'exceller  dans  une  première,  il  n'en  est 
pas  moins  très  -  important  de  connaître  sujjinamment  tout 
ce  que  les  autres  parties  peuvent  avoir  de  rapports  néces- 
saires avec  cette  première  :  il  faut  donc  ne  pas  leur  rester 
étranger.  Ainsi  nous  persistons  à  croire  que,  dans  une  foule 
de  circonstances,  il  serait  extrêmement  utile  que  l'offlcier 
d'infanterie  ne  fût  étranger  ni  aux  effets  de  l'artillerie,  ni 
aux  travaux  du  génie  :  les  rapprochemens  devraient  être 
plus  intimes  encore  entre  les  deux  dernières  armes,  et  le 
seraient  en  effet,  si  des  préjugés  et  le  vain  orgueil  d'un 
misérable  esprit  de  corps  ne  s'opposaient  à  cette  heureuse 
communication  de  savoir,  d'expérience  et  do  lumières. 

Quant  à  l'administration  de  l'armée,  au  lieu  d'être  l'apa- 
aage  exclusif  et  mystérieux  des  intendans,  ce  devrait  être 


88  SCIENCES  PHYSIQUES. 

une  gestion  familière  à  tous  les  chefs  de  corps',  à  tous  les 
officiers  d'état-major,  à  tous  les  généraux. 

Remarquons  également  la  justesse  des  considér.itions 
présentées  par  le  général  Rogniat ,  sur  l'importance  de 
l'union  des  talens  militaires  et  des  talens  politiques  dans 
la  personne  des  généraux  appelés  à  commander  en  chef. 

Le  général  voudrait  que  les  grades  fussent  tous  distribués 
sur  les  champs  de  bataille,  en  présence' et  d'après  le  suffrage 
dés  militaires,  témoins  des  services  qui  méritent  un  avan- 
écment,  quel  qu'il  soit.  Si  31.  Je  géttéral  n'avait  jamais  que 
des  conceptions  de  cet  ordre,  îl  serait  peu  choj^é  (ce  nous 
semble)  par  les  illustres  amis  du  privilège 

Je  sortirais  des  limites  dans  lesquelles  je  dois  me  ren- 
fermer, si  j'entreprenais  d'indiquer  toutes  les  considéra- 
tions remarquables  par  leur  utilité,  par  leur  justesse  et  par 
leur  profondeur,  qui  donnent  du  prix  à  chacurie  des  par- 
ties de  l'ouvrage  du  général  Rogniat.  J'indiquerai  seule- 
ment quelques-uns  des  chapitres  les  plus  importans  par  la 
manière  savante  et  neuve  dont  ils  sont  traités. 

Le  chapitre  sûr  les  positions  et  lés  campemens,  quoique 
peu  étendu,  est  remarquable  par  la  justesse  des  idées  qu'il 
présente  :  de  l'aveu  même  du  colonel  ftlarbôt,  il  est  écrit 
et  pensé  d'une  manièie  qui  ne  laisse  rien  à  désirer. 

Le  chapitre  l'elatif  aux  retranchemens  de  campagne  , 
quoique  sujet  à  controverse  sur  quelques  points,  est  plein 
de  sagesse  et  de  raison  sur  beaucoup  d'autres  :  il  présente 
des  exemples  intéressans.  Les  préceptes  que  le  général 
donne  sur  ce  sujet  sont  le  fruit  de  l'expérience  de  son  art  ; 
expérience  acquise  dans  les  travaux  qu'il  a  fait  exécuter 
dans  ses  nombreuses  campagnes. 

Le  chapitre  des  marches  est  aussi  étendu  qu'important. 
II  présente  sur  Waterloo  des  observations  sévères  et  peu 
flatteuses  pour  Napoléon  :  c'c>t  probablement  ce  passage 


SCIENCES  PHYSIQUES.  Sr 

qui  a  excité  contre  le   général  Rogniat  l'ire  du  pribonnier 
de  Sainte-Hélène.  Voici  comment  j'ai  pu  le  savoir: 

Dans  mon  dernier  voyage  à  Londres,  un  libraire  me 
communiqua  un  manuscrit  que  madame  lacomtesse  de  jM**, 
en  revenant  de  l'île  de  Sainte-Hélène,  lui  avait  fait  remettre 
pour  le  publier  :  mais  il  hésitait,  parce  qu'il  trouvait  un 
peu  forte  la  somme  qu'on  lui  demandait  :  il  me  pria  de 
parcourir  le  manuscrit  pour  voir  s'il  valait  la  peine  d'être 
imprimé. 

Le  manuscrit  était  d'une  belle  écriture,  excessivement 
fine  et  chargée  çù  et  là  de  corrections  au  crayon,  qui  parais- 
saient être  de  la  main  de  Napoléon. 

C'était  un  recueil  d'observations  critiques  sur  divers 
ouvrages  très-marquans,  entre  autres  sur  les  Concordats 
de  M.  l'abbé  de  Pradt  et  sur  les  Considérations  du  général 
Rogniat.  Les  observations  sur  le  premier  ouvrage  m'ont 
extrêmement  frappé.  Les  observations  sur  le  second,  peu 
flatteuses  pour  le  général,  ainsi  qu'il  est  naturel  de  le  pen- 
ser, avaient  pour  but  de  démontrer  qu'il  avait  mal  jugé 
des  affaires  qui  décidèrent,  dans  les  cent  jours,  du  destin 
de  la  France.  Le  manuscrit  dont  je  parle  n'a  pas  encore 
vu  le  jour,  et  j'en  suis  étonné;  le  libraire  ne  pouvait  pas 
y  perdre. 

Le  chapitre  des  Considérations,,  relatif  aux  batailles,  a 
tout  le  développement  que  comporte  un  tel  sujet;  il  con- 
tient l'analyse  de  nos  plus  célèbres  batailles  :  Eylau,  Jena, 
Wiigram,  Bautzen,  où  nous  avons  remporté  la  victoire  par 
une  attaque  simultanée  de  front  et  de  flanc.  Le  général 
explique,  avec  non  moins  de  talent,  la  cause  de  nos  succès 
et  de  nos  désastres  dans  la  campagne  de  Dresde  et  de 
Leipzick.  Ensuite  il  passe  aux  batailles  de  l'infanterie 
contre  la  cavalerie,  et  montre  les  causes  des  avantages  des 
Français  contre  les  mamducks,  et  de  la  perte  des  Romains 


90  SCIENCES  PHYSIQUES. 

sous  Crassus  contre  les  Parthes;  perte  évitée  par  Antoine, 
dans  les  mêmes  circonstances  et  contre  le  même  ennemi, 
par  un  ordre  de  marche  et  de  combat  analogue  à  celui  de 
l'armée  française  en  Egypte.  De  pareils  rapproebemens 
sont  la  vraie  philosophie  de  l'art  militaire. 

Le  chapitre  relatif  à  la  métaphysique  de  la  guerre,  ou 
l'art  d'inspirer  du  courage  aux  troupes ,  présente ,  sur 
les  effets  des  passions,  des  observations  qui  montrent 
beaucoup  de  connaissance  du  cœur  humain.  Mais  nous 
devons  nous  ranger  à  l'opinion  du  colonel  Marbot,  pour 
repousser  l'injuste  assertion  du  général  Rogniat,  lorsqu'il 
dit:  Je  passe  sous  silence  la  gloire  ^  les  soldats  entendent 
trop  rarement  son  langage  pour  qu'elle  ait  de  l'influence 
sur  leur  courage. 

C'est,  au  contraire,  avec  le  sentiment  de  la  gloire,  que 
nos  plus  grands  généraux  ont  élevé  jusqu'à  l'héroïsme  la 
valeur  de  leurs  soldats:  c'est  en  leur  retraçant  leurs  pre- 
miers exploits,  la  renommée  qu'ils  ont  acquise,  et  celle 
qui  les  attend,  qu'ils  ont  embrasé  le  cœur  des  soldats 
d'une  ardeur  à  laquelle  nos  ennemis  n'ont  jamais  pu 
résister. 

Citons  enfin  les  deux  derniers,  et  peut-être  les  deux  plus 
beaux  chapitres  de  l'ouvrage  du  général  Rogniat,  ceux  qui 
traitent  des  grandes  opérations  de  la  guerre  offensive  en 
Europe,  et  surtout  de  la  guerre  défensive.  Nous  ne  pou- 
vons qu'y  renvoyer  nos  lecteurs,  parce  que  nous  serions 
jetés  beaucoup  trop  loin  par  une  analyse  où  nous  essaie- 
rions d'en  montrer  et  les  légères  taches  et  les  nombreuses 
beautés. 

Charles  Dcpin,  membre  de  l'Institut. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  91 


tA/l^Wl^VVWWWlWV 


ATLAS  GÉNÉRAL  DE  L'HISTOIRE  DE  FRANCE  : 

I.  Atlas  géographique  ,    historique  ,  politique    et 

ADMINISTRATIF  DE  LA  FrANCE  ,   COmpOSC  clô  48   Cai'tôS 

environ,  sur  lesquelles  sont  tracées  les  limites  et  divi- 
sion^ ecclésiastiques  ,  civiles ,  militaires ,  judiciaires 
et  adm,inistratives  de  la  France,  aux  principales 
époques  de  son  histoire  ,  avant  et  depuis  l'établisse- 
ment de  la  monarchie  dans  les  Gaules  jusqu'en  1820; 
par  H.  Brué  ,  géographe  de  S.  A.  R.  Monsieur,  et 
auteur  de  la  collection  des  cartes  encyprolypes  des 
cinq  parties  du  monde.  Cet  atlas  est  précédé  d'un 
texte  offrant  un  Précis  de  la  géographie  historique , 
politique  et  administrative  de  la  France,  depuis  les 
premières  époques  connues  jusqu'à  nos  jours,  et  d'une 
analyse  raisonnée  des  cartes,  par  M.  Guadet  (1). 

II.  Atlas  des  monumeas  des  arts  libéraux,  mécaniques 
et  industriels  de  la  France^  précédé  d'un  Précis  de 
L'histoire  générale  des  arts ,  des  sciences,  des  lettres. 


(1)  Paris,  1821.  Desray,  rue  Hautefcuille,  n"  4. — Conditions  de  la 
souscription.  Les  quatre  premières  livraisons  de  chaque  atlas  sont 
déjà  en  vente ,  et  il  paraîtra,  tous  les  mois,  alternativement,  une 
livraison  de  l'un  ou  de  l'autre  des  deux  allas  ci-dessus.  Pour  les  per- 
sonnes qui  se  seront  engagées  à  retirer  et  à  payer  successivement  toutes 
les  livraisons  ,  à  mesure  de  leur  publication  ,  et  qui  feront  payer  d'a- 
vance la  dernière  livraison  à  paraître  ,  le  prix  sera  de  i5  fr.  Après  la 
publication  de  la  sixième  livraison,  on  ne  sera  plus  admis  à  souscrire  j 
lé  prix  de  chaque  livraison  sera  alors  de  18  fr.  Les  livraisons  de  chaque 
atlas  ue  pouvant  pas  être  expe'die'es  par  la  posic  ,  à  cause  de  la  gran- 
deur du  format ,  cliaque  souscripteur  est  prié  d'iiuliquer  par  quelle 
voie  elles  devront  lui  parvenir. 


92  SCIENCES  PHYSIQUES. 

des  mœurs  en  France,  et  de.  la  vie  privée  des  Fran- 
çais, depuis  les  premiers  tetns  jusqu'à  nos  jours ,  et 
accompagnée  d'une  analyse  critique  etraisonnée  des 
planches;  par  M.  le  chevalier  Alexandre  Lenoir  , 
créateur  et  ancien  conservateur  du  musée  des  monu- 
mens  français  ,  administrateur  des  monumens  de 
l'église  royale  de  Saint-Denis ,  membre  de  plusieurs 
sociétés  savantes  ,  nationales  et  étrangères. 

La  géographie  peut  être  considérée  sous  deux  points  de 
vue  principaux;  on  peut  l'envisager  comme  offrant  sim- 
plement la  connaissance  du  globe  que  nous  habitons  >  ou 
bien  dans  ses  rapports  avec  l'histoire  de  tous  les  siècles  et 
de  tous  les  pays. 

Sous  le  premier  aspect,  la  géographie  a  été  traitée  parmi 
nous  avec  succès ,  quoique  cette  branche  de  nos  connais- 
sances soit  peut-être  encore  bien  éloignée  du  but  qu'elle 
peut  atteindre  un  jour.  II  n'en  est  pas  de  même  de  la^é^o- 
graphie  historique  on  politique,  c'est-à-dire  de  cette  partie 
de  la  science  qui  consiste,  suivant  les  expressions  mêmes 
de  M.  Guadet,  auteur  du  Précis  géographique  joint  à  l'atlas 
auquel  cet  article  est  consacré,  «  dans  une  espèce  d'histoire 
descriptive  d'une  nation,  qui  présente  les  diverses  vicissi- 
tudes de  son  territoire,  ses  limites,  ses  divisions  administra- 
tives, aux  différentes  époques,  et  les  changemens  amenés 
par  les  siècles,  dans  son  existence  civile  et  politique.»  La 
géographie  historique  est  une  science  à  créer;  espérons  que 
les  auteurs  de  l'ouvrage  dont  il  s'agit  auront  ouvert  une 
route  qu'on  pourra  parcourir  avec  succès.  Nous  convien- 
drons, en  effet,  avec  eux  que^  lorsqu'on  médite  surl'étendue 
et  sur  l'importance  de  cette  partie  de  la  science,  on  a  peine 
à  concevoir  l'espèce  d'oubli  dans  lequel  elle  est  restée. 
L'histoire  surtout  pourrait  en  retirer  de  grands  avantages. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  93 

L'étude  de  l'histoire,  combinée  avec  celle  de  la  géographie, 
■deviendrait  à  la  fois  plus  facile,  plus  agréable  et  plus  instruc- 
tive.» Sans  les  secours  que  la  géographie  ainsi  dirigée  four- 
nit à  l'histoire,  les  tableaux  historiques  ressemblent,  dit 
notre  auteur,  à  des  peintures  d'une  belle  ordonnance,  mais 
qui  manquent  de  lumière  ;  la  mémoire  s'égare  alors  dans 
un  chaos  de  faits  et  de  dates  qui  n'offrent  aucun  résultat 
satisfaisant.  «  Au  moyen  de  ces  secours,  au  contraire,  tout 
se  fixe  avec  ordre  dans  l'esprit.  La  géographie  fait  voir , 
en  quelque  sorte,  le  lieu  qui  fut  le  théâtre  de  l'événement 
décrit  par  l'histoire  ;  et  l'une  et  l'autre,  en  s'aidant  mu- 
tuellement, laissent  une  instruction  solide  et  des  traces 
durables.  Ces  considérations  suffisent  pour  faire  apprécier 
les  services  rendus  par  les  auteurs  du  travail  que  nous 
annonçons.  Voici  le  plan  qu'ils  se  sont  tracé  et  qu'ils  ont 
fidèlement  suivi  : 

Pour  mettre  à  même  de  parcourir  les  différens  âges 
de  l'histoire  de  France,  ils  ont  dressé  une  collection  de 
cartes  qui  représentent  le  berceau,  les  progrès,  les  vicis- 
situdes de  la  monarchie,  qui  fixent,  à  chaque  époque,  ses 
limites  et  ses  divisions  politiques  et  administratives ,  qui 
offrent  le  théâtre  des  guerres  mémorables,  civiles  qu  étran- 
gères, qui  rappellent  enfin  tout  ce  qui  mérite  de  fixer  l'at- 
tention. On  voit  qu'un  pareil  ouvrage  doit  offrir  d'utiles 
secours,  surtout  à  ceux  qui  veulent  étudier  les  époques  de 
notre  histoire  marquées  par  de  grands  bouleversemens,  et 
qui  aiment  à  suivre  les  démembremens  opérés  sous  les  deux 
premières  races ,  la  création,  la  réunion  ou  l'incorporation 
au  domaine  royj»!  de  tous  ces  petits  états  entre  lesquels  fut 
partagé  le  territoire  de  la  France  à  la  fin  delà  seconde  et  au 
commencement  de  la  troisièmerace.  Ces  cartes,  dontlemé- 
rite  paraît  garanti  par  l'C  nom  de  M.  Brué,  sontaccompagnées 
d'un  Précis  de  la  géographie  historique  et  politique  de  Ja 


U  SCIENCES  PHYSIQUES. 

France,  dans  lequel  M.  Guadet  a  retracé  rapidement  les 
diverses  vicissitudes  de  la  monarchie,  ses  limites  et  ses  divi- 
sions politiques,  avant  et  depuis  son  établissement  dans  les 
Gaules,  jusqu'à  la  paix  générale  en  i8i5. 

Cet  ouvrage  est  publié  par  livraisons  de  quatre  cartes;  les 
quatre  premières  livraisons  ont  été  présentées  au  roi,  qui 
a  bien  voulu  accepter  la   dédicace   de  l'ouvrage,  et  faire 
souscrire  pour  chacune  de  ses  bibliothèques.  Les  livraisons 
suivantes   seront   publiées   incessamment;    car    l'éditeur 
possède  déjà  les  cartes  qui  doivent  former  les  5' ,  6^  et  y'. 
Aujourd'hui,  nous  nous  bornons  à  parler  de  celles  qui  sont 
entre  les  mains  des  souscripteurs,  et  qui  sont  toutes  d'un 
grand  intérêt,  autant  par  leur  exécution  que  par  le  choix 
des  époques   auxquelles  elles  se  rapportent;  nous  avons 
surtout  remarqué  celles  qui  présentent  l'empire  de  Char- 
lemagne ,  l'origine  des  grands  fiefs  et  l'itinéraire  des    di- 
verses expéditions  des  croisés  ;  ce  sont  les  8%  ii*  et  i3"  de 
l'ouvrage.  Chaque  carte  a  été  l'objet  d'un  travail  particu- 
lier, qui  a  d'abord  été  fait  sur  les  actes  et  sur   les   monu- 
mens  publics,    tels  que  les  traités,   les    chartes,    les  di- 
plômes, et  sur  les  ouvrages  contemporains,  ou  du  moins  sur 
les  écrits  qui  se  rapprochent  le  plus  de  l'époque  qu'il  fallait 
traiter.  Les  auteurs  ont  ensuite  consulté  les  écrivains  mo- 
dernes, soit  pour  profiter  de  leurs  réflexions,  soit  pour  mo- 
difier leur  premier  travail,  quand  ils  l'ont  jugé  nécessaire. 
Telle   a    été  la  marche  suivie   pour  chaque  carte.  Nous 
croyons  inutile  de  rien  ajouter  sur  le  mérite  et  l'utilité  d^e 
cette  collection,  que  l'on  peut  regarder  comme  la  seule  de 
cette  espèce;  car  le  petit  atlas  dressé,  d'après  un  plan  ana- 
logue, par  Hizzi  Zanoni,  n'est  qu'un  essai  très-imparfait.. 
Les  tableaux,  d'ailleurs  très-utiles,  de  V Atkis  historique^ 
généalogigue,  chronologique  et  gèognq^hiqueàe  M.  le  Sage, 
qui  embrasse  le  monde  entier,  sont  presque  tous  trop  com- 


SCIENCES  PHYSIQUES.  95 

pliqués,  et  par  cela  même  un  peu  confus  (i).  Nos  auteurs 
sont  parvenus,  dans  les  livraisons  qu'ils  ont  déjà  publiées, 

(i)  Nous  aimons  à  rappeler  ici  un  ouvrage  que  les  instituteurs  et  les 
professeurs  d'histoire  pourront  consulter  et  employer  avec  fruit ,  pour 
donner  graduellement  une  soi'te  i'iniuilion  ou  de  vue  ge'ne'rale  et 
distincte  des  faits  liisloriques  qui  doivent,  pour  ainsi  dire,  naître  et 
se  de'velopper  sous  les  yeux  de  leurs  e'ièves.  Cet  ouvrage  est  le  Cours 
DES  TÊM5  ,  ou  Tableau  de  l'histoire  universelle  ,  depuis  l'anti- 
quité la  plus  reculée  jusqu'à  nos  jours,  d'a]>rùs  la  carte  chronologique 
de  Frédéric  Strass,  professeur  d'histoire  à  Berlin.  Ce  tableau, 
publié  en  allemand  et  traduit  en  français,  présente  sous  un  seul  point 
de  vue  l'ensemble  des  tems  historiques.  On  voit  les  nations,  dont 
l'origine  connue  est  la  plus  reculée  ,  sortir  d'un  amas  d'épais  nuages, 
qui  représente  la  nuit  obscure  des  tems  primitifs  et  les  ténèbres,  dont 
les  premières  époques  de  l'histoire  sont  enveloppées.  Chaque  nation , 
distinguée  par  une  couleur  différente  ,  forme  luie  espèce  de  fleuve, 
dont  le  cours  s'élargit  ou  se  rétrécit  horizontalement  et  se  prolonge 
plus  ou  moins,  suivant  l'étendue  de  sa  domination  dans  une  époque 
déterminée,  ou  la  durée  de  son  existence  dans  la  suite  des  siècles.  On 
voit  ces  dlfférens  fleuves,  dont  plusieurs  ont  commencé  par  être  de 
simples  ruisseaux,  se  mêler  et  se  perdre  tour  à  tour  les  uns  dans  les 
autres  ,  ou  se  séparer  et  reprendre  une  direction  particidière ,  à  mesure 
que  les  peuples  qu'ils  représentent  se  trouvent  soumis  à  l'influence 
d'une  nation  dominatrice  et  confondus  avec  elle  ,  ou  appelés  à  jouir 
d'une  existence  indépendante  et  à  se  gouverner  par  leurs  propres  lois. 
Une  échelle  chronologique,  qui  descend  verticalement  des  deux  côtés 
du  tableau,  permet  de  suivre  le  cours  des  tems  pour  chaque  nation, 
<3e.  rapprocher  et  de  comparer  les  nations  entre  elles  ,  de  voir  sur  le 
champ  les  peuples  ,  les  rois  et  les  grands  hommes  qui  ont  vécu  contem- 
porains. Une  colonne  particulière,  placée  à  droite  et  correspondant  à 
l'éclielle  chronologique,  présente,  pour  cliaque  siècle,  les  noms  de 
quelques  liommes  distingués  qui  ont  bien  mérité  de  l'iiumanitéj  les 
inventions,  les  découvertes  et  les  progiès  delà  civilisation.  La  seule 
inspecllon  de  ce  tal)lcau  fait  naître  uue  foule  de  réflexions  sur  les 
époques  plus  ou  moins  mémorables,  sur  les  nations  plus  ou  moins 
riches  et  fécondes  en  grands  liommes  et  en  grands  événemens,  sur  les 
personnages  célèbres  qui  oit  exercé  une  influence  salutaire  ou  nulsil)!c, 


9G  SCIENCES  PHYSIQUES. 

à  débrouiller  les  époques  de  notre  histoire  les  plus  obscures , 
et  qui  par  conséquent  exigeaient  le  plus  de  travail  et  de 
soins;  ils  ont  franchi  les  limites  du  moyen  âge,  où  l'Europe 
plongée  dans  la  barbarie  pouvait  à  peine  nous  transmettre 
les  révolutions  nombreuses,  les  violentes  et  continuelles  se- 
cousses dont  elle  était  agitée,  de  ce  tems  que  les  monumens 
nous  font  à  peine  connaître,  et  pour  lequel  les  historiens 
sont  obligés  de  recueillir  laborieusement  çà  et  là  les  ma- 
tériaux épars  dont  ils  veulent  former  un  ensemble  régulier. 
L^ Atlas  des  monumens  de  la  France .^  publié  par  les 
mêmes  éditeurs,  et  dans  le  même  format,  nous  fournira 
le  sujet  d'un  second  extrait.  J. 

durable  ou  momentanée,  sur  la  marche  de  l'esprit  humain,  quelquefois 
progressive  et  rapide  dans  les  tems  de  lumières  et  de  civilisation  , 
quelquefois  slationnaire  ,  souvent  rétrograde  dans  les  tems  de  despo- 
tisme et  de  barbarie  ,  et  soumise  à  de  fréquentes  vicissitudes  ,  dont 
l'observateur  philosoplie  et  ami  des  hommes  se  plaîtà  rechercher  et  à 
fixer  les  véritables  causes. —  Voyez  (dans  l'ouvrage  intitulé  :  Esprit  de 
la  métJiode  d' éducation  de  Pestalozzi  ,  etc.,  \^nvM.  3Iarc-^ntoine 
JuLLiEN,  2  vol.  in-8".  Milan,  1812.  Tom.  II,  pag.  226)  le  cliapitre 
de  V Enseignement  de  [^histoire  et  de  la  chronologie ,  comprenant, 
d'après  la  méthode  de  Pestalozzi,  trois  parties  distinctes  :  1°  Tins  trac- 
tion élémentaire  et  préparatoire  ;  2°  l'instruction  positive  et  spéciale  ; 
?)°  l'instruction  chronologique  el  sjnchronistique ,  qui  présente  d'a- 
bord la  suite  des  évéuemens  ,  d'après  la  succest.ion  des  tems ,  puis 
l'ensemble  des  peuples  ,  des  personnages  et  des  faits  historiques  ,  qui 
appartiennent  au  même  tems  dans  chaque  période. 

M.   A.  J. 


SCIENCES  iMORALES   ET  POLITIQUES. 

Histoire  complIîte  des  voyages  et  découvertes  en 
Afrique  ,  depuis  les  siècles  les  plus  reculés  jusqu'à 
710S  jours;  par  le  docteur  Leyoen  et  M.  IIugii 
MuRRAY  ;  traduit  de  l'anglais  et  augmenté  de  toutes  les 
découvertes  faites  jusqu'à  ce  jour;  par  M.  A.  C  (i). 

Cu  n'est  pas  dans  un  recueil  tel  que  celui-ci,  destiné 
à  rapprocher  les  hommes  entre  eux  par  le  commerce 
paisible  des  idées,  et  ù  fonder  sur  l'instruction  la  bienveil- 
lance universelle,  qu'on  doit  s'attendre  à  trouver  un  éloge 
des  conquêtes,  fléaux  des  sciences  et  de  l'humanité.  Mais, 
puisque  les  jeux  de  la  fortune  ont  voulu  qu'i  la  fin  du 
dix-huitième  siècle  et  au  commencement  du  dix-neuvième, 
deux  grandes  puissances  européennes  aient  tourmenté  de 
leur  ambition  les  continens  et  les  mers,  nous  nous  félici- 
tons de  ce  que  les  vives  lumières  répandues  dans  leur  sein 
ont  du  moins  tempéré  les  ravages  de  la  guerre,  et  déposé 
chez  les  peuples  vaincus  les  germes  précieux  de  l'émula- 
tion et  de  l'industrie.  Ces  bienfaisantes  importatiohs  ont 
pénétré  aujourd'hui  les  contrées  les  plus  sauvages  ou  les 
plus  dégénérées.  Grâce  aux  intimes  communications  des 
Européens,  l'Amérique  a  des  constitutions,  l'Asie  des 
presses,  et  l'Afrique  elle-même  ,l 'inculte  et  barbare  Afrique 
permet  insensiblement  aux  jouissances  sociales  de  soula- 
ger sa  misère  et  d'adoucir  sa  férocité. 

Plus  qu'aucune  autre  partie  du  monde,  elle  semble  de 
nos  jours  attirer  les  pas  et  occuper  les  récits  des  voyageurs 


(i)  Paris,  1821.  4  vol.  iii-3",  avec  un  atlas  in-4".   Artlius  Bertiand, 
rue  llniilcfcuillo,  n"  25.  Pris  .  ,it  f • .  ,  rt,  franc  dopoi  t,  3fî  fr. 
ÏO.ME  X.  7 


98  SCIENCES  MORALES 

aveuliueux.  Ce  vaste  continent,  placé  tout  près  de  notre 
Europe,    et  dont  l'intérieur  n'a  jamais  été   connu,  pro- 
voque  leur  intérêt,    irrite  leur  curiosité.    Depuis   que  la 
brillante  expédition  française  a,  pour  ainsi  dire,  changé 
la  face  de  l'Egypte,  et  reveillé  les  pachas  de  leur  stupide 
engourdisssment;  depuis  que  l'activité  britannique  ouvre 
il  la  colonie   du    cap    de-Bonne-Espérance    de   nouvelles 
sources  de  prospérités,  un  ardent  désir  s'allume  parmi  les 
courageux   navigateurs ,  d'aller  tenter  les  routes  de  l'oc- 
cident et  du  centre,  pour  en  rapporter  des  découvertes 
sur  lesquelles  puissent  se  diriger  de  vastes  entreprises  et 
s'asseoir  de  grands  établissemens.  Plusieurs  ouvrages,  pu- 
bliés depuis  peu ,  et  dont  les  plus  importans  ont  déjà  fixé 
notre  attention,  ont  pour  objet  de  faire  connaître  les  expédi- 
tions de  ces  hommes  dignes  de  tant  d'intérêt  et  de  recon- 
naissance ;  mais  aucun  n'est  tracé  sur  un  plan  aussi  étendu 
et  aussi  régulier,  et  ne  promet   des  détails  aussi  complets 
que  celui  de  MM.  Leyden  et  Murray.  Ce  sont  toutes  les 
parties  explorées  de  l'Afrique  qu'ils  se  proposent  de  nous 
faire  connaître ,  en  classant  les  relations   selon  les  divi- 
sions géographiques,  et  en  remontant  jusqu'aux  premières 
tentatives  des  anciens,  dans  ces  redoutables  contrées;  de 
sorte  que  tous  les  tems,  comme  tous  les  lieux  de  l'Afrique, 
sont  mis  sous  nos  regards. 

Si  nous  interrogeons  sur  ce  sujet  l'antiquité,  nous  trou- 
vons qu'il  est  parlé  dans  la  Bible  de  vaisseaux  juifs  et 
tyriens  qui  commerçaient,  de  compagnie ,  avec  les  villes 
de  Tharsis  et  d'Ophir,  et  en  rapportaient  de  grandes  ri- 
chesses à  David  et  à  Salomon.  On  suppose  que  ces  villes 
étaient  situées  sur  la  rive  orientale  de  l'Afrique;  on  n'en  sait 
rien  de  plus,  ce  n'est  pas  dans  les  livres  juifs  qu'il  faut 
étudier  l'histoire.  Les  royaumes  et  les  rois  dont  ils  parlent 
ne  s'accordent  guère  plus  avec  les  annales  des  peuples  que 


KT  POLITIQUES. 

ceux  des  romans  de  la  lablc  ronde.  Ces  voyages  de  l'har- 
sis  et  d'Ophir  ne  doivent  donc  pas  nous  occuper. 

C'est  à  tort  que  MM.  Leydcn  et  Murray  les  mentionnent 
comnne  les  plus  anciens  dont  la  mémoire  ait  été  conservée. 
L'expédition  des  Argonautes  leur  est  de  beaucoup  anté- 
rieure; tout  porte  à  croire  qu'elle  fut  réelle;  mais  l'objet 
ni  les  détails  n'en  ont  aucune  certitude,  et  la  route  que 
suivirent  à  leur  retour  ces  hardis  aventuriers  a  donné  lieu 
à  de  nombreuses  conjectures,  dans  lesquelles  il  est  assez 
inutile  de  se  jeter.  L'importance  historique  de  ce  voyage 
tient  surtout  à  un  point  étranger  à  la  navigation.  On  peut 
induire  du  lieu  où  lut  construit  le  navire  Argo,  des  héros 
thessaliens  qui  le  montaient  et  du  devin  Orphée  qui  faisait 
partie  de  l'équipage ,  que  la  civilisation  des  contrées  sep- 
tentrionales de  la  Grèce  était  déjà  fort  avancée,  lorsque 
le  midi  en  fut  peuplé  par  des  colonies  asiatiques,  et  il  est 
facile  de  tirer  de  là  des  éclaircissemens  sur  plusieurs  points 
importans  de  l'histoire  et  de  la  mythologie  des  Grecs. 

La  première  entreprise  nautique  qui  mérite  véritable- 
ment d'être  citée,  est  celle  des  Phéniciens  qui,  sous  INicos, 
roi  d'Egypte ,  firent  le  tour  de  l'Afrique  et  franchirent  les 
colonnes  d'Hercule,  six  siècles  avant  Jésus-Christ,  Ils 
s'embarquèrent  sur  la  mer  Rouge,  entrèrent  dans  la  partie 
de  l'Océan  qui  baigne  les  côtes  orientales  de  l'Afrique;  et, 
comme  ils  n'osaient  pas  tenir  la  mer  dans  la  mauvaise 
saison,  ils  s'arrêtaient,  en  automne,  sur  les  terres  auprès 
desquelles  ils  se  trouvaient,  les  ensemençaient,  recueil- 
laient le  grain  l'année  suivante,  et  se  rembarquaient  après- 
la  moisson.  Cette  manière  de  voyager  sur  mer  est  sans 
doute  moins  habile  et  moins  expéditivc  que  la  nôtre;  mais 
<'lle  pourra  sembler  plus  mervcilleus-e  encore,  si  Ton 
réfléchit  aux  faibles  moyens  et  aux  secours  imparfaits  avec 
lesquels  les  Phéniciens  osèrent  entreprendre   citle  expé- 


100  SCIENCES  MORALES 

(litiuu.  Aussi  de  savans  géographes,  au  nombre  desquels  est 
M.  Gosselin,  en  ont-ils  révoqué  en  doute  la  réalité;  et  le 
témoignage  d'Hérodote,  qui  n'est  guère  moins  le  père  des 
labiés  que  celui  de  l'histoire,  ne  me  suffirait  pas  pour  contre- 
balancer leur  opinion  ,  sans  une  circonstance  qu'il  rap- 
porte, et  qui  est  fort  remarquable.  Hérodote  nous  dit  que 
les  Phéniciens,  à  leur  retour  en  Egypte  par  l'Océan,  ra- 
contèrent qu'en  doublant  l'Afrique  ,  ils  avaient  eu  le  soleil 
à  leur  droite.  Ce  fait  auquel  Hérodote  ne  pouvait  croire, 
et  qui  cependant  marque  le  récit  des  Phéniciens  du  sceau 
de  la  vérité,  combat  avec  avantage  les  doutes  qui  se  sont 
élevés  sur  leur  périple. 

Long-tems  après  eux,  sous  Ptolémée  Evergètes,  un 
simple  particulier  sans  appui,  et  même  en  butte  à  la  per- 
sécution ,  Eudoxe  de  Cyzique  (  que  la  Biographie  univer- 
selle a  oublié  ),  se  distingua  par  une  entreprise  hardie.  Le 
hasard  amena  dans  Alexandrie,  pendant  qu'il  s'y  trouvait, 
un  Indien  qui  avait  été  jeté  à  la  côte  au  fond  du  golfe  ara- 
bique. Cet  homme  s'offrit  à  montrer  la  route  navale  de 
rindc  aux  vaisseaux  égyptiens.  Une  telle  entreprise  con- 
venait au  génie  aventureux  d'Eudoxe;  le  roi  lui  en  confia 
la  direction.  Eudoxe  revint  chargé  de  la  dépouille  des  ri- 
vières et  des  mines,  d'aromates,  de  pierres  précieuses  et 
d'autres  richesses,  qu 'Evergètes  s'appropria  en  totalité.  Le 
Christophe- Colomb  des  anciens  devait,  comme  le  mo- 
derne, éprouver  l'ingratitude  des  rois. 

Sous  le  règne  de  Cléopâtre,  veuve  d'Evergètes,  il  re- 
partit pour  la  même  destination.  Les  vents  le  portèrent  sur 
les  côtes  orientales  de  l'Afrique;  il  y  débarqua  plusieurs 
.  fois ,  et  communiqua  fréquemment  avec  les  naturels  du 
pays,  qu'il  se  conciliait  par  des  présens. 

Ce  voyage  lui  ayant  inspiré  le  désir  de  faire  le  tour  du 
continent  africain,  il  retourna  chez  lui  après  avoir  échappé 


I 


ET  POLITIQIES.  101 

aMxperséculioiis  île  Ptolômée  Lathyre,  réalisa  sa  foiliino,  et 
leula  de  nouvelles  aventures.  Positlonius  raconte  qu'il  visita 
Marseille  et  d'autres  ports  célèbres  de  la  Méditerranée,  et 
se  rendit  à  Cadix,  ville  déjà  très-commerçante,  où  ses 
projets  d'ouvrir  une  nouvelle  route  à  la  navigation  ne  pou- 
vaient manquer  d'être  accueillis  avec  le  plus  vif  intérêt. 
Secondé  par  d'autres  hommes  entreprenans,  il  équipa  trois 
vaisseaux  avec  une  magnificence  presque  royale.  Il  em- 
barqua non  seulement  des  provisions  et  des  marchandises, 
mais  des  médecins  ,  des  savans  des  artisans  et  une  troupe 
nombreuse  de  musiciens.  Mais  bientôt  l'indiscipline  de  son 
équipage  le  fit  toucher  sur  un  banc  de  sable,  d'où  il  ne  put 
être  dégagé.  On  parvint  ù  sauver  la  cargaison,  et  même 
une  partie  de  la  charpente.  Eudoxe  en  fit  construire  une 
barque,  du  port  d'un  navire  à  trente  rames.  Ayant  repris 
son  voyage,  il  finit  par  rencontrer  des  peuplades  qui  par- 
laient le  même  langage  queleahabilansdes  côtes  orientales, 
et  qui  lui  semblaient  appartenir  à  la  race  mauritanienne. 
La  petitesse  de  son  navire  ne  lui  permit  pas  d'aller  plus 
loin. 

Il  olTrit  ses  services  à  Jocchus,  roi  de  Mauritanie,  qui 
les  accepta  d'abord  avec  joie,  mais  qui,  prévenu,  bientôt 
contre  lui,  venait  de  donner  l'ordre  secret  que,  durant  la 
traversée,  il  lût  jeté  dans  quelque  île  déserte,  lorsque 
Eudoxe ,  averti  à  tcms,  parvint  à  se  sauver  et  à  retourner  en 
Espagne.  Là,  ce  navigateur  infatigable  prépara  une  nou- 
velle expédition  moins  considéral)le  que  la  première,  mais 
mieux  appropriée  au  but  de  son  voyage.  Strabon  ,  de  qui 
nous  tenons  ces  détails,  en  reste  là  ,  et  ne  nous  donne  au- 
cune lumière  sur  les  aventures  uîtérieures  d'Eudoxe,  ni 
sur  sa  fin,  probablement  malheureuse. 

La  navigation  d'Hannon ,  dans  le  double  but  d'établir 
des  colonies  et  de  faire  des  découvertes  sur  les  côtes  d'A- 


102  SCIENCES  xMORALES 

friijiic ,  et  les  expédilions  de  Cainbyse  et  d'Alexandre  dans 
I  intérieur  de  l'Ethiopie  sont  des  événemens  trop  connns 
pour  qu'il  soit  nécessaire  de  s'y  arrêter.  Passons  aux 
voyages  africains  du  moyen  âge. 

«  A  la  décadence  de  l'empire  romain,  une  nouvelle 
puissance  s'éleva,  qui  changea  totalement  l'aspect  du  con- 
tinent africain.  Les  Arabes  reculèrent  jusqu'à  l'Océan  les 
bornes  de  leur  empire,  dont  l'Afrique  septentrionale  devint 
une  des  grandes  divisions  ;  ce  peuple  remarquable ,  accou- 
tumé, dans  sa  patrie,auxdései'ts,  àla  sobriété,  aux  fatigues, 
à  toutes  les  manières  de  voyager  par  terre,  semblait  fait 
pour  surmonter  les  obstacles  de  toute  espèce  que  la  nature 
avait  semés  sur  le  sol  de  l'Afrique.  » 

L'Afrique  les  intéressait  spécialement  par  ses  esclaves 
et  par  son  or  non  déguisé.  La  première  route  qu'ils  s'y 
ouvrirent  paraît  avoir  été  celle  du  Fezzan,  que  la  caravane 
de  Cassina  suit  encore  pour  profiter  des  oasis  qui  coupent 
àc  ce  côté  l'immense  largeur  du  désert,  te  désert  franchi, 
les  Arabes  trouvèrent  une  contrée  dont  la  beauté  et  la 
fertilité  les  charmèrent  d'autant  plus,  qu'ils  avaient  con- 
sumé plus  de  tems  et  de  fatigues  pour  y  parvenir.  Les 
colons  n'y  manquèrent  pas.  «  Ceux  qui  se  dérobèrent  par 
la  fuite  aux  armes  victorieuses  des  Sarrasins,  ceux  qui 
succombèrent  dans  les  querelles  intestines,  causes  de  la 
chute  du  califat,  cherchèrent  également  un  asile  et  une 
patrie  nouvelle  au  fond  de  ce  vaste  continent.  On  ne  peut 
assigner  l'époque  précise  de  ces  émigrations.  Mais  il  paraît 
incontestable  que,  du  dixième  au  onzième  siècle,  il  s'éleva, 
sur  les  rives  du  Niger,  plusieurs  royaumes  dont  les  Maho- 
métans  formèrent  la  principale  et  dominante  population.  » 
Celte  même  époque  fut  certainement  celle  de  beaucoup 
d'expéditions  particulières  entreprises  parles  Arabes,  dans 
l'espoir   des  découvertes  ;  malhcurcusemen.t  les    relations 


i;t  politiques.  103 

en  sont  perdues  ou  ignorées  de  nous.  Ce  qu'on  sait  seule- 
ment, c'est  que  les  Arabes  ont  pénétré  plus  avant  dans 
l'Afrique  que  n'avaient  fait  les  Grecs  et  les  Romains,  et 
qu'ils  connaissaient  mieux  l'intérieur  de  cette  partie  du 
globe  que  nous  ne  le  connaissons  même  aujourd'hui. 

Une  tradition  curieuse,  consignée  par  Schéhabeddin, 
dans  son  Livre  des  perles  ,  fait  descendre  des  Amalécites 
les  Berbers^  aborigènes  de  la  côte  septentrionale  d'Afrique. 
Ce  fut,  dit-on,  Afrikis,  prince  hémyarite,  qui,  par  l'ordre 
de  David,  les  transféra  dans  ces  lointaines  contrées.  Leur 
chef,  les  voyant  mécontens ,  dit  :  «  Ces  Cananéens  mur- 
murent (/>'e/Z>e77zaj  de  ce  que  je  les  ai  fait  passer  d'une  terre 
stérile  dans  un  lieu  d'abondance»  ;  de  là  leur  vint  le  nom 
de  Berbers ,  et  au  pays  celui  d'Afrikia. 

Cette  tradition  n'est  pas  sans  vraisemblance.  Il  est  cer- 
tain que,  dès  les  tems  les  plus  reculés,  l'Afrique  fut  peuplée 
par  l'Asie.  Les  Ethiopiens,  les  Egyptiens  même  ont  une 
origine  primitivement  asiatique;  et  je  ne  comprends  pas 
des  critiques  aussi  éclairés  que  paraissentl'être  MM.  Leyden 
et  Murray,  lorsque,  sur  la  foi  d'Hérodote,  ils  font  remonter 
la  civilisation  et  les  lumières  d'Egypte  en  Ethiopie,  tandis 
qu'évidemment  elles  sont  descendues  d'Ethiopie  en  Egypte. 
Comment  n'ont-ils  pas  vu,  sur  ce  point  comme  sur  beau- 
coup d'autres  ,  qu'Hérodote  a  été  induit  en  erreur  par  la 
vanité  des  prêtres  égyptiens? 

Nous  possédons,  par  les  soins  de  M.  Kosegarten,  pro- 
fesseur à  Jéna,  l'intéressante  relation  du  voyage  que  flt  en 
Afrique,  au  quatrième  siècle,  Ebn  Batonta  de  Tanger,  autre 
personnage  remarquable  dont  la  Bio^rapJiie  universelle  ne 
fait  pas  mention.  Il  raconte  que,  s'élant  proposé  de  visiter 
l'intérieur  du  pays  des  nègres,  il  se  rendit  à  Regasa,  ville 
dont  les  maisons  et  les  temples  sont  construits  de  sel 
gemme,  eJ  recouA  cris  en  peaux  de  chameaux;  qu'on  fait, 


lOA  isCIEiNCES  310KALES 

chez  les  nègres ,  commerce   de  sel  ;  qu'ils  le  divisent  par 
petites  tablettes,  dont  ils  se  servent  en  guise  d'eau,  et  qu'ils 
portent  ces  tablettes  sur  eux  en  traversant  le  désert  dont 
le  trajet  est  de  dix  jours  et  où  l'on  ne  trouve  point  d'eau , 
mais  beaucoup  de  truffes;  que,  pour  tuer  les  tiques  dont  la 
multitude  est  extrême,  les  hommes  se  mettent  sur  la  nuque 
une  baguette  de  vif  argent;  qu'entre  Tassahl  et  Eiwelûten 
s'étend,  l'espace  de  onze  journées,  un  désert  fréquenté  par 
des  esprits  qui  souvent  fascinent  le  messager  au  point  de  le 
faire  périr,  et  avec  lui  une  partie  de  la  caravane  ;  car  si  le 
messager  atteint  heureusement  Eiwelûten,  leshabitans  vont 
au-devant  de  la  caravane  l'espace  de  quatre  journées  en 
apportant  de  l'eau;  mais  s'il  lui  arrive  accident,  personne 
ne  vient,  et  la  caravane  est  exposée  à  périr  de  soif.  Ce  dé- 
sert, ajoute-t-il,  est  si  resplendissant  que  l'ame  s'en  réjouit; 
l'ame  d'un  Arabe,  c'est  possible:- j'aimerais  mieux  les  eaux 
et  la  verdure  ;  mais  on  sait  qu'il  ne  faut  pas  disputer  des 
goûts. 

Il  paraît  que  le  messager  de  la' caravane  d'Ebn  Batonta 
fut  ménagé  parles  esprits;  car  elle  arriva  heureusement  à 
Eiwelâten,  où  les  nègres  prirent  sous  leur  garde  les  mar- 
chandises apportées.  «  Les  Messofites,  qui  forment  la  ma- 
jeure partie  de  la  population  d'Eiwelâten,  ont  des  mœurs 
particulières;  les  hommes  ne  sont  point  jaloux;  la  chaleur 
y  est  excessive  ;  les  palmiers  y  sont  rares,  et  l'on  sème  des 
melons  à  leur  ombre;  les  habilans  entretiennent  beaucoup  ■ 
de  brebis.  Les  femmes  sont  d'une  grande  beauté,  et  plus 
considérées  que  les  hommes.  Les  hommes  ne  prennent  pas 
le  nom  de  leur  père,  mais  celui  de  leur  oncle,  et  ils  n'ont 
pour  héritiers  que  les  enfans  de  leurs  sœurs  :  Jusqu'alors, 
dit  Ebn  Batonta,  j'avais  observé  cet  usage  seulement  chez 
les  païens  du  Malabar;  mais  ceux-ci  sont  musulmans  et 
très-assidu.-  a  la  juièrc.  Ils  ont  des  relations  étroites  avec 


ET  POLITIQUES.  105 

les  femmes  des  autres,  et  les  femmes  en  forment  récipro- 
quement avec  les  maris  d'autres  femmes  :  un  homme  qui, 
en  rentrant  chez  lui,  y  surprend  l'ami  avec  sa  emme,  ne 
s'en  offense  pas.  En  allant  un  jour  voir  le  juge  d'Eiwelâten, 
je  trouvai  auprès  de  lui  une  jeune  femme  fort  belle  :  saisi 
de  son  aspect,  je  voulus  reculer;  mais  le  juge  se  mit  à  rire, 
etla  femme  ne  rougit  point:  «  C'est  mon  amie,  me  dit-il.» 
De  savans  orientalistes  prétendent  qu'EiAvelâten  veut  dire 
Paris  ;  mais  ce  qui  semble  prouver  la  fausseté  de  leur  con- 
jecture, c'est  qu'Ebn  Batonta  ajoute,  en  parlant  du  juge, 
que  c'était  un  homme  très-versé  dans  les  lois  et  un  pieux 
pèlerin. 

Le  même  voyageur  rapporte  sur  les  nègres  musulmans 
les  détails  qui  suivent  :  ils  font  fréquemment  la  prière  dans 
leurs  temples,  et  ils  y  forcent  également  leurs  enfans  , 
même  par  des  coups.  Ils  savent  parfaitement  le  noble  Coran; 
et  les  garçons  qui  ne  rapprennentpasbien,reçoiventles  fers 
aux  pieds  jusqu'à  ce  qu'ils  le  sachent.  Lorsqu^en  entrant  un 
jour  de  fête  dans  la  maison  du  juge,  j'y  vis  les  enfans  ayant 
les  fers  aux  pieds,  je  lui  dis  :  Est-ce  que  tu  ne  leur  fais  pas 
grâce  aujourd'hui?  Il  me  répondit  :  Certainement  non; 
leurs  fers  ne  tomberont  pas,  tant  qu'ils  ne  sauront  pas  le 
Coran.  » 

La  relation  du  célèbre  Léon  l'Africain,  postérieure  d'un 
siècle  à  celle-ci,  est  fort  connue;  néanmoins  l'extrait 
qu'en  donnent  MM.  Leyden  et  Murray  sera  consulté  avec 
plaisir  et  avec  fruit.  Je  ne  les  suivrai  point  dans  les  voyages 
des  modernes;  ce  serait  excéder  mes  limites  et  m'exposcr 
à  des  répétitions.  Je  me  borne  à  finir  comme  j'ai  com- 
mencé, en  disant  qu'aujourd'hui  tous  les  peuples  se  pénè- 
trent que,  suivant  l'expression  d'un  noble  député,  les  voilà 
qui  deviennent  la  proie  de  l'industrie  cl  des  lumières,  et 


106  SCIENCES  MORALES. 

que  s'ils  finissent  par  devenir  celle  de  la  tolérance,  ce  sera 
vraiment  l'abomination  de  la  désolation.  » 

AiGNAN. 


%/%/V\\/W\  l/VVVt' vv\  ww 


L'Europe  et  l'Amérique  ,  depuis  le  congrus  d'Aix-la- 
Chapelle.  Par  m.  de  Pradt  (i). 

On  ne  doit  point  s'étonner  que  beaucoup  d'écrivains 
habiles,  inspirés  par  la  hauteur  du  sujet,  trouvent  dans  le 
moment  actuel  des  idées  et  des  expressions  dignes  des  ma- 
tières qu'ils  traitent.  M.  de  Pradt  n'est  pas  celui  qui  médite  le 
plus  profondément  sur  ce  qui  se  passe  sous  nos  yeux,  ni  qui 
élabore  le  plus  soigneusement  ce  qu'il  écrit.  La  pensée  et 
la  rédaction  vont  chez  lui ,  au  contraire,  avec  une  rapidité 
qui  a  quelque  chose  de  surprenant;  le  défaut  d'ordre,  de 
méthode,  de  précision  se  fait  sentir  dans  chacun  de  ses 
derniers  ouvrages.  Il  convient  lui-même  qu'on  n'a  plus  le 
tems  de  penser  et  d'écrire;  cependant,  voilà  le  vingt- 
deuxième  ouvrage  qui  sort  de  sa  plume  !  Mais  assurément 
M.  de  Px-adt  est  l'un  des  écrivains  qui  traitent  les  sujets 
politiques  de  la  manière  la  plus  intéressante,  et  j'ose  dire 
la  plus  populaire  ;  cet  intérêt  tient  à  une  foule  d'aperçus 
judicieux  ou  de  remarques  ingénieuses  ,  exprimées  dans 
un  style  piquant,  quelquefois  incorrect  et  singulier,  d'au- 
tres fois  original  et  pittoresque. 

Le  but  du  nouvel  ouvrage  de  M.  de  Pradt  est  de  prouver 
que,  depuis  le  congrès  d'Aix-la-Chapelle,  le  monde  a  fait 
des  pas  bien  prononcés  dans  cette  carrière  de  réformation 
de  l'ordre  social ,  commencée  à  l'époque  de  la  révolution 
française,  et  que  désormais  les  efforts  de  qui  que  ce  soit  ne 

(i)  Paiis  ,  Bcclut,  2  vol.  in-S".  1821. 


I 


ET  POLITIQUES.  107 

sauraient  le  faire  rétrograder  vers  le  régime  arbitraire  d'où 
il  se  hâte  de  sortir.  L'auteur  aurait  pu  ne  pas  répéter  si 
souvent  les  mêmes  argumens  et  les  mêmes  idées  pour 
prouver  cette  vérité,  et  se  réduire  ainsi  à  un  volume  ;  mais 
quelquefois  un  libraire  trouve  son  compte  à  faire  deux  vo- 
lumes au  lieu  d'un,  et  l'auteur  est  assez  complaisant  pour 
s'étendre  et  se  délayer  au  profit  de  son  éditeur. 

Voici  une  des  nombreuses  pages  dans  lesquelles  M.  de 
Pradt  traite  le  thème  également  vrai  et  important  que  nous 
venons  d'indiquer. 

«  Le  monde  a  changé,  il  change,  il  changera  encore: 
on  peut  qualifier  sa  marche  comme  l'on  voudra;  mais  il 
faut  savoir  se  résigner  et  accepter  le  changement.  Mais 
quel  en  est  le  but  ?  La  réponse  est  simple  ;  la  fin  des  insti- 
tutions discordantes  avec  l'état  du  monde.  Il  ne  peut  pas 
être  à  la  fois  de  deux  âges,  comme  l'homme  ne  peut  être 
tout  ensemble  l'être  de  l'enfance  et  celui  de  la  virilité;  il 
ne  peut  pas  être  à  la  fois  le  monde  des  ténèbres  et  celui 
des  lumières  ;  le  monde  de  la  civilisation  et  celui  de  la 
barbarie  ;  le  monde  des  arts  et  celui  de  l'absence  de  l'in- 
dustrie; le  monde  de  la  liberté  et  celui  de  l'esclavage;  le 
monde  de  la  philosophie  et  celui  de  la  superstition  ;  le 
monde  du  contrat  social  et  celui  de  la  Bastille;  le  monde 
de  Montesquieu,  de  Piousseau,  de  Voltaire,  deMably,  de 
llaynal ,  et  celui  des  docteurs  de  l'Ecole  ;  le  monde  de  l'im- 
primerie et  celui  des  lentes  transcriptions ,  ouvrage  de  la 
vie  entière  de  quelques  moines;  le  monde  des  muséum  et 
des  bibliothèques,  et  celui  où  toutes  les  bibliothèques  de 
nos  rois  comptaient  à  peine  quelques  volumes  et  quelques 
tableaux  informes  ;  le  monde  de  l'Amérique  et  celui  dans 
lequel  les  trois  parties  du  globe  ne  connaissaient  pas  leur 
quatrième  sœur;  le  monde  de  la  navigation  ,  du  commerce  , 
>]r<  bourses,  des  dettes  publiques,  des  grands  cliciuin.'-. 


108  SCIENCES  MORALES 

(les  postes,  du  mélange  des  peuples  par  leurs  communi- 
cations habituelles,  et  le  monde  qui  ignorait  tous  ces  nou- 
veaux moyens  de  l'existence  sociale  moderne  ;  et ,  pour 
compléter  cette  confrontation  ,  le  monde  de  la  poudre  à 
canon  et  celui  des  lances.  Qu'il  est  plaisant  de  rencontrer 
dans  ce  nouveau  monde  tant  d'hommes  qui  se  croient  en- 
core habilans  de  l'ancien  ! 

«  C'est  donc  par  le  renouvellement  de  la  fabrique  en- 
tière des  sociétés  que  le  mouvement  actuel  est  poussé;  qui 
pourra  lui  résister?  Mais  où  tend-il?  à  régulariser  l'ordre 
social,  à  donner  le  calcul  pour  successeur  au  hasard ,  à 
faire  partir  du  sein  même  des  sociétés  les  principes  des- 
tinés à  les  régir,  au  lieu  de  les  rattacher  à  des  faits  dont 
les  trois  quarts  sont  injustifiables  ou  bien  inapplicables, 
ou  bien  encore  à  des  titres  trop  peu  certains.  Des  archives 
remplies  par  la  seule  main  des  hommes ,  vaste  monument 
de  violences  ou  de  déceptions ,  on  est  passé  aux  titres 
qu'une  main  qui  ne  trompe  jamais,  celle  de  la  nature,  a 
gravés  en  caractères  ineffaçables  dans  des  archives  immor- 
telles, le  cœur  de  l'homme  son  plus  bel  ouvrage.  » 

Le  monde  est,  non  pas  dans  le  délire,  comme  quelqu'un 
l'a  dit  à  Presbourg,  mais  dans  l'enfantement.  M.  de  Pradt 
ne  voit  dans  l'Europe  qu'un  état  pi'OTisoire,  où  dans  ce 
moment  le  contraste  entre  les  coiiforuiistes  et  les  non  con- 
formistes est  trop  choquant,  pour  qu'on  puisse  espérer  le 
repos  des  élémens  avant  qu'ils  se  soient  remis  en  équi- 
libre. «  Le  monde  est  devenu,  dit  encore  notre  auteur, 
une  école  d'enseignement  mutuel  entre  toutes  les  parties  , 
une  banque  générale  des  mêmes  goûts  ,  des  mêmes  idées , 
des  mêmes  intérêts,  affectant  des  sociétaires  qui  pour- 
suivent un  but  commun ,  et  la  recherche  de  jouissances 
semblables ,  rangées  également  sous  une  loi  uniforme 
d'existence  sociale  adoptée  par  tous.  Dans  cet  ordre  gé- 


Eï  POLITIQUES.  u\9 

ncral,  chacun  travaille  à  améliorer  sa  position;  de  là  cet 
effort  commun  vers  une  prospérité  croissante,  qui  se  fait 
remarquer  dans  les  sciences,  dans  les  arts  de  tous  les 
pays,  dans  le  commerce  et  dans  tous  les  élcmens  de  la  vie 
sociale;  mais  chacun  de  ces  accroissemens  pariiculiers 
porte, en  lui  un  germe  d'accroissement  de  civilisation,... 
Toute  civilisation  tend  à  perfectionnement;  tout  perfec- 
tionnement à  son  tour  tend  à  civilisation,  et  tous  les  deux 
à  la  régularité  de  l'ordre,  c'est-à-dire  à  son  amélioration  ; 
et  toute  amélioration,  de  son  côté,  devient  exigeante  à  l'é- 
gard de  ceux  qui  l'ont  suhie,  et  les  porte  à  un  accroisse- 
ment graduel  ;  ceux-ci  sont  supérieurs  à  ceux  qui  sont  au- 
dehors  du  même  mouvement  ascendant  ;  ce  qui,  dans  ce 
cas,  fait  règle  pour  les  individus,  trouve  aussi  son  appli- 
cation à  l'égard  des  états;  il  faut  qu'ils  se  civilisent  pro- 
gressivement avec  leurs  voisins  pour  ne  pas  leur  rester 
inférieurs;  l'accroissement  de  la  puissance  exige  celle  de 
la  civilisation;  il  faut  marcher  à  hauteur  avec  elle,  pour 
ne  pas  rester  en  arrière  en  puissance.  » 

A  la  question  :  que  faut-il  faire?  M.  de  Pradt  répond 
très-judicieusemenl  :  h  demandez-le  au  restaurateur  de  Bi- 
zance ,  au  fondateur  du  bas  empire.  Quand  il  vit  le 
monde  de  son  tems  devenu  chrétien,  que  fit  Constantin? 
Resta-t-il  païen?  Non," il  se  rangea  sous  la  croix  devenue 
le  nouvel  étendard  de  l'univers,  et  le  salut  de  l'état  fut 
son  véritable  labarum.  Il  arbora  sur  sa  couronne  le  signe 
qui  prévalait  sur  la  terre;  des  hommes  pieux,  mais  sans 
lumières,  ont  fait  de  belles  dissertations  pour  prouver  que 
ce  prince  l'avait  vu  distinctement  dans  les  cieux;  oui,  ces 
cieux  étaient  sa  politique.  Recherchez  ce  que  ce  prince  fût 
devenu,  si,  s'établissant  en  opposition  directe  avec  l'état 
de  l'empire  au  lieu  de  s'attacher  aux  nouveaux  autels,  il 
se  fût  cramponné  aux  autels  croulans  du  paganisme,  et 


110  SCIENCES  MORALES 

s'il  eût  fait  la  tentative  insensée  de  régir,  avec  la  partie 
restée  païenne,  la  presque  totalité  devenue  chrétienne. 
Dans  ce  tems,  le  christianisme  était  comme  dans  l'air  que 
l'on  respirait;  toute  autre  affaire  avait  disparu  devant 
celle-là;  l'impulsion  était  devenue  irrésistible;  Constantin 
la  jugea,  et ,  d'un  trait  de  génie,  il  sauva  à  la  fois  l'empire 
et  lui-même.  » 

Ces  réflexions  paraissent  aussi  profondes  qu'instructives  ; 
Constantin  s'Fst  rendu  odieux  par  des  actes  de  cruauté  , 
mais  sa  politique,  à  l'égard  de  la  nouvelle  religion  de  l'em- 
pire, peut  encore  être  proposée  pour  modèle. 

Je  remarquerai,  en  passant,  que  M.  de  Pradt,  tout  en 
examinant  avec  la  plus  grande  attention  les  progrès  des 
idées  sociales,  ne  dit  pas  un  mot  des  progrès  que  font 
également,  et  avec  la  même  rapidité,  les  idées  religieuses. 
Celte  réforme  est  pourtant  un  sujet  de  méditation  aussi 
grand  que  l'autre.  Elle  date  du  seizième  siècle  ,  et  elle  ne 
s'est  point^  arrêtée  à  cette  époque  :  profitant  au  contraire 
du  développement  des  idées  sociales ,  elle  s'est  tenue  au 
niveau  de  celles-ci,  et  elle  ira  sans  aucun  doute  de  pair 
avec  la  réforme  sociale.  L'Europe  ne  nous  présente  aucun 
état  qui  ait  reconnu  ouvertement  ces  changcmens  impor- 
tans;  si  nous  voulons  les  voir  reconnus  d'une  manière  en 
quelque  sorte  oflicielle,  il  faut  tourner  nos  regards  vers  les 
Etals-Unis  ;  c'v;st  là  que  les  cultes  sont  déjà  ce  qu'ils  devien- 
dront probablement  en  Europe,  dans  le  cours  de  ce  siècle. 

Par  une  exagération  un  peu  forte,  M.  de  Pradt  prétend 
que  la  révolution  d'Espagne  est  l'événement  le  plus  im- 
portant qui  ait  eu  lieu  depuis  la  création  du  monde.  Il 
me  semble  que  la  chute  des  empires  d'occident  et  d'o- 
rient, l'établissement  du  christianisme,  la  réforme  d 
Luther  avaient  pourtant  aussi  quelque  importance ,  et 
la  révolution  d'Espagne  n'est  que  le  corrolaire  de  ' 


ET  POLITIQUES.  111 

lution  française ,  de  laquelle  date  la  nouvelle  ère  du  inonde  , 
et  qui,  à  son  tour,  tire  son  origine  de  nombreux  anlécé- 
dens.  Je  sais  bien  que  c'est  relativement  à  l'Amérique  que 
M.  de  Pradt  juge  la  révolution  d'Espagne  aussi  importante  ; 
mais  je  crois  que  l'auteur  donne  aussi  trop  de  poids  à  l'A- 
mérique dans   la  balance  des  étals.    Il  l'appelle   la  caisse 
du   monde,    et  blrmie  les  gouvernemens  de  ce  qu'ils    la 
laissent  aller   à  son   gré,   sans  voir  le  danger  qui  en  ré- 
sultera pour  eux.  M.  de  Pradt  ne  remarque  peut-être  pas 
assez  l'énorme  distance  morale  qui  règne  entre  l'Amérique 
du  nord  et  celle  du  sud.  La   première  paraît  destinée  à 
être  le  premier  état  du  monde;  mais  si  la  seconde  doit 
partager  cette  gloire  avec  les  Etats-Unis ,  elle  a  encore  un 
long  chemin  à  faire.  La  faiblesse  physique,  morale  et  po- 
litique de   l'Amérique  du  sud  n'a  pu  être  cachée  que  par 
celle  de  l'Espagne  qui  lui  faisait  là  guerre.    Et  comment 
pourrait-il  en  être  autrement?  A-t-on  vu  jamais  traiter  la 
race  humaine  avec   autant  d'insouciance  qu'elle  l'a  été, 
pendant  des  siècles ,   dans  les  colonies    d'Amérique  ?  Il 
faudra ,  à  mon  avis ,  un  long  espace  de  tems  pour  que  cette 
partie  du  monde  puisse  jouer  un  rôle  dans  la  politique  ; 
jusque-là,  les  européens  auront   le  tems  nécessaire  pour 
aviser  aux  moyens  de  n'être  pas  écrasés  par  la  prépondé- 
rance de  ce  pays.  Quant  à  l'Europe ,  31.   de  Pradt  pense 
que,  bien  qu'en  ce  moment  tout  y  soit  en  contraste,  les 
esprits  sont  tournés  entièrement  à  la  paix,  parce  qu'ils  ont 
vu  que  les  guerres  ruinent  tout  le  monde,  vainqueurs  et 
vaincus ,  et  parce  que  d'ailleurs  des  idées  plus  saines,  plus 
sociales  leur  inspirent  de  l'horreur  pour  les  expéditions 
guerrières  et  les  envahissemens.  Puissent  les  événemens 
de  cette  année  ne  pas  démentir  cette  observation ,  et  jus- 
tifier la  bonne  opinion  qu'inspirent  à  notre  écrivain  la  gé- 
nération actuelle,  et  les  espérances  qu'on  a  droit  de  fonder 
sur  ceux  qui  la  gouvernent!  Depping. 


112  SCIENCES  MORALES 


^^A^  \,'V*'\\  W\W\/\  \.'t.'»% 


L'Europe  au  moyen  âge  ,  traduit  de  l'anglais,  de 
IM.  Hexri  Hallam,  par  MM.  P.  Dudouit,  avocat  à 
la  cour  royale  de  Paris,  et  A.R.  Borghers.  Tom.  I, 
contenant,  i"  l'Histoire  de  France,  depuis  Clovis 
jusqu'à  l'invasion  de  Naples  par  Charles  VIII;  2°  l'Ex- 
position du  système  féodal;  5°  l'Histoire  d'Espagne 
jusqu'à  la  conquête  de  Grenade  (1). 

(  Second  article.  Voyez  Tom.  VIII ,  pag.  5o3-5o9). 

L'ouvrage  de  M.  Hallam  ne  serait  pas  bien  jugé  par 
ceux  qui  croiraient  y  trouver  une  histoire  complète  et 
une  série  d'événemens  ou  de  faits  assez  développés  pour 
les  apprécier.  Il  faut  voir  qu'il  a  voulu  faire  un  Tahleau 
législatif  et  moral  de  V  Europe  au  moyen  âge  ^  ainsi,  ce 
qu'on  doit  désirer  d'y  trouver  et  ce  qu  on  y  trouve  en 
effet,  ce  sont  des  recherches  très-curieuses  sur  les  points 
contestés  de  la  législation  de  ces  anciens  tems. 

Les  questions  les  plus  diversement  traitées  par  Montes- 
quieu, Rohertson,  Mahly .,  Duhos ,  Boulainvillers,  Dani-elf 
Vèly,  clc.  y  sont  approfondies  sans  pesanteur,  et  aussi 
lumineusement  éclaircies  que  possible  par  des  faits,  par 
des  citations  de  lois,  de  monumens  historiques,  des  for- 
mules de  Marculfe ,  du  glossaire  de  Diœange ,  et  par  des 
capitulaires.  Il  disserte  sans  ennuyer,  discute  sans  ai- 
greur et  décide  sans  présomption;  le  plus  souvent  même 
il  nous  prouve  une  grande  vérité,  c'est  que,  dans  ces 
siècles  de  barbarie,  on  trouve  si  peu  de  stabilité,  de  régu- 

(1)  Palis,  1820.  1  \o].  111-8".  Delcslre-Boulagé,  libraire  de  l'e'cole 
de  droit ,  rue  des  Malliurins-Saint-.Tacqucs ,  n°  ï.  Prix  ,  7  fr. ,  et  8  fr. 
5o  c.  franc  de  port. 


ET  POLITIQUES.  11.1 

larité  ,  de  justice,  que  les  exceptions  violenl  continuel- 
lenient  les  règles,  <^  que  la  force  y  remplace  presque 
toujours  le  droit;  c'est  ce  qui  fait  que  chacun  y  rencontre 
facilement  des  faits,  des  actes  contradictoires,  et  en  grand 
nombre ,  dont  il  se  sert  à  son  gré  pour  appuyer  le  système^ 
qu'il  préfère. 

M.  Hallam  évite  philosophiquement  toute  partialité  et 
tout  esprit  de  système;  aussi  ne  prend-il,  pour  émettre 
et  soutenir  une  opinion  quelconque,  que  les  faits  les  plus 
répétés  et  les  coutumes  les  plus  générales;  de  sorte  qu'en 
suivant  ce  guide  éclairé,  on  est  certain  d'éviter  la  plupart 
des  écueils  contre  lesquels  tant  d'auteurs  de  systèmes  ont 
échoué. 

J'ai  dit  que  son  Précis  historique  n'est  pas  une  histoire^ 
mais  il  n'en  mérite  pas  pour  cela  moins  d'éloge.  S'il 
n'apprend  pas  l'histoire,  ill'explique;  il  en  donne  une  idée 
générale,  qui  suffit  pourle  suivre  après,  sans  embarras,  dans 
le  cours  de  ses  savantes  recherches.  Quant  au  style  de  ce 
Précis  ,  il  a  plusieurs  genres  de  mérite  :  la  clarté ,  la  pré- 
cision ,  la  gravité ,  avec  une  simple  el  noble  élégance.  Il 
faudrait  un  volume  pour  analyser  le  sien,  dont  tous  les 
chapitres  offrent  des  sujets  d'intérêt  aussi  grands  que  va- 
riés ;  chacune  des  questions  qu'il  traite  et  des  décisions 
qu'il  offre,  entraînerait  facilement  dans  de  longues  disser- 
tations sur  l'origine  de  nos  institutions  modernes  et  sur 
les  points  qui  excitent  encore  aujourd'hui  parmi  nous  les 
plus  vives  disputes  d'opinions  et  de  partis. 

Ce  qui  ne  m'a  point  paru  traité  d'une  manière  aussi 
complète  dans  cet  ouvrage,  est  précisément  ce  que  je  vou- 
lais chercher  et  ce  que  j'espérais  rencontrer  dans  le  travail 
d'un  auteur  aussi  savant.  Il  nous  parle  en  peu  de  mots  et 
très-légèrement  des  lois  et  des  coutumes  des  Francs  en 
I         Tome  x.  8 


I 


IIA  SCIENCES  MORALES 

Germanie,  et  ne  nous  donne  même  qu'unefaible  et  courte 
ébauche  de  l'immortel  tableau  de  leurs  mœurs,  tracé  par 
Tacite  :  or,  depuis  cette  époque,  la  Germanie  avait  dû 
totalement  changer. 

La  ligue  des  Francs  s'était  formée  en  confédération  par- 
ticulière; leurs  guerres,  leurs  liaisons  fréquentes  avec  les 
Romains,  l'admission  d'une  foule  de  leurs  chefs  aux  grades 
les  plus  distingués  et  aux  plus  hautes  dignités  de  l'empire, 
enfin  leurs  premiers  établissemens  dans  la  Gaule  germa- 
nique,  dans  la  Toxandrie  et  dans  l'île  des  Bataves,  ainsi 
que  leurs  colonies  introduites  dans  la  Gaule  par  Cons- 
tantin, Constance  et  Julien,  avaient  dû  apporter  de  no- 
tables variations  dans  leurs  mœurs  et  dans  leur  organisa- 
tion sociale. 

Je  sais  qu'ils  n'avaient  ni  annales,  ni  historiens;  mais 
j'espérais  qu'en  fouillant  avec  tant  de  soin  dans  les  écrits 
des  auteurs  latins  et  grecs  du  moyen  Sge  et  dans  les  ar- 
chives des  monastères,  où  se  sont  enfouies  tant  de  lumières, 
notre  auteur  aurait  pu  nous  donner  des  renseignemens 
plus  sûrs  et  des  notions  plus  curieuses  sur  les  leudes ,  les 
anlrustions ,  la  noblesse  des  barbares,  sur  les  droits  des 
chefs  et  sur  ceux  des  Francs  en  général,  à  l'époque  qui 
précéda  la  conquête  de  la  Gaule. 

Alors,  tout  ce  qui  est  obscur  et  douteux  aurait  été  éclairci 
pour  nous;  c'est  cette  clef  qui  nous  manque  encore.  En 
effet ,  tant  que  nos  historiens  n'ont  consulté  que  les  contes 
grossiers  et  les  vieilles  ébauches  des  Grégoire  de  Tours, 
des  Fredegaire,  A(t?,  ylimoin,  notre  histoire  a  manqué  tota- 
lement de  flambeau.  Ce  n'est  que  depuis  un  siècle  et  demi 
environ  qu'on  s'est  heureusement  avisé  de  chercher  d'autres 
lumières  dans  Procope,  dans  Ammien  Marcellin,  dans 
Agafhias^    dans  l'Histoire  bysantine  ,  et  il  en  est  résulté 


ET  POLITIQUES.  US 

quelques  notions  plus  certaines  ,  relativement  aux  tribus 
barbares  qtii  occupaient  si  constamment  les  armes  ro- 
maines. 

Peut-être,  avec  un  travail  plus  complet  dans  ce  genre  , 
on  aurait  rencontré  l'explication  de  beaucoup  de  problèmes 
qui  divisent  encore  les  esprits,  sur  l'origine  du  système 
féodal,  sur  les  antiques  usages  et  sur  la  pi-imitive  législa- 
tion de  nos  aïeux. 

Une  courte  citation  donnera  une  juste  idée  de  la  conci- 
sion et  de  la  clarté  du  Précis  historique  de  M.  Hallam. 
Il  parle  ainsi  de  l'empire  envahi  par  les  barbares  : 

«  Une  race  d'hommes,  jadis  inconnus  ou  méprisés, 
avait  non  seulement  démembré  cette  fière  puissance  et 
s'était  établie  en  permanence  dans  ces  belles  provinces  , 
après  avoir  imposé  son  joug  aux  anciens  possesseurs.  Les 
Vandales  étaient  maîtres  de  l'Afrique,  les  Suèves  d'une 
partie  de  l'Espagne,  les  Visigoths  possédaient  le  reste  avec 
une  portion  considérable  delà  Gaule,  les  Bourguignons 
occupaient  les  provinces  arrosées  parle  Rhône  et  la  Saône, 
les  Ostrogoths  presque  toute  l'Italie.  Quelques  écrivains 
ont  peuplé  d'une  république  armorique  le  nord-ouest  de 
la  Gaule,  entre  la  Seine  et  la  Loire;  le  reste,  encore  sou- 
mis nominativement  à  l'empire  romain ,  était  gouverné 
par  un  certain  Syagrius,  avec  une  raitorité  plutôt  indé- 
pendante que  déléguée  (  année  486  ). 

(1  Ce  fut  alors  que  Clovis,  roi  des  Francs  Salieiis,  peu- 
plade de  Germains,  long-tems  attachée  à  Rome,  et  qui, 
de  la  rive  droite  du  Rhin  où  elle  était  originairement 
établie  ,  avait  pénétré  depuis  peu  jusqu'à  Tournai  et  Cam- 
brai ,  envahit  la  Gaule  et  défit  Sj'agrius  à  Soissons, 

«  Cette  victoire  entraîna  la  soumission  de  ces  provinces 
qui,  jusqu'alors,  avaient  été  considérées  comme  romaines. 
Leur  obéissance  avait  toujours  été  douteuse  ,  et  leur  perte 


S' 


116  SCIENCES  MORALES 

en  fut  moins  sensible;  aussi  les  empereurs  de  Constan- 
linople  ne  crurent  pas  abaisser  leur  orgueil ,  en  conférant 
:\  Clovis  les  titres  de  consul  et  de  patrice ,  et  Clot^is  avait 
trop  de  prudence  pour  les  refuser.  » 

Dans  ce  passage  si  court,  si  clair,  et  qui  contient  tant 
de  faits  en  si  peu  de  mots,  on  trouve  déjà  trois  difficultés 
et  trois  problêmes  historiques ,  que  l'auteur,  dans  trois 
notes ,  cherche  à  éclaircir.  Le  premier  est  relatif  i\  la  ré- 
publique armorique. 

«  On  ne  peut,  dit  M.  Hallanij,  parler  qu'avec  défiance 
de  cette  république,  ou  plutôt  de  cette  confédération  de 
cités  indépendantes,  sous  l'administration  de  leurs  évêques 
respectifs,  que  Duhos  a  bâtie  avec  beauconp  d'art,  sur 
des  évidences  historiques  très-légères ,  et  malgré  le  silence 
de  Grégoire  de  Tours,  dont  le  diocèse  touchait  leur  pré- 
tendu territoire.  Il  serait  cependant  injuste  de  rejeter  en- 
tièrement cette  hypothèse  :  elle  n'est  pas  en  elle-même 
dépourvue  de  probabilité ,  et  d'ailleurs  Grégoire  est  suc- 
cinct et  négligé,  dans  la  première  partie  de  son  ouvrage.» 

Il  me  semble  que  M.  Hallam  aurait  pu  rendre  son  ob- 
servation plus  complète  et  plus  concluante  :  il  est  vrai  que 
Duhos  a  construit  sans  fondemens  certains  sa  république 
armorique j  gouvernée  par  des  évêques;  mais,  ce  qui  n'est 
pas  douteux,  c'est  que  les  Armoriques ^  menacées  par  les 
Visigoths e,X\ts Bourguignons,  et  abandonnéesparlalâcheté 
àei  empereurs ,  qui  ne  les  défendaient  pas  et  les  accablaient 
d'impôts,  s'étaient  rendues  indépendantes  de  fait,  ne  res- 
taient soumises  que  de  nom ,  refusaient  le  tribut  et  veil- 
laient à  leur  propre  défense,  suivant  les  anciennes  cou- 
tumes des  cités  gauloises  j  sous  l'autorité  de  leurs  divers 
sénats,  et  au  moyen  des  milices  particulières  que  les  lois 
romaines  leur  avaient  toujours  permis  de  conserver. 

C'est  ce  que  plusieurs  l'aiis  démontrent  évidemment, 


ET  POLITIQUES.  117 

puisqu'en  revenant  de  vaincre  les  Francs,  Aëtius_,  et  de- 
puis son  lieutenant  Celsus ^  entrèrent  en  armes  dans  les 
Arriioriques ,  sans  pouvoir  ramener  ces  provinces  ù  l'obéis- 
sance ,  et  tentèrent  vainement,  par  l'entremise  d'un 
évêque,  les  voies  de  négociations  pour  parvenir  au  même 
but. 

Les  comtes  Egidius  et  Paulus  s'illusti'èrent  depuis ,  en 
défendant  l'indépendance  des  Armoriques  ^  et  ils  furent 
soutenus  dans  cette  lutte  contre  les  Kisigoths  et  les  6'rtxo/zs 
par  les  armes  de  Childéric_,  roi  des  Francs. 

La  seconde  difficulté  que  présente  le  Précis  historique 
concerne  l'établissement  des  Francs  dans  le  Tournaisis  : 
sur  cet  objet,  l'auteur  s'exprime  ainsi  dans  une  note  :  «Le 
système  du  père  Daniel _,  qui  prétend  que  les  Francs  n'a- 
vaient formé,  avant  Clovisj  aucun  étal)lissement  permanent 
sur  la  rive  gauche  du  Rhin  ,  me  paraît  insoutenable  ;  il  est 
difficile  de  résister  à  la  présomption  qui  résulte  de  la  dé- 
couverte faite  à  Tournai ^  en  1655,  de  la  tombe  et  du 
squelette  de  Childéî-ic j  père  de  Cloi^is.» 

L'auteur  aurait  pu  ajouter  d'autres  présomptions  non 
moins  fortes,  pour  réfuter  le  père  Daniel.  Il  est  vrai  que 
Clodion  fut  chassé  du  Tournaisis  par  Aëtius;  mais  il  y 
revint,  puisqu'en  vingt  ans  il  y  fut  battu  deux  fois;  et 
l'on  ne  concevrait  pas  pourquoi  Mérovèe  ^  son  successeur, 
serait  venu  avec  les  Francs  défendre  la  Gaule  contre  At- 
tila j  de  concert  avec  les  Romains,  les  Visigoihs  et  les 
Bourguignons  ,  s'il  n'avait  rien  possédé  dans  la  Gaule,  et 
s'il  n'eût  régné  que  dans  le  pays  de  longres.  Il  ne  serait 
pas  moins  surprenant  qu'après  la  déposition  de  Childéricj 
Egidius  ,  chef  des  Amoriques ,  eût  été  choisi  pour  roi  par 
les  Francs,  s'ils  n'avaient  été  sesvoisins;  etl'on  compren- 
drait encore  moins  comment  Childéric,  rétabli  sur  le 
trône,  aurait  combattu  si  souvent  en  Anjou  a\cc  Egidius 


118  SCIENCKS  MORALES 

contre  les  Visigothsj  si  leur  voisinage  n'eût  pas  fait  pour 
eux,  de  cette  guerre,  un  intérêt  commun. 

La  troisième  question  que  présente  le  Précis ,  est  celle 
de  savoir  si  Clovis  a  gouverné  ses  conquêtes  comme  sou- 
verain ou  comme  lieutenant  des  empereurs  romains.  «  La 
théorie  de  Duhos,  dit  M.  Hallam^  qui  considère  Clovis 
comme  une  espèce  de  lieutenant  des  empereurs^  ne  gou- 
vernant qu'à  ce  titre  ses  sujets  romains  ,  a  justement  paru 
extravagante  à  des  écrivains  qui  se  sont  livrés  après  lui  à 
un  examen  critique  de  l'histoire  de  France.  Il  est  cepen- 
dant possible  que  les  relations  établies  entre  Clovis  et 
l'empire ,  et  les  insignes  de  la  magistrature  romaine  dont 
il  était  revêtu ,  aient  contribué  à  réconcilier  les  vaincus 
avec  leurs  nouveaux  maîtres.  Telle  est  du  moins  l'opinion 
judicieuse  du  duc  de  Nivernais  (Mémoire  de  l'académie 
des  inscriptions  et  belles -lettres,  ïom.  XX).  11  paraît 
toutefois  qu'au  6.^  siècle,  les  Grecs  connaissaient  à  peine 
les  compatriotes  de  Clovis.  On  ne  peut  rien  conclure  d'un 
passage  dans  lequel  Procope  semble  désigner  les  peuples 
dCAnnorique  sous  le  nom  à^Arborikoy  ;  et  AgatJiias  nous 
fait  une  description  aussi  étrange  que  romanesque  des 
Francs^  qu'il  célèbre  pour  la  conformité  de  leurs  coutumes 
avec  les  lois  romaines.  Il  fait  aussi  l'éloge  de  leur  union 
mutuelle,  et  observe  surtout  que,  dans  les  divisions  fré- 
quentes du  royaume,  ils  n'avaient  jamais  porté  les  armes 
les  uns  contre  les  autres,  ni  ensanglanté  la  terre  de  leurs 
discordes  civiles.  On  serait  tenté  d'interpréter  ce  passage 
dans  un  sens  ironique.  » 

Je  croirais  plutôt  que  M.  Hallam  saisit  mal  ici  le  vrai 
sens  ^Agathias  j  car  il  ne  signifie  point  que 'lés  Francs, 
les  Gothsj  les  Bourguignons  ne  se  battaient  pas  entre  eux, 
ce  qui  serait  démenti  par  tous  les  faits  :  il  veut  dire  seule- 
ment que  les  Romains,,  ou  habitans  de  V A rmoj-ifjue, n^ ont 


ET   POLITIQUES.  119 

juiuais  repris  Jcs  iiriiics  contre  les  Fnuia,  depuis  iabuiaillc 
(le  Soissons,  et  qu'il  n'y  eut  plus  sous  Clui^'ia  et  ses  suc- 
cesseurs de  guerre  civile  entre  les  Romains  et  les  Franca  j 
ce  qui  est  un  fait  avéré. 

Il  serait  impossible,  dans  un  cadre  aussi  court,  de 
donner  une  analyse  de  l'immense  travail  de  M.  Hallam  ; 
aussi  nous  nous  bornerons,  pour  en  présenter  quelques  idées, 
à  en  extraire  un  petit  nombre  d'observations  relatives  à 
l'établissement  des  Francs ,  au  sort  divers  des  vainqueurs 
et  des  vaincus,  à  la  nature  des  biens,  des  fiefs,  et  à  l'ori- 
gine de  la  noblesse.  Après  avoir  rappelé  ce  fait  non  con- 
testé, que  dans  leurs  conquêtes  les  Bourguignons  et  les 
f^isigoLlis  s'emparèrent  du  tiers  des  terres,  les  Vandales 
de  toutes  celles  qui  leur  parurent  les  plus  fertiles  ,  et  les 
Lombards  du  tiers  des  produits ,  M.  Hallam  ajoute  : 
«  Nous  ne  pouvons  découvrir  aucun  indice  d'un  semblable 
arrangement  dans  les  lois  ou  dans  l'histoire  dos  Francs  ; 
mais  il  est  certain  qu'ils  occupèrent,  par  suite  d'un  partage 
public  ou  d'un  partage  individuel ,  une  grande  portion 
des  terres  de  France.» 

Nous  sommes  obligés,  par  le  silence  de  l'histoire  et  par 
l'absence  de  tout  acte  authentique,  de  rester ,  comme 
M.  Hallam,  dans  l'incertitude  sur  ce  point  important. 
L'aj^bé  Dubos  tire  du  même  silence  des  historiens  un  ar- 
gument pour  appuyer  son  système  et  pour  prouver  que 
Clovis  s'est  établi  dans  les  Gaules  moins  en  maître  et  en 
vainqueur,  qu'en  allié  de  la  république  romaine  ou  gau- 
loise des  Armoriqucs,  qui  volontairement  avaient  réuni 
leurs  armes  aux  siennes,  pour  combattre  les  Visigolhs  et  les 
Bourguignons;  mais  la  bataille,  livrée  et  perdue  par  Sya- 
grius,  réfute  suffisamment  un  pareil  système,  qui  est 
d'ailleurs  évidemment  renversé  par  la  disposition  de  la  loi 
galique,  puisque  celte  loi  marque  durement  la  différence 


120  SCIENCES  MORALES 

du  sort  des  vainqueurs  et  de  celui  des  vaincus,  en  impo- 
sant pour  le  meurtre  d'un  Franc  une  amende  double  de 
celle  qu'on  payait  pour  la  mort  d'un  Romain  ou  d'un 
Gaulois. 

Cependant,  à  défaut  de  certitude,  ne  pourrait-on  pas 
conjecturer  que  la  Gaule  fut  traitée  moins  rigoureusement 
par  les  Francs,  relativement  au  partage  des  terres,  qu'elle 
ne  l'avait  été  par  les  autres  nations  barbares,  parce  que 
les  Francs  amenés  par  Clovis  étaient  très-peu  nombreux, 
qu'il  leur  suffît  peut-être,  pour  s'enrichir,  de  prendre  les 
terres  qui  faisaient  partie  dans  chaque  cité  du  domaine 
impérial,  en  y  ajoutant  celles  qu'ils  confisquèrent,  suivant 
le  droit  de  ce  tems,  sur  ceux  qui  préférèrent  la  résistance  à 
la  soumission ,  sur  les  guerders  de  Syagrius  et  di'Alaric; 
car  on  sait  qu'alors  la  victoire  faisait  subir  aux  captifs,  non 
seulement  la  perte  de  leurs  biens,  niais  celle  de  leur 
liberté. 

Clovis,  au-dessus  de  son  siècle  par  son  génie,  dut  penser 
qu'après  avoir  pris  ainsi  une  assez  grande  portion  de  terres 
pour  lui  et  pour  récompenser  ses  leudes,  ses  officiers  et 
ses  soldats  qui  ne  composaient  qu'une  vaillante,  mais  faible 
tribu  ,  il  devait,  pour  attirer  les  Romains  et  les  Gaulois  à 
son  joug,  leur  laisser  le  reste  de  leurs  possessions,  comme 
il  leur  laissa  leurs  lois.  Les  évêques  lui  donnèrent  proba- 
blement ce  conseil;  car  ils  désiraient  ses  succès,  pour 
être  protégés  par  lui  contre  l'arianisme  intolérant  des 
rois  visigolhs  et  bourguignons. 

Je  suis  surpris  que  M.  Hallom ,  en  parlant  de  ces  dis- 
positions favorables  du  clergé  gaulois  et  catholique,  ait 
paru  en  oublier  le  plus  pressant  motif.  Sidonius  Apollinaris 
nous  le  découvre ,  en  racontant  que  récemment  le  père 
û'Alciric  avait  chassé  ou  mis  à  mort  plus  de  vingt  évêques. 

Les  Francs  possédèrent  ainsi  dans  leurs  conquêtes  deux 


ET  POLITIQUES.  121 

sortes  de  biens,  les  uns  héréditaires  ,  c'étaient  les  alleux; 
les  autres  à  vie,  c'étaient  lesjlefi,  qui  souvent  même  étaient 
des  dons  révocables,  soit  par  jugement,  soit  par  autorité. 

A  cet  égard,  plusieurs  recherches  savantes  de  M.  Hallam 
prouvent  avec  évidence  combien  ces  coutumes  varièrent 
suivant  le  caractère,  la  force  ou  la  faiblesse  des  rois, 
et  selon  le  degré  d'obéissante  ou  de  turbulence  des 
grands. 

«  Les  biens,  dit  notre  auteur,  dont  les  Francs  jouis- 
saient à  titre  de  propriété,  étaient  appelés  alodia;  le  sens 
de  ce  mot  est  quelquefois  restreint  aux  biens  échus  par 
succession.  Ils  étaient  exempts  de  toute  autre  charge  que 
de  celle  de  la  défense  publique.  Ils  passaient  aux  enfans 
par  portion  égale,  et,  à  leur  défaut,  au  plus  proche  pa- 
rent. Il  existait  pourtant  une  espèce  particulière  de  ces 
alleux,  qu'on  appelait  s«Ziy«e,  et  dont  les  femmes  étaient 
exclues. 

Il  y  a  eu  beaucoup  de  disputes  sur  la  question  de  savoir 
ce  qu'étaient  ces  terres,  et  quelle  était  la  cause  de  cette 
exclusion.  Nulle  solution  ne  semble  plus  probable  que  celle 
qui  suppose  que  les  anciens  législateurs  des  Francs  Saliens 
interdirent  aux  femmes  le  droit  d'hériter  des  terres  assi- 
gnées à  la  nation  dans  les  Gaules,  après  la  conquête,  tant 
pour  se  conformer  à  leurs  anciens  usages,  que  pour  s'as- 
surer du  service  militaire  de  chaque  propriétaire.  La  loi 
salique,  ajoute-l-il  dans  une  note,  pai'aît  avoir  été  faite 
par  un  prince  chrétien ,  et  après  la  conquête  de  la  Gaule. 
C'est  pourquoi  elle  ne  peut  pas  remonter  à  une  époque 
antérieure  au  règne  de  Clovis;  et,  d'un  autre  côté,  elle  ne 
peut  pas  être  de  beaucoup  postérieure  à  ce  prince,  puis- 
qu'un de  ses  fils  y  introduisit  quelques  modifications. 

Il  remarque,  dans  une  autre  note,  que  cette  exclusion  dos 


122  SCIENCES   MORALES 

femmes  était  loin  d'être  généralemeDt  approuvée,  puisque 
Marculfe,  dans  sa  formule  12%  livre  II,  appelle  cette 
exclusion  une  CQu\.y\vaQ  journalière,  mais  impie  :  diuturna 
et  impia  consiietudo.  » 

Je  crois  qu'on  pourrait  combattre  l'opinion  de  M.  Hal- 
lam ,  sur  l'époque  qu'il  attribue  à  la  loi  salique  ;  car,  puis- 
que, selon  son  avis,  Clodion^  Mérovée,  Childéric,  avaient 
eu  des  établissemens  fixes  dans  la  Gaule,  on  peut  croire 
aussi  qu'ils  avaient  senti  le  besoin  d'une  législation  nou- 
velle, et  que  peut-être  l'un  d'eux  avait  rédigé,  le  premier, 
celte  loi  salique  ;  de  même  que  d'autres  princes  Francs, 
établis  sur  les  rives  du  Rhin,  étaient  certainement  les  au- 
teurs delà  loi  ripuaire _,  qui  diffère  très-peu  de  celle  des 
Saliens. 

Au  reste,  on  a  beaucoup  étendu  depuis  le  sens  attaché  à 
et  vi\(i\. salique ,  puisque  plusieurs  capitulaires  de  la  seconde 
race  ont  môme  reçu  ce  nom.  Mais  ce  qui  est  très-remar- 
quable ,  c'est  que  la  seule  disposition  de  la  loi  salique  que 
tout  le  monde  cite  tous  les  jours,  celle  qui  exclut  en  France 
les  femmes  de  la  succession  au  trône,  est  précisément  la 
seule  qui  ne  s'y  trouve  pas.  Elle  est  gravée  dans  les  mœurs, 
et  ne  le  fut  jamais  dans  la  loi. 

Nous  terminerons  sans  commentaire  cette  analyse,  par  la 
citation  du  passage  où   M.  Hallam,  parle  de  la  noblesse. 

Après  avoir  observé  judicieusement  que  les  Francs,  avant 
la  conquête  de  la  Gaule,  ne  connaissaient  point  la  noblesse 
sous  le  rapport  de  classe  privilégiée,  quoiqu'il  existât  des 
traces  nombreuses  du  respect  qu'on  avait  chez  eux  et  dans 
toute  la  Germanie  pour  les  familles  d'une  antiquité  re- 
connue, il  ajoute  :  «  L'aristocratie  de  la  richesse  précéda 
celle  du  sang,  qui,  dans  le  fait,  tire  encore  de  l'autre  une 
partie  de  son  éclat.»  In  Franc,  grand  propiiélaire,  avait  le 


ET  POLITIQUES.  123 

litre  de  noble;  s'il  était  ruiné  et  dépouillé  de  sa  richesse, 
ses  descendans  retombaient  dans  la  foule,  et  le  nouveau 
possesseur  devenait  noble  â  sa  place. 

Dans  ces  premiers  tems,  la  propriété  ne  changeait  pas 
souvent  de  mains,  et  n'abandonnait  point  les  familles  qui 
l'avaient  long-tems  possédée;  elles  étaient  donc  nobles  par 
leur  naissance,  puisqu'elle  était  la  source  de  leurs  ri- 
chesses. La  richesse  leur  donnait  le  pouvoir,  et  le  pouvoir 
leur  donnait  la  prééminence;  mais  aucune  distinction, 
excepté  en  faveur  des  vassaux  du  roi ,  n'était  faite  par  les 
lois  saliqucs  et  lombardes. 

Dans  la  composition  pour  homicide,  mesure  certaine  du 
rang  politique,  il  semble  résulter  de  quelques  lois  des 
barbares,  notamment  de  celles  des  Bourguignons,  des 
Visigoths,  des  Saxons  et  de  la  colonie  anglaise  de  cette 
dernière  nation,  que  les  hommes  libres  étaient  distribués 
en  deux  ou  trois  classes,  et  qu'il  y  avait  une  différence  dans 
le  prix  auquel  leurs  vies  étaient  évaluées;  qu'ainsi  les 
élémens  des  privilèges  aristocratiques  existaient  chez  ces 
peuples,  quoique  nous  ne  les  trouvions  pas  encore  parfai- 
tement établis  à  cette  époque. 

Les  antrustions  des  rois  de  France  étaient  également 
nobles,  et  la  composition  qu'on  exigeait  pour  le  meurtre 
de  l'un  d'eux  était  triple  de  celle  que  l'on  payait  pour  un 
simple  citoyen;  mais  c'était  une  distinction  personnelle, 
et  non  héréditaire.  II  manquait  un  lien  pour  assurer  leurs 
éminens  privilèges^  à  leur  postérité,  et  ce  lien  devait  ré- 
sulter des  bénéfices  héréditaires. 

On  sait  que  de  ces  bénéfices  héréditaires  naquirent  bien- 
tôt le  chaos  féodal  et  l'usurpation  de  tous  les  pouvoirs.  Nous 
ne  nous  flattons  point  d'avoir,  dans  une  si  courte  notice,  pu 
donner  une  idée  du  mérite  de  l'auteur,  de  son  travail  et  de 
-I  -  riches  et  nombreuses  notes.  Cependant  nous  croyon? 


12A  SCIENCES  MORALES 

que  cette  esquisse  suffira  pour  inspirer  le  désir  de  connaître 
un  livre  si  utile  à  tous  ceux  qui  cherchent  une  solide  et 
agréable  instruction. 

Le  comte  de  Ségiîr. 


VV  V\it'W\>  WXA'WVl  ww 


Observations  sur  les  iNcoNVÉNijiNs  du  système  actuel 
d'instruction  publique  en  Europe,  et  surtout  en 
France,  et  sur  les  moyens  d'y  remédier;  par  F.  G. 
PoTTiER,  membre  de  l'Académie  d'Iéna  (i). 

Depuis  long-tems,  tous  les  bons  esprits  sentaient  le  vice 
du  système  actuel  d'instruction  publique ,  et  déploraient 
le  mauvais  emploi  de  huit  ou  dix  des  plus  belles  et  des 
plus  heureuses  années  de  la  vie,  uniquement  consumées 
à  tourmenter  et  à  fatiguer  la  jeunesse  par  des  études  fasti- 
dieuses ,  sans  aucune  utilité  comme  sans  aucun  résultat. 
Un  des  professeurs  de  l'Université  de  Paris  ,  dans  une 
brochure  beaucoup  plus  riche  en  choses  qu'en  mots,  vient 
de  développer  avec  une  grande  clarté  tous  les  inconvé- 
niens  d'un  système  suranné,  dont  l'existence  semble  faire 
insulte  au  progrès  des  lumières  et  à  l'état  des  connais- 
sances du  dix-neuvième  siècle. 

L'ouvrage  de  M.  Pottier  se  divise  en  trois  parties.  Dans 
lâpjemière,  il  développe  les  inconvéniensdu  système  actuel. 
Il  examine  les  divers  objets  d'occupation,  propres  aux 
quatre  époques  distinctes,  dans  lesquelles  se  partage  le 
tems  consacré  à  l'instruction.  Il  démontre,  par  des  faits, 
que  les  différens  cours  préliminaires  et  spéciaux  de  gram- 


(i)  Pai'is,  1821,  111-8°  (le  110  pages  en  ptlils  c;\raclciTS  ;  cliez 
railleur,  rue  tles  Fosbe's-Saiiil-Viclor,  55  j  cl  ilicz  Aillnis  Boliiuul^viie 
llaulereuillcj  u"  20.  Prix,  2  fr.  5o  ccul. 


ET  POLITIQUES.  125 

maire,  d'humanités,  de  belles-Ieltrcs,  dans  l'état  actuel 
des  livres  élémentaires  et  des  moyens  employés ,  ne  pro- 
duisent et  ne  peuvent  produire  aucun  résultat,  et  que  ce 
résultat  lui-même,  en  supposant  qu'on  pût  l'obtenir,  ne 
présenterait  aucun  avantage. 

Considérant  ensuite  l'instruction  littéraire  dans  son  en- 
semble ,  il  établit  : 

Qu'elle  ne  sert  pas  même  la  mémoire,  quoiqu'elle  la 
cultive  exclusivement  ; 

Qu'elle  étouffe  l'intelligence,  en  forçant,  pendant  huit 
années  consécutives,  à  répéter  uniquement  des  sons  qui 
n'ont  aucune  valeur  déterminée; 

Qu'elle  fausse  le  jugement,  en  l'asservissant  en  tout  et 
sans  cesse  à  l'autorité  d'autrui  ; 

Qu'elle  éteint  l'imagination,  en  ne  donnant  aucune  idée 
exacte  ; 

Que  l'aversion  qu'elle  inspire  pour  les  auteurs  anciens 
ne  lui  permet  pas  même  de  former  le  goût  ; 

Que  cette  même  instruction  ,  par  le  résultat  nécessaire 
et  obligé  d'un  mode  essentiellement  vicieux,  tient  soixante- 
quinze  jeunes  gens  sur  cent  dans  un  état  continuel  d'oisi- 
veté ; 

Qu'elle  les  met  sans  cesse  en  rivalité  avec  leurs  cama- 
rades ; 

Qu'elle  les  constitue  dans  un  état  de  guerre  et  d'hosti- 
lité perpétuel  avec  leurs  maîtres  ; 

Qu'elle  leur  vante  sans  cesse  des  mœurs  et  des  usages 
différens  de  ceux  de  leur  pays; 

Qu'elle  exalte  à  leurs  yeux  le  mérite  d'un  système  poli- 
tique, tout  opposé  àceluidanslequelils  sont  destinés  à  vivre; 
Et  que ,  sous  tous  ces  rapports ,  il  lui  est  impossible  de 
former  des  hommes  vertueux  et   sociables,   des   sujets 


126  SCIENCES  MORALES 

dociles ,  des  citoyens  amis  de  leur  pays  et  attachés  à  leur 
gouvernement. 

Dans  la  seconde  partie ^  l'auteur  passe  en  revue  tous 
les  moyens  de  défense  que  l'on  peut  alléguer  en  faveur 
du  système  actuel  : 

Ce  système  a  formé  Racine,  Boileau,  Fénélon  ,  etc.  ; 

L'on  peut  bien  savoir  le  latin  sans  atoir  recours  à  une 
méthode  analytique  ; 

En  supposant  que  cette  méthode  fût  indispensable  pour 
acquérir  une  connaissance  approfondie  du  latin,  il  n'est 
pas  nécessaire  de  bien  savoir  cette  langue  ; 

L'étude  des  langues  ne  peut  d'ailleurs  être  soumise  aux 
principes  rigoureux  des  sciences  exactes; 

Le  système  qui  existe  a  pour  lui  la  sanction  du  tenis  ; 

Nos  pères  ont  été  élevés  de  la  même  manière; 

Toute  l'Europe  sent  le  même  système; 

Tous  les  pères  de  famille  l'approuvent  ; 

Les  hommes  ne  seraient  pas  meilleurs  avec  un  autre; 

Ce  serait  d'ailleurs  un  malheur,  si  l'éducation  formait 
un  trop  grand  nombre  de  savans. 

L'auteur  attaque  franchement  tous  ces  argumens;  il  les 
combat  avec  une  dialectique  rigoureuse,  et  les  réfute  vic- 
torieusement. 

Enfin,  il  récapitule  tous  les  inconvéniens,  et  il  établit, 
en  dernier  résultat,  que  le  système  actuel  néglige  les 
facultés  physiques;  tend,  dans  tous  ses  élémens,  à  altérer 
et  à  dépraver  les  facultés  morales,  à  étouffer  et  à  détruire 
les  facultés  intellectuelles,  et  qu'il  est ,  sous  tous  les  rap- 
ports ,  essentiellement  préjudiciable  à  la  gloire  et  à  la 
tranquillité  des  états  ,  aux  intérêts  les  plus  chers  des  pères 
de  famille,  au  bien-être  présent  et  futur  des  jeunes  gens. 

Il  déplore  l'aveuglement  et  l'insouciance  de  la  plupart 


ET  POLÏTIOLES.  127 

des  pères  de  famille  dans  un  ol)jct  d'une  aussi  haute  im- 
portance. 

11  ne  suffisait  pas  de  démontrer  les  vices  du  système  en 
usage,  il  était  nécessaire  de  le  remplacer  par  un  autre  plus 
conforme  à  la  raison.  C'est  ce  que  fait  l'auteur,  dans  la 
t?'oisième  parlie  de  ses  observations.  La  nouvelle  méthode 
qu'il  propose  a  pour  but  de  développer  également  et  en 
même  tems  les  facultés  physiques ,  morales  et  intellec- 
tuelles (i)  :  \q%  facultés  physiques ^  par  une  gymnastique 

(i)  La  même  division,  qui  est  la  seule  qu'on  puisse  raisonnable- 
ment suivre  dans  un  plan  d'éducation ,  a  servi  de  base  à  un  traité 
publié  en  iSoS,  sous  le  titre  d'EssAi  général  d'éducation,  physique, 
morale  et  intellectuelle  ,  suivi  d'un  Plan  d éducation  pratique  pour 
r  enfance ,  l'adolescence  et  la  jeune  s  se  ;  par  M.  M.  A.  Jullien  (  i  vol. 
in^"  avec  tableaux.  Paris,  1808,  Firmin  Didot). 

Ce  traité  est  divisé  en  trois  parties ,  dont  la  première  expose  des 
considérations  générales  sur  les  avantages  et  les  inconvéniens  res- 
pectifs de  l'éducation  publique  et  de  l'éducation  domestique,  et  sur 
l'utilité  d'une  éducation  mixte  et  les  moyens  d'en  assurer  le  succès. 
L'auteur  établit  ensuite  séparément  les  principes  géniaux  des  diffé- 
rentes branches  dans  lesquelles  l'éducation  se  subdivise ,  de  l'édu- 
cation physique  ,  de  l'éducation  morale  et  dcrinstiniction  religieuse, 
de  l'éducation  ijitellectuelle ,  ou  de  l'instruction  proprement  dite. 

La  seconde  partie  contient  l'exposition  d'une  méthode  qui  a  pour 
objet  de  régler  avec  économie  et  discernement  le  bon  emploi  du 
<e7res ,  premier  instrument  du  bonheur.  Cette  seconde  partie,  sous 
le  titre  d'EssAi  sur  l'emploi  du  tems  ,  publiée  séparément  avec  de 
grands  développemens,  est  devenue  un  ouvrage,  pour  ainsi  dire,  clas- 
sique ,  quia  eu  deux  éditions  en  France,  et  quia  été  traduit  en 
allemand,  ainsi  que  l'agenda  général  ^Om  livret  pratique  d'emploi  du 
tems  ,  dont  il  a  été  publié  cinq  éditions,  en  France  et  dans  l'étranger. 
La  troisième  partie  de  ce  traité  comprend  des  tableaux  synop- 
tiques et  analytiques,  composés  de  colonnes  parallèles,  qui  per- 
mettent de  suivre  pas  à  pas  ,  année  par  année ,  la  marche  progressive 
et  l'exécution  du  plan  proposé ,  d'après  la  division  des  trois  branches 
de  l'éducation  et  la  distribution  méthodique  dos  divers  objets  d'en- 


\ 


128  SCIENCES  MORALES 

sage  et  éclairée;  les  facultés  morales,  par  le  résultat ,  en 
quelque  sorte  obligé,  de  toutes  les  habitudes  que  doit  don- 
ner l'instruction,  de  toutes  les  connaissances  qu'elle  doit 
procurer;  \es  facultés  intellectuelles,  par  des  principes  fon- 
dés sur  la  marche  même  de  la  nature. 

Comme  ces  facultés,  dans  leur  développement,  sont 
subordonnées  les  unes  aux  autres,  et  qu'il  devient  indis- 
pensal)le  de  les  cultiver  successivement  et  dans  l'ordre  où 


seignement,  et  des  différens  emplois  de  tous  les  instans  ,  année  par 
année ,  jour  par  jour,  et  pour  ainsi  dire  heure  par  heure. 

Dans  la  récapitulation ,  ou  résumé  analj tique  du  plan  d'éduca- 
iJOTipz-rt/j^He  ,  l'auteur  considère  l'ÉDucATio.\,  science  de  la  culture 
et  du  développement  de  nos  différentes  facultés ,  sous  trots  points 
DE  VUE  :  1"  son  sujet,  I'homme  ;  2°  son  but ,  le  bonheur  ;  5"  son  instru- 
ment, le  TEMS  ;  puis  il  expose  avec  précision  les  conséquences  immé- 
diates de  ces  idées  fondamentales. 

Les  mêmes  divisions,  les  mêmes  titres  de  chapitres,  les  mêmes 
vues  préliminaires ,  le  même  point  de  vue  général  et  analytique ,  ont 
été  reproduits  depuis  peu,  avec  de  légères  altérations  qui  souvent  les 
dénaturent ,  par  l'éditeur  d'un  ouvrage  intitulé  :  De  l' Éducation 
selon  V Évangile  ,  la  Charte  et  le  siècle  (  M.  de  Foclaines  )  ,  qui 
n'en  a  encore  publié  que  l'introduction ,  dans  laquelle  il  ne  s'est  fait 
aucun  scrupule  de  copier,  sans  jamais  le  citer  ni  rendre  aucun  hom- 
mage à  son  auteur,  une  partie  du  traité  dont  nous  venons  d'offrir  le 
résumé.  L'homme  qui  veut  fonder  l'éducation  sur  l'Evangile ,  ne 
devrait-il  pas  commencer  par  en  suivre  les  principes;  et  la  charité, 
comme  la  justice,  qui  défendent  de  s'emparer  du  bien  d'autrui, 
n'auraient-elles  pas  dû  lui  rappeler  ce  précepte  :  rends  à  César  ce 
gui  est  à  César,  et  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu  ?  Prendre  en  totalité  ou 
en  partie  le  plan,  les  divisions  ,  les  titres  d'un  livre,  en  copier  mot 
pour  mot  des  passages  entiers  sans  le  citer,  c'est  violer  doublement, 
et  de  la  manière  la  plus  ouverte,  la  propriété  des  ouvrages  littéraires. 
Ce  vol ,  prévu ,  défini  et  punissable  par  les  lois ,  n'a  rien  de  commun 
avec  l'art  d'emprunter  les  pensées  d'autrui  pour  les'  présenter  dans 
un  autre  ordre ,  les  faire  passer  au  creuset  de  la  méditation,  et  les 
revêtir  de  couleurs  nouvelles.  N.  d.  R. 


ET  POLITIQUiiS.  129 

elles  se  forment ,  l'auteur  établit  trois  époques  distinctes  : 

li?i première ,  de  six  ans,  employée  à  exercer  la  mémoire 
et  l'intelligence  par  des  faits  élémentaires,  propres  à  don- 
ner une  idée  générale  de  toutes  les  sciences  dont  la  con- 
naissance peut  être  utile  ou  même  agréable  à  un  homme 
bien  né  ; 

La  seconde,  de  deux  ans,  destinée  à  éclairer  le  juge- 
ment et  la  raison  par  l'exposition  logique  ou  l'histoire 
méthodique  des  faits  appris  dans  la  première  époque,  et 
l'explication  des  auteurs  anciens  et  modernes,  développés 
et  analysés  comme  écrivains,  sous  le  rapport  du  style  ; 

La  troisième,  également  de  deux  ans ,  consacrée  à  for- 
mer l'imagination  et  le  goCitpar  la  connaissance  plus  appro- 
fondie des  diverses  sciences,  par  l'analyse  et  la  compa- 
raison des  auteurs  appréciés  sous  le  rapport  des  choses  et 
par  divers  sujets  décomposition. 

L'auteur  traite  ensuite  du  mode  d'enseignement  propre 
à  chacune  de  ces  trois  époques. 

Pour  la  première,  qui  est  en  même  tems  la  plus  intéres- 
sante, il  s'est  attaché  à  l'adapter  aux  principaux  traits  du 
caractère  général  dei'enfance.  Il  fait  marcher  de  concert 
l'étude  des  choses  avec  celle  des  mots.  Pour  les  choses , 
les  objets  d'enseignement  sont  classés  dans  une  espèce 
d'ordre  géométrique ,  déterminé  par  le  degré  de  difficulté 
particulier  à  chacun  d'eux.  Les  faits  relatifs  à  chaque  objet 
d'enseignement  sont  limites  et  fixés  par  un  programme  ; 
la  connaissance  de  chaque  fait  est  communiquée  à  l'élève 
par  la  pratique  ,  en  même  teins  que  par  la  théorie. 

Pour  les  mots,  la  langue  latine,  soumise  aux  principes 
analytiques  des  sciences  exactes  ,  sert  de  règle  pour  l'é- 
lude des  autres  langues.  Les  langues  modernes  sont 
apprises  par  la  pratique  journalière,  et  raaienées,  dans 
la  seconde  époque,  au  même  esprit  d'analyse.  L'étude 
de  la  grammaire  est  différée  jusqu'à  ce  que  les  élèves 
Tome  x.  V 


130       SCIENXES  MORALES  ET  POLITIQUES. 

aient   acquis    des   notions   assez    étendues    des  langues. 

Pour  mieux  fixer  les  objets  dans  l'esprit  des  élèves, 
outre  la  mémoire,  l'écriture  et  le  dessin,  l'auteur  fait 
usage  de  cahiers  particuliers  pour  chaque  objet  d'ensei- 
gnement. Ces  cahiers,  contenant  par  ordre  toutes  les  con- 
naissances que  la  méthode  a  procurées  à  l'élève,  auraient 
le  double  avantage  de  lui  mettre  sans  cesse  sous  les  yeux 
l'état  exact  de  ses  richesses  intellectuelles  et  de  lui  faciliter 
les  moyens  d'en  acquérir  de  nouvelles. 

Voulant  réunir  les  avantages  de  l'enseignement  mutuel 
à  ceux  d'une  louable  émulation,  l'auteur  forme  des  com- 
pagnies de  dix  élèves,  qui  portent  le  nom  d'un  Français 
ancien  et  illustre,  et  qui,  solidaires  pour  l'instruction  seu- 
lement, sont  mises  en  rivalité  les  unes  avec  les  autres. 

Lemoded'enseignementrelatifauxdeuxautres époques  se 
trouvant  implicitement  énoncé  dans  les  objets  mêmes  d'en- 
seignement, nous  ne  croyons  pas  devoir  en  faire  mention. 

L'ancienne  méthode  semblait  viser  uniquement  à  créer 
des  hommes  de  lettres.  Tout  le  système  de  la  nouvelle  tend 
à  former  des  hommes  de  bon  sens  ,  amis  de  leur  patrie  et 
attachés  à  leur  gouvernement. 

Cette  analyse  succincte  ne  peut  donner  qu'une  idée  très- 
imparfaite  du  mérite  d'un  ouvrage  qui  réunit  l'élégance  et 
l'énergie  du  style  à  la  profondeur  et  à  la  justesse  des  pen- 
sées, et  qui,  sous  ce  double  rapport,  se  recommande  puis- 
samment à  l'intérêt  des  pères  de  famille  et  à  l'attention 
des  personnes  chargées  de  l'administration  et  de  la  sur- 
veillance de  l'instruction  publique. 

L'auteur  a  le  projet,  dit-on,  de  former  un  établissement 
dans  lequel  il  chercherait  à  mettre  sa  nouvelle  méthode 
en  pratique;  nous  ne  pouvons  que  former  des  voeux  peut 
qu'une  entreprise  aussi  utile  soit  favorisée  et  encouragée 
par  le  gouvernement,  el  pour  qu'elle  obtienne  un  heureux 
succès.  B. 


LITTERATURE. 

Epitres  et  Poésies  suivies  du  poème  de  Parga  ,  par 

J.  P.   G.  ViENNET.    (l). 

Notre  siècle,  que  l'on  accuse  de  toutes  parts  d'une  dé- 
daigneuse indifférence  pour  les  ouvrages  en  vers,  et  qui 
aurait  droit  peut-être  d'alléguer  pour  sa  justification  la 
stérilité  générale  dont  le  champ  de  la  poésie  seml)le  depuis 
long-tems  aiïligé,  paraît  cependant  réclamer  un  geure 
de  poésie  dont  le  succès  serait  grand  sans  doute,  si  l'uti- 
lité peut  être  considérée  comme  la  juste  mesure  de  la  fa- 
veur publique.  Ce  genre  serait  celui  de  la  satire.  Un  petit 
nombre  de  nos  poètes  actuels  s'occupe  de  cette  espèce  de 
composition ,  et  nul  d'entre  eux  n'en  a  fait  l'objet  exclusif 
de  ses  éludes.  La  plupart  s'obstinent  à  braver  la  disgrâce 
dans  laquelle  les  poèmes  descriptifs  sont  justementtombés. 
Il  en  est  qui,  renouvelant  tant  d'essais  infructueux, 
s'arment  d'une  audace  sans  espérance  et  embouchent  la 
trompette  épique.  Quelques-uns,  moins  heureux  encore, 
soupirent  la  plaintive  élégie,  ou  s'élèvent  jusqu'à  l'ode 
pindarique,  poème  qu'un  homme  d'esprit  et  de  sens  a  fort 
justement  surnommé  la  sonate  de  la  lilthature. 

Le  succès  passager  que  les  poèmes  descriptifs  ont  ob- 
tenu en  France ,  doit  être  attribué  au  besoin  d'émotions 
douces  et  de  jouissances  tranquilles  que  tous  les  esprits 
ont  éprouvé  après  les  scènes  tragiques  de  la  révolution 
française.  Il  doit  être  attribué  aussi  au  talent  distingué  du 
chef  de  l'école  descriptive,  talent  qui  eut  quelque  tems  ie 
pouvoir  de  nous  faire  goûter  un  genre  défectueux,  et  dont 

(i)  Uu  vol.  in-8",  à  la  librairie  française  de  Latlvocat,  PalaisRojal, 
galerie  de  bois,  n"  197  et  198.  Prix,  3  l'r. 

9" 


132  LITTÉRATURE. 

les  l)rillans  délauts  furent  rachelés  par  un  grand  nombre 
de  beautés  de  l'ordre  le  plus  élevé.  Mais,  quel  que  ffit 
l'empire  de  la  séduction,  il  fut  impossible  de  ne  pas  re- 
connaître que  le  genre  descriptif  était  faux,  parce  qu'il 
avait  jpour  fondement  ce  qui,  dans  tout  ouvraged'esprit,nc 
doit  être  que  l'accessoire  ;  on  dut  s'apercevoir  bientôt 
que  l'intérêt  réel  d'une  production  poétique  ne  peut  re- 
poser que  sur  les  passions  de  Tboinme.  La  nature  est  sans 
doute  une  vaste  et  brillante  scène  ;  mais  elle  a  besoin 
d'être  animée  par  la  présence  d'un  acteur.  C'est  par  les' 
rapports  que  l'auteur  de  l'univers  a  établis  entre  elle  et 
BOUS  que  la  nature  nous  plaît,  que  nous  aimons  à  en  goûter 
les  charmes;  et  l'art,  qui  n'est  que  l'expression  des  rap- 
ports des  choses  et  des  lois  éternelles  de  la  raison  humaine, 
ne  peut  avouer  tout  ouvrage,  quel  que  soit  d'ailleurs  le 
mérite  de  l'exécution ,  dans  lequel  l'homme  est ,  pour  ainsi 
dire,  exilé  de  son  propre  domaine.  Le  poème  descriptif, 
à  cet  égard,  fait  du  monde  une  vaste  solitude. 

Sans  doute,  on  ne  pensera  pas  que  je  prétende  enve- 
lopper dans  le  même  arrêt  de  réprobation  le  genre  de 
l'épopée,  consacré  par  des  chefs-d'œuvre  de  tous  les  siècles 
et  considéré  par  Boileau  comme  le  premier  et  le  plus  dif- 
ficile de  tous.  Je  n'ignore  pas  que  plusieurs  des  poètes  le? 
plus  distingués  de  notre  époque  ont  depuis  long-tems 
achevé  différentes  épopées,  et  que  quelques  autres  touchent 
à  la  fin  d'un  édifice  dont  la  construction  leur  a  coûté  beau- 
coup de  soins  et  d'années.  Aucun  ami  de  la  littérature  n'a 
oublié  le  titre  de  la  Grèce  saui^ée _,  quoique  l'auteur  de  ce 
poème  (feu  M.  de  Fontanes)en  eûtpromisla  publication  de- 
puis quinze  ans  au  moins.  On  attend  avec  beaucoup  d'es- 
pérance une  épopée  de  Tilits  ou  Jénisalem  détruite  ^  que 
l'auteur  du  Génie  de  Vhomme  (M.  Chenedollé)  vient  d'a- 
chever: et  il  serait  injuste  de  ne  pas  fonder  également  un 


litterailkl;.  1,33 

légiliinc  cspoii'  sur  le  poème  de  Fraiicati_,  que  noui  de- 
vrons bientôt  au  littérateur  distingué  dont  les  poésies 
servent  de  texte  à  cet  article.  Toutefois,  peut-on,  sans  être 
taxé  d'un  trop  grand  scepticisme,  concevoir  de  justes 
doutes  sur  le  goût  actuel  du  public  pour  la  poésie  héroïque. 
Les  fictions,  sans  lesquelles  l'épopée  ne  semble  pas  pou- 
voir exister,  ont  perdu  aujourd'hui  une  grande  partie  du 
crédit  qu'elles  obtenaient  jadis.  Notre  siècle  est  celui  de 
l'examen;  et,  hors  les  choses  qu'il  l'autcroirc  avec  une  foi 
religieuse,  nous  sommes  devenus  dilîîciles  sur  les  men- 
songes un  peu  surannés  de  la  poésie  épique.  Entraînés 
par  le  torrent  des  révolutions,  specttrtcurs  obligés  de  réa- 
lités souvent  tragiques,  nous  représentons  aujourd'hui  une 
scène  dont  la  vérité  et  l'intérêt  ont  émoussé  notre  sensi- 
bilité pour  les  infortunes  fictives.  L'iiistoire  de  notre  tems 
est  une  grande  et  sanglante  épopée,  qui  nuit  à  l'intérêt  de 
toutes  les  inventions  que  le  génie  pourrait  nous  offrir. 

Mais  ces  mêmes  révolutions,  qui  ont  commencé  à  ré- 
générer le  corps  social  et  à  changer  sa  physionomie,  ont 
ouvert  une  nouvelle  carrière  au  moraliste  observateur  de 
la  société.  Les  institutions  récentes,  les  obstacles  que  leur 
établissement  a  rencontrés,  le  choc  des  opinions,  ^c^  in- 
térêts et  des  passions  contraires,  tout  ce  que  nous  voyons 
aujourd'hui  ressemble  si  peu  à  ce  que  l'on  voyait  autre- 
fois, que  l'observateur  est  frappé  sans  cesse  de  faits  in- 
connus à  nos  devanciers;  résultat  d'idées,  de  principes, 
de  préjugés  nouveaux.  Telle  est  malheureusement  la  con- 
dition de  l'homme,  qu'il  mêle  sans  cesse  le  mal  au  bien, 
le  ridicule  au  sublime  :  d'autres  vices,  d'autres  erreurs, 
des  travers  diflférens  se  sont  produits  sur  la  scène  ;  et  c'est 
là  un  champ  nouveau  que  pourraient  exploiter  de  concert 
la  comédie,  si  elle  jouissait  d'une  assez  grande  liberté,  et 


iU  LITTÉRATURE. 

la  satire,  si  quelque  écrivain  distingué  consacrait  son  ta- 
lent à  ce  genre  de  composition. 

Sans  doute ,  le  poète  satirique  de  notre  époque  s'écar- 
terait des  routes  battues;  sans  doute,  il  ne  consacrerait 
plus  son  talent  à  peindre  les  embarras  de  Paris  ou  les  dé- 
sagrémens  d'un  mauvais  dîner;  il  ne  disputerait  point  au 
néant  les  ouvrages  ou  le  nom  des  Cotin  de  notre  âge  ;  sa 
muse,  émule  de  Juvénal  et  de  Perse,  irait  chercher  plus 
haut  des  sujets  plus  utiles  et  plus  grands.  Amie  de  la  li- 
berté et  de  la  philosophie ,  elle  combattrait,  sous  cette  double 
bannière,  leur  commune  ennemie,  l'ignorance;  son  indi- 
gnation poétique  ne  s'exercerait  que  sur  les  véritables 
fléaux  de  la  société  nouvelle.  Elle  n'oublierait  ni  les  préjugés 
antiques  ni  les  préjugés  modernes.  Que  de  tableaux  s'of- 
friraient enfouie  à  sa  plume!  Ici,  les  gothiques  prétentions 
qui  tendent  à  faire  revivre  ce  qui  n'est  plus,  ce  qui  ne 
peut  plus  être  ;  là,  l'insouciance  dorée  de  ces  favoris  du 
pouvoir,  qui  vivent  en  courtisant  tous  les  régimes,  sans 
empêcher  la  chute  d'aucun;  plus  loin,  ces  calculateurs 
habiles  qui,  spéculant  sur  les  progrès  d'un  parti  comme 
sur  les  chances  de  la  bourse ,  s'associent  toujours  au  succès 
de  toute  opinion  quelconque.  Tantôt  c'est  un  ancien  ami 
de  la  tyrannie  qui,  livré  à  un  parti  populaire,  cherche  à 
déguiser  son  allure  de  courtisan ,  et  voudrait  accoutumer 
sa  bouche  à  prononcer  le  nom  du  peuple;  tantôt  c'est  un 
vieux  partisan  des  excès  révolutionnaires,  qui  offre  aux 
rois  son  encens  déshonoré.  Le  satirique  confondrait,  dans 
le  même  tableau,  et  le  ci-devant  esprit-fort  qui  parle  de 
sa  piété  nouvelle,  et  le  ci-devant  républicain  qui  aflTecte 
les  habitudes  de  la  cour,  et  l'homme  du  sabre  qui  implore 
des  cordons  pour  le  prix  de  services  rendus  autre  part  que 
mv  le  champ  de  bataille;  mais,  ce  qu'il  peindrait  surtout 


LITTEIUTUIIE.  ISS 

avec  énergie,  ce  sont  les  ravages  de  l'esprit  de  partie  de 
cet  esprit  qui  corrompt  tous  les  sentimens  honnêtes,  qui 
divise  les  familles,  arme  les  frères  les  uns  contre  les  autres, 
place  le  père  et  le  fils  dans  des  armées  opposées  ^  change 
les  discussions  en  combats,  les  dissentimens  en  fureurs  , 
altère  les  plus  saines  opinions,  substitue  à  l'amour  de  la 
justice  l'amour  d'une  secte,  à  la  liberté  philosophique  la 
dépendance  d'un  parti,  à  l'amour  du  sol  natal  l'indifférence 
du  cosmopolisme,  et  trop  souvent  la  passion  de  l'étranger. 
Si  quelquefois  le  satirique  descendait  des  hauteurs  de 
la  philosophie,  et  se  livrait  à  la  critique  littéraire,  ses  re- 
gards se  détourneraient  de  ces  auteurs  sans  talent,  que 
l'oubli  punit  assez  de  leurs  ennuyeuses,  mais  inofifensives 
productions.  Mais  il  fouetterait  d'an  vers  sanglant  ces 
méprisables  écrivains  qui,  suivant  les  expressions  de  Dide- 
rot, ne  rougissent  point  de  ressembler  à  ces  insectes  im- 
portuns qui  passent  les  instans  de  leur  existence  éphémère 
à  troubler  l'homme  dans  ses  travaux  et  dans  son  repos. 
S'occuperait-il  des  doctrines  littéraires,  il  opposerait  l'auto- 
rité de  son  talent  à  ce  débordement  de  germanisme  qui 
menace  de  corrompre  notre  littérature;  il  vengerait  nos 
chefs-d'œuvre  des  attaques  des  Welches  nouveaux^  il  dé- 
clarerait la  guerre  à  ce  genre  bâtard  qui,  paré  du  nom  de 
romantique,  échappé  des  tréteaux  du  mélodrame,  aspire 
à  s'élever  jusque  sur  nos  théâtres  nationaux,  offre  comme 
un  effort  de  génie  ce  qui  n'est  souvent  qu'un  effort  de 
déraison,  substitue  à  la  saine  critique  les  exaltations  d'un 
enthousiasme  enfantin  ,  et  voudrait  nous  faire  sacrifier  nos 
grands  hommes  à  des  auteurs  dont  le  génie,  semblable  ad 
ciel  monotone  qui  inspirait  le  barde  écossais,  n'offre  que 
de  rares  clartés,  au  milieu  de  ténèbres  orageuses. 

Mais,  en  développant  une  opinion  sur  un  genre  qui  pour- 
rait être  avantageusement  traité  aujourd'hui,  je  m'aperf ois 


136  LITTÉRATURH. 

que  j'oublie  insensiblement  le  sujet  principal  de  cet  article. 
Ce  n'est  pas  qu'il  ne  soit  facile  de  trouver  une  transition 
naturelle  entre  l'exposition  des  ressources  que  cette  époque 
présente  au  satirique,  et  la  nouvelle  publication  de  M.  Vien- 
net,  dont  plusieurs  épîtres  sont  de  véritables  satires.  Il 
semblerait  que  les  réflexions  que  j'ai  offertes  à  mes  lecteurs 
ont  été  plus  d'une  fois  celles  du  poète,  qui  a  signalé  dans 
ses  vers  la  plupart  des  travers  et  des  ridicules  de  la  société 
et  des  partis.  Une  portion  des  épîtres  de  M.  Viennet  est 
consacrée  à  soutenir  les  droits  de  la  raison  et  les  droits  de 
la  liberté,  et  les  inspirations  d'une  noble  philosopbie  ont 
souvent  prêté  ù  son  talent  des  accens  dignes  d'elle.  Soit 
que,  dans  une  patriotique  indignation,  il  s'adresse  à  un 
écrivain  allemand  (Kotzcbiie),  dont  les  diatribes  insul- 
taient jadis  la  France,  soit  qu'il  remercie  un  homme  d'état 
et  un  militaire  illustre  (le  maréchal  Gouvion-Saint-Cyr) 
d'avoir  recréé  une  armée  dispersée  par  des  revers  aussi 
peu  attendus  que  peu  mérités;  soit  qu'il  s'élève  contre  les 
fureurs  de  la  délation,  qu'il  combatte  la  superstition  et  le 
fanatisme,  qu'il  tienne  au  roi  d'Espagne  le  langage  d'un  vrai 
patriote,  ou  soit  que  des  accens  plus  tendres  aillent  con- 
soler les  malheureux  habitans  de  Parga,  victimes  d'une  poli- 
tique barbare,  arrachés  à  leur  douce  patrie,  la  quittant,  les 
ye  ux  baignés  de  larmes,  et  courbés  sous  le  poids  des  ossemens 
de  leurs  ancêtres,  M.  Vionnet  nous  montre  partout  un 
poète  distingué,  un  écrivain  philosophe  et  un  bon  citoyen. 
Le  recueil  qu'il  vient  de  publier  se  compose  de  seize 
épîtres  et  du  poème  de  Parga.  Quelques-unes  de  ces 
épîtres  sont  purement  littéraires.  Dans  plusieurs  autres  , 
l'auteur  jette  un  coup  d'œil  sur  la  société  et  sur  les  travers 
de  notre  âge;  une  d'entre  elles  rentre  dans  le  genre  de  THé- 
roïde,  genre,  il  faut  le  dire,  assez  malheureux  en  France, 
où  il  n'a  encore  produit  de   très-remarquable  qu'un  mor- 


LITTERATURE.  137 

ceau  de  poésie,  qui  n'est  lui-même  que  la  traduction 
d'un  poème  de  Pope,  inférieure  à  l'original,  comme 
toutes  les  traductions.  En  général,  les  sujets  qui  exigent 
de  Ininergie  et  une  sorte  d'indignation  poétique  convien- 
nent beaucoup  mieux  à  M.  Viennet  que  ceux  qui  demandent 
de  la  douceur,  des  images  et  des  sentimens  tendres.  Son 
vers  a  quelque  chose  d'inflexible  ,  et  parfois  même  de  sau- 
vage, qui  rappelle  plutôt  la  brûlante  énergie  de  Juvénal  que 
la  grâce  élégante  d'Horace.  Il  semble  que  l'auteur  dédaigne 
de  polir  sa  phrase,  et  de  donner  à  sa  période  cette  rondeur 
harmonieuse  qui  séduit  l'oreille.  On  serait  porté  ù  croire 
qu'il  aime  mieux  frapper  l'esprit  et  le  surprendre ,  que  de 
l'entraîner  doucement  vers  le  but  qu'il  se  propose.' 

Toutefois,  comme  il  nous  est  impossible  de  renoncer  au 
devoir  que  nous  impose  la  critique,  nous  ne  pouvons  dissi- 
muler que,  si  cette  espèce  d'âpreté  de  style  convient  à  cer- 
tains sujets,  et  même  est  souvent  un  effort  de  l'art,  il  faut 
prendre  garde  qu'elle  ne  devienne  une  manière,  et  que, 
trop  fréquemment  reproduite,  elle  ne  se  change  en  un  per- 
pétuel défaut.  Un  écrivain,  qui  connaît  toutes  les  ressources 
de  son  art,  saitàpropos  briser  sa  phrase, couperses  périodes, 
interrompre  brusquement  l'ordre  naturel  des  expressions, 
réunir  même  à  dessein  des  consonnances  rudes  et  d'une  har- 
monie sauvage.  Mais  si  de  tels  moyens,  qui  ont  la  variété 
pom'  but,  sont  toujours,  ou  trop  souvent,  mis  en  usage,  il 
en  résulte  un  genre  de  monotonie  bien  moins  supportable 
que  celle  qui  est  l'effet  d'une  trop  longue  continuité  de 
tournures  uniformément  élégantes ,  et  de  sons  d'une  har- 
monie toujours  pareillc.Cessortesde  combinaisons  doivent 
être  d'autant  plus  sobrement  employées,  qu'elles  paraissent 
s'écarter  davantage  de  l'ordre  naturel  des  idées.  De  leur 
usage  modéré  naît  l'originalité;  leur  abus  produit  le  singu- 
lier et  le  bizarre.  On  se  tromperait,  au  reste,  si  l'on  pensait 


138  LITTÉKATUllE. 

que  le  style  de  M.  Viennet  mérite  toute  l'étendue  de  cette 
critique.  Il  sait,  quand  il  le  yeut,  donner  à  ses  tournures 
de  la  grâce  et  de  l'élégance.  On  désirerait  seulement  qu'il 
le  voulût  plus  souvent.  Notre  but  est  de  le  prémunir  contre 
l'affectation  d'une  manière  qui,  parfois,  d'un  heureux  effet, 
peut,  par  l'abus,  devenir  un  grand  défaut. 

Si  nous  passons  de  l'examen  du  style  à  celui  de  la  pensée, 
nous  trouverons  tout  à  louer  dans  les  poésies  de  M.  Viennet. 
Cet  écrivain  a  mis  à  profit  le  précepte  d'Horace  qui  établit 
la  raison  comme  le  fondement  de  tout  ouvrage  d'esprit.  Ce 
n'est  plus  tei  l'un  de  ces  poètes  auxquels  on  est  obligé  de 
pardonner  leurs  opinions,  leurs  idées,  en  faveur  de  l'exé- 
cution, chez  lesquels,  en  louant  le  style,  il  faut  condamner 
le  fonds.  Il  n'est  pas  du  nombre  de  ces  écrivains  qui,  re- 
gardant la  poésie  comme  une  combinaison  plus  ou  moins 
heureuse  d'images,  de  sons  et  de  mots,  s'inquiètent  peu  de 
l'utilité  d'un  sujet,  si  ce  sujet  prête  à  des  développemens 
poétiques  ;  vont  chercher  dans  les  répertoires  de  l'orien- 
talisme  des  images  éclatantes,  se  plaisent  à  revêtir  des 
couleurs  de  la  poésie  quelque  fragment  des  écritures,  et 
présentent  ce  futile  travail  à  des  hommes  du  dix-neuvième 
siècle,  qu'ils  prétendent  ainsi  distraire  des  idées  graves,  et 
des  pensées  utiles  qui  les  occupent.  M.  Viennet  a  fait  preuve 
d'un  jugement  sûr  et  d'une  raison    élevée,  en  s'écartant 
d'un  sentier  trop  facile;  il  a  conçu  une  plus  haute  idée  de 
la  mission  du  poète;  et,  loin  de  bannir  la  politique  du  do- 
maine de  l'imagination,  il  a  noblement  pensé  que  l'ima- 
gination et  le  talent  n'ont  pas  moins  que  toutes  les  autres 
facultés  de  l'homme  leur  dette  à  payer  à  la  civilisation. 

Mais  en  même  teins  il  était  digne  d'un  poète  de  pen- 
ser que,  si  la  poésie  doit  remplir  la  mission  d'éclairer  les 
hommes,  son  rôle,  dans  des  tems  de  discorde,  n'est  point 
d'irriter  les  passions,  et  de  courir,  Euménide  sanglante,  au 


LITTERATURE.  139 

milieu  des  partis,  échauffei'  les  discordes  et  souffler  la 
guerre  civile.  La  poésie  remplit,  sans  doute,  un  rôle  hono- 
rable et  sacré ,  lorsque,  sur  la  lyre  de  Tyrtée,  elle  inspire 
à  un  peuple  la  haine  d'une  domination  étrangère;  mais, 
quand  des  discordes  publiques  troublent  ces  enfans  d'une 
même  patrie,  quand  tous  les  membres  d'une  même  société 
doivent  détester  des  combats  dans  lesquels  les  vainqueurs 
sont  plus  à  plaindre  que  les  vaincus ,  où  la  mère  com- 
mune est  partout  déchirée  par  des  fils  révoltés,  le  rôle  de 
la  poésie  est  de  calmer  l'agitation  des  cœurs,  de  rappro- 
cher les  esprits,  de  réconcilier  les  haines,  d'inspirer  enfin 
l'amour  de  la  paix.  M.  Viennetn'a  point  ignoré  ce  devoir, 
et  l'a  plus  d'une  fois  accompli.  Pour  moi,  dit-il  dans  son 
épître  sur  l'armée  : 

«  Pour  moi ,  dont  les  talens  ,  voués  à  ma  patrie  , 
Out  toujoui's  des  partis  combattu  la  furie, 
Moi  qui,  depuis  vingt  ans,  céle'brant  nos  hauts  faits. 
Voudrais  unir  ensemble  et  la  gloire  et  la  pars  , 
Puisse'-je  être  entendu  des  guerriers  que  j'admire , 
Inspirer  à  leur  coeur  ce  que  mon  cœur  m'inspire , 
Le  me'pris  des  ingrats  qui  pensaient  les  flétrir, 
Et  l'horreur  des  médians  qui  les  veulent  aigrir!  » 

Lorsqu'en  i8i5,  les  troupes  étrangères  occupaient  notre 
territoire,  M.  Yiennet  osa  s'adresser  à  l'empereur  de 
Russie,  et  lui  faire  entendre  le  langage  d'un  Français.  Il 
lui  représenta  noblement  les  devoirs  qu'un  trône  impose, 
et  ceux  que  la  victoire  même  commande  ;  il  conseilla  ù 
ce  souverain  de  donner  à  ses  alliés  l'exemple  de  la  mo- 
dération. 

«  Coramencej  fils  des  czars ,  ils  suivront  ton  exemple  ; 
Songe  qu'en  ce  moment  l'histoire  le  contemple  ; 
Qu'un  jour,  précipité  du  faîte  des  grandeurs, 
Salis  sceptre,  sans  armée,  et  surtout  sans  Uallcurs^ 


lAO  LITTÉllATLllE. 

Aux  siècles  à  venir ,  piésente  par  l'histoire  , 

Tu  dois  à  leur  justice  exposer  la  iiiémoire. 

Quels  que  soient  ton  pouvoir  et  la  prospérité  , 

Tu  naquis  le  vassal  de  la  postérité. 

Malheur  aux  souverains  dont  l'orgueil  la  dédaigne  ! 

B'un  œil  incorruptible  elle  juge  leur  règne  ; 

S'ils  furent  des  humains  l'horreur  et  le  fléau  , 

La  honte  pour  jamais  s'assied  sur  leur  tombeaii. 

Le  monde  avec  effroi  s'entretient  de  leur  vie  j 

L'éternitépour  eux  est  toute  ignominie. 

Mais  un  roi  qu'elle  honore,  et  dont  le  peuple  en  deuil 

  regretté  les  lois  et  suivi  le  cercueil , 

Aux  princes  de  la  terre  est  offert  pour  modèle; 

Les  arts  parent  son  front  d'une  palme  iinuiorlelle , 

La  tombe  n'est  pour  lui  que  la  porte  des  cieux  , 

L'hommage  des  mortels  l'élève  au  raug  des  dieux.  » 

Plus  tard,  M.  Viennet  s'adresse  au  roi  d'Espagne,  qu'il 
cherche  à  prémunir  contre  les  flatteurs  et  contre  les  per- 
fides conseillers.  «  C'est  Dieu,  lui  dit-il,  qui  t'inspira  le 
dessein  d'asseoir  la  liberté  sur  le  trône. 

«  Sans  craiulc  et  sans  regret  supporte  sa  victoire  j 

Elle  fit  ton  salut,  elle  fera  ta  gloire. 

Loiu  d'attaquer  les  rois  ,  elle  seule  aujourd'liui 

Des  trônes  ébranlés  peut  devenir  l'appui; 

Ses  amis  sont  les  tiens  ,  vos  in  tcrêts  vous  lien  l  j 

De  ses  ennemis  seuls  que  les  rois  se  défient. 

Je  sais  par  quels  discours  ils  out  pu  l'égarer; 

De  l'intérêt  public,  adroits  à  se  parer  ; 

K  Des  états,  disent-ils,  les  nouvelles  doctrines 

«   Les  couvrent  tôt  au  tard  de  sang  et  de  ruines. 

«  Un  roi  ne  peut  borner,  sans  trahir  de^aïeux  , 

«  Cet  absolu  pouvoir  qu'il  a  reçu  des  cieux. 

«  Le  peuple,  en  ses  désirs,  toujours  iusaliable, 

«  Ne  tient  pas  compte  aux  rois  des  biens  dont  on  l'accable; 

«  Il  n'arrache  un  bienfait  que  pour  en  abuser, 

«  11  u'afTdiblil  11  s  lois  <juc  pour  les  écraser; 

«  C'esl  pour  briser  l'aulel  qu'il  reforme  l'église  , 

«  Et  Dieu  même  biculôt  csl  un  frein  qu'il  méprise,  -j 


LITTERATURE.  lAl 

C'est  ainsi  ,  Ferilinan J  ,  cjii'almsanl  ton  cspiil , 
De  mensonges  adroits  s'est  voilfi  leur  dépit. 
Avec  la  liberté,  confondant  la  licence  , 
lis  t'auront  rappelé  les  malheurs  de  la  France  ; 
Ces  mallieurs  furent  grands  ;  et ,  loin  de  les  nier, 
Je  hais  trop  les  forfaits  pour  les  jusliBcr. 
Mais  qui  lit  tous  ces  maux?  d'où  vinrent  tous  ces  crimes? 
Le  peuple  n'exprimait  que  des  vœux  légitimes. 
Pai'-un  facile  accord  l'empire  était  sauvé , 
L'orgueil  refusa  tout ,  tout  lui  fut  enlevé ,  etc.  » 

Ces  trois  citations  mettent  le  lecteur  à  poitée  de  juger  les 
épîtrcs  de  M.  Viennet,  sous  le  rapport  du  style  et  sous 
celui  de  la  pensée. 

j'ai  réservé ,  pour  la  fin  de  cet  article,  le  poème  le  plus 
intéressant  et  sans  contredit  le  plus  remarquable  du  recueil 
de  M.  Viennet.  Il  était ,  certes,  difficile  de  choisir  un  sujet 
plus  digne  d'inspirer  la  muse  d^un  poète,  que  le  récit  des 
dernières  infortunes  des  enfans  de  Parga.  Un  peuple  mal- 
heureux ,  vendu  par  une  cruelle  politique  à  des  tyrans 
qu'il  déteste ,  préfère  un  exjl  éternel  à  la  domination  d'un 
barbare  étranger  ;  il  abandonne  ses  cités  asservies ,  il  s'ar- 
rache aux  champs  que  fécondaient  ses  mains,  aux  humbles 
temples  où  il  adorait  le  Dieu  de  ses  pères;  peuple  simple 
et  généreux,  peuple  de  laboureurs,  qui  ne  connaissait  que 
le  luxe  modeste  des  campagnes,  que  les  pompes  de  la  na- 
ture si  riche  dans  ses  climats  favorisés ,  et  qui^  cultivant 
les  arts  sans  partager  la  corruption  des  peuples  civilisés , 
s'était  fait  une  douce  et  longue  habitude  de  l'innocence, 
du  courage  et  de  la  liberté.  Le  contraste  de  l'ignorante 
férocité  du  Musulman,  de  la  candeur  à  la  fois  naïve  et 
polie  des  vertueux  Parganiotes  et  de  la  politique  cruelle 
et  cependant  civilisée  de  l'Anglais,  pouvait-il  ne  pas 
échauffer  l'imagination  d'un  poète  ?  Quelques  épisodes 
rattachés  à  l'action  principale  ,  quelques  comparaisons  in- 


1A2  LITTERATURE. 

génieuses,  le  langage  poétique,  et  voilà  un   poème  tout 
entier. 

M.  Viennet  a  traité  ce  noble  sujet  avec  un  talent  remar- 
quable. Il  a  su  donner  du  mouvement  à  ses  tableaux;  ses 
réflexions  sont  souvent  profondes;  ses  images  réunissent 
souvent  la  grâce  à  l'éclat.  On  reconnaît,  dans  les  différens 
caractères  qu'il  introduit  sur  la  scène  ,  et  dans  les  discours 
qu'il  prête  à  ses  personnages,  le  poète  tragique  qui  depuis 
a  produit  une  composition  dramatique  d'un  ordre  élevé. 
Il  montre  une  habileté  devenue  bien  rare  aujourd'hui  dans 
l'exécution  des  vers  libres ,  qu'il  a  choisis  pour  écrire  son 
poème  de  Parga.  Rien  ne  paraît  en  effet  plus  aisé,  et  rien 
peut-être  n'est  plus  difficile  que  ce  genre  de  versification, 
dans  lequel  notre  littérature  ne  possède  qu'un  petit  nombre 
de  bons  modèles.  Sans  doute,  il  arrive  quelquefois  à 
M.  Viennet  de  négliger  certains  détails;  mais  ce  défaut 
est  ici  plus  rare  que  dans  ses  épîtres.  La  peinture  suivante 
semble  remplie  de  charme  et  d'élégance. 

«  Dans  les  champs  de  Parga  réguail  la  liberté, 
Son  souffle  créateur  animait  l'iudustrie; 
De  l'opulence  oisive  et  de  la  pauvreté 
Le  travail  préservait  celle  terre  chérie^ 
Parga  s'applaudissait  de  sa  félicité. 
Les  enfans  de  Parga  bénissaient  leur  patrie. 

Cérès,  dans  leurs  étroits  vallous  , 
Ne  faisait  point  flotter  des  moissons  abondantes  ; 
Mais  la  nature  est  riche  ,  et  ses  mains  bienfaisantes 

Leur  prodiguaient  ses  autres  dons. 
L'olivier,  dont  Pallas  avait  doté  la  Grèce  , 

Pour  eux  surchargeait  ses  rameaux. 

Bacchus,  sur  leurs  rians  coteaux. 
De  ses  pampres  joyeux  étalait  la  richesse  ; 
Sur  des  prés  émaillés  bondissaient  leurs  troupeaux  ; 
Les  échos  redisaient  les  chansons  des  bergères , 
Et  la  mer^  où  voguaient  leurs  cent  barques  légères , 


LITTÉRATURE.  US 

Livrant  à  leurs  filets  riia])itaiit  deses  eaux. 
Leur  portait  les  tre'sors  des  plages  e'trangères. 

Vingt  ruisseaux  limpides  et  frais 
Baignaient  en  murmurant  leur  rive  parfume'e, 

Et  dans  leurs  odorans  bosquets  , 
Au  feuillage  immortel  du  chêne  et  du  cyprès, 
L'oi'ange. mariait  sa  verdure  embaumée.  » 

L'auteur  peint  avec  beaucoup  d'énergie  le  départ  des 
habitans  de  Parga,  lorsqu'ils  s'arrachent  à  leur  patrie.  Nous 
regrettons  de  ne  pouvoir  offrir  à  nos  lecteurs  ce  touchant 
tableau;    mais  nous  croyons  nos  citations  suffisantes  pour 
faire  juger  si  l'ouvrage  de  M.  Viennet  est  au-dessous  du 
noble  sujet  qu'il  a  choisi.  Selon  sa  coutume,  il  a  fait  jail- 
lir, du  récit  des  infortunes  de  Parga,  de  hautes  leçons 
pour  les  monarques  et  pour  les  peuples.  Tacite,  disent  de 
savans  critiques,  n'a  offert  aux  Romains  une  si  séduisante 
peinture  des  peuples  de  la  Germanie   que  pour  donner  à 
Rome  corrompue  une  énergique  leçon;  ce  grand  écrivain 
voulait  faire  rougir  de  son  abaissement  une  nation  dégé- 
nérée de  sa  vertu  première,  en  opposant  à  ses  mœurs  dé- 
gradées le  simple  récit  de  celles   d'un  peuple  que  Rome 
qualifiait  encore  du  nom  de  barbares  ;  ii  voulait  lui  faire 
sentir  le  prix  des  vertus  qu'elle  n'avait  plus.  Puisse  le  ta- 
bleau des  mœurs  modestes  de  Parga,  de  la  naïve  candeur 
de  ce  peuple  sage  et  pieux,  de  son  amour  pour  la  liberté, 
dont  la  corruption  du  vice  est  la  plus  grande  ennemie, 
toucher  plus  vivement  la  France  que  les  admirables  ta- 
bleaux de  Tacite  ne  touchèrent  jadis  cette  Rome  si  cou- 
pable, et  si  déchue  de  sa  splendeur  antique! 

LÉON  Thiessé. 


m.  BULLLETTN  BIBLIOGRAPHIQUE. 
LIVRES   ÉTRANGERS  (i). 


AMÉRIQUE. 

ÉTATS-UNIS. 

K.  B.  Comme  nos  relations  avec  les  Etats-Unis  d'Amérique  sont 
encore  tiès-irrégulières  et  mal  établies,  nous  ne  pouvons  donner  que 
de  loin  en  loin  ceux  des  ouvrages  périodiques  ou  autres  qui  viennent 
à  notre  connaissance.  Nous  invitons  nos  honorables  correspondans  de 
cette  partie  si  intéressante  du  globe  à  vouloir  profiter  de  toutes  les 
occasions  les  plus  sûres  dont  ils  pourront  disposer  pour  nous  trans- 
mettre ,  soit  les  annonces  des  meilleurs  ouvrages ,  publiés  récemment 
dans  leur  pays,  soit  les  nouvelles  qui  peuvent  intéresser  les  sciences, 
les  arts  et  la  littérature. 

1. —  The  American  Médical  Recorder  of  original  papers  and  in- 
telligence in  Medicine  and  Surgerjr.  —  Philadelphie,  octobre  1S20, 
vol.  III,  n»  XII. 

Ce  cahier  contient ,  entre  autres  articles ,  des  observations  sur  la 
cataracte ,  par  M.  G.  Feick,  M.  D.  de  Baltimore  ;  une  revue  analy- 
tique des  première  et  deuxième  livraisons  de  la  Revue  médicale , 
historique  et  philosophique  de  Paris;  un  examen  des  observations 
sur  les  fumigations  sulfureuses  ,  -p  ai  Jean  deCwiKO,  docteur  en 
médecine  ;  une  lettre  du  docteur  Hase  ,  professeur  de  chimie  dans 
l'université  de  Pensylvanie,  sur  son  calorimoteur,  avec  une  planche, 
et  la  réponse  du  docteur  Eeeele. 

2.  —  New  YorJ:  Médical  Reposilory ,  or  Original  Essays  avd  in- 
telligence relating  to  Physic  ^  Surgery,  etc.  — Netf  Séries,  octobre 
1820,  I^ew  York,  n»  i,  vol.  VI. 

Les  principaux  articles  contenus  dans  ce  cahier  sont  ;  un  Précis 
de  la  fièvre  jaune  qui  a  régné  à  la  Nouvelle-  Orléans ,  en  1 S 1 9  ;  par 
M.  J.  Baxteb,  m.  D.  ;  une  Esquisse  historique  de  la  fièvre  jaune 


(:)  Nous  indiquerons,  par  un  astérisque  (*'  plscé  a.  côté  du  tilj-e 
de  chaque  ouvrage  ,  ceux  des  li\  res  étrangers  ou  français  qui  paraîtront 
iligncs d'une  .Tltcntion  particulière,  et  dont  nous  rendrons  quelquefois 
compte  dans  la  section  des  Analyses. 


LIVRES  ETRANGERS.  \/,% 

endémique  qui  exerça  ses  ravages  à  la  Nouvelle-Orléans  ,  pen- 
dant V été  et  V automne  de  1819,  écrite  premièrement  en  français 
par  M.  Dupoy,  de  Chamhéry  ^  M.  D.  secrétaire  de  la  société  médi- 
cale de  la  Louisane  ;  une  analyse  du  Sclerotium  gifçanteum ,  ou  Tuc- 
kahoe,pav  John  Tobrev  ,  M.  D.  ;  un  article  sur  le  Traité  de  la  fièvre 
jaune,  par  Ihvine,  publié  à  Charleston  ,  etc. 

3-  —  The  W'estern  Revieiv  and  Miscellaneous  Blagazine,  vol.  II. 
— N^^forMay.Lexington^i). — Idem. — Vol.  III,  n°  i.for  Augusl 
1820. — Revue  de  l'ouest,  etc.,  pour  les  mois  de  mai  et  d'août  1820. 
Le  premier  de  ces  cahiers  contient  une  dissertation  sur  cette 
question  :  L^ambition  contribue-t-elle  plus  au  bonheur  que  la  vie 
domestique?  Un  article  sur  Ivanhoe  ,  roman  désir  Tf^alter  Scott- 
une  dissertation  sur  l'esprit;  un  article  sur  les  idylles  orientales  • 
un  autre  sur  les  poissons  de  l'Ohio,  par  M.  Rafinesqde;  et  l'extrait 
d'un  ouvrage  intitulé  ,  Le  Livre  d'esquisses  de  Geoffroy  Crayon ,  par 
M.  Irvine.  —  Le  second  cahier  renferme  un  examen  des  Lettres  de 
Pierre  à  ses  concitoyens  ^'un  autre,  des  ouvrages  poétiques  de  John 
Trumbull;  une  lettre  à  Caleb  Atwaler ,  de  Circleuille ,  sur  les  mo- 
numens  Alleghawian  supérieurs  de  North  Eikhorn  Creek  ,  comté 
de  la  Fayette ,  dans  le  Keniucky,  par  M.  Rafinesque,  etc.  et  quel- 
ques pièces  de  vers. 

EUROPE. 

ANGLETERRE. 

4.  —  Report  of  the  Society  for  bettering  the  condition  and  in- 
^reasinglhe  comfortsof  thepoor. — Rapports  de  la  société  fondée  pour 
améliorer  la  situation  des  pauvres  et  augmenter  leur  aisance.  Londres, 
1820.  Hatchard  et  fils.  Piccadilly,  n"  187.  6  volumes  in-12.  Prix, 
)  2  schellings. 

5. — Aa  Essay  on  the  Em.ploy  ment  of  the  poor.  — Essai  sur  la  ma- 
nière d'employer  les  classes  pauvres,  par  Robert  A.  Slaneg.  Londres, 
1820.  Hatchard.  Brochure  in-8°.  Prix  ,  2  schellings. 

6.  —  Travels  in  various  countries  of  the  east,  etc.  —  Voyages  en 
diverses   contrées    de   l'orient ,    faisant  suite  aux    mémoires  sur  la 


fi)  L'emplacement   deLexington,  chef-lieu    de  l'état    de  Ken- 

tucky,  n'était,  en  1779,  qu'une  vaste  fort't;  ce  ne  fut  qu'en  1781   qu(j 

le  plan  de  la  ville  fut  tracé, 
V 

Tome  x.  10 


U6  LIVRES  ih'RANGERS. 

Turquie  d'Europe  et  celle  d'Asie,  par  Robert  Walpolb.  Londres, 
1820,  in-4°  de  65o  pages,  avec  treize  planches. 

Les  mémoires  cités  dans  ce  titre,  et  ce  volume  qui  en  est  la  con- 
tinuation ,  renferment  beaucoup  d'anciennes  inscriptions  grecques , 
avec  des  explications,  des  observations,  des  descriptions  les  plus 
instructives  et  les  plus  satisfaisantes. 

7. — Picluresque  illustrations  of  Buenos- Ay  res  and  Monte- J^ideo. 
— Vues  pittoresques  de  Buenos- Ayres  et  de  Monte- Video;  composées 
de  vingt-quatre  gravures,  avec  la  description  du  pays,  des  costumes, 
des  mœurs ,  etc. ,  des  habitans  de  ces  villes  ,  et  de  ceux  des  environs; 
par  E.  E.  Vidal.  Londres,  1820.  Linibird.  1  vol.  in-4°. 

Les  événemens  qui  se  sont  passés  depuis  dix  à  quinze  ans  dans  les 
provinces  espagnoles  de  l'Amérique  méridionale ,  Axèrent  sur  ces 
contrées  l'attention  de  toute  l'Europe.  La  prise  de  Buenos-Ayres  par 
sir  Home  Popham  ,  en  1806,  fut  comme  le  prélude  de  la  révolution 
qui  s'étendit  ensuite  sur  tout  ce  vaste  continent.  Le  marquis  de 
Sobre-jMonte,  vice-roi,  homme  dépourvu  de  talent  et  d'énergie, 
abandonna  la  ville  à  une  poignée  de  troupes  anglaises.  Don  Santiago 
Liniers  répara  cet  échec  par  sa  valeur:  ce  brave  Français  attaqua  la 
ville  deux  mois  après,  s'en  empara,  et  fit  prisonnier  le  général  an- 
glais et  sa  petite  armée.  Indignés  de  la  conduite  de  leur  vice-roi, 
les  habitans  le  dépouillèrent  de  sa  charge,  et  en  investirent  leur  li- 
bérateur ,  auquel  ils  accordèrent  l'autorité  suprême  tant  civile  que 
militaire ,  avec  le  titre  de  capitaine  général.  Cette  démarche  fut  le 
premier  pas  vers  l'insurrection  qui  a,  depuis,  séparé  ces  provinces  de 
la  mère-patrie.  L'année  suivante,  les  Anglais,  commandés  par  sir 
Samuel  Auchmuty,  prirent  possession  de  Monte-Video,  qu'ils  per- 
dirent après,  par  suite  d'une  capitulation  ignominieuse  à  laquelle 
souscrivit  le  général  Whitelock,  s'engageant  à  faire  évacuer  toutes  les 
provinces  de  Rio  de  la  Plata  ,  y  compris  Monte-Video. 

Le  rang  et  la  popularité  dont  jouissait  Liniers  excitèrent  l'envie 
d'Elio ,  gouverneur  de  Monte- Video.  Il  essaya  de  se  faire  des  parti- 
sans et  réussit  à  former  une  junte  distincte ,  à  l'imitation  de  celle  de 
l'Espagne  ,  indépendante  du  capitaine  général.  Liniers  fut  remplacé 
par  Don  Baltasar  Hidalgo  de  Cisneros.  Celui-ci  fit  connaître  aux 
habitans  la  déclaration  de  la  régence  d'Espagne ,  qui  dispensait  les 
Américains  de  toute  obéissance  au  gouvernement  espagnol.  On  as- 
sembla aussitôt  un  congrès ,  et  l'on  forma  une  junte  ;  mais  les  chefs 
espagnols  du  Paraguay    ayant  voulu  s'opposer  à  l'exécution  de  ces 


LIVRES  ETRANGERS.  1A7 

projet.'i,  Liniers,  abandonné  des  troupes  qu'il  avait  levées,  fut  pris 
et  décapité.  Au  commencement  de  l'année  1811 ,  Don  José  d'Arti- 
gas ,  natif  de  Monte-Video ,  offrit  ses  services  à  la  junte  de  Buenos- 
Ayres,  pour  exciter  à  l'insurrection  les  habitans  de  la  rive  gauche 
(Est)  de  la  Plata  :  il  en  obtint  des  secours  d'armes,  de  munitions  , 
de  soldats,  et  parvint  à  établir  l'indépendance  de  cette  province.  A 
l'exception  de  Monte-Video,  dit  notre  auteur,  Artigas  possède  toute 
la  rive  orientale  (  Banda)  qu'il  gouverne  seul;  il  vit  en  bonne  intel- 
ligence avec  les  membres  du  congrès  dont  l'autorité  est  maintenant 
reconnue  par  toutes  les  provinces  de  Rio  de  la  Plata,  qui  sont  au 
nombre  de  vingt,  divisées  en  hautes  et  basses,  suivant  leur  situation. 
Les  premières  sont  :  Maxos  et  Chiquitos  ,  Apalobamba  ,  Santa-Cruî 
de  la  Sierra ,  La  Paz,  Cochabamba,  Garangas,  Misque,  Paria,  Char- 
cas,  Potosi  et  Atacama.  Les  dernières  sont  :  Tarija  ,  Calta,  Paraguay, 
Tucuman,  Cordoba,  Cuyo,  Entrerios ,  Monte- Video,  ou  Banda- 
Orientale,  et  Buenos- Ayres.  La  population  de  cette  immense  étendue 
de  pays  ne  s'élève  pas  à  plus  d'un  million  trois  cent  mille  âmes. 

Après  avoir  donné  quelques  détails  sur  l'histoire  de  Buenos-Ayres  , 
l'auteur  passe  à  la  description  de  cette  ville,  telle  qu'elle  est  aujour* 
d'hui.  Avant  de  devenir  la  résidence  du  vice-roi,  elle  était  regardée 
comme  la  quatrième  ville  de  l'Amérique  méridionale  ;  mais,  sa  popu- 
lation et  son  opulence  augmentant  chaque  jour,  parmi  les  villes  de 
cette  cùte  de  l'Amérique  ,  elle  n'est  plus  aujourd'hui  inférieure  qu'à 
Lima.  Le  tableau  des  mœurs  et  des  coutumes  de  ses  habitans  est 
neuf  et  plein  d'intérêt  :  en  général ,  cet  ouvrage  renferme  tout  ce 
qu'on  peut  désirer  de  connaître  sur  un  pays  qui  a  été  depuis  peu  le 
théâtre  d'événemens  importans,  et  féconds  en  résultats. 

8. — Journal  of  an  ojjicer,  etc.  —  Journal  d'un  officier  employé 
dans  le  commissariat  de  l'armée  ;  comprenant  une  relation  des  cam- 
pagnes du  duc  de  Wellington,  en  Portugal,  en  Espagne,  en  France 
et  dans  les  Pays-Bas  ,  depuis  181 1  jusqu'en  iSi5  ;  et  quelques  détails 
sur  l'armée  d'occupation  restée  en  France,  pendant  1816,  1817 
et  1818.  Londres,  1820.  Limbird.  1  vol.  in-S"  de  5oi  pages. 

On  ne  peut  raisonnablement  s'attendre  à  trouver  beaucoup  d'im- 
partialité dans  un  ouvrage  de  ce  genre ,  publié  par  un  Anglais  faisant 
partie  de  l'armée  de  Wellington.  Aussi  l'auteur  passe-t-il  sous  silence 
les  revers  de  ses  compatriotes  ;  mais,  en  revanche,  il  s'arrête  avec  com- 
plaisance sur  les  succès  des  armes  britanniques,  auxquelles  il  at- 

10* 


Îi8  LIVlUiS  ETRANGERS. 

tribue  entièrement  la  victoire  de  Waterloo.  Avec  plus  de  sincérité 
et  moins  de  préjugés,  il  eût  pu  offrir  un  récit  fort  intéressant  des 
grands  événemens  de  la  guerre  dont  il  a  été  témoin  pendant  plus  de 
huit  années.  Ge  journal  peut  encore,  tel  qu'il  est,  devenir  utile  aux 
militaires  ;  les  détails  de  tactique  y  paraissent  traités  d'une  manière 
claire  et  précise. 

g. — Select  female  Biograp/iy  ;  comprising  Memoirs  of  Eminent 
British  Ladies  ,  etc. — Biographie  des  dames  ,  ou  Mémoires  originaux 
de  quelques  dames  anglaises  célèbres  par  leurs  vertus ,  tirés  de 
sources  authentiques.  Londres  ,  1821.  i  vol.  in-12  de  33i  pages. 

On  s'est  surtout  appliqué,  dans  cet  ouvrage,  à  représenter  le» 
femmes  que  la  religion  a  soutenues  dans  les  épreuves  de  la  vie.  On  a 
voulu  flxer  ainsi  l'attention  du  lecteur  sur  l'importante  liaison  qui 
subsiste  entre  notre  vie  présente  et  nos  destinées  futures.  Les  vies  des 
principaux  personnages  dont  il  est  parlé  dans  ce  volume  ont  déjà 
été  offertes  au  public  ;  mais  on  les  retrouve  ici  écrites  avec  plus  de 
charme  et  une  élévation  d'ame,  en  harmonie  avec  le  sujet. 

ip('). — Memoirs  of  the  lifeofy4nne  Bolej^n,  queen  of  Henry  VIII. 
—  Mémoires  de  la  vie  d'Anne  de  Boleyn ,  femme  de  Henri  VIII.  Par 
Miss  Benger,  auteur  des  Mémoires  de  madam.e  Elisabeth  Ha~ 
milton.;  de  John  Tobin,  etc.  Londres,  1821.  Longman,  Hurst,  Rees. 
a  vol.  in-8''. 

Déjà  connue  en  Angleterre  par  plusieurs  excellens  ouvrages  bio- 
graphiques, miss  Benger  vient  de  donner  au  public  ,  sous  le  titre  de 
Mémoires  d'Anne  de  Boleyn,  une  peinture  vraie  et  piquante  des 
mœurs  de  la  cour  de  Henri  VIII.  Cette  époque,  féconde  en  grands 
résultats,  vit  la  réforme  s'établir  en  Angleterre  et  y  semer  les  germes 
d'indépendance  qui  se  développèrent  ensuite  ,  et  fondèrent  la  pros 
périté  de  l'Etat.  Miss  Benger  a  traité  son  sujet  plus  en  historien 
qu'en  biographe ,  ou  plutôt  elle  a  su  faire  un  heureux  mélange  des 
deux  genres.  L.  S. 

11.—  Georgiana;  or  Anecdotes  of  George  the  Third.—  Georgiana  , 
ou  Anecdotes  sur  Georges  III  ;  suivies  de  quelques  morceaux  de 
poésie;  par  Ingram  Cobbin.  Londres,  1820.  Colburn.  in-8".  Prix, 
a  schellings  6  pences. 

M.  Cobbin  a  rassemblé  différens  passages  de  plusieurs  écrivains, 
qui  ont  parlé  du  roi  et  de  sa  vie  privée;  il  y  a  joint  quelques  traits 
qui  honorent  le  caractère  du  monarque,   qui   n'ont  été  publiés  que 


LIVRES  ETRANGERS.  1A9 

depuis  sa  mort  ;  et  il  a  rangé  cette  compilation  dans  l'ordre  suivant  : 
nr»œurs  et  habitudes,  esprit,  politique,  littérature  et  beaux  arts  , 
bienveillance,  tolérance  religieuse,  piété,  etc.  La  première  section 
des  anecdotes  est  terminée  par  ce  portrait  du  roi. 

«Georges  III  était  robuste  et  d'une  taille  ordinaire  (il  avait  cinq 
pieds  dix  pouces  'anglais).  Il  passait  pour  beau  dans  sa  jeunesse  , 
mais  les  pommettes  de  ses  joues  étaient  trop  proéminentes  ;  il 
avait  les  cheveux  d'un  blond  de  lin ,  les  yeux  gris  et  à  fleur  dn 
tête,  les  sourcils  blancs,  les  lèvres  épaisses,  les  dents  blanches  et 
bien  rangées,  et  la  bouche  fort  grande.  Dans  les  dernières  années 
de  sa  vie  ,  sa  figure  était  souvent  d'un  rouge  terne  et  foncé.  Lorsqu'il 
était  grave ,  sa  physionomie  exprimait  la  tristesse;  mais,  quand  il 
s'égayait,  elle  prenait  un  caractère  de  frivolité  qui  semblait  annon- 
cer une  grande  faiblesse  d'esprit.»  Il  était  doux  dans  son  intérieur , 
affable  pour  ceux  qui  l'approchaient,  ami  des  arts  et  des  artistes,  et 
charitable  avec  discernement.  Pendant  une  maladie  qu'il  eut,  en 
1789,  on  nomma  un  comité  pour  examiner  l'état  de  ses  dépenses 
particulières ,  et  il  se  trouva  que ,  sur  un  revenu  de  60,000  livres 
sterling,  il  en  dépensait  14,000,  paran,  en  charités.  »  Parmi  lespièces 
de  vers  qui  terminent  ce  recueil,  nous  en  avons  remarqué  une  inti- 
tulée Le  Contraste ^  qui  renferme  de  belles  pensées  et  des  images 
touchantes  de  l'état  de  démence  habituelle  du  roi. 

12.  —  The  life  of  ihe  Réf.  Thos.  Coke,  L.  L.  D.,  etc. — Vie  du 
révérend  Thomas  Coke,  contenant  en  détail  ses  divers  voyages  et 
ses  missions  extraordinaires  en  Angleterre,  en  Irlande,  en  Amérique 
et  dans  les  Indes  occidentales.  Par  iSamMe/ Drew  ,  de  Saint-Austlb. 
Londres,  1820,  in-S»  ,  cartonné,  8  schellings,  avec  un  portrait. 

i5.  —  Metrical  Legends  of  exalted  characters.  —  hégendcs  en  vers 
sur  quelques  personnages  distingués,  par  Joanna  Baillie.  Londres, 
1821  ,   1    vol.  in-S"  de  SjS  pages. 

L'auteur  de  cet  ouvrage  jouit  depuis  loug-tems  en  Angleterre 
d'une  réputation  méritée.  Ses  ouvrages  dramatiques  ,  dans  lesquels 
elle  s'est  attachée  à  mettre  successivement  enjeu  toutes  les  passions, 
l'ont  placée  au  premier  rang  des  poètes  anglais.  Sa  poésie ,  forte  de 
pensées,  est  remplie  d'énergie  et  d'enthousiasme.  Les  légendes  que 
nous  annonçons  sont  au  nombre  de  trois.  La  première  célèbre  le 
grand  caractère  et  le  noble  dévouement  du  héros  de  l'Ecosse,  Wi!- 


150  LIVRES  ETRANGERS. 

iiam  Wallace;  c'est  un  récit  fidèle  des  principaux  cvénemens  de  la 
Tie  de  ce  patriote.  Ce  poème  est  d'une  simplicité  et  d'une  beauté 
remarquables;  la  fin  tragique  de  Wallace  et  les  souvenirs  qu'il  a 
légués  à  sa  patrie  y  sont  dépeints  avec  une  grande  sensibilité.  Le 
héros  de  la  seconde  légende  est  Christophe  Colomb,  qui  unissait 
à  l'indépendance  de  pensées  d'un  vrai  philosophe,  à  la  sage  intré- 
pidité d'un  chef  et  à  l'ardeur  aventureuse  d'un  voyageur,  la  dou- 
ceur et  l'humanité  du  chrétien.  Ses  projets,  ses  voyages,  la  révolte 
de  son  équipage  ,  la  découverte  de  l'Amérique,  ses  relations  avec  les 
naturels  du  pays,  son  retour  en  Espagne,  l'ingratitude  de  ses  com- 
patriotes ,  ses  revers ,  ses  malheurs ,  ont  fourni  à  l'auteur  une  suite 
de  tableaux  animés  et  pleins  de  sentiment.  Des  réflexions  inspirées 
par  la  vue  de  la  tombe  de  Colomb  terminent  cette  composition 
poétique.  Le  sujet  de  la  troisième  légende  est  le  caractère  noble  et 
élevé  d'une  femme  ,  dont  le  nom  est  inconnu  dans  l'histoire ,  lady 
Griseld  Baillie,  mais  dont  les  vertus  donnent  l'idée  de  la  perfection. 
Ce  poème,  quoique  inférieur  aux  deux  autres,  est  cependant  une 
production  très-distinguée.  L'auteur  a  joint  aux  légendes  quatre  bal- 
lades, dont  la  poésie,  beaucoup  plus  correcte,  se  rapproche,  par  sa 
simplicité  et  par  son  charme ,  des  anciennes  ballades  anglaises.  On 
assure  que  le  libraire  qui  s'est  chargé  de  publier  cet  ouvrage  l'a  payé  à 
l'auteur  la  somme  exorbitante  de  mille  livres  sterling.  Ce  siècle  est 
léellement  l'âge  d'or  des  poètes  anglais.  L.  S. 

14. — Philibert ,  a  poeùcal  Romance.  —  Philibert,  roman  poé- 
tique, en  six  chants,  par  Thomas  Colley  Grattai».  Londres,  1820, 
Longman  ,  Hurst,  Rees.   1   vol.  in-S"  de  2S8  pages. 

Le  sujet  de  ce  poème  est  emprunté  aux  Causes  célèbres  :  la 
scène  se  passe  en  France.  Une  poésie  facile,  des  tableaux  gracieux 
et  des  scènes  intéressantes  ont  valu  à  l'auteur  d'honorables  succès. 

i5. — Giovanni  Sbogarro. —  Jean  Shogar,  conte  vénitien,  imité 
du  français  par  Perceual  Gordon.  2  vol.  in~ii,  Londres  ,  1820. 
Baldwin.  12  sch. 

16. — Les  Ogres  du  seizième  siècle,  contes  de  Fées,  par  Madame 
D**.  m- 12.  Londres,  1820.  Baldwin. 

17.  —  Such  is  ihe  iforld.~Le  monde  tel  qu'il  est.  Londres,  1821. 
Limbii'd.  3  vol.  in-12:  prix,  2  guinées. 

Les  caractères  des  personnages   de  ce  roman  ,  depuis  le    duc  jus- 


LIVKKS  ETRANCEilS.  131 

qu'au  garçon  d'auberge,  sont  peints  avec  une  fidélité  qui  prouve 
une  parfaite  connaissance  du  monde ,  un  grand  esprit  d'observation 
et  un  tact  fin  et  délicat.  On  n'y  trouve  pas  non  plus  de  ces  allusions 
grossières ,  de  ces  plaisanteries  indécentes ,  qui  souillent  trop  sou- 
vent les  écrits  de  ce  genre.  La  vertu  et  le  vice  y  sont  représentés 
sous  leur  véritable  aspect ,  de  manière  à  faire  aimer  l'une  et  haïr 
l'autre.  Ce  but  moral,  loin  de  nuire  à  l'intérêt,  ne  fait  qu'y  ajouter. 

18.  —  The  Mystery ,  or farly  years  a^o.— Le  Mystère,  ou  il  y  a 
quarante  ans.  Londres,  1820.  Limbird,  3  vol.  in  1.2. 

ig.  —  Calthorpe ,  or  fallen  fortunes.  —  Calthorpe  ,  ou  les  revers  de 
fortune,  par  l'auteur  du  y>7/i7é/-e.  Londres,  1820.  Limbird,  3  vol. 
in-12. 

Ces  deux  romans,  écrits  par  le  même  auteur,  ^-t  publiés  à  très-peu 
de  distance  l'un  de  l'autre ,  diffèrent  essentiellement  par  le  plan  et 
par  les  détails.  Le  premier  est  fondé  sur  des  faits  historiques,  auxquels 
se  rattache  une  intrigue  qui  ne  manque  ni  d'intérêt  ni  de  vérité.  La 
scène  se  passe  en  1780;  les  mœurs  de  Londres,  à  cette  époque,  y 
sont  retracées  avec  fidélité.  Dans  Calthorpe ,  on  a  essayé  de  peindre 
des  scènes  de  la  vie,  d'une  nature  tantôt  grave,  tantôt  comique  ;  l'as- 
sassinat d'un  des  principaux  personnages  du  roman,  soupçonné  de 
s'être  suicidé,  est  un  des  grands  ressorts  de  l'action.  L'auteur  a 
voulu  imiter  Walter  Scott,  mais  il  a  échoué  dans  cette  entreprise. 

POLOGNE. 

20. — JF'yktad  leorjuzno-praktjezny  ,  etc.  —  Traité  théorique  et 
pratique  de  l'art  de  fabriquer  les  eaux-de-vie  et  liqueurs  ,  par 
A.  DcNiN.  1  vol.  in-8.°  fig.  Varsovie.  Glucksberg,  1820. 

Cet  ouvrage  est  une  bonne  compilation  de  ce  que  contiennent  les 
derniers  et  les  meilleurs  ouvrages  français  et  allemands  qui  traitent 
de  cette  matière. 

21. — Ballady  i  piesni,  etc. —  Ballades  de  Schiller  ,  traduites  en 
vers  polonais  par  J.  N.  Kamiensri,  in- 12.  Léopol.  Wild.  1820. 

C'est  une  traduction  fidèle  et  bien  versifiée  des  principaux  poèmes 
de  Schiller. 

22.  —  l'isma  ff^lasne ,  etc. —Œuvres  de  A.  Felinski.  Tome  II, 
in-S".  Varsovie,  N.  Glucksberg.  1821. 

Ce  volume  renferme  trois  tragédies,  qui  ont  été  publiées,  après  la 
la  mort  de  M.  Felinski,  par  sa  famille  ;  savoir:  Barbara  ,  tragédie  po- 


1^2  LIVRES  ETRAiNGERS. 

1  onaise  ;  la  traduction  du  lihadanuite  de  Crébillon  ,  et  celle  de 
f^'irginie ,  tragédie  d'Alfiéri.  Le  premier  volume  de  cette  coUectioD, 
publié  en  1816,  contient  une  traduction  de  l'Homme  des  champs  , 
de  Delille ,  et  quelques  morceaux  en  prose.  M.  le  comte  Gustave 
Olizar,  un  des  amis  du  dçfunt,  a  déjà  pris  des  arrangemens  avec  le 
libraire-imprimeur,  Glucksberg,  à  Varsovie,  pour  faire  paraître  une 
édition  complète  des  œuvres  de  M.  Felinski,  édition  qui,  par  sa  beauté 
typographique ,  doit  être  un  monument  digne  du  mérite  de  l'auteur. 
La  plupart  des  ouvrages  que  nous  venons  d'indiquer  sont  imprimés 
par  M.  Glucksberg  avec  des  caractères  fondus  par  M.  Didot ,  et  on 
y  reconnaît  avec  plaisir  les  soins  et  les  succès  de  cet  imprimeur ,  qui 
n'épargne  aucuns  frais  pour  rapprocher,  en  Pologne,  l'art  typogra- 
phique du  degré  de  perfection  où  il  est  porté  en  France. 

23. — Podrez  do  Ciemnogrodu,  etc. — Voyage  au  pays  des  ténèbres- 
4  vol.  in-iS.  Varsovie,  1S20.  N.  Glucksberg. 

C'est  une  satire  extrêmement  spirituelle,  sous  la  forme  d'un  ro- 
man. L'auteur  indique,  dans  l'introduction,  le  but  de  son  ouvrage  ;  et, 
quoiqu'il  consei've  l'anonyme ,  on  ne  peut  y  méconnaître  l'homme 
d'état  habile  et  le  littérateur  profond. 

ALLEMAGNE. 

24- — Paris  und  London  fur  den  Arzt. — Paris  et  Londres  pour  le 
médecin,  par  Weise.  Halle,  1820.  Tome  I,  contenant  Paris. 

25. — Island  lucksichtUch  seiner  Vulcane ,  etc.  —  De  l'Islande  , 
«ous  le  rapport  de  ses  volcans ,  de  ses  sources  chaudes  et  de  se* 
mines  de  soufré,  par  C.  Gaetlieb-Freybehg,  1S19,  in-B". 

Si  ce  petit  livre  est  recommandable ,  ce  n'est  pas  précisément  sous 
le  rapport  géographique  :  il  y  a  des  choses  utiles ,  mais  elles  appar- 
tiennent pour  la  plupart  à  Olassen  ou  à  Mackensie  ;  souvent  même 
elles  sont  tirées  de  sources  moins  connues.  La  description  des  grands 
et  petits  volcans  [Hrauns  et  Jôkuls)  présente  beaucoup  d'intérêt; 
seulement,  l'histoire  de  7eurs  éruptions  est  fatigante  par  sa  minu- 
tieuse exactitude.  L'auteur  cite  un  passage  du  livre  de  Bedemar  sur 
les  produits  volcaniques  de  l'Islande.  Ce  passage  est  assez  singulier 
pour  mériter  de  trouver  place  ici.  «  On  peut  comparer  toute  l'île  à 
im  vaste  toit  percé  par  une  infinité  de  cheminées  qui  s'élèvent  d'un 
foyer  commun  ,  d'où  se  dégage  sans  cesse  et  avec  violence  im  calo- 
rique toujours  renaissant.  »  Ceux  qui  veulent  se  livrer  à  l'étude  de^ 


LIVRES  ETRANGERS.  155 

phénomènes  volcaniques  feront  bien  de  visiter  l'Islande.  Celte  ile 
sera  pour  eux  une  terre  classique  ;  il  s'y  forme  d'un  moment  à  l'auUe 
des  volcans  qui  disparaissent  aussi  promptement.  Un  homme  ayant 
creusé  la  terre,  il  en  sortit  des  flammes  qui  causèrent  de  grands  dé- 
gâts. Un  autre  ,  prévoyant  une  éruption  à  l'endroit  même  où  était  sa 
maison,  la  démolit  et  la  releva  plus  loin ,  et  l'éruption  eut  lieu.  Les 
habitans  sont  avertis  de  ces  sortes  de  visites  par  le  bruissement  des 
eaux  dans  les  puits.  L'ouvrage  de  M.  Gartlieb  contient  des  choses 
fort  instructives  sur  les  sources  chaudes ,  sur  les  sources  bouillantes  , 
sur  le  soufre ,  etc.  Ph.  Goi.behy. 

26.—Entdeckungs  Heise ,  etc.— Voyage  de  découvertes  dans  la 
mer  du  sud  et  au  détroit  de  Bering,  pour  trouver  un  passage  par  le 
pôle  septentrional,  fait  en  i8i5,  i8i6,  1817  et  1818,  aux  frais  du 
comte  de  Romanzoff,  chancelier  de  l'empire  russe,  sur  le  vaisseau 
le  Rurick,  sous  le  commandement  du  lieutenant  de  la  marine  impé- 
riale de  Russie  ,  OUon  de  Kolzehue  ■  3  vol.  in-4.»,  avec  planches,  la 
plupart  coloriées,  et  7  cartes  terrestres  et  maritimes.  Berlin,  Co- 
penhague, Hambourg. 

On  trouve  dans  cet  ouvrage,  1.»  une  introduction  par  M.  dbKhisens- 
tehpt;  2."  une  revue  des  voyages  entrepris  pour  découvrir  un  passage 
par  le  pôle  arctique,  par  le  même;  5.°  un  exposé  général  des  travaux 
faits  durant  le  voyage  actuel,  relativement  à  l'astronomie  et  à  la 
physique,  par  M.  de  Hor>eb  ;  4.°  la  première  partie  de  la  description 
historique  de  ce  grand  voyage. 

Le  second  volume  contiendra  la  seconde  partie  de  l'histoire  de 
ce  voyage;  la  description  des  îles  nouvellement  découvertes  dans  le 
grand  Océan,  par  les  hommes  du  vaisseau  le  Rurick,  et  le  tableau 
des  maladies  qu'ils  ont  éprouvées  pendant  leur  navigation  ,  par  M.  le 
docteur  Eschsschelz. 

On  trouvera  dans  le  troisième  volume  les  observations  et  les  dé- 
couvertes des  naturalistes  employés  sur  ce  vaisseau  pendant  le  cours 
du  voyage  ;  cette  dernière  partie  a  été  rédigée  par  M.  /Idelbert  de 
Chamisso.  Lanjuinais. 

aj. — Gemdhlde  aus  dem  Zeitalter  der  A'r<?Mzzî/^e.— Tableaux  du 
tems  des  croisades.  1821.  Tom.I,  grand  in-8<»de  5a8  pag.  Prix,  n  fr. 

Les  recherches  historiques  les  plus  profondes  sont  exposées  dan* 
r<ît ouvrage  avec  clarté, et  le  style  en  est  châtié  et  soutenu,  mérite  peu 


15A  LIVRES  ETRANGERS. 

commun  dans  les  écrits  historiques  des  Allemands.  L'auteur  n'em- 
brasse point  l'ensemble  des  événemens  mémorables  qu'il  décrit , 
mais  il  rattache  le  Cl  de  sa  narration  à  quelques-uns  des  chefs  les  plus 
célèbres  des  croisades;  et ,  en  traçant  leur  biographie  comme  objet 
principal,  l'histoire  du  royaume  de  Jérusalem,  quoique  complète, 
n'y  paraît  qu'un  accessoire.  Les  personnages  qui  figurent  dans  ce 
premier  volume,  sont  Tancrède  et  Baudouin  III.  Le  second  volume, 
qui  doit  paraître  incessamment ,  complétera  cet  intéressant  ouvrage. 

H.-s. 

28. —  Isaac  Martin  eine spart ische  inquisitions -geschichte^  etc.—- 
Isaac  Martin ,  anecdote  sur  l'inquisition  d'Espagne  ,  communiquée 
par  3Iendoza y  rios  ,  et  traduite  en  allemand  sur  le  manuscrit  espa- 
gnol,  par  Jrrederich  Habenstreit.  Leipsick,  1820,  in-S". 

Lorsque  l'on  arrache  une  plante  vénéneuse,  il  arrive  quelquefois  que 
la  racine  laisse  sous  le  sol  des  fibres  qui ,  plus  tard  ,  en  reproduisent 
tout  le  poison.  Fuisse  cette  remarque  n'être  pas  une  prophétie  quant 
à  l'inquisition,  et  que  jamais  ce  tribunal  odieux  ne  se  relève  de  sa 
chute.  L'anecdote  dont  il  s'agit  ici  est  arrivée  à  un  protestant,  nommé 
Isaac  Martin,  que  des  aifaii'es  de  commerce  appelèrent  à  Malaga. 
Après  quatre  ans  de  séjour,  il  se  disposait  à  retourner  en  Angleterre, 
lorsqu'au  milieu  des  apprêts  de  son  départ,  on  l'enlève  à  sa  femme 
et  à  ses  enfans ,  on  le  plonge  dans  un  cachot  obscur  et  infect,  où  il 
reste  soixante  jours,  sans  savoir  pourquoi  il  est  arrêté.  Enfin,  les 
suppôts  de  l'inquisition  l'en  viennent  retirer,  pour  l'exposer  aux  ou- 
trages de  la  populace ,  après  quoi  on  le  hisse  sur  une  mule ,  et  on  le 
conduit  à  Grenade,  où  il  est  renfermé  dans  le  palais  du  Saint-OflBce. 
Là ,  et  sous  le  prétexte  d'en  avoir  soin ,  on  lui  ôte  son  argent ,  ses 
bijoux  et  jusqu'aux  boutons  d'or  qu'il  portait  à  son  habit.  On  lui 
commande  le  silence  le  plus  absolu;  il  ne  marchera  que  sur  des 
semelles  de  feutre,  il  ne  bougera  point,  quelque  chose  qu'il  entende. 
Pour  nourriture  on  lui  donne  du  pain ,  des  noix  et  des  châtaignes. 
Enfin,  le  neuvième  jour  après  son  arrivée  à  Grenade,  on  lui  annonça 
qu'il  serait  interrogé  ,  mais  il  n'en  fut  guère  plus  avancé ,  car  on  ne 
lui  dit  d'abord  autre  chose  que  de  réfléchir  à  sa  conduite  passée  ,  à 
ses  anciennes  relations,  et  ce  n'est  qu'après  plusieurs  interrogatoires  , 
subis  tant  dans  l'intérieur  du  cachot  qu'au-dehors ,  qu'on  lui  laisse 
entrevoir  qu'il  est  soupçonné  de  professer  secrètement  le  judaïsme. 


LIVRES  ETRANGERS.  155 

Aprts  avoir  vainement  exhorté  le  malheureux  Isaac  Martin  à  s'accu- 
ser lui-même  ,  on  se  détermine  à  lui  présenter  une  longue  accusation 
en  vingt  points;  et,  quels  que  soient  ses  moyens  de  défense,  c'est 
le  secrétaire  qui  répond  pour  lui.  écrivant  selon  son  bon  plaisir,  tantôt 
l'accusé  nie,  tantôt  ilat^oue,  tantôt  enfin  L'accusé  implore  la  clé- 
mence du  Saint-Office.  Toutes  les  voies  sont  employées  pour  con- 
traindre Isaac  Martin  à  se  faire  catholique  ;  les  séductions  même  ne 
sont  pas  épargnées,  et  l'on  a  recours  aux  apparitions  nocturnes;  mais 
il  persiste  dans  sa  résistance.  Lassé  de  ses  tentatives  infructueuses, 
le  Saint-Office  ,  après  huit  mois,  par  grâce  spéciale  ,  et  en  considé- 
ration de  l'ambassadeur  anglais  ,  voulut  bien  ne  le  condamner  qu'à 
deux  cents  coups  d'étrivière  (qu'il  recevrait  en  public  pour  l'édifica- 
tion du  prochain)  et  au  bannissement  perpétuel.  Le  Saint-Office 
retint  aussi  2000  piastres  sur  l'argent  d'Isaac  Martin  ,  apparemment 
pour  prix  du  cours  de  théologie  dont  on  lui  avait  orné  l'esprit  pen- 
dant sa  détention.  La  femme  de  ce  malheureux  négociant  avait  aussi 
éprouvé  des  persécutions ,  et  tous  deux  se  hâtèrent  d'exécuter  la 
sentence  de  bannissement,  contre  laquelle  sans  doute  ils  n'avaient 
pas  envie  de  réclamer.  Après  ce  récit,  M.  Ilabenstreit  a  placé  des 
détails  sur  la  procédure  usitée  à  l'inquisition  ;  il  cite  un  grand  nombre 
d'actes  arbitraires  et  cruels  ,  qui  tous  sont  tirés  de  l'excellent  ouvrage 
de  M.  Llorente.  Ph.  Golbehy. 

2^.— Die  ^gape,  oder,  etc. — L'Agape  ou  la  ligue  secrète  des  chré- 
tiens, fondée  sous  le  règne  de  Domitien  ,  par  Clément  de  Rome; 
exposée  par  le  docteur  A.  Kesthkb.  lena,  1819.  In-S"  de  556  pag. 

M.  Kestner  a  fait  quelque  bruit  en  Allemagne,  par  cet   ouvrage, 
qui  a  beaucoup  intéressé  les  francs-maçons,  parce  qu'il  tend  à  faire 
remonter  leur  origine  jusqu'aux  premiers  tems  du  christianisme.  Il 
est  vrai  que  quelques  maçons  remontent  jusqu'à  Salomon;  mais  ils 
conviennent  que  cette  première  époque  présente  quelque  obscurité. 
Voici  de  quoi   il  s'agit  dans  le  savant  Mémoire  du  professeur  d'Iena. 
L'auteur,  en  étudiant  l'histoire  ecclésiastique,  fut  frappé  de  certaines 
expressions  mystiques  employées   par  les  premiers   écrivains  chré- 
tiens ,  et  qui  paraissaient  se  rapporter  à  quelque  ligue  secrète.    Une 
fois  préoccupé  de  cette  idée ,  il  lut  plus  attentivement  tous  les  ou- 
vrages du  tems,  et  à  la  fin  il  trouva,  ou  crut  trouver  les  preuves  les 
plus  certaines  de  l'existence  et  des  progrès  d'une  ligue  secrète  qui, 
selon  lui,  fut  fondée  par  un  sectaire  ardent  et  entreprenant,  Clément 


iôG  LIVRES  ETRANGERS. 

de  Rome,  et  dont  le  but  était  à  la  fois  religieux,  politique  et  phi- 
lantropique  ;  c'était  la  régénération  de  l'humanité.  Il  faut  dire  que 
M.  Kestner  a  beaucoup  puisé  dans  les  livres  rejetés  comme  apo- 
CiTphes  par  l'église.  Peut-être  a-t-on  en  effet  trop  négligé  cette  source 
de  renseignemens  sur  les  premiers  tems  du  christianisme.  La  ligue 
comprenait,  suivant  M,  Kestner,  sous  le  nom  d'^gape  (charité), 
des  chrétiens ,  des  juifs,  etmême-des  païens.  Les  riches  secouraient 
les  pauvres  ;  des  affiliations  se  formaient  dans  les  provinces  de  l'em- 
pire romain.  Clément  donna  à  la  ligue  des  symboles  et  des  consti- 
tutions ;  il  falsifia  les  écrits  des  apôtres  pour  les  adapter  à  sa  société 
secrète  ;  les  initiations  se  faisaient  par  des  épreuves  ;  les  symboles 
étaient  empruntésde  l'architecture  "et  de  la  maçonnerie.  Dès  le  com- 
mencement du  deuxième  siècle,  M.  Kestner  suppose  déjà  à  cet  ordre 
secret  un  million  de  sectaires,  divisés  en  plusieurs  classes  ou  grades. 
Si  les  empereurs  exercèrent  des  persécutions  si  violentes  contre  les 
chrétiens,  c'est  que  cette  ligue  secretemenaraitleurdespotisme.il 
y  eut  aussi  dans  l'association  même  de  violentes  scissions ,  qui  en 
causèrent  la  dissolution. 

Une  question  qui  se  présente  d'abord  à  la  lecture  de  ce  livre ,  c'est 
celle-ci  :  comment  se  fait-il  que  personne  n'ait  jamais  entendu  parler 
de  cette  ligue,  dont  M.  Kestner  donne  une  histoire  si  détaillée  ?  11 
faut  que  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  l'histoire  ecclésiastique, 
aient  été  bien  aveugles,  ou  que  M.  Kestner  possède  une  sagacité 
extraordinaire,  pour  découvrir  une  histoire  entière  dont  on  n'avait  pas 
la  moindre  connaissance .  Aussi  les  critiques  allemands  ont-Us  vivement 
attaqué  le  système  de  l'auteur.  Ils  le  blâment  d'avoir  bâti  une  hypo- 
thèse ,  et  d'y  avoir  rattaché  des  faits  qui  ne  sauraient  s'y  rapporter. 
Par  exemple,  saint  Ignace  exhorte  les  Romains  dans  une  lettre,  au 
nom  de  VAgape,  d'être  unis.  M.  Kestner  voit  dans  ce  mot  sa  ligue 
secrète;  avantlui,  on  n'y  avait  vu  que  la  charité  chrétienne.  De  même, 
dans  le  martyrologe  de  Clément ,  il  est  dit  qu'il  avait  eu  à  cœur 
d'unir  chrétiens  et  païens  dans  l'agape  ;  c'est  encore  la  ligue  qu'on 
veut  désigner,  suivant  le  professeur  d'iena.  Les  constitutions  aposto- 
liques sont,  d'après  lui,  les  statuts  de  l'ordre  secret;  mais  celles  que 
nous  avons  sous  ce  nom  ont  été  forgées  au  quatrième  siècle,  et  mises 
à  la  place  des  anciennes.  !\ous  ne  pouvons  développer  davantage  ce 
sujet.  Les  carbonari  d'aujourd'hui  intéressent  maintenant  le  monde 
plus  vivement   que  les   carbonari  de  l'ancien  tcms,  que  IM.  Kestner 


LIVRES  ÉTRANGERS.  157 

croit  avoir  retrouvés.  11  serait  pourtant  dommage  que  son  ouvrage, 
où  l'érudition   est  prodiguée ,  ne   fût  que  l'exposé   d'une  chimère. 

D-G. 

3o.  —  Tripartilum ,  seu  de  analogie  Unguaruni  libellas. — De 
l'analogie  des  langues.  Vienne,  1820,  in-4'',  oblong.  de  200  pages, 
divisées  en  cinq  colonnes. 

Cet  ouvrage  important  par  son  objet,  qui  est  de  comparer  le  ma- 
tériel de  beaucoup  de  langues ,  est  une  table  assez  étendue  d'un  choix 
nombreux  de  mots  allemands  des  principaux  dialectes ,  comparés 
avec  des  mots  analogues  de  divers  dialectes  de  l'esclavon,  et  des 
deux  langues  grecque  et  latine ,  ainsi  que  de  plusieurs  dialectes  qui 
en  sont  dérivés.  Tel  est  le  contenu  des  trois  premières  colonnes  qui 
ont  fait  intituler  l'ouvrage  /riparlitum  (opus').  Une  quatrième  co- 
lonne présente  des  mots  analogues  à  ceux  des  trois  premières  tirés 
des  langues  orientales  et  d'autres  langues  encore,  comme  l'égyptien, 
le  hongrois,  le  lapon;  enGn,  la  cinquième  contient  des  renvois  et  des 
observations  relatives  à  différens  mots  rapprochés  dans  les  quatre 
premières  colonnes.  C'est  donc  réellement  un  ouvrage  quinquepar- 
titum.  Ce  qu'il  rassemble  sous  le  même  coup  d'œil  est  plus  ou  moins 
utile,  mais  le  serait  bien  davantage,  si  l'auteur  avait  distingué  les 
âges  des  langues  principales,  et  surtout  les  classes  grammaticales  et 
les  accidens  grammaticaux  des  mots  qu'il  a  recueillis,  et  si,  plus 
versé  dans  la  science  des  langues,  il  avait  pu  éviter  dans  ses  rap - 
prochemens  certaines  confusions  ou  méprises  évidentes.  Quoi  qu'il  en 
soit,  ce  livre,  dans  un  genre  qui  n'est  pas  commun,  facilite  à  un 
certain  degré  les  travaux  des  linguistes  et  des  philosophes;  mais  il 
faut  s'en  servir  avec  précaution  et  discernement.  Laniuinais. 

ôi.  — Nouas  Thesauras  philologico  criiicas,  sive  Lexicon  in  LXX 
et  reliquos  interprètes  graecos  ac  scriptores  apochryphos  veteris  Testa- 
menti,  post  Bielium  et  alios  viros  doctos,  congessit  et  edidit  Johan. 
Frederich  Schleusneb.  Pars  prima,  grand  in-S".  Lipsiœ,  1820. 

En  1786,  l'auteur  publia  des  essais  qui  firent  dès-lors  désirer  un 
travail  plus  complet.  Depuis  trente-quatre  ans  ,  il  a  travaillé  sans 
relâche  à  l'exécution  de  son  plan.  Non  content  d'avoir  reproduit  et 
revu  le  travail  de  Biel,  il  a  considérablement  augmenté  le  nombre  des 
mots  et  des  locutions  hébraïques  expliqués  par  son  prédécesseur;  il 
les  a  comparés  au  grec,  en  y  ajoutant  de»  remarques  de  tout  genre. 


158  LIVRES  ETRANGERS. 

M.  Schlcusner  a  mis  à  profit  un  grand  nombre  de  variantes ,  entre 
autres  celles  de  Holmes.  Enfin,  l'on  peut  dire  avec  justice  qu'il  a  fait  un 
livre  indispensable  à  ceux  qui  veulent  connaître  les  saintes  Ecritures. 
Néanmoins,  on  lui  reprocbe  de  n'avoir  pas  mis  assez  de  méthode 
dans  la  division  des  matières  ;  de  n'avoir  pas  étalé  autant  de  ri- 
chesses philologiques  que  Fischer  dans  son  Spécimen  clauis,  ver- 
sionum  grœcarum  veteris  Testamenti.  On  forme  des  vœux  pour  que 
M.  Schleusner  accélère  la  publication  des  volumes  suivans.  Déjà  on 
fait  en  Angleterre  une  contre-façon  du  premier.  Ph.  Golberv. 

32. — National  gesdnge  der  Jlebrâer ,  etc.  —  Chants  nationaux 
des  Hébreux,  traduits  et  expliqués  par  Charles-Guillaume  3\:sT:i , 
3  vol.  in-S".  Leipsick,  iSo5  à   iSi8. 

Marchant  sur  les  traces  de  Herder,  M.  de  Justi  s'est  appliqué,  dès 
les  dernières  années  du  siècle  passé,  à  nous  faire  connaître  la  littéra- 
ture hébraïque  par  des  traductions  élégantes.  Avant  lui,  Michœlis  et 
Reiscke  avaient  donné  de  savans  ouvrages  en  ce  genre  ;  mais  ces  doctes 
écrivains  ont  essentiellement  manqué  de  goût ,  ils  ont  plus  fait  pour 
la  science  que  pour  la  littérature.  La  collection  de  M.  de  Justi  a 
maintenant  trois  volumes.  Le  premier  a  été  publié  en  i8o5;  le 
second,  en  i8i6;  le  troisième,  en  iSiS.  Malheureusement,  l'auteur 
a  fait  bien  peu  de  chose  pour  l'érudition.  Il  l'a  traitée  comme  ses 
devanciers  avaient  traité  le  goût  ;  il  s'est  borné  à  emprunter  leurs 
remarques  sans  y  rien  ajouter  de  son  propre  fonds,  et  souvent  même 
il  a  emprunté  sans  choix.  Le  titre  du  livre  n'est  pas  non  plus  une 
indication  sûre  de  ce  que  l'on  y  trouvera.  Les  chants  traduits  par 
M.  de  Justi  ne  sontpas,  à  proprement  parler,  des  chants  nationaux  ; 
ce  sont  des  morceaux  choisis  parmi  les  plus  beaux  de  l'ancien  Tes- 
tament, tels  que  la  bénédiction  de  Jacob,  les  adieux  de  Moïse,  la 
prolongation  du  jour  de  la  victoire ,  etc.  ;  mais  le  lecteur  ne  perd 
rien  à  cette  infidélité  du  titre.  Ph,  Golbery. 

35. —  Callimachi  IJymni  el  Epigram-mata ,  edidit  et  indice  philo- 
logico  instruxit  Volger.   Lipsix  1817,  in-S". 

Cette  édition  est  destinée  à  remplacer  dans  le  commerce  celle  de 
Lœsner,  comme  celle  qui  a  paru  en  Angleterre,  en  1819,  devait  tenir 
lieu  de  l'édition  d'Ernesti.  Il  y  a  cependant  cette  différence,  que 
l'éditeur  anglais  a  donné  au  public  un  livre  expédié  avec  précipi- 
tation, tandis  que  M.  Volger  a  dès  long-tems  préparé  son  travail. 
Aussi  promet-il  sur   Callimaque  un  ouvrage  plus  étendu.  L'auteur 


LIVRES  ETRANGERS.  159 

parait  capable  de  bien  traiter  son  sujet  ;  espérons  qu'il  y  aura  moins 
de  négligences  dans  son  nouveau  Commentaire ,  et  qu'en  paraissant 
expliquer  des  difficultés,  il  ne  se  bornera  plus  à  faire  disparaître 
quelques  virgules.  Espérons  aussi  qu'il  reconnaîtra  que  son  style 
latin  n'est  pas  assez  châtié ,  et  qu'il  tâchera  d'écrire  plus  purement 
cette  langue.  Ph.  Golbery. 

7>\.—Joh.  WiNKELMANNS  Werke. — Œuvres  de  Jean  Winkelmann. 
Dresde  1820,  1  vol.  in-S". 

On  a  fait,  dans  ces  dernières  années,  à  Dresde,  une  édition  des 
œuvres  de  Winkelmann,  édition  digne  de  ce  célèbre  antiquaire.  Com- 
mencée par  Fernow,  elle  a  été  continuée,  après  la  mort  de  cet  artiste, 
par  Meyer  et  Schulze.  Le  8=  volume,  qui  la  termine  ,  contient  une 
table  générale  des  matières,  une  table  des  auteurs  qu'il  a  cités.  Les 
lettres  de  Winkelmann  n'ont  pas  été  comprises  dans  cette  édition  ; 
l'éditeur  annonce  qu'il  laisse  aux  suffrages  du  public  à  décider  si 
la  correspondance  du  savant  antiquaire  fera  suite  à  ses  œuvres. 

35.  —  Ueber  Verhesserun^  der  musikalischen  Liturgie,  etc. — 
Sur  l'amélioration  de  la  liturgie  musicale  dans  les  églises  protes- 
tantes, par  G.  FaANTZ  ,   in-8'>.  Halberstadt,  1819.  Vogler. 

SUISSE. 

56.  —  Prodrumus  d'une  monos;raphie  de  la  famille  des  Hypé- 
ricinèes ,  par  3.  D.  Choisy,  membre  de  la  société  helvétique  des 
sciences  naturelles ,  in-4''  de  9  feuilles  et  demie ,  plus  9  planches. 
Imprim.  de  J.  J.  Pasclioud  ,  à  Genève ,  1821.  A  Paris,  chez  Pas- 
choud.  Prix,  6  francs. 

37.  —  Discours  d'ouverture  de  la  session  de  1820  de  la  société 
helvétique  des  sciences  naturelles ,  siégeant  à  Genève  ,  le  25  juil- 
let  1820,   broch.   de  22  pages. 

On  y  trouve  des  détails  intéressans  sur  les  travaux  de  divers 
membres  ou  correspondans  de  cette  société  savante  ,  et  notamment 
sur  feu  M.  Jurine. 

58. — £rœstnungsrede  der  Jahresversammluns;  der  Schweizeris- 
clien  Gesellschaft,  etc.  — Discours  d'ouverture  de  la  séance  annuelle 
de  la  société  suisse  générale  pour  les  sciences  naturelles  ;  prononcé 
le  6  octobre  1817,  par  le  docteur  et  conseiller  d'état  Ustebi.  Zu- 
rich, 1817,  59  pages,  in-S". 

59.  —  Erœsfnungsrede ,  etc. —  Discours  d'ouverture  de  la  séance  an- 


i60  LIVRES  ETRANGERS. 

nuclle  de  la  société  suisse,  etc.,  parle  docteur  et  juge  d'appel  Zoi- 
I.IK.OFER.  Saint-Gall,  1819,  48  pag.  in-8". 

On  a  eu  une  très-bonne  idée  en  Suisse  pour  suppléer  au  défaut 
d'une  académie  des  sciences,  qui  ne  saurait  subsister  dans  une  con- 
fédération de  petits  états  républicains  où  il  n'y  a  aucune  capitale  ; 
c'est  de  former ,  de  tous  ceux  qui  cultivent  les  sciences  naturelles  , 
une  société  générale  qui  ne  s'assemble  qu'une  fois  par  an ,  et  alter- 
nativement, dans  les  principales  villes  de  la  Suisse.  Il  y  a  deux  ans 
qu'elle  comptait  déjà  5oo  membres,  et  peut-être  en  a-t-elle  davan- 
tage aujourd'hui  ;  on  pense  bien  que  ce  ne  sont  pas  tous  des  savans 
du  premier  ordre;  la  Suisse  serait  plus  riche  que  de  grands  états  ,  si 
elle  comptait  3oo  naturalistes  ;  la  plupart  ne  sont  que  de  simples 
•amateurs ,  et  le  nombre  des  véritables  savans  se  réduit  peut-être  au 
dixième  de  toute  la  société.  Ses  séances  ont  commencé  en  181 5. 
Cette  même  année,  elle  se  réunità  Genève,  en  assignant  pour  rendez- 
vous  de  l'année  suivante  la  ville  de  Berne;  en  1817,  1818  et  1819, 
les  membres  se  réunirent  successivement  à  Zurich  ,  Lausanne  et 
Saint-Gall.  A  chaque  réunion  générale  on  propose  un  sujet  de  prix  ; 
un  membre,  pris  dans  la  ville  où  est  le  rendez-vous  de  la  société, 
la  préside ,  et  prononce  un  discours  qui  contient  ordinairement  un 
rapport  sur  les  travaux  annuels  ;  peut-être  cette  dernière  tâche  con- 
viendrait-elle mieux  à  un  secrétaire  perpétuel,  comme  dans  nos 
académies.  Les  deux  brochures  dont  nous  venons  de  transcrire  les 
titres ,  contiennent  les  discours  d'ouverture  ,  prononcés  dans  les 
séances  tenues  à  Zurich  et  à  Saint-Gall;  nous  n'avons  pas  recules 
autres.  Nous  suivrons  rapidement  les  deux  discours  de  MM.  Usteri 
et  Zollikofer  ,  dans  leur  résumé  des  travaux  des  savans  suisses. 

M.  Usteri  parcourt  successivement  les  divers  cantons  ;  dans  celui 
de  Berne,  il  est  question  de  reprendre  la  publication  du  Musée 
suisse  d'histoire  naturelle ,  dont  il  a  pWu  six  cahiers  in-4<'.  M.  Se- 
ringe  continue  de  faire ,  pour  des  amateurs ,  à  des  prix  modiques ,  des 
herbiers  propres  à  faciliter  l'étude  de  la  botanique  ;  le  public  a  ac- 
cueilli favorablement  le  travail  utile  de  M,  Kasthofer  sur  l'économie 
forestière  des  Alpes.  L'auteur  en  prépare  une  seconde  édition  ;  il  a 
aussi  le  projet  d'établir  une  école  forestière  et  rurale  dans  les  Hautes- 
Alpes.  Le  bel  établissement  de  M.  de  FellenbergàHofwyl  est  connu 
et  apprécié  ;  le  respectable  directeur  dépose  ses  observations  et  ses 
perfectionnemens  des  procédés  et  des  outils  d'agriculture,  dans  les 


LIVRES  ETRANGERS.  16i 

feuilles  d'économie  rurale  de  Hofwyl,  qui  paraissent  par  cahiers.  Un 
de  ses  collaborateurs,  le  docteur  Schubler,  y  a  inséré  aussi  les  résul- 
tats intéressans  de  ses  observations  sur  les  qualités  physiques  de  la 
terre  et  des  substances  qui  entrent  dans  la  composition  du  lait  ;  ré- 
sultats qui  prouvent  de  quelle  utilité  la  chimie  peut  être  dans  l'éco- 
nomie domestique. 

Dans  le  canton  de  Fribourg  ,  la  société  n'a  qu'un  seul  membre, 
le  conseiller  d'état  Bourquenoud ,  qui  s'est  occupé  d'enrichir  la 
Flore  suisse  de  nouvelles  espèces;  la  société  économique  de  Fribourg 
a  cessé,  depuis  quelques  années,  de  publier  ses  mémoires;  mais  oa 
sait  que  les  procédés  de  Hofwyl  ont  été  imités  en  plusieurs  endroits 
du  canton. 

Dans  le  pays  de  Vaud ,  la  politique  a  long-tems  occupé  presque  ex- 
clusivement les  citoyens;  ils  reviennent  maintenant  aux  sciences,  et 
le  canton  a  de  bonnes  institutions  pour  les  perfectionner.  La  société 
d'agriculture  et  d'économie  continue  &es  feuilles  niWes;  M.  Chavannes 
étend  sans  cesse  ses  collections  zoologiques,  dont  la  partie  ornitho- 
logique  a  presque  atteint  à  sa  perfection  ;  on  attend  de  M.  Gaudin 
une  Flore  suisse  ;  M.  Lardy  a  soumis  à  la  société  générale  des  obser- 
vations sur  les  gîtes  du  gypse  dans  la  vallée  du  Rhône  et  dans  le  haut 
Tessin  ,  ainsi  que  sa  description  du  corindon ,  fossile  rare  de  Campo- 
longo,  dans  la  vallée  du  Tessin. — Dans  le  Valais  et  dans  le  canton  de 
Soleure ,  l'histoire  naturelle  attend  encore  des  observateurs  labo- 
rieux. 

■  11  n'en  est  pas  de  même  à  Genève,  où  toutes  les  sciences  natu- 
relles sont  cultivées  avec  zèle ,  ainsi  que  l'atteste  la  BibUolhèque 
unit/enelle,  publiée  dans  ce  canton.  Genève  a  de  belles  collections, 
et  des  professeurs  qui  font  honneur  à  la  science. 

La  société  patriotique  du  canton  de  Neuchâtel,  où  le  dicton  an- 
cien ,  bene  vixit  qui  bene  latuil,  paraît  être  une  maxime  d'état, 
distribue,  chaque  année,  des  prix  pour  les  meilleures  statistiques  des 
vingt  et  xme  juridictions  de  la  principauté.  La  ville  de  Neuchâtel 
doit  au  général  de  INIeuron  une  jolie  collection  d'histoire  naturelle. 
Bâle  a  régénéré  son  antique  université ,  et  son  ancienne  société  do 
naturalistes,  qui  a  publié  de  bons  mémoires,  a  été  remplacée  par 
une  société  cantonale. 

L'Argovie  se  distingue  ,  parmi  les  cantons  suisses,  par  l'excollento 
organisation  de  sa  société  savante  et  littéraire  ,  qui  a  eli( -inèine  dos 

Tome  x.  Il 


I(i2  LIVRES  ÉTRANGERS. 

sociétés  affiliées  dans  les  principaux  endroits  du  pays.  L'une  des  cinq 
classes  dans  lesquelles  elle  est  divisée  se  consacre  aux  sciences ,  et 
correspond  avec  les  sociétés  étrangères.  On  publie,  dans  la  ville  d'Arau, 
àtsarchiues  de  médecine,  chirurgie  et  pharmacie. 

Il  s'est  formé,  à  Lucerne,  une  société  savante,  divisée  en  cinq 
classes ,  comme  celle  d'Argovie.  Le  docteur  Attenhofer  est  auteur 
d'une  topographie  médicale  derSaint-Pétershourg. 
\  Dans  les  petits  cantons  démocratiques  de  l'intérieur  de  la  Suisse  , 
il  existe  des  sociétés  de  médecine.  C'est  dans  le  canton  de  Claris 
qu'on  a  fondé  la  colonie  de  la  Linth,  après  avoir  redressé  d'une 
manière  très-ingénieuse  le  cours  de  celte  rivière. 

Dans  le  canton  du  Tessin,  aucun  savant  ne  s'est  fait  remarquer,  sf 
ce  n'est  M.  d'Alberti,  auteur  de  la  Revue  analytique  de  la  grande 
collection  des  écrivains  italiens  sur  l'économie  politique,  en  5i  vol. 
Les  Grisons  n'offrent  aucun  travail  savant.  Le  journal  que  publiait  la 
société  économique  de  Coire ,  a  cessé  en  1812.  On  ne  pourrait  citer 
non  plus  aucun  travail  scientifique  des  cantons  de  Saint-Call,  Appen- 
Tsell  et  Thurgovie ,  quoique  plusieurs  personnes  zélées  «s'y  occupent 
des  sciences;  dans  le  dernier,  on  a  introduit  les  procédés  perfectionnés 
de  Hofwyl.  Dans  le  canton  de  Schaffhouse,  M.  Fischer  s'est  fait  une 
réputation  par  ses  découvertes  dans  la  technologie. 

Zurich  a  une  société  d'histoire  naturelle ,  avec  des  collections  de 
zoologie,  entomologie,  ornithologie,  botanique  et  minéralogie,  ainsi 
qu'un  observatoire.  Le  docteur  Horner  vitnt  de  publier  les  observa- 
tions qu'il  a  faites  dans  l'expédition  du  capitaine  russe  de  Krusenstern 
autour  du  monde,  et  l'on  espère  que  le  docteur  Ebel  achèvera  son 
tableau  des  peuples  montagnards  de  la  Suisse.  Le  docteur  Schintz  , 
qui  possède  des  collections  précieuses,  a  annoncé  des  cahiers omitho- 
logiques.  M.  ZoUikofer  va  nous  faire  connaître  les  travaux  plus  récens 
des  naturalistes  suisses.  Il  publie,  depuis  quelques  années,  un  indi- 
cateur d'histoire  naturelle ,  qui  contient  des  articles  intéressans. 
M.  Schintz  a  commencé  de  publier  les  descriptions  des  oiseaux 
suisses  et  allemands  ,  avec  des  gravures  enluminées  qui  représentent, 
outre  les  oiseaux ,  leurs  nids  et  leurs  œufs.  Le  même  a  presque 
achevé  la  nouvelle  édition  des  Tatles  phylo graphiques  de  Jean 
Gessner.  M.  Seringe,  dans  ses  Mélanges  botaniques  ^  a  traité  spé- 
cialement les  roses  et  les  céréales  de  la  Suisse.  Rœmer  et  Schultes 
ont  donné  une  nouvelle  édition  du  système  de  Linnée ,  en  l'augmen- 
tant des  espèces   découvertes  depuis  la  i5'  édition. 


LIVRES  ETRANGERS.  163 

Dans  le  canton  de  Vaud,  la  culture  de  la  vigne  paraît  être  devenue 
l'objet  d'un  soin  particulier;  il  a  été  fondé  à  cet  eifet  des  sociétés 
particulières  à  Lausanne  et  à  Kollon  ;  M.  Baup  a  publié  un  mé- 
Tiioire  sur  la  culture  des  vignes  de  la  côte.  Une  société  d'économie 
rurale ,  fondée  à  Genève ,  a  fait  paraître  le  rapport  de  M.  Decandolle, 
directeur  du  jardin  de  botanique  ,  sur  l'emploi  des  pommes  de  terre, 
considéré  comme  moyen  de  soutenirleur  culture.  A  Saint-Gall,  il  s'est 
formé  également  une  réunion  pour  l'économie  rurale.  MM.  Pictet 
et  Esclier  se  sont  livrés  à  des  observations  météorologiques.  Le  doc- 
teur Falkner ,  à  Bâle ,  a  écrit  une  dissertation  sur  les  proportions  et 
les  lois  d'après  lesquelles  les  élémens  des  corps  sont  mêlés,  disser- 
,  tation  dans  laquelle  il  développe  les  principes  établis  parJIM.  Gay- 
Lussac  et  Berzelius.  Le  professeur  Struve  a  fait  paraître  des  élémens 
de  géologie.  Deux  médecins  ont  analysé,  l'un  ks  eaux  minérales  do 
Lostorf,  en  Argovie,  et  l'autre,  M.  Wettstein,  celles  de  Saint-Mau- 
lice,  dans  les  Grisons.  Les  archii^es  de  médecine ,  dont  il  a  été  parlé 
plus  haut,  sont  déjà  suspendues  ;  on  dirait  qu'aucun  journal  de  mé- 
decine ne  peut  prospérer  en  Suisse. 

Les  sociétés  des  sciences  naturelles,  à  Zurich, à  Genève  et  à  Bâle, 
tiennent  régulièrement  leurs  séances,  et  se  sont  occupées,  en  1819, 
d'un  grand  nombre  d'objets  intéressans.  11  s'est  formé  dés  sociétés 
semblables  à  Lausanne  et  à  Saint-Gall. 

La  société  générale  suisse  a  perdu  récemment  quelques  membres 
distingués,  tels  que  les  docteurs  Ziegler,  Kœmer  et  Lavater.  Le 
premier,  mort  en  1S18,  est  auteur  de  l'Histoire  de  l'or  et  de  celle 
des  couleurs ,  traduites  de  l'anglais ,  et  d'une  dissertation  de  diges- 
tore  Papini,  1769.  Le  botaniste  J.^J.  Rœmér,  né  à  Zurich,  en  1765, 
avait  publié  la  Flora  Europœa  inchoata  ,  qui,  étant  conçue  sur  un 
plan  trop  vaste  ,  n'a  pas  été  achevée  ;  il  a  donné  de  nouvelles  édi- 
tions du  système  de  Linnée  ,  et  de  la  llora  britannica  de  Smith, 
des  insectes  de  Fabricius ,  etc.  ;  enfin,  le  médecin  Lavater,  fils  du 
célèbre  pasteur  de  Zurich  ,  n'a  publié  ,  outre  quelques  articles  peu 
importans,  qu'une  Introduction  à  la  connaissance  anatomique  du 
corps  humain  ,  1790. 

Avant  de  terminer,  nous  ferons  mention  encore  d'un  discours  que 
M.  Usteri  a  adressé  ,  en  1820,  à  l'ouverture  des  cours  de  médecine, 
aux  étudians  de  l'institution  cantonnale  de  Zurich ,  et  qui  a  été 
publié  sous  le  titre  de  Errinnerungen  fur  die  Studierenden  (  Avis 

11  * 


16A  LIVRES  ETRANGERS 

aux  étudians).  L'orateur  dit,  dans  ce  discours,  que  les  moyens  de  ce^ 
établissement  sont  très-bornés ,  et  que  les  professeurs  qui  se  sont 
chargés  de  bon  gré  des  cours,  ne  peuventyconsa«rer  que  le  tems  que 
leur  laissent  leurs  occupations-  et  leurs  places ,  mais  que  cette  insti- 
tution peut  suffire  aux  médecins  des  campagnes.  II  recommande, 
comme  études  préparatoires  à  la  médecine,  les  langues  anciennes, 
les  sciences  philosophiques,  les  mathématiques;  il  y  joint  de  très- 
bons  avis  sur  la  conduite  des  élèves.  Nous  avons  encore  sous  les  yeux 
un  Compte  rendu  de  l'institution  pour  les  aveugles,  fondée  dans  la 
même  ville  par  des  souscriptions  particulières;  elle  renfermait, 
en  1819  ,  quatorze  élèves  qui  se  rendent  utiles  par  divers  ouvrages, 
tels  que  tisseranderie ,  sparterie,  vannerie;  on  leur  enseigne  aussi  la 
musique.  D-G. 

4o. — La  décadence  de  la  nature ,  discours  offert  à  la  société  helvé- 
tique des  sciences  naturelles  ,  par  Db  Loges,  docteur  de  la  faculté 
de  Montpellier.  Brochure  de  27  pag.  in-S"  (  en  Suisse  ). 

C'est  ici  un  ouvrage  systématique  ;  mais  comme  il  est  fondé  sur 
beaucoup  d'observations,  on  ne  le  lira  pas  sans  curiosité,  et  peut- 
être  même  sans  quelque  utilité. 

4i. — Notice  de  la  vie  et  des  écrits  deBénédict  Préuost^^zt  Pierre 
PaivosT.  In-S"  de  7  feuilles.  Imprimerie  de  Paschoud»  à  Genève, 
i8ai.  —  A  Paris  et  Genève,  chez  Paschoud.  Prix,   a  fr. 

42.  —  Eugenia  von  Nordenstern.  —  Eugénie  de  Nordenstern  ;  par 
M.  de  Pfister.  Aarau,  1820,  2  vol.  in-8''.  Sauerlander.  Prix,  i4  fr. 

Cette  production  mérite  d'être  distinguée  de  la  foule  des  romans 
éphémères  qui  abondent  dans  tous  les  pays  civilisés,  et  ne  servent 
qu'à  fausser  le  sentiment  du  lecteur  frivole.  11  en  est  bien  autre- 
ment A' Eugénie  de  Nordenstern,  qui  ne  jouira  pas  seulement  d'une 
vogue  momentanée ,  et  qui  causera  de  justes  regrets  à  tout  lecteur 
doué  d'un  esprit  cultivé  et  d'une  véritable  sensibilité,  quand  il  ap- 
prendra qu'immédiatement  après  la  publication  de  ce  roman,  soa 
auteur  fut  enlevé  aux  lettres  par  une  mort  prématurée.  M.  Pfister 
a  placé  son  action  dans  la  classe  la  plus  distinguée  de  la  société  ;  et 
quoiqu'il  ait  choisi  la  forme  épistolaire ,  la  narration  ne  languit 
jamais.  Une  profonde  connaissance  du  coeur  humain,  une  richesse 
inépuisable  de  pensées  et  d'observations  fines;  une  imagination 
riante;  un  esprit  pénétré   de  tout  ce  qui  est  beau  et  aimable;  en 


LIVRES  ETRANGERS.  165 

un  mot,  les  sentimens  les  plus  nobles  et  les  plus  di^licats  recommandent 
cet  ouvrage  à  l'attentiOD  d'un  traducteur  français. 

II-s. 

ITALIE. 

^"h.  — Tavole  lof!;aritiniche,  etc. — Tables  de  logarithmes  jointes 
aux  élémens  d'algèbre  et  de  géométrie  du  chevalier  Bboîtacci. 
Milan,  1820,  in-S".  Typographie  J.  et  R. 

L'éditeur  de  cet  ouvrage  est  un  élève  du  professeur  Brunacci. 
Quoique  jeune  encore,  il  a  développé  de  vastes  connaissances  dans 
la  préface  dont  il  l'a  enrichi. 

44.  —  Corso  cU  chimica  economica,  etc.  —  Cours  de  chimie  éco- 
nomique; par  Giuseppe  Gi'CLii ,  etc.  Florence,  1819  et  1S20.  Leo- 
nardo  Ciardetti,  2  vol.  in-8°. 

Les  observations  que  l'on  trouve  consignées  dans  cet  ouvrage  sont 
assez  exactes,  et  l'auteur  a  su  les  mettre  à  la  portée  de  tout  le  monde , 
par  un  style  à  la  fois  clair  et  précis. 

45. — Le  Opère  c?f  Buffon  ,  etc.  —  Œuvres  de  Buffow  et  de  Li- 
cÉPÈDE,  traduites  en  italien,  in-8°,  avec  fig.  Venise,  1820.  Molinari. 

46. — Élémens  de  p/ij^siologie  de  la  nature,  ou  résultat  des  re- 
cherches proposées  par  l'académie  impériale  des  sciences  de  Péters- 
bourg,  sur  le»  propriétés  des  substances  métalliformes  des  diffé- 
rentes terres ,  et  notamment  sur  le  kali ,  le  natron  et  V ammoniaque  ; 
par  le  docteur  Louis  Foawi.  Turin  ,  1S21.  Ghiringhello  et  Bonaudo , 
in-S"  de  586  pages. 

Cet  ouvrage;  très-savant  place  l'auteur  au  rang  des  chimistes  les 
plus  distingués  de  l'Italie  septentrionale. 

4/.  —  Délia  puhbliva  am,ministrazione  sanitaria\  in  tempo  di 
peste,  etc.  —  ï>c  l'administration  publique  delà  santé,  pendant  la 
peste;  par  le  sénateur  D.  Aznsi,  etc.  Cagliari ,  1820.  Imprimerie 
royale ,  in-8°. 

L'auteur  démontre  la  nécessité  de  réunir  dans  un  même  ouvrage 
tous  les  réglemens  relatifs  à  la  santé  publique  en  Europe.  Il  indique 
toutes  les  attributions  particulières  d'un  magistrat  de  santé,  les  lois 
qui  regardent  la  police  qu'il  faut  exercer  en  tems  de  peste,  et  les 
précautions  à  prendre  pour  en  prévenir  et  en  aiTÛter  la  prop-"'a"ation. 
Une  partie  de  l'ouvrage  est  consacrée  à  l'examen  des  réglemens 
généraux ,  concernant  surtout  l'administration  de  la  santé  dans  les 


106  LIVRES  ETlUîs^GEKS. 

ports  où  il  existe  des  lazarets.  On  trouve  dans  ce  traité  des  détails 
d'une  utilité  générale. 

48.  —  Joannis  Cahmigivasi  in  Pisana  Academia  antecessoris 
juris  criminalis  eltmenta. — Elémens  du  droit  criminel ,  etc.  Pise, 
1819.  2    vol.  in-S°. 

L'auteur,  en  publiant  les  élémens  du  droit  criminel,  s'est  étudié 
à  éviter  les  deux  extrêmes  où  sont  ordinairement  tombés  les  écrivains 
qui  en  ont  traité  jusqu'ici,  c'est-à-dire  l'excès  de  l'esprit  philosophique 
et  la  servilité  de  la  routine  du  barreau.  Il  a  tâché  de  réduire  les  théories 
de  la  sûreté  publique  et  privée  en  un  système  de  principes  scientifiques, 
déduits,  avec  un  ordre  analytique,  de  la  nature  de  l'homme  et  de  la 
société.  On  trouve,  combinées  dans  son  ouvrage,  deux  espèces  de 
recherches,  celles  qui  appartiennent  à  la  science  de  la  législation,  et 
celles  qui  concernent  la  jurisprudence.  II  est  divisé  en  quatre  livres. 
L'auteur  développe ,  dans  le  premier ,  la  théorie  générale  de  l'impu- 
tation du  délit  et  de  la  sanction  pénale  ;  dans  le  deuxième ,  il  expose 
ce  qui  regarde  la  foi  ou  la  probabilité  juridique  ;  dans  le  troisième , 
l'application  de  ces  trois  théories  -à  chaque  classe  de  délits  ;  et  dans 
le  quatrième ,  il  donne  la  théorie  des  moyens  non  coactifs  ,  par  les- 
quels on  prévient  les  délits.  L'auteur,  tantôt  tire  profit  des  doctrines 
des  plus  illustres  écrivains  dans  ce  genre ,  tantôt  corrige  ou  rectifie 
leurs  opinions.  Sous  ce  rapport,  il  expose  et  améliore  ce  qu'ont  en- 
seigné de  mieux  IMontesquieu ,  Beccaria ,  Filangieri ,  Blackston  , 
Bexon ,  Romagnosi ,  Bentham ,  etc. 

49-  —  Cliiave  delV  Apocalisse  di  S.  Giouanni,  etc.  —  Clef  de 
l'Apocalypse  de  saint  Jean ,  vérifiée  par  son  accord  avec  l'histoire 
ecclésiastique ,  et  par  la  facilité  d'y  découvrir  le  vrai  sens  des  pro- 
phéties; par  F.  RiCABDi,  d'OncgIia.  Gênes,  1S20,  in-12. 

M.  Ricardi  espère  prouver  que  certains  hérétiques  se  sont  beau- 
coup trompés  dans  l'interprétation  de  ce  livre,  qu'on  a  voulu  regarder 
comme  prophétique,  et  qui ,  peut-être,  n'est  qu'un  recueil  de  pièces 
symboliques  que  jouaient  dans  leurs  sociétés  secrètes  les  anciens 
chrétiens,  à  l'exemple  des  Hébreux  eux-mêmes.  Au  reste,  M.  Ricardi 
nous  a  convaincus  que  si  Newton  et  les  hérétiques  ont  mal  réussi  dans 
ce  genre  d'interprétations ,  les  catholiques  et  lui-même  n'ont  pas 
obteivç  un  plus  grand  succès. 

.5o. — Dell'illustraïione  délie  lingue  anliche  ,6  moderne  etc. — Tra- 
vaux sur  les  langues  anciennes  et  modernes,  et  principalement  sur  la 


LIVRES  ETRANGERS.  1G7 

langue  italienne,  faitspar  les  Italiens,  pendant  le  dix-huitième  siècle; 
par  César  Lucchesini.  Lucques,  1819, chez  François  Baroni. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  deux  parties  ;  la  première  traite  de  la 
langue  italienne  et  des  autres  langues  modernes  de  l'Europe  ;  la 
seconde ,  des  langues  anciennes  et  de  celles  des  langues  modernes 
qu'on  appelle  orientales.  L'auteur  a  voulu  montrer,  et  peut-être  a 
même  exagéré  les  richesses  des  Italiens  dans  ce  genre  de  travaux. 
On  rencontre  souvent  dans  son  catalogue  des  noms  qu'il  aurait  été 
mieux  d'oublier.  Il  croit  pouvoir  conclure  de  son  long  discours  histo- 
rique :  1°  que  les  Italiens  ne  doivent  pas  être  regardés  comme  in- 
férieurs aux  étrangers ,  en  ce  qui  concerne  l'étude  de  leur  propre 
langue  ;  2»  que  les  Allemands,  les  Hollandais  et  les  Anglais  surpassent 
les  Italiens, en  ce  qui  concerne  les  travaux  sur  la  langue  grecque;  5<*  que 
les  Italiens  se  distinguent ,  à  leur  tour,  par  leurs  traductions  du  grec  ; 
4°  qu'ils  sont  supérieurs  à  toute  autre  nation  dans  l'étude  de  la  langue 
latine;  5"  et  qu'ils  ont  de  quoi  disputer  aux  autres  la  gloire  de  la 
culture  des  langues  orientales.  On  a  fait  un  reproche  à  l'auteur  de  ce 
qu'au  milieu  de  toute  l'érudition  qu'il  a  déployée,  il  n'a  parlé,  ni  de 
la  langue  gothique  parmi  les  anciennes,  ni  de  la  langue  slave  parmi 
les  modernes. 

5i. — Vita  di  Melchiorre  Cesarolli,  etc.  — Vie  de  Melchior  Cesa- 
rotti;  par  G.  A.  M.  Milan,  1820,  in-8°.  Imprimerie  de  la  Société 
des  classiques  italiens. 

Cette  biographie  précède  les  ouvrages  choisis  de  Cesarotti ,  qu'on 
publie  à  Milan  dans  la  belle  collection  des  classiques  italiens.  Le 
mérite  de  cette  production  consiste  dans  la  pureté  et  la  simplicité 
du  style  ,  dans  la  vérité  et  le  piquant  de  la  pensée,  dans  le  choix  de 
l'érudition,  et  dans  la  justesse  des  ji^gemens  par  lesquels  l'auteur 
apprécie  les  ouvrages  du  célèbre  Cesarotti,  à  qui  l'Italie  doit  savoir 
gré  d'avoir  porté  dans  sa  littérature  l'esprit  de  la  philosophie. 

Sa. —  Istoria  délia  vercellese  letteratura  ed arti,  etc. — Histoire  de 
la  littérature  et  des  arts,  de  Vercelli,  etc.,  par  de  Gregory.  Turin, 
1820,  chez  Chirio  et  Mina. 

La  première  partie  de  cet  ouvrage  est  divisée  en  cinq  grands  ta- 
bleaux. Le  premier  présente  l'état  de  la  littérature  dans  les  siècles  I^', 
II*  et  III",  jusqu'au  règne  de  Constantin.  Le  second  comprend  les  IV» 
et  V»  siècles,  jusqu'à  la  chute  de  l'empire  d'Occident.  Le  troisième 
expose  l'état  des  trois  siècles  suivans  (VI,  VII  et  VIII);  et  Je  qua- 


168  LIVRES  ETRANGERS. 

trième  s'étend  jusqu'au  Xll"  siècle;  enfin,  le  cinquième  tableau 
expose  la  renaissance  des  sciences  et  des  arts  au  XIII*  siècle.  Peut- 
être  l'auteur  donnera-t-il,  dans  un  autre  volume,  l'histoire  littéraire  des 
siècles  suivans,  jusqu'à  nos  jours.  Nouslui  recommandons  plus  d'exac- 
titude et  de  correction.  Mais  quand  les  Italiens,  déjà  assez  riches 
en  histoires  littéraires ,  s'occuperont-ils  de  celle  de  leurs  grands 
citoyens ,  qui  pourrait  intéresser  encore  plus  que  celle  de  la  plupart 
de  leurs  littérateurs  ? 

53. — La  Vila  umana,  etc. — La  Vie  humaine,  poème  de  Samuel 
JRogerSj  traduit  en  italien  ,  avec  des  annotations  j  par  yitiorio  Pa- 
ciOTTi.  Turin,  1820,  in-8°,  chez  la  veuve  Pomha. 

C'est  le  traducteur  de  Lalla  Rookh  qui  a  donné  la  nouvelle  traduc- 
tion que  nous  annonçons.  Nous  ne  croyons  pas  qu'elle  mérite  les  éloges 
que  lui  a  prodigués  la  Bibliothèque  italienne  (N"  LIX,  page  266J. 
Il  nous  semble  que,  dans  cette  occasion ,  elle  a  été  moins  sévère  qu'eu 
plusieurs  autres. 

54. — Ildegonda  Novella  ,  etc. — Hildegonde,  conte  de  l'avocat 
Tommaso  Gbossi.  Milan,  1820,  chez  Vincenzio  Ferratio. 

Cette  nouvelle, ou  ce  conte  ,  diffère  par  son  étendue  de  ceux  con- 
nus jusqu'ici.  II  contient  289  otlai-'e,  et  est  divisé  en  quatre  parties. 
Les  romantique»  et  les  classiques,  occupés  souvent  à  disputer  plutôt 
sur  les  mots  que  sur  les  choses ,  ne  sont  plus  d'accord  sur  la  qualifi- 
cation de  cette  production  littéraire,  qui  parait  aux  uns  ingénieuse,  et 
aux  autres  bizarre.  Quels  que  soient  l'étendue  et  le  titre  d'une  compo- 
sition ,  c'est  l'intérêt  du  sujet ,  c'est  l'art  de  le  développer  ,  c'est  la 
beauté  du  style  qui  décident  de  sa  nature  et  de  son  mérite.  On  a  dit 
que  les  romantiejues  ne  connaissent  point  de  mesure  dans  leur  genre  ; 
mais  manque-t-il  d'exemples  dans  l'école  classique  auxquels  ils  puis- 
sent appliquer  le  même  reproche  ?  Que  ces  deux  écoles  s'entendent 
un  peu  mieux ,  et  lorsqu'elles  se  combattent,  et  lorsqu'elles  négocient. 
Peut-être  n'est-ce  plus  que  des  mots  qui  maintiennent  leurs  divisions, 
dont  une  analyse  impartiale  et  comparative  démontrerait  l'illusion  et 
le  ridicule. 

55. — Enciclopedia  metodicacritico-ragionala  délie  belle  arli,  etc. 
—Encyclopédie  méthodique,  critique  et  raisonnée  des  beaux  arts ,  par 
l'abbé  PietroZikm.  Parme,    i8j5,  imprimerie  ducale. 

C'est  en  1S19  qu'avait  paru  le  premier  volume  de  la  seconde  par- 
tic  de  cette  belle  collection.  Les  volumes  suivana  ont  été  publiés  «n 


LIVRES  ETRANGERS.  169 

1819  et  i8ao.  L'auteur  a  profité  de  ses  longs  voyages  dans  l'Italie  , 
l'Allemagne  et  la  France,  pour  choisir  les  plus  belles  gravures  classi- 
ques ,  anciennes  et  modernes  ,  dont  il  a  donné  un  catalogue  enrichi 
de  réflexions  très-justes  sur  l'histoire  et  le  mérite  de  cesmonuraens  des 
artistes  les  plus  célèbres.  En  les  décrivant ,  il  a  suivi  Tordre  adopté 
'par  M.  Bresciani,  de  Parme;  il  les  divise  en  neuf  classes.  La  i"  com- 
prend les  sujets  de  la  Bible  ;  la  2^,  les  sujets  sacrés  et  moraux  ;  la  3«, 
les  sujets  historiques  ;  la  i',  les  sujets  mythologiques;  la  5",  les  sujets 
familiers;  la  6^,  les  sujets  appartenant  à  l'histoire  naturelle;  la  7*, 
ceux  de  l'architecture  ;  la  8',  ceux  de  la  sculpture;  et  la  g',  les  por- 
traits. Chaque  classe  a  son  ordre  particidier  divisé  par  sections.  Les 
amateurs  des  beaux  arts  ont  accueilli  cet  ouvrage  avec  beaucoup 
d'intérêt ,  et  ils  désirent  que  l'auteur  se  hâte  de  l'achever  avec  le 
même  zèle  et  la  même  exactitude.  S. 

ESPAGNE. 

56. — Apuntes  sobre  medidas ,  pesos ,  jy  monedas. — Remarques 
concernant  les  mesures,  les  poids  et  les  monnaies  ;  par  Don  Gabriel 
CiscAR  ,  conseiller  d'état  et  vice-amiral  d'Espagne  :  1  vol.  in-S". 
Madrid,  1821 ,  au  bureau  de  la  direction  hydrographique, 

M.  Ciscar  est  l'un  des  hommes  les  plus  savans  de  l'Europe,  auteur 
de  différens  ouvrages  concernant  diverses  branches  des  sciences  ma- 
thématiques ,  particulièrement  la  nautique ,  l'optique  et  l'astronomie. 
Il  a  été  membre  ,  dans  le  tems  ,  d'une  commission  de  l'institut  de 
France,  créée  pour  régler  les  mesures,  les  poids  et  les  monnaies  de 
France,  Il  parle,  dans  son  ouvrage,  de  tout  ce  qui  concerne  le 
système  décimal ,  et  de  la  facilité  de  son  application  à  l'Espagne.  En 
adoptant  quelques  légers  changemens  dans  la  vara  (terme  central 
delà  mesure  espagnole),  en  la  diminuant  d'une  seule  ligne,  elle  se 
trouve  comprise  douze  millions  de  fois  dans  le  cadran  du  méridien 
terrestre.  La  braza  (qui  est  composée  de  deux  varan) ,  la  stade  at- 
tique,  le  mille  romain,  et  presque  toutes  les  mesures  géographiques 
et  nautiques  peuvent  s'y  rapporter  d'une  façon  si  simple,  que  la 
mémoire  peut  facilement  les  retenir.  L'auteur  considère  le  pied 
comme  divisé  en  décime ,  centime,  et  millime ,  sans  préjudice  de  la 
division  par  moitié,  tiers,  quart,  etc.  Enfin,  il  instruit  ses  compa- 
triotes des  avantages  du  système  français,  adaptée  l'Espagne,  au 
moyen  des  modifications  convenables. 


170  LIVRES  ETRANGERS. 

57. — Espiritu  de  las  /ey es.— L'esprit  des  lois  par  Montesquieu, 
traduit  par  Don  Jean  Lopez  Pegnalveh.  Quatre  vol.  in-S».  Ma- 
drid, 1821,  chez  Sojo. 

Cet  ouvrage  se  trouvait  mis  à  l'Index  par  l'ancien  tribunal  de 
l'inquisition,  ce  qui  était  facile  à  supposer.  J'ajouterai  que  M.  Pe- 
gnalver  connaît  fort  bien  les  langues  française  et  espagnole,  comme 
il  l'a  fait  voir  dans  sa  traduction  du  Gonsaluede  Cordoue  de  Florian , 
qui  est  écrite  dans  un  langage  pur,  correct  et  harmonieux. 

58. — El  remédia  de  la  melancolia. — Le  remède  de  la  mélancolie  ; 
par  Don  Augustin  Peeez  de  Zaeagoza  :  trois  volumes  in-12.  Ma- 
drid, 1821,  chez  Sanz. 

Cet  ouvrage  n'est  autre  chose  qu'une  collection  de  bons  mots, 
apophthegmes ,  anecdotes ,  contes ,  fables ,  etc. ,  destinée  à  faire  rire 
dans  les  réunions  des  habitans  des  villages  et  petits  bourgs,  pendant 
les  soirées  de  l'hiver.  Il  y  avait  déjà  beaucoup  de  livres  de  ce  genre 
en  Espagne  :  l'auteur  n'a  eu  qu'à  copier  et  compiler.  Néanmoins,  s'il 
eût  eu  de  la  sagacité,  c'était  l'occasion  d'amuser  les  mêmes  personnes, 
en  leur  racontant  des  anecdotes  concernant  la  liberté  ,  l'égalité  et 
les  autres  avantages  d'un  système  constitutionnel  ;  ce  qui  ne  serait 
pas  impossible ,  ni  même  tiès-difficile ,  en  donnant  aux  contes  une 
certaine  direction.  Alors  le  remède  contre  la  mélancolie  le  serait 
aussi  contre  les  maladies  politiques  de  l'ignorance  et  de  la  pré- 
vention ,  qui  sont  capables  de  faire  beaucoup  de  mal  à  l'Es- 
pagne. 

59. — Cartas  de  Don  Roque  Leal, — Lettres  de  Don  Roch  Loyal. 
Ouvrage  semi-périodique.    Madrid,  1821  ,  chez  Hurtado. 

L'objet  de  cet  ouvrage  pseudonyme  est  d'éclairer  le  public  espa- 
gnol sur  la  légitimité  du  pouvoir  des  Cortès ,  à  l'égard  des  personnes 
et  des  choses  ecclésiastiques  ;  sur  la  justice  de  leurs  arrêts,  la  néces- 
sité de  les  rendre,  et  l'utilité  qui  en  résultera,  malgré  tout  ce  qui 
est  débité  à  ce  sujet ,  par  quelques  prêtres  et  moines  ignorans  ,  ou 
prévenus  en  faveur  des  opinions  ultramontaines,  ou  excités  par  l'in- 
térêt ,  ou  même  par  de  plus  mauvaises  intentions. 

J.  A.  Lloberte, 

ROYAUME    DES    PAYS-BAS. 

<50'  (') — Esprit,  origine  et  progrès  des  institutions  judiciaires  des 
principaux  pajs  de  l'Europe,  par  J.  D.  Mbïbh,  chevalier  de  l'ordre 


LIVRES  FRANÇAIS.  171 

royal  du  Lion  Belgique,  de  l'institut  royal  des  Pays-Bas,  des  aca- 
démies royales  des  sciences  de  Bruxelles  et  de  Gottingen,  de  celles 
du  Gard  à  Nîmes,  de  Leide,  de  Groningue  et  d'Utreclit.  Tom.  IV. 
La  Haye,  de  Timprimerie  Belgique;  et  Paris,  V«  Lepetit.  In-8°  de 
43o  pages. 

C'est  la  suite  d'un  savant  et  important  ouvrage,  dont  le  plan  et 
l'objet  ont  été  déjà  développés  précédemment  (  Voyez  Tom.  II  , 
pag.  255  et4o4  ). 

Si. — Mercure  Be/^e,  recueil  consacré  à  la  littérature,  aux  arts  et  aux 
sciences.  Bruxelles,  in-8°.  Delemer,  rue  des  Sablons, n"  1042. — II 
parait,  chaque  mois,  un  cahier  de  trois  feuilles  d'impression,  formant 
un  volume  de  Goo  pages,  tous  les  six  mois.  La  collection  forme  actuel- 
lement 10  vol.  Prix  de  l'abonnement,  i5  fr.  pour  six  mois,  3o  fr. 
pour  l'année. 

Nous  croyons  devoir  accorder  une  mention  particulière  à  ce  recueil, 
recommandable  par  une  rédaction  soignée  et  par  la  bonne  foi  litté- 
raire qui  préside  à  sa  rédaction.  Le  Mercure  Belge  est  écrit  en  fran- 
çais ,  et  en  fort  bon  français.  On  y  trouve  l'analyse  des  ouvrages  les 
plus  remarquables  de  notre  littérature  moderne  ;  et ,  il  faut  l'avouer, 
ces  analyses  sont  faites  en  général  avec  plus  de  soin ,  plus  d'impar- 
tialité ,  et  souvent  plus  de  talent  que  celles  que  nous  lisons  dans 
plusieurs  de  nos  journaux.  Nous  avons  notamment  remarqué  un 
article  très-bien  fait  sur  les  poésies  de  M.  de  Lamartine,  et  un  examen 
judicieux  ,  quoiqu'un  peu  sévère ,  de  la  brillante  traduction  de  la 
Jérusalem  délivrée,  de  M.  Baour-Lormian.  Nous  croyons  rendre 
service  aux  amis  de  la  bonne  littérature  en  leur  faisant  coûnaître  ce 
journal ,  dont  les  rédacteurs  paraissent  être  des  hommes  de  mérite 
et  des  hommes  de  conscience.  Nous  devons  ajouter  que  les  articles 
de  plaisanterie  nous  ont  paru  inférieurs  aux  articles  sérieux.  Peut- 
être ,  pour  plaisanter  avec  grâce  en  français,  est-il  nécessaire  d'ha- 
biter la  France. 

LIVRES  FRANÇAIS. 

62. — Essaisur  la  nature  et  lespropriétés  d'unjftuide impondérable, 
ou  nouvelle  Théorie  de  l'unifers  matériel,  par  P.  E.  Moein  ,  ancien 
élève  de  l'école  polytechnique  ,  ingénieur  au  corps  royal  des  ponts 
et  chaussées.— Au  Puy,  chci  Guillaume  ;  à  Paris ,  chez  Gœury,  quai 
des  Augustins, 


172  LIVRES  FRANÇAIS. 

Les  phénomènes  que  présente  notre  monde  planétaire  sont  le 
résultat  de  la  force  attractive  dont  la  matière  est  douée  ;  mais 
quelle  est  la  cause  de  cette  puissance?  quelle  est  celle  de  la  chaleur 
répandue  dans  l'univers  ,  ou  développée  dans  diverses  circonstances  î 
l'attraction,  la  répulsion  électrique  sont-elles  dues  à  l'existence  de 
deux  fluides  particuliers  ?  La  réponse  à  ces  questions  et  à  plusieurs 
autres ,  d'un  haut  intérêt ,  a  été  vainement  recherchée  par  plusieurs 
habiles  physiciens;  et  il  est  bien  difBcile ,  peut-être  impossible, 
d'assigner  avec  certitude  la  cause  de  ces  phénomènes  variés.  Heu- 
reusement, leur  mode  d'action ,  les  lois  qui  les  produisent ,  importent 
seules  à  nos  besoins ,  et  la  science  est  bien  avancée  sous  ce  rapport  ; 
le  reste  n'est  plus  qu'un  objet  de  curiosité,  qu'on  cherchera  peut-être 
toujours  à  satisfaire  sans  y  parvenir.  Il  ne  nous  est  pas  donné  de 
pénétrer  ainsi  dans  les  secrets  profonds  de  la  nature.  M.  Morin  croit 
pouvoir  tout  expliquer ,  en  admettant  l'existence  d'un  seul  fluide 
impondérable,  dont  l'action  varie  selon  les  circonstances.  L'auteur 
est  instruit  du  sujet  qu'il  traite  ;  il  a  généralement  des  idées  exactes 
des  choses,  mais  le  lecteur  ne  jugera  pas  toujours  ses  conséquences 
rigoureusement  déduites,  et  je  crains  qu'il  ne  trouve  pas  les  raisonne- 
mens  liés  entre  eux  avec  cette  précision  géométrique  dont  M.  Mo- 
rin connaît  si  bien  la  force  et  l'importance.  Fbahcqecb. 

65. — Histoire  de  la  rose  chez  les  peuples  de  Vantiquité  et  chez  les 
modernes;  description  des  espèces  cultivées;  culture  des  rosiers; 
propriété  des  roses,  et  leurs  diverses  préparations  alimentaires  ,  cos- 
métiques, etc.,  par  M.  le  marquis  de  Cheshel.  Toulouse,  1821. 
In-S»  de  1 1  feuilles.  Imprimerie  de  F.  Vieusseux. 

64. — Monographie  des  greffes ,  ou  description  technique  des  di- 
verses sortes  de  grefl"es ,  employées  pour  les  végétaux  ;  par  M.  A. 
THoriN,  professeur  de  culture  au  muséum  d'histoire  naturelle.  Paris, 
1821.  Un  vol.  in-4°  avec  planches. 

65. — Comjite  rendu  des  irat'uux  de  lasociéié  de  médecine  de  Ljon, 
depuis  le  mois  de  juillet  1818  jusqu'au  mois  de  septembre  1S20; 
par  M.  R.  de  la  Pbade,  D.  M.  M. ,  médecin  du  collège  royal  et  de 
l'hôtel-dieu  de  Lyon,  etc. ,  secrétaire  de  la  société  de  médecine. 
Lyon ,  1S21.  V«  Catty.  Id-8°  de  86  pages. 

Cette  brochure,  écrite  en  très-bon  style  et  dans  un  esprit  vraiment 
philosophique,  sera  lue  avec  intérêt  par  tous  les  hommes  de  l'art. 

66,  —  Mémoire  concernant  les  effets  de  la  pression  atmosphérique 


/ 

LIVRES  FRANÇAIS.  173 

sur  le  corps  humain ,  et  l'application  de  la  ventouse  dans  différens 
ordres  de  maladies  »  lu  à  l'académie  des  sciences,  par  le  docteur 
GoNDBET.  Paris,  1819,  in-S".  Biaise,  quai  des  Augustins. 

67.  —  Considérations  sur  V emploi  du  feu  en  viédecine ,  lues  à  l'aca- 
démie des  sciences,  avec  le  rapport  des  commissaires,  parle  même. 
Paris,  1820.  Biaise,  quai  des  Augustins. 

M.  Gondret  a  heureusement  déterminé  le  mode  d'action,  la  con- 
venance et  les  effets  de  ces  deux  moyens  d'agir  sur  l'état  des  organes 
dans  des  maladies  données.  L'action  du  feu  et  celle  de  la  pesanteur, 
si  puissantes  dans  toutes  les  opérations  de  la  nature,  ne  devaient  pas 
tester  inertes  sur  le  corps  de  l'homme;  et  si  quelque  agent  pouvait 
être  utile  en  médecine ,  par  son  énergie  et  par  sa  rapidité ,  c'était 
sans  contredit  le  fer  rouge  et  la  ventouse  !  La  ventouse  n'est ,  comme 
on  sait,  qu'un  moyen  d'opérer  le  vide ,  sur  une  surface  plus  ou 
moins  étendue  de  la  peau.  Le  résultat  de  cette  soustraction  locale  de 
la  pression  de  l'air  est ,  sur  le  point  d'application  de  la  ventouse , 
la  formation  subite  d'une  fluxion  de  tous  les  liquides  et  de  tous  les 
gaz  circulant  ou  stagnant  dans  les  tissus  vasculaires.  Cette  fluxion  est 
d'autant  plus  rapide  et  énergique,  que  le  vide  est  plus  parfait  sous  la 
cloche,  et  l'on  conçoit  qu'il  importait  souvent  de  graduer  cette 
fluxion.  M.  Gondret  y  a  pourvu  par  un  appareil  composé  d'une 
cloche  et  d'une  pompe  pneumatique ,  de  sorte  que  l'on  peut  sous- 
traire et  restituer  l'air ,  suivant  la  convenance  de  l'opération.  Si  la 
surface  ventousée  a  été  scarifiée  ,  il  y  a  écoulement  des  fluides  qu'y 
chasse  de  toutes  parts  la  pression  atmosphérique.  Les  courans  qui 
s'établissent  alors  partent  de  distances  proportionnelles  à  la  sensi- 
bilité des  organes  et  au  degré  du  vide.  Ces  courans  transportent  les 
matériaux  de  composition  des  organes.  Les  organes  ne  sont  ma- 
lades que  par  l'excès  des  fluxions  dont  ils  sont  le  siège.  La  guérison  ne 
peut  donc  être  que  l'effet  de  la  cessation  de  la  fluxion.  Or,  une  fluxion 
dépend  de  la  rupture  d'un  équilibre.  C'est  donc  en  rompant  l'équi- 
libre sur  un  autre  point  par  une  force  supérieure,  que  l'on  pourra 
déplacer  une  fluxion  actuellement. en  exercice.  Tel  est  le  mode  d'ac- 
tion de  la  ventouse;  tel  est  aussi  celui  du  fer  rouge;  seulement, 
la  fluxion  qu'il  détermine  dépend  du  degré  de  l'irritation  locale 
qui  s'ensuit  et  de  la  durée  de  cette  irritation.  D'après  cela,  il  est 
facile  de  conclure  la  convenance   de  ces  moyens  dans  tous  les  cas 


17A  LIVRES  FRANÇAIS. 

où  il  y  a  fluxion  ;  mais    quelle  maladie    n'a   pas  pour  cause  une 
fluxion? 

Il  reste  à  savoir  dans  quel  cas  on  doit  préférer  le  fer  rouge  à  la 
ventouse.  Cette  question  est  résolue  par  l'expérience.  Dans  les  ma- 
ladies aiguës ,  la  ventouse  a  toujours  réussi,  ainsi  que  dans  beaucoup 
de  maladies  chroniques  ;  mais,  dans  la  plupart  de  ces  dernières,  l'effet 
de  la  ventouse  ne  serait  pas  assez  durable.  La  persistance  des  effets 
de  l'application  du  fer  rouge  doit  donc  lui  obtenir  alors  la  préfé- 
rence ,  c'est  surtout  aux  maladies  anciennes  du  cerveau  que  l'a 
appliqué  M.  Gondret.  Il  a  le  plus  souvent  réussi ,  et  il  est  certain 
qu'alors  tous  les  autres  moyens  eussent  échoué.  Nous  n'hésitons  pas 
à  dire  que  ces  deux  opuscules  nous  semblent  plus  importans  que 
certains  gros  volumes  publiés  sur  la  matière  médicale. 

A.  Desmoulins. 

68. — Elémens  d'arithmétique ,  par  M.  Bocrdoit,  ofiBcier  de  l'uni- 
versité ,  docteur  ès-sciences  et  professeur  de  mathématiques  au 
collège  royal  de  Henri  IV.  Paris,  1821  ;  1  vok  in-S"  Madame  veuve 
Courcier,  rue  du  Jardinet-Saint- André-des- Arcs,  n»  12. 

Les  meilleures  méthodes  d'enseignement  sont  le  fruit  d'une 
longue  expérience  fait«  sur  toutes  les  intelligences  :  l'ordre  à  suivre 
dans  l'exposition  des  doctrines ,  l'emploi  des  moyens  propres  à  éveil- 
ler la  mémoire  et  à  frapper  l'esprit,  le  choix  même  des  expressions 
qui  offrent  plus  de  clarté  dans  les  détails  ,  sont  autant  de  difBcultés 
qui  ne  peuvent  être  surmontées  que  par  un  long  exercice  du  profes- 
sorat. M.  Bourdon  s'est  trouvé  dans  toutes  les  circonstances  favo- 
rables aux  épreuves  que  nous  venons  d'énumérer.  Les  chaires  qu'il 
a  occupées  dans  les  plus  grands  étahlissemens  d'instruction  publique, 
l'ont  mis  à  même  de  reconnaître  les  procédés  les  plus  propres  à  fa- 
ciliter l'étude  des  mathématiques. 

Le  traité  d'arithmétique  de  M.  Bourdon  est  un  préliminaire  à 
l'excellent  ouvrage  d'algèbre  du  même  auteur.  Ayant  observé  que 
souvent  les  élèves  sont  retardés  dans  leurs  études,  parce  qu'ils  ont 
négligé  celle  du  calcul  numérique  et  qu'ils  se  sont  contentés  de  se 
livrer  à  la  routine  des  opérations ,  sans  en  raisonner  les  principes , 
M.  Bourdon  a  voulu  éviter  à  la  jeunesse  studieuse  une  partie  des 
difficultés  et  des  dégoûts  attachés  à  ce  genre  d'étude.  Sa  réputation 
dans  l'enseignement  public ,  les  honorables  succès  qu'il  y  a  obtenus, 
sont  garans  du  mérite  de  ce  nouvel  ouvrage. 


LIVRES  FRANÇAIS.  175 

La  première  division  suffit  à  peu  près  à  l'instruction  des  jeunes 
gens  qui  ne  se  livrent  pas  à  l'étude  spéciale  des  sciences  :  ceux  qui 
se  destinent  au  commerce,  à  la  jurisprudence,  à  la  littérature, 
pourront  se  contenter  de  cette  partie  de  l'ouvrage.  La  seconde  traite 
de  sujets  plus  relevés,  et  renferme  des  doctrines  plus  difficiles  à  con- 
cevoir; elle  est  surtout  destinée  aus  aspirans  à  l'école  polytechnique. 
Tout  le  monde  n'approuvera  peut-être  pas  que  l'auteur  y  ait  intro- 
duit un  peu  de  cette  algèbre  élémentaire  qui  doit  bientôt  devenir  ua 
objet  d'études  plus  profondes.  Cette  innovation  ôte  à  l'art  de  rai- 
sonner une  des  plus  heureuses  occasions  de  s'appliquer,  en  subs- 
tituant quelques  opérations  mécaniques  à  celles  de  l'entendement: 
mais  s'il  est  vrai  que  l'enseignement  en  retire  des  avantages  marqués, 
que  l'étude  soit  plus  facile  et  plus  courte  par  cette  voie ,  l'auteur  doit 
être  excusé  par  ce  louable  motif.  C'est  donc  à  l'expérience  à  juger 
cette  innovation  ,  à  laquelle  je  ne  crains  pas  de  dire  que  mon  senti- 
ment est  opposé. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  traité  d'arithmétique  est  une  nouvelle  preuve 
du  talent  et  du  zèle  dont  M.  Bourdon  ne  cesse  de  donner  des 
preuves  dans  l'accomplissement  des  fonctions  pénibles  qui  lui  sont 
confiées  dans  l'enseignement  public.  Fhancoecb. 

69. — Des  fonds  publics  en  France  et  des  opérations  de  la  Bourse 
de  Paris ,  ou  Recueil  contenant  des  détails  sur  les  rentes,  cinq  pour 
cent  consolidés ,  les  reconnaissances  de  liquidation  ,  les  actions  de  la 
banque  de  France ,  les  obligations  et  les  rentes  de  la  ville  de  Paris, 
les  actions  de  la  compagnie  des  ponts,  celles  des  diverses  compa- 
gnies d'assurances  ,  etc.  ;  les  règles  pour  calculer  les  fonds  publics  et 
évaluer  l'intérêt  que  rapporte  chacun  d'eux;  la  manière  de  spéculer, 
soit  à  la  hausse ,  soit  à  la  baisse ,  soit  sur  les  reports ,  etc.  etc.  ;  par 
Jacques  Bresson.  Paris,  1821.  5*  édition,  1  vol.  in- 12.  Bachelier, 
quai  des  Augustins,  n"  55;  Painparré ,  rue  de  Richelieu,  n"  65. 
Prix,  1  fr.  5o  c,  et  1  fr.  jS  c.  franc  de  port. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  deux  parties.  La  première  ,  consacrée 
aux  effets  publics,  fait  connaître  leur  nature,  la  quantité  qui  s'en 
trouve  en  émission,  s'ils  sont  transférables  ou  au  porteur,  les  intérêts 
ou  les  dividendes  dont  ils  jouissent,  les  formalités  à  remplir  pour 
vendre  ou  acheter  ces  mêmes  effets  et  en  toucher  les  arrérages ,  des 
détails  importans  sur  l'emprunt  d'Espagne  qui  vient  d'être  contracté 
au  nom  d'une  compagnie  française.  Dans  la  seconde  partie,   non 


176  LIVRES  FRANÇAIS. 

moins  intéressante  que  la  première,  M.  Jacques  Bresson  a  traité 
toutes  les  opérations  que  les  spéculateurs  ont  imaginées  sur  les  effets 
publics.  Ce  livre  donne  une  idée  exacte  de  notre  dette  publique  ; 
dire  qu'il  est  arrivé  à  sa  troisième  édition  en  moins  de  quatre  mois, 
c'est  annoncer  un  succès  mérité ,  d'autant  plus  remarquable  qu'il 
est  le  début  de  l'auteur.  D. 

-o. — Notice  sur  V archipel  de  Jean  Potocki  ,  situé  dans  la  partie 
septentrionale  de  la  mer  Jaune ,  par  Jules  Klaphoth  ,  avec  une 
carte  géographique.  Paris;  Eberhart,  1S21.  8  pages  in-4°. 

L'archipel  dont  il  s'agit,  composé  de  18  îles  principales,  au  midi 
de  la  côte  méridionale  de  la  province  tartaro-chinoise  de  Liao-Toung, 
est  situé  entre  le  Sg»  et  le  4o^  degré  de  latitude  nord ,  et  les  120^  et 
121=  de  longitude,  à  l'est  de  Paris.  Il  manque  dans  les  cartes  de 
Banville  et  dans  celles  de  tous  les  géographes  de  l'Europe  jusqu'ici 
publiées.  Le  savant  orientaliste,  M.  Klaproth,  nous  en  donne  ici  la 
carte ,  ainsi  que  de  la  mer  et  des  régions  environnantes ,  d'après  les 
originaux  chinois  et  mandchous  des  cartes  de  l'empire  chinois,  levées 
environ  vers  l'an  lyiS  par  ordre  de  l'empereur  Chin-tsou-jin- 
houang-ti,  appelé  en  Europe  du  nom  de  Khang-hy  ^  qui  n'est  que 
le  oom  de  son  règne.  Le  comte  Jean  Potocki  est  connu  par  de 
nombreux  et  utiles  ouvrages  sur  l'histoire  et  la  chronologie  des 
peuples  anciens  et  modernes ,  par  la  protection  qu'il  accorda  aux 
sciences  et  aux  lettres,  et  parle  voyage  de  la  dernière  ambassade 
russe,  inutilement  destinée  pour  la  Chine.  M.  Klaproth  accompagna 
dans  ce  voyage  le  comte  Potocki,  et  c'est  cet  illustre  philantrope 
qui  avait,  le  premier,  conçu  le  plan  du  voyage  qu'a  fait  M.  Klaproth 
au  Caucase  ;  il  avait  même  rédigé  en  partie  les  instructions  qui 
furent  remises  à  M.  Klaproth.  C'est  à  ces  titres  que  l'archipel ,  qu'on 
fait  ici  connaître  aux  Européens,  est  nommé,  dans  cette  notice  et 
dans  la  carte  jointe,  V archipel  de  Jean  Potocki.         Lanjuinais. 

71.  —  Relation  d' un  séjour  à  Alger  ,  traduit  de  l'anglais.  Vsi- 
ris,  1820.  Le  Normand,  1  vol.  in-S°  de  606  pages. 

«  Cette  relation  d'un  séjour  à  Alger ,  dit  le  traducteur  dans  son 
avertissement,  a  été  donnée  en  italien  par  M.  Pananti,  littérateur 
toscan.  M.  Blaquièbe  ,  à  qui  l'on  doit  les  Lettres  écrites  de  la  Médi- 
terranée, l'a  traduite  en  anglais;  et  c'est  sur  cette  version  que  nous 
l'avons  traduite  en  français.  »  On  pourrait  s'étonner  de  la  voie 
oblique  qu'a  prise  le  voyage  de  M.  Pananti  pour  arriver  à  la  connais- 


LÏVPtES  FRANÇAIS.  177 

sance  du  public  français,  si  l'on  ne  savait  que  les  livres  italiens,  et 
plus  encore  les  livres  espagnols,  arrivent  très-lentement  et  en  très- 
petit  nombre  à  Paris,  et  qu'aucun  libraire  de  cette  grande  capitale 
n'est  à  même  de  tenir  les  amateurs  au  courant  des  productions  litté- 
raires de  ces  deux  peuples ,  tant  les  relations  de  la  librairie  sont 
imparfaites  chez  eux. 

M.  Pananti  est  un  auteur  italien  qui,  revenant  par  mer  de  l'An» 
gleterre  en  Italie,  eut  le  malheur  de  tomber,  avec  ses  compagnons 
de  voyage,  entre  les  mains  d'un  corsaire  algérien, et  fut  fait  esclave, 
mais  pour  vingt-quatre  heures  seulement  :  car  il  fut  aussitôt  réclamé 
par  le  consul  anglais ,  et  mis  en  liberté.  Il  proGta  de  son  séjour  à 
Alger  pour  décrire  cette  ville,  ainsi  que  les  mœurs  et  usages  des 
habitans ,  leur  piraterie  ,  leur  gouvernement,  etc.  Je  voudrais  indi- 
quer avec  précision  l'époque  de  ses  aventures;  mais  il  n'y  a  pas  une 
seule  date  dans  sa  relation.  On  devine  seulement,  par  quelques 
allusions  aux  événemens  de  l'Europe ,  que  l'auteur  a  dû  être  pris  par 
les  pirates ,  à  l'époque  de  l'invasion  de  Bonaparte  en  Espagne.  Il 
faut  convenir  que  cet  oubli  de  la  part  d'un  voyageur  qui  raconte  ses 
aventures  est  un  peu  bizarre.  Mais,  en  revanche,  l'auteur  a  fait  de 
grands  frais  d'esprit ,  et  prouve ,  par  ses  nombreuses  anecdotes  et 
citations,  qu'il  a  beaucoup  lu,  et  qu'il  possède  une  mémoire  excel- 
lente. Ces  citations  ne  sont  pas  toujours  bien  amenées  ;  cependant 
elles  égaient  le  récit,  naturellement  peu  divertissant,  d'un  séjour  au 
milieu  d'un  état  où  l'oubli  des  droits  de  l'humanité  est  poussé  jusqu'à 
la  férocité. 

Quoique  M.  Pananti  n'ait  pas  eu  l'occasion  de  faire  des  observa- 
tions bien  neuves,  celles  qu'il  a  recueillies  sont  intéressantes.  A  la 
fin  de  son  ouvrage ,  il  insiste  fortement  sur  la  nécessité  de  prendre 
des  mesures  vigoureuses  contre  les  barbaresques  ,  qui,  malgré  le 
bombardement  d'Alger ,  tiennent  toujours  une  conduite  hostile  à 
l'égard  des  chrétiens ,  et  de  coloniser  le  nord  de  l'Afrique.  Il  croit 
môme  que  les  mam-es  finiraient  par  devenir  de  bons  sujets,  si  l'on 
travaillait  sérieusement  à  répandre  la  civilisation  parmi  eux.  Quand 
M.  Pananti  écrivit  ces  réflexions,  l'Europe  était  en  paix,  et  elle  pou- 
vait se  livrer  alors  à  des  projets  tendant  à  protéger  sa  marine  contre 
les  insultes  des  barbaresques.  Mais,  dans  les  circonstances  ac- 
tuelles, il  faut  ajourner  les  expéditions  lointaines  ;  car  il  y  a  asse? 
d'occupation  en  Europe  même.  M.  Pananti  ou  ses  traducteurs  appuient 

Tome  x.  12 


178  LIVRES  FRANÇAIS. 

leurs  conseils  de  raisons  très-plausibles  ;  les  chrétiens  qui  traversent 
la  Méditerranée,  risquent  à  tout  moment  d'ôtre  enlevés  et  de 
tomber  dans  l'esclavage  ;  une  flotte  combinée  et  munie  d'amples 
instructions  pourrrait  mettre  pour  jamais  Cn  à  la  piraterie  et  au  règne 
de  ces  barbares  ;  le  territoire  qu'ils  habitent  est  de  la  plus  grande 
fertilité,  et  l'agriculture  pourrait  y  devenir  très-florissante.  Les  Eu- 
ropéens ont  d'ailleurs  long-tems  possédé  ces  côtes,  ainsi  que  l'attes- 
tent les  ruines  qu'on  y  trouve  éparses;  et,  de  la  côte  barbaresque, 
ils  pourraient  diriger  leurs  travaux  de  civilisation  vers  l'intérieur  de 
l'Afrique ,  qui  est  encore  une  terre  inconnue  pour  nous,  M.  Pananti 
nous  fait  voir  cette  perspective  brillante  ;  mais  ce  n'est  pas  dans  les 
circonstances  actuelles  que  les  gouvernemens  y  feront  beaucoup 
d'attention. 

Le  traducteur  anglais  a  ajouté  à  l'ouvrage  de  M.  Pananti  de  bonnes 
réflexions  sur  la  position  de  l'Italie ,  où  l'esclavage  ne  devrait  pas 
régner  plus  que  chez  les  barbaresques  ;  à  ce  morceau  qui  ne  tient 
pas  essentiellement  au  voyage  de  M.  Pananti,  le  traducteur  français 
a  substitué  des  observations  sur  les  relations  de  la  France  avec  Alger; 
je  ne  trouve  qu'une  seule  assertion  à  y  relever,  c'est  que  le  traducteur 
adopte  le  préjugé  vulgaire  en  France,  qui  suppose  que  l'Angleterre 
n'a  aboli  la  traite  des  nègres  que  pour  en  profiter  seule.  Cette  incul- 
pation a  déjà  été  réfutée  dans  la  Rcfue Encjclopédique.  Ce  n'est  pas 
du  gouvernement  anglais  qu'est  émané  la  proposition  d'abolir  la  traite; 
l'honneur  en  est  dû  à  de  simples  particuliers  philantropes ,  et  cette 
proposition  a  été  faite  simultanément  en  Angleterre  et  en  France  , 
vers  le  commencement  de  la  révolution  française;  si  le  gouvernement 
y  a  ensuite  accédé,  c'est  que  l'opinion  publique  appuyait  fortement 
la  demande  impérieuse  de  l'humanité.  11  se  peut,  au  reste,  qu'il  y  ait 
encore  bien  des  abus  dans  l'esclavage  chez  les  colons  anglais ,  et  la 
continuation  de  l'esclavage  cn  est  même  un  très-grand.  Une  note 
du  traducteur  anglais  me  paraît  déplacée  ;  il  s'y  élève  avec  aigreur 
contre  le  gouvernement  espagnol,  pour  avoir  imposé  un  droit  sur  l'in- 
troduction des  cotons  anglais  en  Espagne.  Il  appartient  aux  Anglais 
moins  qu'à  d'autres  peuples  de  se  plaindre  des  tarifs  de  douanes , 
dont  ils  ont  donné  l'exemple,  et  qu'ils  ont  trouvés  très-commodes, 
tant  que  les  autres  peuples  n'ont  pas  usé  de  représailles. 

La  traduction  française  est  ornée  d'une  vue  lithographièe  d'Alger; 
mais  l'éditeur  n'a  pas  fait  copier,  sans  doute  par  économie,  une  carte 


LIVRES  FIIANÇAIS.  I79 

de  la  régence  d'Alger,  et  un  plan  du  port  et  de  la  ville,   qui  se 
trouvent  dans   la  traduction  anglaise.  Deppikg. 

72.  — Les  Prophéties,  nouvellement  traduites  sur  l'hébreu,  avec  des 
explications  et  des  notes  critiques.  Jériîmie.  Paris,  1821.  2  vol.  in-S" 
chez  Eberhart  et  Méquignon  jeune. 

C'est  la  continuation  du  grand  ouvrage  de  M.  le  président  Agier 
sur  toutes  les  prophéties  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament.  Elle 
mérite  les  mêmes  éloges  que  nous  avons  donnés  aux  travaux  de  ce 
respectable  magistrat ,  sur  les  psaumes  ,  les  prophéties  d' Isaïe  et  les 
prophéties  éparses.  L'auteur  s'y  montre  partout  chrétien  éclairé,  hér 
braisant  habile,  critique  profond,  théologien  courageux,  traducteur 
fidèle  ,  «crivain  distingué  ,  excellent  citoyen.  L. 

JJ. — Les  vices  communs  à  tous  les  concordats  ,  entre  les  puissances 
séculières  et  le  Saint-Siège.  Paris  ,  1S21.  In-S"  de  68  pages,  chez  les 
marchands  de  nouveautés. 

Cet  ouvrage  est  tout  en  faveur  de  l'indépendance  des  nations  chré- 
tiennes contre  les  abus  modernes  des  concordats  ;  il  est  attribué  à 
M.  Tabbé  Feuillant. 

74-  (')  — Principes  de  la  science  morale  et  politique,  ou  Résumé  des 
leçons  données  au  collège  d'Edimbourg,  par  Adam  Fekgusom,  pro^ 
fesseur  de  philosophie  morale,  traduit  par  A.  D,  Paris,  1821.  2  vo- 
lumes in-8°  pai-aissant  en  quatre  parties ,  d'à  peu  près  200  pages 
chacune.  Prix  de  la  i'*  partie,  en  papier  Cn,  2  fr.  5o  ;  en  vélin  sa- 
tiné, 5  fr.—  Kleffer,  rue  d'Enfer-Saint-Michel,  n"  2. 

C'est  ici  un  excellent  ouvrage  de  métaphysique  que  les  personnes 
méditatives  ,  et  qui  ont  fait  des  études  profondes,  accueilleront  avec 
beaucoup  d'estime  et  liront  avec  fruit. 

.  75.  (*) — Histoire  de  r  administration  des  secours  publics ,  par  M.  le 
V)aron  Ddpiw,  conseiller-maître  à  la  cour  des  comptes.  Paris,  1821. 
Eymcry,  rue  Mazarine  ,  n°  3o.  In-S"  de  470  pages.  Prix,  6  fr, ,  et 
par  la  poste  7  fr.  5o  cent. 

On  ne  manque  pas  d'ouvrages  didactiques  sur  l'administration 
des  secours  publics,  mais  aucun  ne  présente  l'analyse  historique 
de  la  législation  dans  cette  partie  ;  c'est  ce  tableau  que  l'auteur  a 
tracé.  La  première  partie  traite  des  hôpitaux  ;  la  seconfZef ,  des  secours 
institués  cn  faveur  de  l'enfance  ;  la  troisième ,  des  mesures  prises  pour 
prévenir  et  réprimer  la  mendicité.  Les  secours  à  domicile  et  plusieurs 
inslitutions  philantropiques  se  rattachent  à  celte  jiarlie.  Le  livre  d« 

12* 


180  LIVRES  FRANÇAIS. 

M.  Dupin  sera  surtout  très-utile  aux  magistrats  municipaux  chargés 
de  la  surveillance  des  hospices,  auxadministrateurs,  surveillans,  et 
employés  des  établissemens  philantropiques. 

j6.  (*) — Histoire  générale  des  institutions  militaires  de  France  , 
■pendant  la  révolution ,  ou  leurs  principes,  leur  esprit ,  leur  influence 
et  leurs  résultats.  Tom.  I  et  II.  Paris  ,  1821.  Baudouin  frères ,  rue  de 
Vaugirard,  n*  36.  In-S».  Prix  ,  10  fr. 

C'est  un  ouvrage  très-remarquable  et  qui  obtient  un  grand  succès  ; 
OQ  l'attribue  à  l'un  des  officiers  les  plus  distingués  de  l'armée. 

77. — De  y  influence  du  christianisme  sur  la  condition  des  femmes-, 
par  M.  Geégoieb,  ancien  évêque  de  Blois.  Paris,  1821.  In-S»  de 
48  pages.  Baudouin  frères. 

Cet  opuscule,  plein  d'érudition,  comme  tous  ceux  qui  sortent  de 
la  plume  du  célèbre  auteur,  tend  à  la  démonstration  de  la  sainte 
alliance  du  christianisme  et  delà  liberté,  dont  les  écrits  de  M.  Gré- 
goire ont  souvent  resserré  les  nœuds.  Il  offre  d'ailleurs  une  lecture 
curieuse  et  instructive.  La  question  particulière  qui  en  fait  l'objet  s'y 
trouve  traitée  d'une  manière  approfondie  et  tout-à-fait  concluante. 
Après  avoir  passé  en  revue  les  difiPérens  genres  d'avilissement,  de 
tyrannie  et  d'oppression,  qu'on  a  fait  subir  aux  femmes  chez  presque 
tous  les  peuples,  l'auteur  s'élève  contre  cet  abus  révoltant  de  la  force, 
qui  fait  sans  cesse  opprimer  le  faible.  Il  montre  comment  la  civili- 
sation, dont  le  christianisme  seconda  si  puissamment  les  progrès, 
rétablit  une  sorte  d'équilibre  entre  les  deux  sexes,  et  comment  la 
religion  chrétienne,  en  leur  donnant  les  mêmes  espérances ,  en  leur 
imposant  la  même  obligation  de  se  perfectionner,  en  leur  promettant 
enfin  la  même  récompense  pour  prix  de  leurs  efforts,  fonda  leur  vé- 
ritable égalité  :  si  la  route  est  différente,  le  but  est  le  même  pour 
tous  deux.  Il  peint  ensuite  le  noble  dévouement  des  femmes  à  leurs 
devoirs,  dans  presque  toutes  les  situations  de  la  vie,  comme 
épouses,  comme  mères  de  famille  ou  comme  vierges  pieuses,  dé- 
vouées au  service  de  l'humanité  souffrante  ;  anges  du  ciel  envoyés 
près  des  malheureux  pour  adoucir  leurs  peines ,  pour  ranimer  leurs 
espérances  et  pour  écarter  de  leur  lit  de  mort  les  terreurs  qui  les 
assiègent.  Si  les  exemples  de  piété  ,  de  constance  et  de  fidélité  à 
leurs  engagemens  sont  plus  rares  parmi  les  femmes  du  monde, 
M.  Grégoire  pense  qu'il  faut  attribuer  cette  absence  de  vertus  au 
vice  général  de  ce  qu'on  appelle  abusivement  chez  nous  l'éducation. 


LIVRES  FRANÇAIS.  181 

L'enfanca  et  la  jeunesse  des  femmes,  «lit-il  encore,  doivent  èlia 
dirigées  de  manière  à  correspondre  au  but  du  créateur  et  à  leur  des- 
tination dans  la  société.  Appelée  aux  mêmes  destinées  que  l'homme, 
cherchant  comme  lui  à  conquérir  la  couronne  brillante  de  l'immor- 
talité, la  femme  doit  marcher  près  de  lui  comme  son  égale  et  sa 
compagne,  jamais  comme  son  esclave.  L.  S. 

78. —  Vingl-sixiéme  rapport  des  directeurs  de  la  société  mission- 
naire de  Londres^  à  l'assemblée  généraledu  11  mai  1820.  Paris,  1821. 
In-8°  de  84  pages.  Poulet,  et  au  bureau  des  Archives  du  christia- 
nisme. 

On  trouve  dans  ce  rapport  des  détails  curieux  sur  les  succès  de  la 
société  anglaise  des  missions  à  Otahiti,  Rimeo,  Rajatea,  Iluaheine, 
à  Malaca  ,  à  Batavia ,  à  Canton ,  dans  les  Indes  orientales ,  en  Russie, 
à  Malte  et  à  Zante ,  en  Afrique  et  en  Amérique. 

79. — Société  royale  pour  l' amélioration  des  prisons,  séance 
du  mois  de  mars  1S21 ,  présidée  par  S.  A.  R.  Monseigneur  le  duc 
d'Angoulême.  —  Rapport  sur  les  travaux  du  conseil  général,  pendant 
l'année  1819,  par  M.  le  comte  Dabu.  Paris,  de  rimprimerie  de 
Denugon  ;  petit  10-4°  de  60  pages. 

Le  but  important  que  se  propose  la  société  philantropique  à 
laquelle  M.  Darua  rendu  compte  de  ses  premiers  travaux,  fait  désirer 
vivement  qu'elle  veuille  parcourir  avec  persévérance  la  carrière  où 
elle  s'est  engagée.  Il  ne  suffit  pas  en  effet  de  signaler  les  abus;  il 
faut  les  attaquer  dans  leurs  derniers  retranchemens  ,  et  arracher,  par 
une  volonté  forte  et  active,  les  réformes  et  les  améliorations  jugées 
nécessaires.  Un  de  nos  collaborateurs  s'est  chargé,  pour  la  Revue, 
d'un  travail  d'ensemble  sur  l'état  actuel  et  le  régime  des  prisons,  dans 
lequel   il  fera  une  mention  spéciale  du  rapport  que  nous  annonçons. 

80.  {*)— Histoire  générale  de  France,  par  MM.  Vély,  Villaret, 
Garnieb  et  DuFAu;  55  vol.  in-12.  Paris,  1819.  Desray,  rue  Haute- 
feuille,  n"  4- 

81.  (•) — Histoire  générale  de  France,  depuis  le  règne  de  Charles  IX 
jusqu'à  la  paix  générale,  en  i8i5;  par  M.  Dufau  :  ornée  de  plus  de 
23o  portraits,  i5  ou  16  vol.  in-12.  Paris,  1820.  Desray,  rue  Haute- 
feuille  ,  n°  4'  {  Les  4  premiers  volumes  sont  publiés). 

82.  {*)  — Collection  des  mémoires  relatifs  à  la  révolution  fran- 
çaise,  avec  des  notices  6ur  leurs  auteurs  et  des  éclaircissemen»  histo- 


182  LIVRES  FRANÇAIS. 

riques ,  par  MM.  Bebvillk  et  Baehièbe.  Deuxième  livraison  (  Mé- 
moires du  marquis  de  Fbbeièees),  in-S"  de  5o4  pag.  Paris,  i8ai. 
Baudouia  frères  ,  rue  de  Vaugirard ,  n"  56.  Il  paraît ,  tous  les  deux 
mois,  une  livraison  de  deux  vol.  Prix,  ii  fr.  par  livraison,  pour  les 
souscripteurs,  et  12  fr.  pour  les  non  souscripteurs. 

Les  éditeurs  annoncent  la  prochaine  publication  d'une  partie  iné- 
dite des  Mémoires  de  Ferrières,  qui  s'étend  depuis  les  premiers  jours 
de  l'assemblée  législative  jusqu'au  21  janvier,  communiquée  par 
madame  de  Messelière,  fille  de  l'auteur.  La  troisième  livraison,  qui 
est  sous  presse,  comprendra  1°  les  Mémoires  de  Linguel  sur  la  Bas- 
tille et  ceux  de  DussauLv  sur  le  1^  juillet  (i  vol.);  2»  les  Mé- 
moires du  marquis  de  Bouille  (  1  vol.). 

83. — Essai  historique  sur  la  ville  de  Caen  et  son  arrondissement , 
par  Vabbé  de  la  Rue  ,  chanoine  honoraire  de  l'église  cathédrale  de 
Bayeux.  a  vol.  in-S" ,  ensemble  de  62  feuilles  et  demie.  Imprimerie 
de  F.  Poisson  ,  à  Caen.  A  Rouen ,  chez  Renault. 

84.  (*) — Dictionnaire  historique  et  critique  de  J^ierre  Baylm.  Nou- 
velle édition,  augmentée  de  notes  extraites  de  Chaufepié,  Joly, 
La  Monnoie ,  Leduchat,  L.-J.  Leclerc,  Prosper  Marchand,  etc., 
en  seize  vol.  in-S",  publiée  par  M.  Becchot.  Les  trois  premiers  vol. 
(a-boe.)  sont  en  vente. 

L'édition  entière  sera  satinée ^  et  formera  seize  volumes  in-S".,  im- 
primés avec  le  plus  grand  soin.  Le  prix  de  chaque  volume  broché  sera, 
pour  les  souscripteurs  ,  de  9  fr.  en  papier  fin  ,  1 4  fr.  en  papier  co- 
quille ,  et  18  fr.  en  papier  vélin.  Il  faut  ajouter  2  fr.  par  volume 
pour  les  recevoir  francs  de  port.  Il  parait  un  volume  de  mois  en  mois. 
Paris,  chez  Th.  £>esoer,  rue  Christine ,  n»  2;  Liège,  chez  J.-F. 
Desoer ,  et  chez  les  principaux  libraires  des  départemens  et  de 
l'étranger.  On  ne  paie  rien  d'avance.  Nota.  On  s'engage  à  ne  pas 
faire  plus  de  seize  volumes,  ou  à  délivrer  gratis  auj.  Sousceiptklbs 
les  volumes  qui  excéderaient  ce  nombre. 

Le  plus  illustre  et  le  plus  instructif  des  lexicographes  n'a  pas  en- 
core autant  de  lecteurs  qu'il  en  mérite ,  et  la  cause  en  est  dans  le  for- 
mat incommode  dans  lequel  ce  livre  a  été  imprimé  jusqu'à  présent. 
On  a  pensé  qu'une  édition  faite  dans  un  format  commode  et  agréable 
le  ferait  lire  par  beaucoup  de  monde.  On  s'est  donc  décidé  à  réim- 
primer dans  le   format  in-8°  le  Dictionnaire  historique  et  critique 


LIVRES  FRANÇAIS.  183 

de  Pierre  Bayle;  mais  ce  ne  sera  pas  une  simple  rt-iniprcssion. 
Le  Dictionnaire  historique  et  critique  est  l'ornio  de  deux  parties. 
«  J'ai,  dit  Bayle,  divisé  ma  composition  en  deux  parties  :  l'une  est 
purement  historique ,  un  narré  succinct  des  faits  ;  l'autre  est  un  grand 
commentaire,  un  mélange  de  preuves  et  de  discussions  ,  où  j6  fais 
entrer  la  censure  de  plusieurs  fautes,  et  quelquefois  même  une  tirade 
de  réflexions  philosophiques  ;  en  un  mot,  assez  de  variété  pour  pou- 
voir croire  que,  par  un  endroit  ou  par  un  autre,  chaque  espèce  de  lec- 
teurs trouvera  ce  qui  l'accommode.  »  Cette  division  indique  la  ma- 
nière dont  Bayle  doit  être  lu  pour  l'être  avec  fruit;  il  faut  d'ahôrd  lire 
tout  le  texte  d'un  article ,  puis,  après  l'avoir  achevé,  passer  aux  remar- 
ques qui  le  concernent. 

On  avait  désiré  ajouter  un  éloge  académique  de  Bayle  ,  mais  on  se 
rappelle  que,  lorsqu'en  ijja  l'académie  de  Toulouse  proposa  pour 
sujet  du  prix  de  i-jô  l'éloge  de  Bayle,  une  lettre  de  cachet  Gt  dé- 
fense de  le  traiter  ,  et  l'académie  substitua  au  nom  proscrit  le  nom 
de  saint  Exupère.  Dès  les  premières  années  du  dix-huitième  siècle  , 
les  Toulousains  avaient  rendu  hommage  à  l'homme  illustre  né  dans 
leur  province.  Le  parlement  de  Toulouse  avait  reconnu  la  validité  du 
testament  de  Bayle,  malgré  la  loi  qui  frappait  delà  mort  civile  touslcs 
léfugies.  Senaux  ,  l'un  des  membres  de  cette  cour  ^  si  connue  depuis 
l'affaire  des  Calas  1  ; ,  disait  qu'il  était  indigne  de  traiter  d'étranger 
celui  que  la  France  se  glorifiait  d'avoir  produit;  et  à  ceux  qui  ar- 
guaient de  la  mort  civile  il  répliquait  :  C'est  pendant  le  cours  même 
de  cette  mort  civile  que  son  nom  a  obtenu  le  plus  grand  éclat  dans 
toute  l'Europe.  La  principauté  de  Dombes  n'avait  pas  encore  été  réu- 
nie au  gouvernement  de  Bourgogne  ,  lorsqu'en  1/34  on  fit  une  édition 
du  Dictionnaire  de  Bajle  à  Trévoux  ,  le  quartier  général  des  jésuites. 
L'édition  actuelle  sera  donc  la  première  qui  aura  été  faite  en  France. 
Le  travail  est  dirigé  par  M.  Beuchot ,  si  connu  par  son  habileté  en 
ce  genre,  aidé  du  concours  de  plusieurs  hommes  de  lettres. 

85.  (') — Biographie  nouvelle  des  contemporains,  ou  Dictionnaire 
historique  et  raisonné  de  tous  les  hommes  qui,  depuis  la  révolution 
française,  ont  acquis  de  la  célébrité  par  leurs  actions,  leurs  écrits , 
leurs  erreurs  ou  leurs  crimes,  soit  en  France,  soit  dans  les  pays 
étrangers;  par  MM.  A.  V.  Absault,  ancien  membre  de  l'Institut; 
A.  Jav  ;  E.  Joiv,  de  l'académie  française;  J.  Norvihs,  et  autres 
hommes  de  lettres,  magistrat»  et  militaires;  ornée  de  24o  portraits 


J8A  LIVRES  FRANÇAIS. 

au  burin,  d'après  les  plus  célèbres  artistes.  Tonte  II.  Paris,  1821.  A 
la  librairie  bistorique,  rue  Saint-Honoré ,  n"  i23. 

Cet  ouvrage  est  rédigé  dans  un  très-bon  esprit,  et  surtout  avec  im- 
partialité et  modération  ;  il  est  à  regretter  que  la  partie  bibliographi- 
que soit  traitée  avec  trop  de  légèreté,  et  qu'on  y  puisse  désirer 
quelquefois  plus  d'exactitude. 

86. — Documens  hisUri(]ues  sur  les  derniers  éuénemens  arrivés  en 
Sicile.  Paris  ,  1821.  Baudouin  frères,  rue  de  Vaugirard,  n»  56. 

L'auteur  de  cet  opuscule  semble  s'être  proposé  de  rectifier  ce  que 
les  journaux  italiens  et  français  ont  publié  de  faux  ou  de  peu  exact 
sur  les  dernières  agitations  de  la  Sicile  ;  mais,  lors  même  que  les  faits 
cités  par  lui  seraient  avérés,  nous   ne  saurions  approuver  l'espèce 
d'égoïsme  national  qui  perce  dans  son  ouvrage.  Ce  ne  sont  pas  ces 
restes  d'une  ancienne  division   utile  à  l'étranger    seulement,   c'est 
au  contraire  un  esprit  de  réunion,   bien  entendu,   dont  a  besoin 
l'Italie ,   et   c'est   par  cette  nouvelle   tendance  que  se  distinguent 
aujourd'hui  les  vrais  Italiens  ,  quî  savent  apprécier  les  intérêts  de 
leur  pays.  On  ne  peut  cependant  refuser  à  cet  ouvrage ,  intéressant 
sous  plusieurs  rapports  ,  le  mérite  de  la  franchise  et  de  la  modération. 
Quoique   l'auteur  cherche  à    soutenir  une    espèce  d'indépendance 
éphémère  de  la  monarchie  sicilienne,  il  sent,  il  proclame  la  néces- 
sité de  la  plus  stricte  alliance  entre  les  royaumes  de  Naples  et  de 
Sicile.  Comme  il  semble  animé  du  plus  noble  sentiment  de  patrio- 
tisme ,   nous  avons  lieu  d'espérer  qu'il  se  convaincra  que,  si  l'Italie 
ne  peut  obtenir  cette  unité  dont  jouissent  les  nations  de  l'Europe , 
elle  doit  au  moins  aspirera  cette  organisation  fédérative  qui  peut  se 
combiner  avec  les  circonstances  politiques  où  elle  se  trouve  ,  ainsi 
que  l'a  prouvé  l'auteur  de  l'Italie  au  XIX"  siècle.  S. 

87. — Bappel  de  quelques  prédictions  sur  l'Italie,  exti-aites  du 
congrès  de  Vienne,  iSi5,  par  M.  de  Pkadt,  ancien  archevêque  de 
Malines.  Paris,  1821,  brochure  in-8">  de  i4  pages.  Béchetaîné,  quai 
des  Augustins ,  n"  5-. 

88. — De  Naples  et  de  la  déclaration  de  Laylach ,   par  L.  A.  F. 
Cauchois-Lemaibe.  Paris  ,  Antoine  Bailleul ,  1S21,  in-8°  de  20  pages. 
Cette  brochure,  écrite   d'un  ton  très-énergique,  a  été  dénoncée  à 
la  tribune  de  la  chambre  des  députés. 

89. — Des  idées  républicaines  ^  par  Caebion  Kisas  fils.  Paris,  1821. 
Bataille  et  Bousquet ,  au  Palais-Royal ,   in-S"  de  26  pages. 
Biochuie  piquanlc,  et  curieuse  sous  plusieurs  rapports. 


LIVRES  FRANÇAIS.  185 

90. —  Procès  des  assassins  du  maréchal  Brune  devant  la  cour 
d'assises  de  Riom,  les  24  et  25  février  1S21  ;  in-8°  de  Co  pages. 
Riom,  1821 ,  Salles. 

91. — Procès  intenté  par  le  conseil  municipal  de  Bordeaux  à 
Vauteur  de  la  Tribune  de  la  Gironde ,  relativement  à  la  journée  du 
13  mars  i8i4.  Périgueux,  1821  ;  in-S"  d'environ  3oo  pages. 

Ces  deux  procès  appartiennent  à  l'histoire,  et  font  honneur  au 
talent  et  au  courage  de  M,  Dupin,  qui  a  plaidé  pour  madame  la  ma- 
réchale Brune ,  et  de  M.  Merilhou  qui  a  défendu  l'auteur  de  la 
Tribune  de  la  Gironde.  Chacun  d'eux  a  été  couronné  d'un  plein 
succès;  mais  ce  sont  principalement  les  faits  historiques  long-tems 
contestés,  dénaturés  par  un  parti,  et  ici  expliqués  et  démontrés, 
qui  attachent  du  prix  à  ces  deux  brochures.  L. 

92. —  Réflexions  sur  les  majorats  et  sur  les  substitutions ,  par 
M.  Hedlakd  db  MoNTiGNY,  jugc  à  la  cour  royale  de  Bourges.  1821. 
1  vol.  in-8°  de  i32  pages;  Bourges,  chez  Debrie;  Paris,  chez  Ron- 
donneau  et  Delaunay. 

L'auteur  prouve  que  les  majorats  et  les  substitutions  ont  toujours 
été  considérés  comme  nuisibles  à  l'intérêt  de  l'état  et  à  celui  des 
familles  ;  que  Napoléon  les  a  rétablis  comme  bases  d'un  gouverne- 
ment militaire,  et  qu'enGn  cette  institution  en  Fzance  est  non  seu- 
lement dangereuse  ,  mais  inconstitutionnelle.  C'est  ce  qu'a  déjà  dé- 
montré plus  brièvement  M.  le  comte  Lanjuinais ,  dans  sa  brochare 
intitulée  la  Charte  et  les  Majorats.  Paris,  1S19  ,  chez  Baudouin. 

93. — Du  Mégime  municipal  et  de  l'administration  de  départe- 
ment; 2'  édition.  Paris,  1821;  in-S"  de  290  pages.  Barrois  l'aîné , 
rue  de  Seine,  n"  10. 

Le  projet  de  loi ,  présenté  par  le  gouvernement  à  la  chambre  des 
députés,  sur  Y  organisation  municipale ,  a  donné  lieu  à  la  réim- 
pression de  cet  ouvrage,  qui  obtint  un  succès  justement  mérité, 
lorsqu'il  parut  pour  la  première  fois  en  1818.  L'auteur  juge  néces- 
saire d'attribuer  le  droit  de  suffrage  au  plus  grand  nombre  possible 
de  citoyens,  pour  la  nomination  des  officiers  municipaux;  il  propose 
d'interdire  les  assemblées  communales  aux  électeurs  des  députés;  il 
cherche  à  établir  que  la  démocratie  est  l'un  des  élémens  de  tous  les 
gouvernemens  qui  ne  se  vantent  pas  d'être  absolus,  et  que  c'est  par- 
ticulièrement dans  l'organisation  municipale  que  cet  clément  doit 


186  LIVRES  FRANÇAIS. 

exercer  l'action  fcconde  et  salutaire  qui  lui  est  propre.  11  expose  cl 
attaque  les  inconvéniens  des  d«ux  noblesses;  puis,  examinant  les  ca- 
ractères de  la  propriété  foncière,  il  soutient  que  Vin  dus  trie  est  une 
propriété  aussi  réelle  que  la  tdrre  et  qui  doit  conférer  les  mèines 
droits  politiques.  Il  analyse  les  plans  de  MM.  d'Argenson,  Turgot, 
Necker,  Letrùne,  Calonne,  sur  les  administrations  provinciales;  et 
il  rappelle  les  inconvéniens  des  intendances,  inconvéniens  dont  une 
grande  partie  est  applicable  aux  préfectures.  Enfin  ,  l'auteur  si- 
gnale tous  les  vices  du  régime  municipal  actuel,  qui,  selon  lui, 
seraient  inévitablement  aggravés  et  consolidés  par  l'adoption  de  la 
loi  que  l'on  propose. 

94. — De  l'organisation  municipale  en  France,  et  du  projet  pré- 
senté aux  chambres  en  1821  ,  par  le  gouvernement  du  Roi  sous  l'em- 
pire de  la  Charte;  par  M.  le  comte  Lanjuinais  ,  pair  de  France  ,  et 
M.  Kébatry  ,  député  du  Finistère.  Paris,  1821.  In-S"  de  100  pages. 
Baudouin  frères,  rue  de  Vaugirard  ,  n°  56. 

Cette  brochure,  fruit  des  talens  réunis  de  deux  hommes  hono- 
rables ,  nous  parait  mériter  un  succès  continu  et  indépendant  des 
circonstances.  Sans  doute  la  discussion  du  projet  de  loi  concernant 
l'organisation  municipale,  dont  on  s'occupe  en  ce  moment,  ne  peut 
que  lui  donner  un  intérêt  de  plus;  mais  on  aimera  toujours  à  con- 
sulter un  ouvrage  écrit  avec  tant  de  supériorité  sur  une  matière  aussi 
importante. 

95. — Théorie  nouvelle  et  raisonnèe  du  participe,  par  Michel, 
employé  à  la  préfecture  de  la  Mcurthe.  Nancy,  imprimerie  de  C.  J. 
Hissette,  1821;  in-12  de  126  pages.  A  Paris,  chez  Depellafol ,  rue 
des  Grands  -  Augustins  ,  n°  21.  Prix  2  fr. ,  et  2  fr.  25  c.  par  la 
poste. 

Ce  nouveau  traité  de  grammaire  nous  a  paru  rédigé  avec  méthode, 
«"xactitude  et  précision.  L'auteur  a  mis  à  contribution  les  grammai- 
riens ses  prédécesseurs.  Son  travail  sera  utile,  principalement  dans 
les  maisons  d'éducation.  11  paraît,  muni  de  l'approbation  de  la  so- 
ciété des  sciences,  lettres  et  arts  de  Nancy,  à  laquelle  le  manuscrit 
a  été  soumis. 

ifo.—  ŒSuvres  de  Mibaheau.  • — Histoire  secrète  de  la  cour  de 
Berlin. — Lettre  à  Frédéric- Guillaume  II.  Paris,  1821;  Brissot- 
Tliivars,  rue  Chabannais,  n"  2.  In^".  Prix,  7  francs. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  cet  ouvrage  ,  en  annonçant  le  volume 


LIVRES  FRANÇAIS.  187 

précédent  (f^oy.  T.  IX,  p.  171).  Le  volume  actuel  est  sans  conlrcdil 
le  plus  curieux  de  ceux  qui  ont  paru  jusqu'à  présent.  La  préface , 
fort  bien  écrite  et  fort  bien  rédigée  par  le  libraire-éditeur  lui-même, 
M.  Brissot-Thivars  ,  est  un  morceau  curieux  d'iiisloire  littéraire. 
M.  Brissot  a  rétabli  dans  leur  entier  les  noms  propres,  sur  les  indi- 
cations de  M.  Louis  Dubois,  qui  a  vu  dans  le  tenis  les  épreuves  de 
l'édition  originale,  exécutée  à  Alençon  d'après  le  manuscrit  auto- 
graphe. Ce  manuscrit  est  aujourd'hui  perdu  ;  mais  la  mémoire  de 
M.  Dubois  y  a  presque  complètement  suppléé.  On  trouve,  en  tète 
du  volume  que  nous  annonçons,  l'arrêt  du  parlement  qui  le  con- 
damne au  feu ,  avec  le  réquisitoire  de  l'avocat-général  Séguier.  La 
lettre  à  Frédéric-Guillaume  II  complète  très- naturellement  l'ou- 
vrage. Les  5*  et  6"  volumes  sont  sous  presse  ;  ils  contiennent ,  entre 
autres  choses ,  divers  écrits  relatifs  à  l'agiotage  et  aux  affaires  des 
Bataves.  Ils  formeront ,  avec  les  Lettres  à  Sophie  qui  ont  déjà  paru , 
la  collection  complète  des  œuu'res  choisies  de  Mirabeau ,  en  S  vol. 
in-8"  ,  avec  portrait.  L'exécution  typographique  continue  à  mériter 
les  plus  grands  éloges. 

97. — Les  Romances  du  Cid ,  imitées  de  l'espagnol  (par  M.  Creuzé 
Delessert)  ;  nouvelle  édition,  (2")  Paris,  1821;  imprimerie  de 
P.  Didot;  chez  Sunmonnet  ,  quai  des  Augustins,  n"  27.  i  vol.  in-16 
de  XXXV  et  220  pag. ,  pap.  vélin.  Prix,  3  francs. 

Ces  romances  forment  une  espèce  de  poème  historique ,  divisé  en 
six  livres  ;  elles  sont  traduites  de  l'espagnol.  C'est  une  collection  de 
rhapsodies  ou  chants  populaires  visigoths  , fortement  empreints  de  la 
couleur  de  l'époque.  L'auteur,  qui  a  bien  senti  que  là.  était  le 
charme  principal  et  le  mérite  essentiel  de  ces  chants,  s'est  attaché 
à  leur  conserver  cette  teinte  parfois  étrange.  Il  y  a  réussi,  autant 
que  cela  était  possible ,  sans  blesser  notre  langue  ;  il  a  saisi  cette 
ligne  difficile  avec  une  précision  qui  fait  honneur  à  son  habileté  et  à 
son  goût.  La  première  édition  est  de  i8i4,  et  forme  un  volume  in-iS. 
Celle-ci  lui  est  de  beaucoup  supérieure  pour  l'élégance;  c'est  un  vé- 
table  bijou  de  bibliothèque.  On  trouve  à  la  fin  du  volume  des 
apologues  orientaux. 

98. — Traduction  de  l'TLssAi  sur  l'homme,  de  Pope,  en  vers  fran- 
çais, précédée  d'un  discours  et  suivie  de  notes,  avec  le  texte  anglais 
en  regard,  par  M.  de  Fontanes,  de  l'académie  française.  Paris, 
1831  ;  grand  in-8°  de  i5  feuilles  et  demie.  Le  IVormant.  Pris,  5  fr. 


188  LIVRES  FRANÇAIS. 

Ce  volume  a  été  publié  quelques  jours  avant  la  mort  de  l'auteur; 
c'est  une  seconde  édition.  La  première  avait  paru  ,  il  y  a  environ 
vingt  ans.  On  assure  que  des  curieux  se  sont  déjà  amusés  à  comparer 
les  discours  préliminaires  des  deux  éditions ,  et  qu'il  en  est  résulte 
des  observations  assez  piquantes. 

99. — Poésies  de  M.  le  comte  .Anatole  db  MoNTESQcion.  Paris, 
1820;  imprimerie  de  Firmin  Didot.  Chez  Potey,  rue  du  Bac,  n"  4; 
in-izde  110  pages,  plus  la  table. —  Deuxième  recueil,  1821;  in-ia  de 
1)3  pages,  plus  la  table. 

La  facilité ,  la  grâce ,  l'élégance ,  distinguent  ces  poésies.  Il  n'y  a 
point  d'art;  non  qu'aucune  des  règles  y  soit  jamais  violée,  mais 
leur  observation  y  produit  si  peu  de  contrainte,  qu'on  dirait  qu'elle 
est  tout  naturellement  l'allure  du  poète.  Ce  sont  des  fables ,  des 
contes  et  d'autres  morceaux  légers ,  dont  la  philosophie  naïve  et  les 
narrations  tant  soit  peu  négligées  font  dire,  sprès  leur  lecture  facile  : 
11  y  a  du  La  Fontaine  là-dedans.  M. 

100. — U Ecole  des  Français  ,coméàïe  en  cinq  actes  et  en  vers. 
Paris,  i82i,inS°;  Lerichc,  quai  des  Augustjns,  n"  4i  »  et  Corréard  , 
Palais-Royal,  galerie  de  bois,  n«  258.  Prix,  2  fr. ,  et  2  fr.  5o  c.  franc 
de  port.  '  ^ 

«  Je  sens,  dit  l'auteur,  que  ma  pièce  laisse  beaucoup  à  désirer. 
Elle  ne  brille  point  par  l'invention  ;  c'est  plutôt  une  satire  en  dia- 
logue qu'une  véritable  comédie.  On  y  trouve  peu  d'action,  peu  d'in- 
térêt, peu  d'effet  théâtral;  en  revanche,  on  y  remarquera  peut-être 
des  caractères  assez  bien  soutenus,  un  dialogue  où  les  interlocuteurs 
se  répondent ,  ce  qui  est  assez  rare  aujourd'hui ,  et  un  style ,  sinon 
élégant ,  du  moins  naturel  et  exempt  de  pointes.  »  Quand  on  se  juge 
soi-même  aussi  sévèrement ,  on  a  quelque  droit  à  l'indulgence  des 
lecteurs. 

101.  —  F'qyage  autour  de  ma  chambre,  suivi  du  Lépreux  de  la 
cité  d'Aoste;  nouvelle  édition  d'après  celle  de  Saint-Pétersbourg 
(1812),  revue  et  augmentée.  Paris,  1821.  Delaunay,  Palais-Royal, 
galerie  de  bois,  n°  245,  in-18.  Prix,  1  franc  5o  c,  et  2  fr.  franc 
de  port. 

Le  Vojage  autour  de  ma  chambre  peut  être  considéré  comme 
un  des  plus  agréables  badinagcs  écrits  dans  notre  langue  ;  le  Lépreux 
de  la  cité  d'Aoste ,  dû  au  même  auteur ,  renferme  l'épanchement  de 
la  plus  vive  sensibilité  envers  l'être  du  monde  le  plus  à   plaindre , 


LIVRES  FRANÇAIS.  189 

puisqu'il  doit  à  la  nature  tousses  malheurs.  J'ai  à  me  féliciter  d'avoir 
procuré,  il  y  a  quatre  ans,  la  lecture  de  ces  deux  opuscules  réunis. 
Cette  édition  me  fit  faire  la  connaissance  de  M.  le  comte  Joseph  de 
Maistre,  frère  de  l'auteur  des  deux  ouvrages.  C'est  lui  qui  a   com- 
posé la  préface  dont  l'édition  de   Saint-Pétersbourg  a  été  enrichie 
et  que  j'ai  fidèlement  reproduite.  Il  a  eu  la  complaisance  de  relire, 
la  plume  à  la  main,  l'édition  du  Fqyage,  faite  à  Hambourg  en  1796, 
et  d'y  ajouter  quelques  notes  pour  l'édition  qui  était  sous  presse  , 
au  moment  de  son    arrivée  à  Paris.   Dans  le  cours  de   nos  entre- 
tiens, je  lui  ai  parlé  souvent  de  ses  Considérations  sur  la  France, 
qui  avaient  fait  une  si  vive  impression  en  Europe ,  à  l'époque   de 
leur  publication,   et  qui  ont  eu  tant  d'éditions;  je  le  priai  de  me 
dire  quelle  était  la  meilleure  de  ces  éditions.  Il  m'avoua  qu'il  donnait 
la  préférence  à  celle  qui  porte  sur  le   fj-ontispice ,  seconde  édition 
revue  par  l'auteur ,  Londres ,  mars  1797,  in-8".  Cependant  VAuer- 
tissementdes  éditeurs,  ou  p\uiôt  de  l'éditeur  (Mallet  du  Pan),  l'amusa 
beaucoup  dans  le  tems ,  à  cause  d'une  assertion  qui  s'y  trouve ,  et 
qui  lui  fit  dire  que  Mallet  du  Pan  ne  se  doutait  pas   de  la   ques- 
tion. Dans  le  cas  d'une  réimpression ,  M.  de  Maistre  me  conseilla 
de  supprimer  cet  Avertissement.  Il  fut  encore  plus  mécontent  de 
l'édition  publiée  à   Paris  en  i8i4,  à  cause  des  suppressions  qui  y 
ont  été  faites  et  des  additions  qu'elle  renferme.   Comme  je  possé- 
dais l'édition  de  mars   1797,  M.  de  Maistre  a  eu  la  bonté  de  la  re- 
lire avec  soin  ;  il  en  a  corrigé  les   fautes   et  supprimé  un  court  pas- 
sage;   il  y  a  joint  aussi   quelques  notes  nouvelles.   Puisque  la  mort 
nous  a  enlevé  ce   publiciste  célèbre,   l'exemplaire   dont   je    parle 
doit  être  considéré  comme  le  manuscrit  autographe  de  l'auteur,  et 
il  servira  de  copie  pour  l'édition  que  je  me  propose  de  publier  des 
Considérations   sur  la  France,  véritable    chef-d'œuvre   de  M.   le 
comte  de  Maistre  ;  car  je  suis  trop  bon  Français  pour  donner  cette 
qualification  au  Traité  du  Pape,  lequel  d'ailleurs  renferme  plusieurs 
principes  contraires  à  la  saine  théologie.  J'ai  cru  devoir  consigner 
ici  ces  détails,  qui  m'ont  un  peu  écarté  du  principal  objet  de  cette 
notice,  c'est-à-dire   de   la  nouvelle  édition  du  f^oyage  autour   de 
ma  chambre  et  du  Lépreux  de  la  cité  d'Aoste ,  dans  laquelle  j'ai 
corrigé  quelques  fautes  qui  étaient  restées  dans  l'édition  de  1819. 

BARBIEn. 

102. — Thiil  jourx  d'ahsenree ^  ou  l'Hospice  du  Monl-Cenis,  par 


li>0  LIVRES  FRANÇAIS. 

Sa^t-Thomas  ,  avec  quatre  gravures  d'après  les  dessins  de  Chasse- 
lat.  Paris,  1821  ,  4  vol.  in-12.  Chez  l'auteur,  quai  de  la  Mégisserie  , 
n"  7S;  Bossange ,  rue  de  Tournon.  Prix,  10  fr, ,  et  la  francs  par 
la  poste. 

L'auteur  de  cet  ouvrage,  déjà  connu  avantageusement  comme 
traducteur  de  l'histoire  de  Russie  par  M.  Karamsin,  dont  nous 
avons  rendu  compte  dans  notre  Rei>ue  (T.  II,  pag.  542,  et  T.  VI, 
pag.  5i6),  a  choisi  pour  ses  héros  deux  jeunes  amans  qui  sont  au 
moment  de  s'unir.  Une  séparation  de  huit  jours  donne  lieu  à  une 
correspondance,  dans  laquelle  leur  ame  se  développe  tout  entière. 
L'amant  voyageur,  pour  tromper  ses  ennuis,  trace  une  espèce  de 
journal ,  dans  lequel  il  peint  à  son  amie  ce  qu'il  voit ,  et  lui  rend 
compte  de  ses  impressions ,  presque  à  chaque  heure  du  jour.  On 
sent  bien  que ,  ponr  un  auteur  qui  a  pris  ii  tâche  d'être  vrai  et 
naturel,  huit  jours  ne  sauraient  fournir  des  événemens  pour  quatre 
volumes  ;  aussi  M.  Saint-Thomas  a-t-il  semé  son  ouvrage  d'épi- 
sodes intéressans  et  de  descriptions  charmantes,  qui  prouvent  qu'il 
a  vu  et  qu'il  doit  même  avoir  habité  long-tems  le  lieu  de  la  scène 
où  il  transporte  ses  lecteurs.  Aujourd'hui,  que  ce  pays  est  devenu  le 
théAtre  d'une  grande  commotion  politique  ,  ces  tableaux  ne  peuvent 
qu'avoir  un  attrait  de  plus.  J'adresserai  à  l'auteur,  sans  craindre 
d'être  démenti  par  ceux  qui  liront  son  ouvrage,  ces  mots  qu'Er- 
nestine  ,  l'héroïne  du  roman,  écrit  à  son  Auguste.  «Votre  heureuse 
imagination  se  plie  à  tous  les  tons  ;  vous  peignez,  avec  les  couleurs 
les  plus  vraies,  les  ridicules  des  hommes,  les  charmes  de  la  nature 
et  les  douces  émotions  de  la  sensibilité.»  L'épisode  d'Edmond, 
surtout,  est  d'un  intérêt,  d'un  charme  inexprimable,  qui  rappelle  la 
manière  de  Sterne.  Pauvre  Edmond! — Pauvre  Blanche !...  Qui 
pourrait  lire  l'histoire  de  vos  amours,  et  ne  pas  vous  donner  des 
l.irmes?  Je  recommanderai  encore  celui  de  dom  Boisud,  dans  lequel 
l'auteur  a  peint  des  couleurs  les  plus  fortes  l'animosité  de  deux 
familles  corses,  et  l'esprit  héréditaire  de  haine  et  de  vengeance 
qui  fait  des  descendans  de  chacune  d'elles  autant  d'assassins  armés 
pour  la  perte  de  l'autre.  Sans  sortir  de  la  nature ,  il  a  su  faire ,  de 
ret  épisode,  le  tableau  le  plus  terrible  et  le  plus  effrayant  de  la 
passion  qui  exerce  l'empire  le  plus  tyrannique  sur  le  cœur  de 
l'homme,  de  cette  passion  dont  on  a  dit  :  La  vengeance  est  un 
mets  des  dieux.  E.  lIiiaEAi'. 


LIVRES  FRANÇAIS.  i;)l 

loi^.  —  hc  Châtaan  de  Valmiic ,  ou  Pauline  et  Théodore  ;  par 
mademoiselle  Vanhove,  dédié  à  niademoisolle  Dcinerson,  artiste  du 
théâtre  français.  2  vol.  in-i 2  ;  figures;  Paris,  1821.  Madame  Locliard^ 
rue  Hautefeuille  ,  n"  3.   Prix  ,  5  fr. 

Le  caractère   du  héros   de  ce  roman  est   celui    du  Jaloux   sans 
amour.    Voici   comment  le  peint  l'auteur  :  «  Celte  agitation   déli- 
cieuse où  se  trouvait  son  ame ,  ces  plaisirs  qui  doublaient   de  pris 
alors  qu'ils  étaient  loin  de  lui ,  ce  bonheur  idéal  ;  tout  cela  n'était- 
il  pas,   en  eflet,   le  véritable  état  où   son   cœur  avait  besoin  de  se 
trouver  pour  être  heureux?»    Qu'on    ne  s'y  trompe  point,  ce  per- 
sonnage n'est  peut-être   pas  aussi  fantastique,   aussi  romanesque, 
qu'on  serait  d'abord  tenté  de  le  croire  ,   et  la  société  pourrait  nous 
en  offrir  plus  d'un  modèle.  Mais,  ce  qui  n'est  guère  vraisemblable, 
ou  du  moins  guère  excusable ,  c'est  la  facilité ,  la  promptitude  avec 
laquelle  l'héroïne,  d'accord  en   apparence  avec  les  vœux  secrets  de 
Théodore,  après  avoir  fait  preuve  du  plus  sincère  amour  pour  celui- 
ci,  passe  à  un  amour  plus  grand  encore  pour  l'ami  qu'il  lui  présente; 
et ,  si  nous  ne  pouvons  raisonnablement  nous  affliger  beaucoup  pour 
celui  qui,  après  avoir  souhaité  l'infidélité  de  sa  maîtresse,  pousse  le  dé- 
sespoir où  le  jette  cette  même  infidélité  jusqu'à  se  détruire  lui-même, 
nous  ne  pouvons  non  plus  prendre  un  intérêt  bien  vif  à  celle  qui  l'y 
a  pour  ainsi  dire  porté  par  sa  légèreté.  On  voit  que  l'auteur  a  visé  à 
l'effet  plutôt  qu'au   naturel;  mais  la  transition    est  trop  subite,   elle 
n'est  pas  assez  ménagée,  et  les  oppositions  ne  sont  pas  nuancées  avec 
assez  d'art.  Toutefois ,  nous  croyons  que  l'on  peut  tirer  une   bonne 
leçon  de  morale  du  fond  même  de  l'ouvrage  ,  et  la  peinture  du  ca- 
ractère de  Théodore  est  faite  pour  inspirer   une   terreur   salutaire  à 
ceux  qui  se  sentiraient  des  dispositions  à  ce  vague  d'idées  et  de  senti- 
niens,  fruit  d'ime  éducation  mal  dirigée.  E.  Héheac. 

104.  —  J^eiUées  d'une  solitaire  de  la  Chuussca-d' Antln^  par  ma- 
dame M....  d'Avot,  auteur  des  Lettres  sur  V Angleterre .,0x1  Mon  sé- 
jour à  Londres  en  1817  et  en  iSi8.  Paris,  i82i,Guien,  libraire-éditeur, 
et  chez,  Eymery,  rue  Mazarine,  n»  "ho.  2  vol.  in-12. 

Ces  deux  volumes  renferment  huit  contes  ou  fragmens,  écrits  avec 
lacilité;  on  y  distingue  une  imagination  brillante,  mais  souvent 
égarée.  11  est  difficile  d'(,'xpliquer  quel  est  le  but  de  l'auteur  :  s'il  n'a 
voulu  que  plaire  et  attacher ,  il  a  réussi.  Cependant  on  n'est  point 
jiarfaitement  content  de   ce  recueil,  après    l'avoir   achevé  :  on  sent 


192  LIVRES  FRANÇAIS. 

qu'il  y  manque  beaucoup  de  choses.  L'auteur  semble  se  plaire  à  pro- 
mener ses  lecteurs  au  milieu  des  fugitives  créations  de  son  esprit, 
qui  naissent  et  disparaissent  à  ses  yeux,  sans  laisser  aucune  trace 
dans  son  souvenir.  Le  manque  d'ordre  et  de  liaison  dans  les  idées  se 
retrouve  partout.  Dans  le  premier  conte  ,  la  Vanité  corrigée^  je  ne 
vois  rien  qui  justifie  ce  titre.  Il  est  clair  que  l'auteur  ne  s'est  sou- 
venu du  but  moral  qu'au  commencement  et  à  la  fin  de  l'histoire  ,  et 
qu'elle  s'est  livrée  au  genre  romanesque  qui  lui  plaît  davantage,  et 
avec  raison  ;  car  elle  y  réussit  beaucoup  mieux.  L'allégorie  intitulée 
L^ homme  et  ses  passions ,  a  plus  de  suite;  elle  est  ingénieuse.  On  re- 
grette cependant  beaucoup  de  ne  pas  entrevoir  la  patrie  brillante  des 
âmes  immortelles  après  l'île  désolée  de  la  ]Mort.  Maria  ou  la  Rose 
blanche  est  un  joli  conte  de  fées.  Le  petit  Paul  a  de  la  grâce  et  du 
sentiment;  mais  il  serait  dommage  que  madame  d'Avot  se  bornât  à 
écrire  de  simples  contes  détachés.  Elle  paraît  avoir  l'esprit  d'obser- 
vation; elle  peint  avec  fraîcheur  et  vérité  des  scènes  de  la  nature;  elle  a 
beaucoup  d'imagination,  elle  aime  les  effets  tragiques;  c'est  plus  qu'il 
n'en  faut  pour  composer  des  romans.  Si  elle  se  voue  à  ce  genre  de 
littérature ,  nous  lui  prédisons  de  véritables  succès. 

La  publication  de  ces  Veillées  d'une  solitaire  précède  de  quelques 
jours  la  deuxième  édition  des  Lettres  sur  V Angleterre ,  dont  nous 
avons  rendu  compte  {Voy.  Revue  Encyclopédique,  Tome  III, \  Cette 
seconde  édition  sera  mise  en  vente  dans  les  premiers  jours  de  mai, 
chez  Guien  et  compagnie,  boulevard  Montmartre,  n"  20.  L'auteur 
l'a  enrichie  d'un  aperçu  très-intéressant  ,  sur  l'Ecosse  et  sur  la  ma- 
rine anglaise   en  général.  L.  S.    . 

io5. — Annuaire  de  l'imprimerie  et  de  la  librairie  françaises.  In-i  2 
de  216  pages.  Paris,  1821.  Baudouin  frères,  rue  de  Vaugirard , 
n°  56.  Prix ,  5  fr. 

Ce  petit  volume,  rédigé  avec  beaucoup  de  soin  ,  est  indispensable 
aux  libraires  et  aux  imprimeurs ,  dont  il  est  destiné  à  devenir  le 
vade  mecum. 

106. — Description  de  la  chasuble  de  saint  Regnobert ,  suivie  de 
l'explication  d'un  monument  arabe  du  moyen  âge  existant  à  Baveux  ; 
dissertation  lue  à  l'académie  royale  de  Caen  ,  dans  sa  séance  publique 
du  i4  avril  i820,parJ.  Spencer  Smythe,  membre  delà  société  royale, 
de  celle  des  antiquaires  ,  et  de  celle  pour  l'encouragement  des  arts, 
manufactures  et  commerce  de  Londres,    docteur  en  droit  civil  de 


LIVRES  FRANÇAIS.  195 

l'université  d'Oxford ,  associé-correspondant  de  l'académie  royale 
des  sciences,  arts  et  belles-lettres  de  la  ville  de  Caen,  etc.  A  Paris, 
chez  Rey  et  Gravier,  quai  des  Augustins ,  n»  55  ;  et  Lance ,  rue  Croix- 
des-Petits-Champs,  n°  5o.  A  Caen,  chez  A.  le  Roy,  imprimeur  du 
Roi,  rue  Notre-Dame  ;  Mancel ,  rue  Saint-Jean,  n"  87  ;  et  chez  l'édi- 
teur, rue  Saint-Martin ,  n"  72 ,  au  fond  de  la  cour. 

107. — Description  historique  de  V église  métropolitaine  de  Rouen  , 
par  M.  Gilbert,  avec  le  plan  et  la  vue  du  grand  portail  de  cette 
basilique.  Rouen  ,  1816.  Frère,  libraire  ;  in-S"  de  86  pages. 

L'auteur,  qui  a  décrit  plusieurs  cathédrales  de  France,  a  rassemblé 
dans  la  description  présente  les  particularités  de  l'intérieur  et  de 
l'extérieur  de  la  cathédrale  de  Rouen,  ainsi  que  des  tombeaux  qu'on 
y  trouve. 

108.  — J^oj'age pittoresque  autour  du  inonde,  offrant  des  portraits 
de  sauvages  d'Amérique,  d'Asie,  d'Afrique  et  des  îles  du  grand 
Océan;  leurs  armes,  habillemens,  etc.;  des  paysages  et  des  vues 
maritimes;  plusieurs  objets  d'histoire  naturelle,  tels  que  mammifères 
et  oiseaux,  accompagnés  de  descriptions  par  M.  le  baron  Covier; 
et  des  crâties  humains,  accompagnés  d'observations  par  M.  le  doc- 
teur Gall;  le  tout  dessiné  par  M.  L.  Choris,  peintre,  dans  le  voyage 
qu'il  a  fait,  de  i8i5  à  i8i8,  sur  le  brick  le  Rurich,  commandé 
par  M.  Kotzebuë,  et  armé  aux  frais  de  ^I.  le  comte  de  Romanzoff, 
chancelier  de  Russie.  —  L'ouvrage  sera  composé  de  douze  à  quinze 
livraisons  ,  contenant  chacune  cinq  planches  petit  in-folio  et  plusieurs 
feuilles  de  texte.  Prix  de  la  livraison,  en  noir,  7  fr.  5o  c.  ;  les  objets 
d'histoire  naturelle  coloriés,  g  fr.  ;  toutes  les  planches  coloriées,  i5  fr. 
On  souscrit  à  Paris,  chez  M.  Choris,  rue  de  Seine,  n»  lo,  et  chez 
Firmin  Didot ,  rue  Jacob. 

Le  titre  que  je  viens  de  rapporter,  faisant  suffisamment  connaître 
l'origine  et  le  but  de  l'ouvrage,  il  ne  me  reste  plus  qu'à  rendre 
compte  delà  manière  dont  l'ouvrage  même  est  exécuté,  et  de  l'intérêt 
qu'il  mérite. 

Il  a  déjà  paru  six  livraisons  ;  dès  la  première ,  l'auteur  écartant  les 
pays  intermédiaires,  parce  qu'ils  sont  complètement  connus,  trans- 
porte son  lecteur  au  nord  de  la  Californie,  et  le  fait  aborder  au  port 
de  San-Francisco  (latitude  nord  57»,  48' )  ;  après  y  être  resté  un 
mois  ,  il  le  conduit  aux  îles  Sandwich  ,  célèbres  à  jamais  par  la  mort 
de  Cook.  Ces  six  livraisons  sont  entièrement  consacrée»  à  ces  deux 

lOME    X.  l'> 


19A  LIVRES  FRANÇAIS. 

pays,  dont  M.  Choris  a  pris  plusieurs  vues.  Les  Indiens  que  les  mis 
sionnaires,  dépendant  du  presidio  de  San-Francisco,  cherchent  à 
civiliser,  répondent  assez  mal  aux  leçons  de  leurs  instituteurs.  11  est 
vrai  que  les  moyens  employés  par  ces  bons  pères  sont  quelquefois 
bien  singuliers.  Par  exemple,  c'est  parle  bruit  qu'ils  ébranlent  leur  - 
imagination;  aussi  la  messe,  à  laquelle  assistent  tous  les  Indiens 
qu'ils  ont  pu  réunir  et  retenir,  se  dit-elle  au  son  des  tambours,  des 
trompettes,  des  tambours  de  basque,  etc.  «  Sitôt,  dit  M.  Choris, 
que  les  tambours  commencent  à  battre,  ils  tombent  à  terre  comme 
s'ils  étaient  à  demi-morts  ;  tous  restent  étendus  jusqu'à  la  fin  de 
l'office,  sans  faire  le  moindre  mouvement;  et  il  faut  même  alors 
leur  répéter  plusieurs  fois  que  la  messe  est  dite  pour  qu'ils  se  re- 
lèvent. Le  missionnaire  qui  a  dit  la  messe  leur  prononce  un  sermon 
en  latin  ,  après  quoi  ils  se  réunissent  devant  la  maison  du  mission- 
naire et  se  mettent  à  danser.  »  Le  paragraphe  suivant  complétera  le 
tableau  moral  de  ceux  de  ces  sauvages  qui  vivent  dans  un  état  com- 
plet d'indépendance.—  «  Que  le  ciel  préserve  un  navire  de  faire  nau- 
frage sur  cette  cùte  !  On  dit  que ,  chez  plusieurs  des  tribus  qui 
l'habitent ,  règne  encore  la  coutume  barbare  de  dévorer  leurs  pri- 
sonniers. Quand  on  construit  une  maison  ,  quand  on  termine  une 
affaire  importante  ,  on  met  plusieurs  esclaves  à  mort,  de  même  que 
lorsqu'une  guerre  est  terminée.  A  la  mort  d'un  homme ,  on  enterre 
avec  lui  sa  femme  et  les  esclaves  qu'il  aimait  le  mieux.  » 

Les  habitans  des  îles  Sandwich,  lieu  de  relâche  pour  les  vaisseaux 
qui  vont,  de  la  cùte  nord-ouest  de  l'Amérique  à  la  Chine  ,  sont  beau- 
coup moins  barbares,  et  cependant  leurs  mœurs  offrent  encore  des 
usages  qui  attestent  combien  ils  sont  peu  avancés  dans  la  civilisa- 
tion. Ainsi,  chaque  homme  a  trois  maisons  ou  cabanes  ;  il  dort  dans 
l'une  ,  mange  dans  la  seconde  ,  et  fait  du  feu  dans  la  troisième.  Les 
femmes  en  ont  un  nombre  égal.  Ceci  n'est  que  singulier;  mais  voici 
un  usage  cruel  autant  que  singulier  :  Il  est  défendu  aux  femmes, 
sous  peine  de  la  vie,  de  manger  du  cochon,  des  bananes  et  des 
cocos  ;  de  faire  usage  du  feu  allumé  par  des  hommes  ;  d'entrer  dans 
l'endroit  où  ils  mangent.  Quand  une  femme  enfreint  une  de  ces  dé- 
fenses ,  on  la  tue  sans  pitié.  M.  Choris  rapporte  un  événement  de 
cette  nature  arrivé  pendant  son  séjour.  «  Les  gens  du  commun  (c'est 
M.  Choris  qui  parle)  et  les  femmes  sont  exclus  des  mystères  de  la 
religion.  Les  prières  se  font  dans  une  langue  qui  n'est  comprise  de 


LIVRES  FRANÇAIS.  195 

personne ,  et  pourtant  tous  les  nobles  les  savent  par  cœur.  »  Ce 
passage  pourra  bien  faire  naître  dans  l'esprit  du  lecteur  plusieurs 
rapprochemens  que  je  m'interdis. 

Les  Indiens  qui  habitent  les  environs  de  la  baie  de  San-Francisco 
et  les  insulaires  des  îles  Sandwich  sont  très-jaloux  de  leurs  compa- 
triotes; mais  ils  font  honneur,  aux  blancs,  de  leurs  femmes,  de  leurs 
sœurs  et  de  leurs  enfans.  Au  reste,  quand  un  bâtiment  arrive  aux  îles 
Sandwich  ,  il  est  entouré  ,  au  coucher  du  soleil ,  de  centaines  de  pi- 
rogues ,  dans  lesquelles  sont  de  jeunes  Clles  des  classes  communes 
qui  témoignent  les  intentions  les  plus  bienveillantes  ;  mais  les  filles 
des  nobles  ne  cèdent  qu'à  des  sollicitations  réitérées. 

Les  planches  lithographiées  et  coloriées  jointes  à  cet  ouvrage  ne 
sont  pas  au-dessous  de  l'intérêt  qu'offi-e  le  texte.  Les  descriptions  les 
mieux  faites  ne   donneront   jamais  une  idée  aussi  positive    ni  aussi 
complète  de  l'objet  décrit,  que  ne  le  fait  un  dessin,  même  médiocre  ; 
et  la  gravure  elle-même  est  impuissante  à  rendre   les  objets  maté- 
riels   dans  toute  leur  vérité ,   parce  qu'elle  ne  peut  reproduire  que 
la  forme ,  el   qu'elle  est  obligée  de  renoncer  à  rendre  la  couleur. 
M.  Choris  a  donc  fait  un  ouvrage  très-intéressant ,  puisqu'au  moyen 
de  ses  planches  coloriées,  il  donne  une  idée  précise  de  la  variété  de 
couleurs  des  sauvages  qu'il  a  visités ,  de  la  bizarrerie  de  leurs  ta- 
touages et  enluminages ,  de  la  nature  de  leurs  ustensiles  et  de  leurs 
armures ,  etc.    A  la  vérité ,    ces  dessins   ne   sont  pas  remarquables 
sous   le  rapport  de  l'art;  mais  un  homme   d'un  grand  talent  vou- 
drait-il  quitter    ses   études    et  ses   travaux  pour  aller  faire  les  por- 
traits des  sauvages  du  nord  de  l'Amérique  et  des  îles  Sandwich  ? 
D'ailleurs,  il  n'est  pas  nécessaire  que  de  semblables  travaux  soient 
exécutés  par  un  homme  d'un  grand  talent  :  ici,  la  finesse  et  l'extrême 
pureté  des  contours  ne  sont  pas  indispensables  ;    je  dirai  plus ,   il 
règne  dans  les  dessins  de  M.  Choris  une  naïveté  qui  me  prouve  qu'il 
a  cherché  à  être  fidèle  ;  et  peut-être  un  artiste  plus  habile  aurait-il 
oublié  la  fidélité  pour  se  livrera  ses  inspirations;  ou  bien  il  aurait 
reproduit  la  nature  qu'il  avait  sous  les  yeux,  bien  plus  dans  ce  qu'elle 
lui  aurait  oflèrt  d'extraordinaii-e ,  que  dans  ce  qui  en  constitue ,  pour 
ainsi  dire,  l'état  habituel.  L'ouvrage  de  M.  Choris  sera  donc  recher- 
ché par  tous  ceux  qui   aiment   l'exactitude  et  la  vérité,  avec    d'au- 
tant plus  de  raison  que  les  ouvrages  de  cette  nature  sont  rares;  quand 
il  sera  terminé,  je  rendrai  compte  avec  soin  des  livraisons  qui  auront 
-'jjvictlle  que  j'annonce,  P-  A. 

I 


196  LIVRES  FRANÇAIS. 

\o<j{*).— Description  de  'l' Egypte ,  deuxième  édition,  dédiée  au 
Roi.  Panckouàe,  libraire,  rue  des  Poitevins,  n"  i4.  {l'^oyez  ci-dessus. 
Tome  IX,pag.  363.) 

QuATRiiMB  LïvaAisoj».  —  Antiquités.  Vol.  I,pl.  71.  Cette  planche 
représente  :  1°  un  petit  temple  bien  conservé,  qui  est  situé  dans  la 
plaine  voisine  des  ruines  d'Elethya,  et  tout-à-fait  semblable  au 
temple  du  sud  à  Eléphantine  ;  2"  le  plan  de  la  principale  des  grottes 
d'Elethya,  et  les  détails  des  bas-reliefs  qui  sont  sculptés  et  peints 
dans  ces  grottes. — £tat  moderne.  \o\.  II ,  pi.  4o.  Deux  dessins  re- 
présentant la  plus  grande  place  du  Caire  ,  appelée  EI-Ezbekiéh ,  et 
le  palais  d'Elfy-Bey. — Histoire  naturelle. — Mammifères. — PI.  6, 
représentant  l'ichneumon ,  appelé  aussi  le  rat  de  Pharaon.  —  Bo- 
tanique.—T>é^ve\opl)eInent  de  la  feuille  et  du  fruit  du  palmier  doûm 
{cucifera  thebaïca). 

CiKQDiÈME  LiTRA»soN. — Antiquités.\o\.  I,  pi.  4o.  Ruines  d'Ombos. 
—  Vol.  I,pl.  75.  Douze  chapiteaux  différens  du  grand  temple  d'Esné 
(l'ancienne  Latopolis),  l'un  des  plus  anciens  de  la  Thébaïde. — 
JËtat  moderne.  Vol.  II,  pi.  65.  Bassin  du  port-neuf  d'Alexandrie ,  vue 
prise  de  la  place  des  tombeaux.  —  £tat  moderne.  Vol.  II,  pi.  B.  B. 
Divers  instrumens  de  musique. — Histoire  naturelle. — Botanique. 
PL  20,  représentant  l'arbre  appelé  Cordia  et  la  plante  nommée 
ArgeL 

Sixième  livraison.  —  Antiquités.  Vol.  I,  pi.  17.  Vue  de  la  cour  du 
grand  temple  d'Isis  et  d'une  partie  de  ce  temple. — Vol.  I,  pi.  4.  Bas- 
reliefs. —  Etat  moderne.  \ol.  I,pl.  102.  Parallèle  entre  les  construc- 
tions de  Malte  et  celles  des  quatre  principales  villes  d'Egypte. — 
Histoire  naturelle.  —  Botanique.  Vol.  I,  pi.  19.  Fleurs  et  fruits  du 
cordier  {cordia  mj'xa  ). 

Septième  tivsAiso:^. — Antiquités.  Vol.  II  ,  pi.  2.  Deux  des  plu» 
anciens  et  des  plus  grands  monumens  de  l'ancienne  capitale  de 
l'Egypte. — Etat  moderne.  PI.  5.  Vues  d'un  village  égyptien,  dans  la 
pleine,  et  du  port  de  Minych,  dans  la  Haute-Egypte.  Vol.  II,  pi.  A. 
Portraits,  d'après  nature  ,  d'un  &ïys  ou  palefrenier,  et  d'une  jeune 
femme  qui  revient  du  Nil,  chargée  d'une  cruche  pesante. — Histoire 
naturelle. — Zoologie. —  Oiseaux.  Pi.  11,  aigle  d'Egypte,  individu 
femelle. —  Botanique.  Pl.  1.  Vue  et  détails  du  palmier  doûm  (cuci- 
fsra  thebàica). 


LIVRES  FRANÇAIS.  197 

Ouvrages  périodiques. 

1 10.  —  Journal  général  de  législation  et  de  jurisprudence  ;  par 
MM.  Babthb,  Behville  jDupiN  jeune,  Mehillhou,  avocats  à  la  coût 
royale ,  et  autres  jurisconsultes  et  publicistes ,  etc.  Un  cahier  de  huit 
feuilles  d'impression  in-S»  paraît  tous  les  mois.  On  s'abonne  à  Paris, 
rue  Guénégaud,  n"  23.  Pr;x,  32  fr.  pour  Paris,  et  56  fr.  pour  les 
départemens;  pour  6  mois,  17  et  i()  fr. 

Ce  journal,  rédigé  sur  un  nouveau  plan,  se  divise  en  trois  parties. 
La  première  embrasse  la  théorie  du  droit,  la  discussion  des  lois  civiles 
et  criminelles,  et  la  comparaison  des  différentes  législations  anciennes 
et  modernes,  nationale  et  étrangère.  La  deuxième  comprend  l'ana- 
lyse des  ouvrages  qui  ont  trait  à  l'étude  du  droit,  delà  législation  et 
de  la  jurisprudence.  La  troisième ,  sous  le  titre  de  Mélanges,  offre 
divers  articles  qui,  rentrant  dans  le  plan  de  l'ouvrage,  ne  se  rattachent 
pas  aux  deux  premières  divisions. 

On  trouve,  dans  la  septième  livraison,  deux  articles  très-re- 
marquables. L'un  est  intitulé  :  Obserualions  sur  l'ordonnance  du 
^octobre  1820,  qui  règle  le  roulement  (des  juges  )  dans  les  cours  et 
tribunaux.  Ce  roulement  de  chambre  à  chambre,  si  important  pour 
assurer  l'entière  indépendance  des  juges  dans  leurs  décisions ,  était 
réglé  par  l'ordre  numérique  des  juges,  dans  une  liste  générale.  Selon 
cet  ordre  pratiqué  depuis  i8io,  l'arbitraire  ne  pouvait  influer  sur 
la  formation  des  chambres;  et  lorsque,  dans  un  cas  donné,  cette 
équitable  et  naturelle  formation  de  la  chambre  offrait  des  inconvé- 
niens,  il  y  était  remédié  sur  demande  spéciale  de  la  partie  i'ntéressée 
par  la  cour  assemblée,  le  procureur  général  entendu.  L'ordonnance 
du  4  octobçe  1820  a  détruit  le  principe  du  roulement  numérique, 
et  a  confié  le  roulement  au  seul  choix  arbitraire  des  présidens  et  des 
doyens.  Cette  nouveauté  dangereuse  est  combattue  avec  beaucoup 
de  force  dans  le  numéro  que  nous  annnonçons  ;  ce  morceau  nous  a 
paru  mériter  à  un  haut  degré  l'attention  des  magistrats  éclairés. 
Nous  remarquons  aussi,  comme  un  article  important,  luie  disser- 
tation savante ,  courte  et  judicieuse  sur  l'emprisonnement  du  mi- 
neur ,  par  forme  de  correction  ,  à  la  réquisition  de  la  mère  survi- 
vante. En  général,  ce  journal  est  rédigé  avec  beaucoup  de  savoir  et 
détalent,  et  dans  les  intentions  les  plus  dignes  d'encouragement, 

L. 


198  LIVRES  FRANÇAIS. 

1 11.  —  'Thèmis  ,  ou  Bihliollièque  du  jurisconsulte  ;  par  une  réunion 
de  magistrats ,  de  professeurs  et  d'avocats.  Il  paraît ,  pendant  l'année, 
dix  livraisons ,  chacune  de  six  feuilles  au  moins ,  qui  forment  en- 
semble a  vol.  in-S".  On  souscrit,  à  Paris,  chez  A.  A.  Benouard, 
libraire ,  rue  Saint- André-des-Arcs ,  n°  55.  Prix ,  pour  les  2  vol. ,  24  fr. 
et  franc  de  port  ;  pour  les  départemens  ,  27  fr.  60  cent. 

La  Reuue  Encyclopédique ,  destinée,  dès  sa  fondation,  à  suivre 
et  à  marquer  les  progrès  de  l'universalité  des  connaissances  hu- 
maines, ne  peut  manquer  d'applaudir  au  succès  des  journaux  spé- 
ciaux qui,  particulièrement  consacrés  à  une  seule  science,  déve- 
loppent avec  plus  de  détails  chacune  des  parties  que  la  Reloue  a  pour 
objet  de  réunir  toutes,  en  saisissant  seulement  les  poinîs'de  vue  les 
plus  généraux,  et  en  les  montrant  dans  leur  ensemble.  La  Thèmis, 
ou  Bibliothèque  du  jurisconsulte ,  rédigée  avec  soin ,  et  par  des 
hommes  très-distingués ,  offre  un  état  exact  des  travaux  de  la  juris- 
prudence dans  les  principaux  pajs  de  l'Europe ,  et  principalement 
en  France.  Le  second  volume  que  nous  avons  sous  les  yeux  contient 
un  grand  nombre  d'articles  remarquables. 

La  Thémis  est  divisée  en  cinq  parties  :  la  première  traite  de  la 
législation  et  de  l'histoire  du  droit.  Les  principaux  articles  de  cette 
partie,  contenus  dans  le  second  volume ,  sont  de  MM.  Romanazzi, 
DuCacrhoy,  Dvpjw  aîné ,  Dvvw  jeune ,  Ch.  Renodard  et  Cohmeniw- 
Nous  avons  aussi  remarqué  plusieurs  articles  de  droit  criminel,  ré- 
digés avec  beaucoup  de  sagesse  par  un  magistrat  qui  a  gardé  l'a- 
nonyme. La  seconde  partie  est  consacrée  à  la  jurisprudence  des 
arrêts.  Elle  offre,  dans  plusieurs  tableaux  bien  faits,  l'état  de  la  juris- 
prudence des  cours  sur  quelques  matières  importantes.  Mais  ce  qui , 
dans  cette  partie,  méiùte  surtout  l'intérêt,  et  que  l'on  ne  trouverait 
nulle  part  ailleurs ,  est  ce  qui  concerne  la  jurisprudence  administra- 
tive. Le  droit  administratif,  qui  se  confond  en  une  multitude  d'oc- 
casions avec  le  droit  public ,  et  qui  ,  en  même  tems,  touche  de  si 
près  aux  fortunes  privées,  a  été  toujours  négligé  en  France.  On 
dirait  que  la  jalousie  du  pouvoir  s'est  efforcée  d'épaissir  des  ténèbres 
qu'il  serait  indispensable  de  dissiper.  MM.  Macaeel  etCoEMEsii», 
dans  une  suite  d'excellens  articles ,  auxquels  on  ne  trouverait  rien 
d'analogue  dans  aucun  autre  recueil ,  s'appliquent  à  défricher  ce 
champ ,  à  peine  encore  cultivé ,  et  à  initier  le  public  dans  les  mys- 
tères administratifs.  Dans  leur  troisième  partie ,  les  rédacteurs  de 


LIVRES  FRANÇAIS.  199 

la  Tliéinis  examiiienl  les  doctrines  des  jurisconsultes,  et  passent  en 
revue ,  quelquefois  avec  beaucoup  de  sévérité ,  les  ouvrages  nouveaux 
ou  les  réimpressions  d'anciens  ouvrages.  MM.  Dupm  aine ,  Isamdkrt, 
BtOKDEAD,  MiLLELOT,  sont  les  principaux  auteurs  de  celte  partie  dans 
le  second  volume.  Nous  y  avons  encore  particulièrenxent  remarqué 
deux  articles  ,  l'un  de  M.  Demante  sur  un  traité  des  substitutions  par 
M.  Rolland  de  Villargues,  l'autre  de  M.  Jocrdan,  contenant  un 
examen  critique  du  Traité  des  sers^-itudes  par  M.  Pardessus.  La 
quatrième  partie  sur  l'enseignement  du  droit  offre  un  grand  intérêt  ; 
les  doctrines  des  professeurs  y  sont  exposées  ,  et  les  livres  élémen- 
taires appréciés.  Celle  partie  n'est  pas  consacrée  aux  seuls  étudians  ; 
elle  peut  servir  de  guide,  même  à  beaucoup  de  professeurs.  Nous 
pensons  qu'on  lira  avec  fruit  les  articles  de  M,  JouROArf  sur  Vhistoire 
de  la  science  du  droit  en  France ,  de  M.  Ch.  Renouard  sur  la  loi  na- 
turelle par  Volney,  de  M.  Du  Caurroy  sur  les  thèses  de  doctorat  et 
sur  un  chapitre  de  Gibbon. 

La  dernière  partie  j  ou  appendice ,  donne  les  nouvelles  qui  inté- 
ressent la  science ,  des  notices  nécrologiques ,  des  arrêts  célèbres  ; 
enfin  ,  une  bibliographie  exacte  et  complète  de  toutes  les  publications 
relatives  à  la  législation  et  à  la  jurisprudence. 

Ou  voit,  par  cette  analyse,  quelle  doit  être  l'utilité  de  ce  recueil, 
qui  mérite  de  devenir  le  centre  des  travaux  des  jurisconsultes  ,  et 
qui ,  rédigé  dans  le  seul  intérêt  de  la  science  ,  est  digne  d'un  véri- 
table succès.  B — T. 

Livres  en  langues  étrangères  imprimés  en  France. 

112. — Les  séances  de  Ilariri  Y>uhïiécs  en  arabe,  avec  un  commen- 
taire choisi  par  M.  Silvestre  de  Sacy.  Première  partie,  in-folio  de 
4o  feuilles.  Imprimerie  royale.  Paris,  1821.  Debure  frères.- — Il  y  aura 
un  second  et  dernier  volume. 

n3. — The  Laj  ofthe  last  minslrel ^  a  poem. — Le  chant  du  der- 
nier ménestrel  ;  poème  en  six  chants,  par  sir  Walter  Scott. 
Paris,  1S21.  J.  Smith;  et  chez  Glashin ,  rue  Vivienne ,  n"  10.  1  vol. 
in-12. 

Ce  poème  est  spécialement  consacré  à  la  description  des  mœurs 
et  des  coutumes  en  usage  parmi  les  habitans  des  frontières  limitro- 
phes de  l'Angleterre  et  de  l'Ecosse.  Leur  vie,  alternativement  pas- 
torale cl   guerrière,   l'influence   qu'exerçait  encore  l'cspiil  de  che- 


200  LIVRES  FRANÇAIS. 

Talerie ,  des  scènes  de  guerres  civiles ,  oEfraient  de  riches  matériaux 
au  talent  du  poète.  Afin  de  donner  à  ses  vers  la  couleur  du  tems,  el 
de  compléter  par  là  l'illusion ,  Walter  Scott  a  composé  ses  chants 
dans  le  rhythme  qu'employaient  les  poètes  de  cette  époque  ;  il  les  a 
mis  dans  la  bouche  d'un  vieux  ménestrel,  qui  raconte  dans  ses  vers 
des  événemens  du  seizième  siècle ,  et  qui  célèbre  la  mémoire  des 
guerriers  illustres  dans  les  combats.  L'action  qui  fait  le  sujet  du 
poème ,  est  supposée  durer  pendant  trois  jours  et  trois  nuits.  Le 
chant  cinquième  s'ouvre  par  des  stances  pleines  d'harmonie  et  de 
sentiment  sur  la  mort  du  poète  ;  la  nature  pleure  son  adorateur  et 
célèbre  ses  obsèques  ;  les  échos  de  la  caverne  et  de  la  montagne , 
immortalisés  par  ses  chants,  répètent,  en  gémissant,  les  derniers  ac- 
cords de  sa  lyre  ;  les  ruisseaux  murmurent  tristement  autour  de  sa 
tombe,  et  les  ombres  des  guerriers  auxquels  il  rendit  une  nouvelle 
vie  mêlent  leurs  cris  plaintifs  aux  gémissemens  des  vents.  Les 
«tances  qui  commencent  le  sixième  chant ,  inspirées  par  l'amour  de  la 
patrie  ,  sont  remplies  de  verve  et  d'enthousiasme.  Mais  c'est  surtout 
dans  les  scènes  descriptives  qu'on  retrouve  l'inimitable  talent  de 
l'auteur.  Des  notes  détaillées  expliquent  tout  ce  qui  pourrait  paraître 
obscur  dans  le  poème.  Cet  ouvrage  fait  partie  de  la  collection  com- 
plète (i^s  (Euvres  poétiques  de  TV  aller  Scott ,  imprimées  en  anglais  , 
en  7  vol.  Le  prix  de  la  souscription  est  de  20  fr.  pour  la  collection 
entière.  L.  S. 

114. — I^a  religiosa  escrita  en  francès,  por  M.  Diderot,  de  la 
academia  francesa  ;  traducida  libremente  al  espanol  por  don 
M.  V.  M.  Licenciado ,  con  lamina.  In-12  de  quinze  feuilles.  Im- 
primerie de  Migneret.  Paris,    1821,  chez  Rosa.  Prix,  4  fr. 

Il  faut  observer  que  Diderot  n'a  point  été  membre  de  l'académie 
française. 


IV.  NOUVELLES  SCIENTIFIQUES 

ET  LITTÉRAIRES. 


AMÉRIQUE  SEPTENTRIONALE. 

Martinique. — Fobt-Royal. — Flammes  sur  la  mer.  —  Pendant  les 
nuits  des  lo,  ii  et  1 4  juillet  1820,  toute  la  surface  de  la  mer  a  paru 
lumineuse.  A  l'est,  se  trouve  une  chaîne  de  récifs  situés  à  4  ou  5oo 
mètres  de  l'île  ;  c'est  là  surtout  que  se  Grent  remarquer  des  flammes. 
Le  10  et  le  11 ,  elles  étaient  élevées  et  jetaient  une  lumière  assez 
vive,  d'une  couleur  livide  et  blanchâtre.  Pendant  ce  phénomène,  la 
mer  était  peu  agitée,  comme  à  l'ordinaire.  Elle  a  été  également  lu- 
mineuse de  l'autre  côté  de  l'île ,  à  l'ouest,  où  elle  est  toujours  calme 
et  où  il  n'y  a  ni  brisans  ni  courans.  Le  i4,  même  au-delà  des  bri- 
sans,  elle  a  jeté  encore  plus  d'éclat.  Les  flammes  qui  sortaient  des 
récifs  ressemblaient  à  de  grandes  gerbes  de  feu  d'artifice  :  elles  ré- 
pandaient tant  de  clarté,  surtout  après  que  la  lune  fut  sous  l'horizon, 
qu'on  pouvait  lire  à  un  demi-mille  du  rivage.  Cette  clarté  était  con- 
tinue ,  comme  celle  de  la  vapeur  enflammée  qui  se  dégage  du  phos- 
phore en  combustion.  Ce  spectacle,  dont  les  plus  anciens  habitans 
de  l'île  disent  n'avoir  jamais  été  témoins,  dura  presque  toute  la 
nuit,  avec  une  intensité  qui  diminuait  insensiblement.  Il  occasionna 
une  espèce  d'efl'roi ,  surtout  chez  les  esclaves.  Ces  détails  sont  tirés 
d'une  lettre  adressée  du  Fort-Royal  à  M.  Biot,  et  insérée  dans  les  An- 
nales de  chimie  et  de  physique  (T.  XV,  p.  428).  M.  Piivière  fils,  à 
qui  on  les  doit,  attribuant  d'abord  les  flammes  à  des  dégagemens 
phosphoriques  produits  par  le  choc  des  vagues  sur  les  récifs ,  croyait 
que  la  surface  de  la  mer  ne  paraissait  lumineuse  que  par  la  réflexion 
de  CCS  flammes.  Mais ,  ayant  eu  ensuite  la  certitude  que  le  même 
phénomène  avait  eu  lieu  du  côté  de  l'île,  où  il  n'y  a  point  de  ré- 
cifs; de  plus,  ayant  observé  qu'en  s'avançant  dans  la  mer  sur  les 
pointes  de  rocher,  on  la  voyait  lumineuse  dans  les  petites  anses, 
entre  la  terre  et  soi,  là  où  toute  réflexion  était  impossible,  et  que 
l'eau  remuée  avec  une  pagaie  devenait  plus  lumineuse,  M.  Rivière  a 
renoncé  à  sa  première  explication.  D'après  l'élévation  de  la  tempé- 
rature ,  la  sécheresse  extrême    et  les  nuages  noirs  et   épais   qu'il  a 


m. 

I 


202  AMERIQUE. 

remarqués  pendant  le  phénomène,  il  croit  qu'on  peut  l'attribuer  à 
l'électricité ,  qui  a  pu  produire  l'inflammation  lente  et  continue  de» 
corps  phosphoriqucs  contenus  dans  la  mer. 

États-Unis. — Sociétés  des  amis  de  la  paix.  —  Les  États-Unis  d'A- 
mérique sont  la  première  nation  qui  ait  fondé  une  société  organisée 
pour  la  propagation  des  principes  pacifiques.  Ils  possèdent  mainte- 
nant cinq  de  ces  institutions  qui  s'étendent  chaque  jour:  les  plus 
importantes  sont  celle  de  New-York  (formée  au  mois  d'août  i8i5 
et  la  plus  ancienne  de  toutes) ,  et  celles  de  l'Ohio  et  des  Massachus- 
sets.  Cette  dernière  se  compose  de  plus  de  quatre  cents  membres, 
parmi  lesquels  se  trouvent  un  des  anciens  présidens  des  États-Unis, 
plusieurs  législateurs ,  des  juges  de  différentes  cours  de  justice ,  le 
président  de  la  cour  suprême ,  deux  des  anciens  gouverneurs  et  en- 
viron quatre-vingt-dix  ministres  de  la  religion.  Le  lieutenant  gouver- 
neur de  l'état  préside  cette  respectable  assemblée.  Le  but  de  ces 
bienfaisantes  institutions  est  de  prévenir  la  guerre ,  de  montrer  les 
maux  qu'elle  peut  causer,  de  faire  naître  entre  les  hommes  des  sen- 
timens  d'union  et  de  bienveillance  conformes  à  l'esprit  du  christia- 
nisme. Les  philantropes  qui  les  ont  fondés  en  Amérique ,  ont  été 
secondés  dans  leurs  efforts  par  plusieurs  écrivains  et  par  plusieurs 
orateurs ,  qui  ont  écrit  et  parlé  dans  le  même  esprit  de  tolérance  et 
de  charité. 

New- York.  — Encouragemens  pour  la  littêiature. — Il  a  été  pré- 
senté à  la  législature  un  bill ,  ayant  pour  objet  l'établissement  d'un 
fonds  destiné  à  encourager  la  littératme  parmi  les  femmes.  Il  serait 
fourni  par  les  hommes  non  mariés ,  âgés  de  plus  de  vingt -huit  ans. 

AMÉRIQUE  MÉRIDIONALE. 

Bbésil.  —  Fernambocc.  —  Pluie  de  soie.  —  E.xlrait  d'une  lettre  de 
M.  Laine  ,  consul  de  France,  i"  novembre  1820. —  «Il  est  tombé 
ici ,  dans  le  commencement  d'octobre ,  une  pluie  d'une  espèce  de 
soie,  dont  beaucoup  de  personnes  ont  ramassé  des  échantillons.  Cette 
pluie  s'est  étendue  à  5o  lieues  dans  les  terres  ,  et  à  peu  près  autant 
dans  les  mers.  Un  bâtiment  français  ,  arrivé  ici,  en  a  été  couvert.  Ce 
phénomène ,  dont  on  n'avait  pas  encore  eu  d'exemple ,  excite  une 
grande  curiosité  dans  ce  pays.  » 

La  vue  des  échantillons  envoyés  par  M.  Laîné  a  fait  penser,  aux 
rédacteurs  des  Annales  de phjsique  ei  de  chimie,  que  la  substance 


ASIE.  20  Ti 

recueillie  à  Fernambouc  pourrait  avoir  quelque  analogie  avec  ces 
iilamens  soyeux ,  qui ,  dans  les  environs  de  Paris  et  h  certaines 
époques  de  l'année ,  sont  transportés  par  les  vents  dans  toutes  sortes 
de  directions.  L'analyse  chimique  éclaircira  ce  doute. 

ASIE. 

Indes  orientales.  —  Calcutta.  —  Jardin  botanique.  —  Ce  jardin, 
quoiqu'il  n'ait  encore  que  peu  d'années  d'existence ,  ofire  aujourd'hui 
des  richesses  que  l'on  ne  saurait  trouver  réunies  dans  aucun  établisse- 
ment de  ce  genre  en  Europe.  Il  est  sous  la  direction  de  M.  Wallich, 
danois  de  naissance  et  élève  du  professeur  Hornemann,  directeur  du 
jardin  botanique  de  Copenhague.  La  compagnie  des  Indes  fait  tant 
de  cas  du  mérite  de  M.  Wallich,  qu'elle  lui  a  assigné  un  traitement  de 
72,000  francs  et  une  pension  annuelle  de  54,ooo  francs,  à  condition 
qu'il  ne  retournera  dans  sa  patrie  qu'après  avoir  rempli ,  pendant 
douze  ans ,  la  place  qu'il  occupe  aujourd'hui  avec  tant  de  distinction. 

H.-s. 

— Zoologie.  — Tapir  Asiatique. — M.  Diard,  jeune  naturaliste  fran- 
çais, a  eu  occasion  d'observer,  en  1819,  un  tapir  découvert  à  Suma- 
tra ;  cet  animal  n'avait  été  trouvé  jusqu'ici  que  dans  le  nouveau 
monde.  Il  ne  diffère  du  tapir  américain  que  par  les  couleurs ,  l'extré- 
mité des  oreilles ,  la  croupe  ,  le  dos ,  le  ventre  et  les  flancs  étant 
blancs,  tandis  que  ,  partout  ailleurs,  il  est  d'une  couleur  noire  foncée. 
Le  naturaliste  ayant  vu  ensuite  la  tête  d'un  animal  apportée  de 
Malacca,  un  examen  attentif  des  dents  ne  lui  perijiitplus  de  douter 
qu'elle  appartint  au  tapir  asiatique.  Ces  faits  sont  d'autant  plus 
curieux  qu'ils  détruisent  les  raisonnemcns  de  BuCTonsur  la  différence 
entre  les  races  de  l'Asie  et  celles  de  l'Amérique.  (Voyez  Maîùa, 
Hist.  nat.  des  mammifères,  par  MM.  G.  Saint-IIilaire  et  F.  Cuvier.  ) 

—  Société  asiatique.  —  Le  journal  de  Calcutta,  du  7  mai  der- 
nier, contient  un  article  très-long  et  très  judicieux  sur  la  société 
asiatique.  Varm'i  les  améliorations  que  réclame  l'auteur,  on  remarque 
la  suivante  :  «  Pour  faciliter  la  propagation  des  connaissances  et  des 
lumières,  les  secrétaires  des  classes  de  physique  et  de  littérature 
entretiendront  une  correspondance  suivie  avec  les  savans  de  toutes 
les  nations  de  l'Europe.  Ils  mettront  sous  les  yeux  de  la  société  les 
résultats  de  leurs  travaux.» 

SERAMtovR.  — Une  société  d'agriculture  y^  se  former  dans  cetlc 
ville. 


20A  ASIE. 

— Médecine.  — Dains  le  n"  du  2  mai  1820,  un  des  corrcspoudans 
du  Calcutta  journal  assure  que  l'on  obtient  d'heureux  effets  de  l'ac- 
tion de  la  pile  voltaïque  sur  les  personnes  atteintes  du  cholera- 
morbus.  £•  G. 

Chine — Macao.  —  Vaccine.  —  Tandis  que  des  personnes  ,  enra- 
cinées dans  leurs  préjugés,  élèvent  encore  des  doutes,  en  Angleterre 
et  dans  différens  pays  de  l'Europe,  sur  les  avantages  de  la  vaccine, 
ce  précieux  préservatif  de  la  petite  vérole  est  généralement  en 
usage  dans  la  Chine  :  nous  citerons ,  pour  preuve  de  ce  fait ,  l'extrait 
d'une  lettre  de  M.  John  Livingstone ,  l'un  des  chirurgiens  de  la 
compagnie  de  Chine,  écrite  de  Macao,  le  aS  mars  1820.  «Je  suis 
tout-à-fait  surpris,  écrit-il,  devoir,  par  les  lettres  et  les  journaux 
périodiques  qui  m'arrivent  de  l'Angleterre,  que  la  question  de 
l'utilité  de  la  vaccine  y  est  encore  vivement  agitée.  Nous  n'avons 
point  de  doutes  ici.  Je  vaccine  quelquefois  jusqu'à  cinq  cents  cnfans 
par  semaine  ;  et ,  depuis  dix  ans ,  je  n'ai  par  vu  un  seul  exemple  de 
non-succès.  M.  Pearson ,  premier  chirurgien  de  la  factorerie  de  Canton, 
qui  est  encore  plus  occupé  que  moi,  a  également  réussi.  Cependant 
vous  savez  que  la  petite  vérole  fait  d'affreux  ravages  en  Chine, 
tous  les  printems.  J'ai  souvent  vu  des  personnes  attaquées  de  cette 
terrible  maladie, .occuper  la  même  maison  et  quelquefois  le  même 
lit  que  les  personnes  que  j'avais  vaccinées,  sans  que  ces  dernières 
aient  senti  la  moindre  atteinte  de  ce  mal,  et  sans  qu'aucun  symp- 
tôme inquiétant  se  soit  manifesté  sur  elles. 

IKDES0B1E^TALES. — Calcotta. — Socîété  asiatique. — Dans  sa  séance 
du  19  juin  1S20,  la  société  a  entendu  une  lettre  du  major  général 
Hardwike,  dans  laquelle  il  traite  de  là  substance  appelée  Gez,  que 
le  capitaine  Edouard  Frederick  a  fait  connaître  dans  le  premier  vol. 
des  Mémoires  de  la  société  de  Bombay. — W.  B.  Baylen  présente 
à  la  société  quelques  vases  grecs  découverts  à  Athènes  par  le  doc- 
teur Wilson. — Le  docteur  Tytler  envoie  des  cornes  d'Ammon  trou- 
vées dans  le  lit  de  la  Scan ,  rivière  de  l'Inde.  Il  fait  présenter 
en  même  tems  quelques  antiquités  indiennes  de  la  forteresse  da 
Kallingur. — La  société  élémentaire  de  Calcutta  offre  les  exemplaires 
de  vingt  ouvrages  qu'elle  a  fait  publier.  —  Il  est  fait  hommage  de 
quelques  pétrifications:  d'un  carquois  contenant  trois  des  flèches 
empoisonnées  dont  se  servent  les  Malais  ;  d'un  livre  samscrit  et  de 
planches  en  cuivre,   couvertes  de  caractères  inconnus. — Le  secré- 


ASIE.  205 

taire  lit  ensuite  une  description  de   la  province   de  Rohilkund. 

Le    iZ"  volume   des  Asiatics  researches  a  paru;   le   i4*    est  sous 
presse. 

—  Dans  la  séance  du  16  septembre  1820,  M.  le  capitaine  Loc- 
ke*t  a  transmis  à  la  société  l'hommage  de  plusieurs  ouvrages ,  par 
MM.  de  Hammer,  Langlès,  de  Sacy  et  Kieffer.  —  Le  colonel  Hal- 
loran  a  offert  quelques  statues  en  argent  des  divinités  indiennes. 
—  Le  lieutenant  Bell  a  présenté  un  livre  renfermant  plusieurs  des- 
sins de  monumens  indiens. — M.  Tytler  a  fait  lire  un  mémoire 
sur  les  connaissances  des  Arabes  en  mathématiques.  —  Le  lieute- 
nant Ouseley  a  envoyé  la  peau  d'un  serpent  long  de  21  pieds. — 
M.  Moorcroft  a  adressé  une  lettre  contenant  l'alphabet  usité  dans 
le  Cachemire. — Le  capitaine  Price  a  fait  hommage  de  la  traduc- 
tion d'une  inscription samscrite.  —  MM.  Pope  et  Adams  ont  été  nom- 
més  membres  de  la  société. 

— Bombay. — La  société  de  celte  pille  a  entendu  deux  mémoires 
dans  sa  séance  du  28  mars  1820;  le  premier  du  capitaine  Mac 
Murdo,  sur  le  tremblement  de  terre  de  l'année  précédente;  et  le 
second,  du  capitaine  Sykes,  sur  les  excavations  souterraines  d'Elora. 

—  Empieb  BiRMAif. —  AvA.  —  MissioTis.  —  M.  Judson  a  fait  de  vains 
efforts  pour  obtenir  la  permission  de  prêcher  le  christianisme  ;  il 
s'est  rendu  à  Ava  pour  présenter  lui-même  sa  demande  au  roi  : 
le  prince  a  rejeté  et  la  requête  et  les  livres  qui  lui  étaient  pré- 
sentés. 

Russie  ASIATIQUE. — Voyage  commercial.  {V.  Tom.  VIII,  pag.  617, 
etTom.  IX,  pag.  601).  La  caravane  armée  du  docteur  IVeri  s'est 
réunie  aux  bandes  de  Tatars ,  commandées  par  Sulthân-Aroun- 
Aghasi.  Après  avoir  traversé  les  plaines  sablonneuses  de  Kara-Koum 
et  côtoyé  les  bords  du  lac  Aral,  elle  s'est  arrêtée  le  10  novembre  1820 
sur  les  rives  du  Sir  (l'ancien  laxartés);  ]à,elles'est  occupée  derecon- 
naître  le  cours  et  la  navigabilité  de  ce  fleuve ,  qui  est  à  peu  près  de 
la  grandeur  'de  l'Elbe.  On  s'est  assuré  en  jnème  tems  qu'il  commu- 
niquait avec  le  lac  Telegoul.  Itcher-Aghasi  et  Aman-Beyg,  khans  de 
quelques  hordes  tatares ,  ont  rejoint  l'expédition  qui  avait  reçu  de 
nouvelles  forces  par  une  caravane  partie  d'Orerabourg,  quinze  jours 
après  elle.  Le  22  et  le  23 ,  l'armée  et  les  canons  ont  passé  le  fleuve 
sur  la  glace,  qui  s'est  rompue  le  lendemain.  Elle  s'est  dirigée  sur  la 


206  AFRIQUE.    EUROPE. 

Couvan ,  qu'elle  a  atteint  le  2.4.  Après  avoir  exploré  cette  petite 
rivière,  la  caravane  marchera  sur  le  Kizil-Deriah  et  sur  l'Oxus,  dont 
elle  doit  examiner  l'ancienne  et  la  nouvelle  embouchure.  De  ce  point, 
elle  se  dirigera  sur  Bokhara,  Balkh  et  Samarcande. 

Thibet. — Nécrologie. — M.  Schrceier ,  missionnaire  chrétien,  (jui 
travaillait  avec  beaucoup  d'ardeur  à  la  confection  de  la  grammaire 
et  du  dictionnaire  de  la  langue  du  Thibet ,  vient  de  mourir  dans  ce 
pays,  le  1 5  juillet  1820.  E- G. 

AFRIQUE. 

Egypte. —  Voyage  scientifique. — Le  22  novembre  dernier,  M.  Fré- 
déric Caillaud  se  préparait  à  partir  de  Syène  pour  Dongolah.  Ismaël- 
Pacha  ,  fils  de  Mohammed-Ali ,  vice-roi  d'Egypte  ,  a  remporté  une 
grande  victoire.  Le  quartier  général  de  l'expédition  est  à  Dongo- 
lah, d^où  les  mamelouks  ont  été  expulsés.  Abdi-Kachef  y  a  été  placé 
comme  gouverneur  :  c'est  un  homme ,  ami  des  Européens.  Le  voyage 
de  Syène  à  Dongolah ,  sur  la  rive  gauche  du  Kil ,  est  d'un  mois. 
M.  Cailliaud  doit  faire  des  observations  astronomiques  le  long  de  la 
route,  et  recueillir  toutes  sortes  de  renseignemens  sur  les  antiquités 
du  pays, peu  connues  jusqu'à  ce  jour  {Voye^Tom.  VIII ,  pag.  617). 

JoMAHD ,  de  Vinstitut. 

EUROPE. 

GRANDE-BRETAGNE. 

YoECK. — HcLL. — Éclairage  par  le  gaz. —  Dans  une  assemblée  qui 
s'est  tenue-dans  cette  ville,  le  i5  janvier  dernier,  pour  décider  si 
l'on  éclairerait  la  ville  avec  le  gaz,  une  discussion  s'est  engagée  sur 
les  avantages  comparés  du  gaz  provenant  de  l'huile ,  et  du  gaz  pro- 
duit par  le  charbon.  Il  a  été  prouvé  que  le  gaz  de  l'huile  éclaire 
beaucoup  mieux  que  celui  du  charbon  ,  qu'il  exige  un  appareil  beau- 
coup moins  coûteux  ,  qu'il  n'en  a  point  l'odeur  désagréable  et  quel- 
quefois malsaine,  qu'il  n'attaque  pas  les  tuyaux,  qu'il  ne  ternit 
ni  ne  décolore  les  métaux  polis ,  les  étoffes  de  soie ,  etc. ,  comme  le 
fait  l'autre  gaz  ;  enfin  ,  qu'on  s'en  sert  avec  succès  pour  éclairer  le 
théâtre  de  Covent-Garden ,  les  salles  d'Argyle ,  la  brasserie  de 
Whitbread ,  et  quelques  autres  ctablisscmens.  L'un  des  membres  de 
l'assemblée ,  se  prononçant  pour  le  gaz  tiré  du  charbon  ,  a  dit  qu'il 


EtJROPK,  207 

avait  obtenu  4«7  gallons  de  gaz  (1668  pintes  ou  i584,6  litres),  de 
10  livres  de  charbon  (5  kilogrammes),  qui  lui  revenaient  à  deux  sous 
(  1  franc)  ;  qu'il  revendait  ces  lo  livres  deux  sous  après  l'opération  , 
dont  il  avait  déjà  retiré  encore  pour  deux  sous  de  goudron,  de  manière 
qu'il  gagnait  deux  cent  pour  cent,  et  avait  en  outre  tout  le  gaz  néces- 
saire pour  son  éclairage  ,•  il  a  assuré  aussi  qu'il  ne  s'était  jamais  aperçu 
d'aucune  odeur  désagréable,  et  que  ses  tuyaux  (  qui  sont  en  plomb) 
n'avaient  jamais  été  endommagés  par  l'action  du  gaz.  (  Voyez 
Tom.  VIII,  pag.  2i2,etTom.  IX,  pag.  C27  et  ci-aprés,  article  Pam.) 
Avant  de  terminerla  séance,  on  a  lu  une  lettre  d'un  habile  chimiste, 
qui  certiQe  que  mille  pieds  de  tuyaux  de  gaz,  obtenu  parla  combus- 
tion de  l'huile,  fournissent  une  lumière  égale  à  celle  que  produisent 
3333  pieds  de  tuyaux  de  gaz,  résultant  de  la  combustion  du  charbon. 
L'assemblée  a  arrêté  à  l'unanimité  qu'on  adopterait  l'éclairage  par 
ie  gaz  de  l'huile.  Il  paraît  que  l'empereur  Alexandre  va  faire  éclairer 
son  palais  de  Saint-Pétersbourg  de  la  même  manière. 

Londres. — Mâts  enfer. — Un  essai,  dont  beaucoup  de  physiciens 
révoquent  en  doute  le  succès,  vient  d'être  tenté  sur  le  vaisseau /e 
iSeringapatnam.  Les  mâtures  de  ce  navire  ,  forgées  en  fer,  offrent 
le  double  avantage  de  l'économie  d'argent  et  d'espace,  mais  il  y  a 
lieu  de  craindre  que  le  fluide  électrique  ne  soit  trop  fortement  solli- 
cité par  un  aussi  puissant  attrait  ;  l'expérience  fera  connaître  jusqu'à 
quel  point  cette  nouvelle  disposition  peut  compromettre  la  sûreté 
des  bàtimens.  E.  G. 

LivERPOOL.  —  Musée  de  l' Institution  royale.  —  Têtes  de  sauvages. 
—  Parmi  plusieurs  curiosités  qui  ont  dernièrement  été  offertes  à  ce 
musée,  on  remarque  deux  têtes  d'habitans  de  la  Nouvelle-Zélande, 
apportées  et  offertes  par  le  capitaine  Anstess.  Les  peuples  de  ces  con- 
trées paraissent  avoir  pour  coutume  de  sécher  et  de  conserver  les 
têtes  de  leurs  chefs  ou  de  leurs  amis ,  qui  sont  morts  sur  le  champ 
de  bataille;  c'est  une  marque  d'estime,  d'honneur  ou  d'attachement. 
Ils  commencent  par  extraire  la  substance  médullaire,  et  conservent 
la  peau  entière,  qui  reste  attachée  au  crâne.  La  tête,  ainsi  préparée, 
conserve  l'apparence  de  la  figure  humaine,  et  n'a  point  un  aspect 
aussi  désagréable  qu'on  pourrait  le  supposer.  Elle  est  parfaitement 
sèche  et  n'a  aucune  odeur  ;  les  traits  sont  fixes ,  et  les  coins  de  la 
bouche  légèrement  tirés  ;  la  peau  est  cuivrée  et  tatouée  avec  beau- 
coup de  soin  en  plusieurs  endroits  ;   les  dents  semblent  bien  faites. 


508  EUROPE. 

mais  petites  et  usées.  Ces  deux  crûnes  ont  dû  appartenir  k  deux 
braves  guerriers,  si  l'on  en  juge  par  les  inégalités  et  les  fracture» 
dont  ils  sont  couverts.  Le  froat  du  plus  jeune  est  haut  et  large  ;  ses 
cheveux  sont  bouclés  et  d'un  noir  de  jais.  La  chevelure  de  l'autre  est 
grise  et  peu  fournie.  Ses  traits  ont  moins  d'expression  et  moins  de 
hardiesse  que  ceux  du  jeune  homme.  Grâce  aux  efforts  des  mission- 
naires, pour  détruire  ces  coutumes  barbares ,  le  prix  des  tètes  ainsi 
conservées  est  considérablement  augmenté  :  celles-ci  ont  coûté 
douze  guinées. 

Londres.  —  Récompenses  pour  les  découvertes  géographiques.  — 
En  conséquence  d'un  mémoire  présenté  par  les  commissaires  pour 
la  découverte  de  la  longitude  en  mer,  le  roi,  d'après  l'avis  de  son 
conseil  privé  ,  a  substitué  l'échelle  suivante  de  récompenses  à 
celle  qui  avait  été  établie  le  19  mars  1819  :  Au  premier  vaisseau, 
appartenant  à  la  marine  ou  à  un  de  ses  sujets  ,  qui  parviendra  au 
i5o'  degré  de  longitude  occidentale  du  méridien  de  Greenwich  et 
au-delà  du  cercle  polaire  arctique  ,  5, 000  liv.  sterl.  ;  au  premier  qui 
parviendra  au  i5o=  degré  de  longitude  O.  du  méridien  de  Greenwich 
et  au-delà  du  cercle  arctique,  uue  nouvelle  somme  de  5, 000  liv.  st.  ; 
au  premier  qui  pénétrera  jusqu'à  l'Océan  pacifique  par  un  passage 
N.-O.,  une  autre  somme  de  10,000  liv,  st.  ;  au  premier  qui  parviendra 
au  8J«  degré  de  latitude  N. ,  1,000  liv.  st.  ;  au  85«  degré,  une  autre 
somme  de  1,000  liv.  st.;  au  87^  degré, une  autre  somme  de  1,000  liv.  st.; 
au  88»  degré,  une  autre  somme  de  1,000  liv.  st.  ;  au  89"  degré  et  au- 
delà,  une  autre  somme  de  1,000  liv.  st.  E.  G. 

Noia.  On  sait  que  le  capilaine  Parry  a  gagné  le  prix  antérieure- 
ment proposé.  Il  a  eu  pour  sa  part  10,000  liv.  st.  ;  le  reste  a  été  par- 
tagé proportionnellement  entre  les  officiers  et  l'équipage  de  son  brick. 

—  Société  rcyale.  —  Sir  Humphrey  Davy,  nommé  président  de 
cette  société,  a  prononcé  un  discours  éloquent  dans  la  séance  du 
7  décembre  1S20.  Il  s'est  attaché  à  peindre  le  but  de  la  société 
royale ,  ainsi  que  ses  relations  avec  les  autres  institutions  savantes 
formées  pourseconder  la  marche  de  la  civilisation  et  des  connaissances 
humaines.  Il  a  présenté  un  tableau  intéressant  de  l'état  actuel  des 
sciences  ;  après  avoir  loué  les  travaux  des  membres  de  la  société,  il 
a  énuméré  les  différens  sujets  qui  restent  à  approfondir  dans  les 
sciences  naturelles.  Il  a  terminé  son  discours ,  en  engageant  ses  con- 
frères à  se  laisser  toujours  guider  dans  leurs  recherches  par  l'esprit 


EUROPE.  209 

philosophique  de  Bacon  et  de  Aewton,  et  à  ne  jamais  perdre  de  vue 
l'honorable  mission  qui  leur  est  conQée,  de  développer  les  faculté» 
de  l'esprit  humain ,  et  d'agrandir  la  sphère  de  nos  jouissances  intel- 
lectuelles, en  nous  apprenant  à  mieux  comprendre  la  puissance,  la 
sagesse  et  la  bonté  de  l'auteur  de  la  nature.  P.   G-y. 

— amélioration  dusorl  des  catholiques . — Depuis  quelques  années, 
le  sort  des  catholiques  de  la  Grande-Bretagne  et  de  l'Irlande  s'est 
beaucoup  amélioré.  Le  nombre  de  leurs  églises,  en  Angleterre  et  en 
Ecosse,  s'accroît  tous  les  ans;  et,  l'année  dernière  encore,  on  en  a  con- 
sacré une  très- belle  dans  la  cité  de  Londres,  pour  laquelle  le  pape 
a  donné  des  vases  sacrés  d'or  massif.  En  outre,  les  jésuites  ont  un 
collège  considérable  à  Ilonyhurst ,  aux  environs  de  Preston. 

Nous  espérions  que  le  bill  d'émancipation  qui  a  passé  à  la  chambre 
des  communes,  serait  adopté  parla  chambre  des  pairs,  et  établirait 
d'une  manière  solide  la  liberté  politique  et  religieuse  des  catholiques  ; 
mais,  le  bill  étant  rejeté,  on  doit  craindre  qu'ils  ne  soient  long-tems 
traités  dans  la  Grande-Bretagne  ,  comme  les  juifs  le  sont  encore,  à  la 
honte  de  la  civilisation,  dans  quelques  parties  de  l'Allemagne. 

LojiDBEs. — Prisons. —  Actes  d'humanité  de  madame  Ery  dans  la 
prison  de  Neifgate.  —  M.  Thomas  Clarkson  avait  publié,  en  iSo3  , 
un  ouvrage  en  5  vol.  in-S.":  A  portraiture  ofqaakerism  (tableau  de 
la  secte  des  quakers).  C'est  l'ouvrage  le  plus  étendu  qui  ait  paru  sur 
ce  sujet.  Madame  Adèle  Duthou,  dans  son  Histoire  de  la  secte  des 
Amis  [uoy.  T.  IX  de  la  Jlef.  EncjcL,  pag.  Sûg),  après  avoir  offert, 
dans  un  ordre  méthodique,  l'histoire  très-abrégée  des  quakers,  place 
à  la  suite  de  son  ouvrage  deux  articles  intitulés  :  Madame  Frj  et  J^a 
prison  de  Newgate.  Nous  croypns  devoir  en  donner  ici  un  extrait , 
propre  à  faire  connaître  madame  Fhv,  l'une  des  femmes  qui  honorent 
le  plus  son  sexe  et  son  pays ,  et  dont  nous  avons  déjà  eu  occasion  de 
parler  (T.  IX,  p.  379). 

Madame  Fry,  qui,  par  ses  ancêtres  normands ,  est  d'origine  fran- 
çaise, n'était  pas  encore  mariée,  lorsqu'avec  la  permission  de  son 
père  elle  forma  chez  elle  une  école,  oii  elle  reçut  quatre-vingts 
pauvres  enfans.  En  1800,  elle  épousa  M.  Fry,  dont  la  bonté,  la  gé- 
nérosité justifient  la  préférence  que  madame  Fry  lui  a  donnée.  Ja- 
mais il  ne  s'est  opposé  à  ses  bonnes  œuvres;  au  contraire,  il  lui  faci- 
lite ,  il  lui  donne  les  moyens  de  soulager  les  malheureux ,  en  la 
laissant  disposer  chaque  année  d'une  somme  considérable,   qu'elle 

Tome  x.  ^'^ 


210  EUROPE. 

consacre  entièrement  aux  besoins  des  pauvres.  La  vie  de  madame 
Fry  est  réglée  par  les  bonnes  actions;  son  tems  est  divisé  par  ses  vi- 
sites charitables  et  journalières.  Elle  ne  fait  aucune  distinction  ;  les 
malheureux  sont  frères,  quels  que  soient  leur  pays,  leur  religion: 
elle  ne  refuse  pas  ses  secours  aux  coupables  ;  car  elle  ne  comprend  le 
vice  que  comme  une  maladie  ,  et  jamais  elle  ne  s'éloigna  des 
malades. 

Toujours   occupée  du  bien   qu'elle  peut  faire ,  madame  Fry,  ins- 
truite de  l'état  déplorable  de  la  prison  des  femmes  à  Newgate,  ré- 
solut de  la  visiter.  Elle  s'adressa    au  gouverneur  pour   obtenir  la 
permission  d'y  être  admise  ;    il  répondit   qu'elle   courrait  de  vrais 
dangers  en  entrant  dans  cet  asile  du  vice  et  du  désordre,  et  que  lui- 
même  il  n'osait  en  approcher;  que  les  propos  qu'elle  entendrait  et 
les    horreurs   dont   elle   serait   témoin    la   révolteraient ,    et    qu'il 
croyait  de  son  devoir  de  l'engager  à  abandonner  son  dessein.  Madame 
Fry  dit  qu'elle  savait  bien  à  quoi  elle  s'exposait ,  et  qu'elle  désirait 
seulement  la  permission  d'entrer  dans  la  prison.  Le  gouverneur  lui 
conseil/a  de  ne  prendre  avec  elle  ni  sa  bourse,  ni  sa  montre.  Madame 
Fry  répondit  ;  Je  te  remercie  ;  je  n'ai  aucune  crainte,  je  garderai  ma 
bourse  et  ma  montre.  Elle  fut  conduite  dans  une  chambre  de  la 
prison,  où  se  trouvaient  à  peu  près  cent  soixante  femmes;  celles  qui 
étaient  condamnées,  celles  qui  n'étaient  pas  encore  jugées,  toutes 
ensemble.  Les  cnfans  élevés  à  l'école  du  vice,  n'entendant,  ne  pro- 
férant que  des  blasphèmes,  ajoutaient  encore  à  l'horreur  de  ce  ta- 
bleau. Les  prisonnières  mangeaient,  faisaient  leur  cuisine,  couchaient 
dans  la  même  chambre;  enfin,  on  eût  dit  que  Newgate   était  un 
antre  de  sauvages.  Madame  Fry  ne  fut  point  découragée  :  malgré  une 
santé  très-délicate  et  qui  l'était  surtout  alors,  elle  persévéra  dans  son 
pieux  dessein.  Ces  femmes  l'écoutaient ,  la  contemplaient  avec  éton- 
nement:  cette  Cgure  si  pure,  si  calme,  semblait  déjà  avoir  adouci 
leur  férocité. 

Madame  Fry  s'adressa  aux  prisonnières  :  a  Vous  semblez  malheu- 
reuses, leur  dit-elle;  vous  manquez  de  vêtemens  ;  n'aimeriez-vous 
pas  qu'un  ami  s'occupât  de  vous  et  vînt  soulager  votre  misère  ?  »' 
— Certainement,  répondirent-elles,  mais  personne  ne  se  soucie  de 

nous,  et  où  trouverions-nous  un  ami? Je  suis  venue  avec  le 

désir  de  vous  servir,  reprit   madame  Fry,  et  je  crois  que,  si  vous 
voulei  m'aider,  je  pourrai  vous  être  utile.  •  Alors,  elle  leur  dit  des 


EUROPE.  211 

paroles  de  paix,  leur  fit  eatrevoir  l'espérance;  elle  ne  parla  point 
de  leurs  crimes;  elle  était  là  pour  consoler,  et  non  pour  juger  et 
condamner.  Quand  elle  voulut  partir  ,  ces  femmes  se  pressèrent 
autour  d'elle,  comme  pour  la  retenir:  vous  ne  reviendrez  plus,  di- 
saient-elles; mais  madame  Fry  promit  de  revenir.  En  effet,  bientôt 
elle  fut  au  milieu  d'elles  ;  elle  entra  dans  la  prison  avec  l'intention 
d'y  passer  la  journée;  les  portes  se  fermèrent  sur  elle,  et  elle  de- 
meura seule  avec  les  prisonnières.  «Vous  ne  pouvez  penser,  leur 
dit  elle ,  que  je  sois  venue  ici  sans  en  avoir  reçu  la  commission  (i)  ; 
ce  livre  (elle  tenait  une  Bible),  le  guide  de  ma  vie,  m'a  conduit 
vers  vous.  Il  m'ordonne  de  visiter  les  prisonniers ,  et  d'avoir  pitié 
des  pauvres  et  des  affligés  ;  je  suis  prête  à  faire  tout  ce  qui  est  en 
mon  pouvoir;  mais  mes  efforts  seraient  vains,  si  vous  ne  vouliez  pas 
les  seconder.  »  Elle  leur  demanda  si  elles  ne  désiraient  pas  qu'elle 
leur  lût  quelques  passages  de  ce  livre  ;  elles  y  consentirent.  Madame 
Fry  choisit  la  parabole  du  père  de  famille ,  saint  Mathieu,  chap.  20  ; 
et,  quand  elle  en  vint  à  cet  homme  qui  fut  choisi  à  la  onzième  heure, 
elle  s'écria  :  «  Voici  maintenant  la  onzième  heure  qui  sonne  pour 
vous  :  la  plus  grande  partie  de  vos  vies  a  été  perdue ,  mais  le  Christ 
est  venu  pour  sauver  les  pécheurs.  » 

Quelques-unes  demandèrent  qui  était  le  Christ.  D'autres  disaient 
que  sûrement  il  n'était  pas  venu  pour  elles  ;  que  le  tenis  était  passé  , 
et  qu'elles  ne  pouvaient  plus  être  sauvées.  Madame  Fry  répliquait 
que  le  Christ  avait  souffert ,  qu'il  avait  été  pauvre  aussi,  et  que 
c'était  surtout  pour  sauver   le  peuple  et  l'affligé   qu'il  était   venu. 

Madame  Fry  obtint  que  les  enfans  fussent  réunis  dans  une  école  , 
qui  s'établit  dans  la  prison  même  ,  et  qu'on  s'occupât  de  leur  ins- 
truction religieuse.  Les  prisonnières,  malgré  leurs  vices  et  leurs 
désordres,  saisirent  avec  joie  la  pensée  d'améliorer  le  sort  de  leurs 
enfans.  Avoir  pu  rappeler  ces  femmes  au  premier  sentiment  de  la 
nature,  l'amour  maternel ,  c'était  avoir  déjà  beaucoup  obtenu. 

Une  femme,  qu'on  nomme  la  matone,  eut  la  direction  des  pri- 
sonnières ,  sous  la  surveillance  des  vingt-quatre  dames  de  la  société 
des  Amis  qui  composent  le  comité  de  Newgate. 

Quand  madame  Fry  eut  rédigé  une  règle  de  conduite  pour  les 
prisonnières,  un  jour  fut  fixé  ;    le  lord  maire    et  un   des  aldermea 

(i)   Il  faut  se  rappeler  que  madame  Fry  est  de  la  secte  des    4/'iis= 

lA" 


212  EUROPE. 

étaient  présens.  Madame  Fry  lut  à  haute  voix  chaque  article,  en 
demandant  aux  prisonnières  si  elles  les  adoptaient  ;  elles  devaient 
lever  la  main  en  signe  d'approbation.  Le  règlement  de  madame  Fry 
fut  reçu  à  l'unanimité,  tant  étaient  vrais  le  respect  et  la  confiance 
qu'elle  inspirait. 

Grâce  à  la  pieuse  persévérance  de  madame  Fry,  aux  années 
qu'elle  y  a  consacrées,  la  prison  de  ÎSewgate  a  changé  d'aspect  ; 
l'influence  de  la  vertu  a  adouci  l'horreur  du  vice  :  Nev\'gate  est  de- 
venue l'asile  du  repentir. 

Les  vendredis  sont  les  jours  publics  ou  l'on  peut  visiter  la  prison; 
on  entend  madame  Fry  lire  la  Bible  aux  prisonnières. 

La  feue  reine  voulut  voir  cette  dame ,  et  lui  témoigner  toute 
l'admiration  que  sa  conduite  lui  inspirait.  La  cité  de  Londres  lui  vota 
«les  remercîmens.  Enfin,  il  n'est  pas  un  Anglais  qui  ne  bénisse  le 
nom  de  madame  Fry. 

Mais  aussi  dans  quel  autre  pays  que  l'Angleterre  aurait-on  per- 
mis à  une  femme,  et  surtout  à  une  femme  qui  ne  professe  pas  la 
religion  dominante  ,  de  se  mêler  des  prisons,  d'y  donner  des  règles  ? 
Partout  ailleurs ,  des  intérêts  personnels  ,  des  haines  de  partis  se 
seraient  opposés  aux  grands  résultats  de  la  vertu  persévérante. 

L'éloquente  morale  de  madame  Fry  pénètre  l'ame  ;  on  se  croit 
meilleur  en  l'entendant ,  ou  du  moins  on  sent  qu'on  peut  le  devenir; 
on  ne  la  craint  pas,  on  l'aime;  comment  ne  pas  l'écouter,  la  res- 
pecter? Que  de  détails  touchans  je  pourrais  donner!.. 

Nous  terminerons  ici  ces  détails  ;  heureux  de  penser  que  madame 
Fry  est  là  ,  qu'elle  est  jeune  encore ,  et  que  long-tems  sa  famille , 
les  pauvres  et  ses  amis  peuvent  espérer  de  la  conserver  1 

Grâce  au  zèle  actif  de  cette  dame,  maintenant  l'intérieur  de 
IVewgate  a  plutôt  l'air  d'une  manufacture  que  d'une  prison.  Point 
de  cachots,  point  de  chaînes,  toutes  les  portes  de  communication 
sont  ouvertes  dans  la  prison.  Les  prisonnières  soumises  aux  lois 
qu'elles  ont  adoptées  n'essaient  pas  de  s'en  écarter. 

Les  efforts  de  madame  Fry,  couronnés  d'un  plein  succès  ,  montrent 
le  bien  que  peut  opérer  un  zèle  actif,  éclairé,  couFageux  et  persévé- 
rant ;  c'est  un  modèle  qui ,  sans  doute  ,   aura  des  imitateurs. 

—  Institution  de  bienfaisance  en  faiseur  des  artistes.  —  Cette 
société  a  pour  but  d'encourager  le  mérite  et  de  récompenser  le 
talent  ;  elle  distribue  des  secours  aux  artistes  privés  de  fortune  et 
'd   ceux  que  des  accidens  imprévus  ont  arrêtés  dans  leur  carrière. 


EUROPE.  n$ 

Les  membres  s'assemblent  tous  les  ans,  quelques  jours  avant  l'ou- 
verture de  l'exposition  de  l'Académie  royale.  Le  duc  de  Sussex  ^ 
connu  par  sa  philantropie ,  préside  habituellement  dans  ces  occa- 
sions. L.    S. 

Londres. — Nouueau  journal  des  Catholiques.  — h'oiivrage  jiù- 
riodique,  que,  depuis  sept  ans,  les  Catholiques  font  paraître  tous 
les  mois,  pour  la  défense  de  leur  cause,  a  eu  tant  de  succès  que  le 
rédacteur  va  eu  agrandir  le  cadre  et  le  changer  en  feuille  hebdo- 
madaire ,  ayant  pour  litre  :  The  catholic  Aduocnte  of  civil  and 
religious  liierty  ,  (  l'Avocat  catholique  de  la  liberté  civile  et  reli- 
gieuse.) 

Ecosse.  —  Glasgow. —  Momie  Egyptienne. —  M.  lleywood,  habi- 
tant de  cette  ville,  a  donné  au  musée  une  momie  égyptienne  parfaite- 
ment conservée.  Elle  était  enveloppée  d'une  pièce  de  toile  com- 
mune d'un  rouge  pâle  ,  qui  était  roulée  cinquante  à  soixante  fois 
autour  du  corps,  qui  est  celui  d'une  femme.  Le  morceau  de  la  même 
étoffe  qui  servait  de  linceuil  à  la  momie,  avait  été  trempé  dans 
de  V asphalte  liquide ,  sorte  de  bitume  qui  empêche  la  putréfaction. 
Le  cercueil  est  richement  orné  d'une  quantité  de  caractères  hiéro- 
glyphiques. La  figure  était  d'abord  d'une  couleur  brune;  mais,  après 
avoir  été  exposée  à  l'air  pendant  trois  heures,  elle  est  devenue  tout- 
à -fait  noire.. 

LoKDBES. — Antiquités  Egyptiennes,  —  M.  Belzoni  a  invité,  le  3o. 
mars  dernier,  un  petit  nombre  de  savans  à  assister  à  l'ouverture 
et  au  déroulement  d'une  momie  ,  et  à  examiner  quelques  autres 
antiquités  égyptiennes,  aVant  qu'il  ait  complété  l'intéressant yiic 
simile  des  tombeaux  de  ce  pays,  qu'il  prépare  au  muséum  de  Bul- 
lock  ;  le  docteur  Baillie  et  autres  célèbres  anatomistes  étaient  pré- 
sens. La  momie,  qui  paraît  être  celle  d'un  jeune  homme,  avait 
quatre  pieds  neuf  pouces  de  longueur,  était  entière  et  saine  dans 
toutes  ses  parties,  ainsi  que  les  bandes  de  linge  qui  l'enveloppaient. 
M.  Belzoni  a  déroulé  aussi  la  momie  d'un  singe,  objet  du  culte  des 
Egyptiens,  et  qui  était  de  même  parfaitement  conservée.  L'exposition 
dont  M.  Belzoni  compte  faire  jouir  le  public,  sera  extrêmement 
curieuse  ,  en  ce  qu'elle  offrira  une  vue  des  tombeaux  égyptiens  beau- 
coup plus  satisfaisante  qu'aucune  description.  Les  objets  imités 
«ont  de  la  même  dimension  que  les  originaux ,  dont  quelques  frag- 
nicnsssront  mis  sous  les  yeux  des  speclatsurs,  pour  leur  prouver  avac 


21A  EUROPE. 

quelle  fidélité  les  imitations  ont  été  faites.  Cette  exposition  don- 
nera une  idée  complète  de  l'état  des  arts  en  Egypte ,  à  l'époque 
où  ces  objets  y  ont  été  exécutés. 

Islande, —Bailymabon, — Hommage  à  la  mémoire  de  Goldsmith. 
— L'anniversaire  de  la  naissance  d'Olivier  Goldsmith,  dont  les  ou- 
vrages sont  connus  de  tout  le  monde,  a  été  célébré  dernièrement 
dans  cette  ville.  Cet  aimable  écrivain  naquit  dans  un  village ,  à  peu 
de  distance  de  Ballymahon ,  le  29  novembre  1728.  On  se  propose  de 
lui  ériger  un  monument  à  Dublin,  et  de  fêter,  tous  les  ans ,  le  jour 
de  sa  naissance. 

ScssEX.  —  Eartham. — Nécrologie.  —  Hajlay. —  Le  poète  William 
Haylay  est  mort  dans  cette  ville  le  11  novembre  dernier.  Né  en  1745 
à  Chichester  ,  il  fit  ses  études  à  Cambridge  ,  où  un  poème , 
que  la  naissance  du  roi  actuel  d'Angleterre  lui  avait  inspiré  , 
fit  dès -lors  augurer  favorablement  de  son  talent.  Ses  produc- 
tions poétiques  sont  très-nombreuses.  Celle  qui  paraît  avoir  eu  le 
plus  grand  succès  est  intitulée  :  Essai  sur  les  vieilles  filles.  Cet  ou- 
vrage, publié  en  1785,  en  3  volumes  in-8°,  a  été  réimprimé  plusieurs 
fois  ;  il  est  encore  recherché  aujourd'hui.  M.  Haylay  était  l'ami  in- 
time de  l'historien  Gibbon,  du  poète  Cowper  et  du  peintre  Romney. 
Ce  fut  à  ce  dernier  qu'il  adressa,  en  1778,  une  épitre  sur  la  pein- 
ture ,  qui  est  réellement  son  premier  ouvrage  remarquable.  Il  a 
écrit  aussi  la  vie  de  ce  même  ami,  ainsi  que  celles  de  Milton  et  de 
Cowper.  H-s. 

Londres.  —  Nécrologie. —  Tooke. — La  littérature  anglaise  a  perdu, 
au  mois  de  novembre  dernier,  un  auteur  fécond  et  un  bon  historien, 
dans  la  personne  de  M.  Guillaume  Tooke,  mort  dans  cette  ville  à  l'âge 
de  soixante-dix-sept  ans.  Quoique  ecclésiastique,  il  débuta  dans  la  car- 
rière des  lettres,  en  1767,  par  un  roman  ,  le  seul  cependant  qu'il  ait 
écrit.  Attaché  comme  aumônier  à  la  factoterie  anglaise  de  Saint-Pé- 
tersbourg, l'histoire  de  l'empire  de  Russie  fixa  bientôt  son  attention  ; 
et,  depuis  1780  jusqu'à  1800,  il  a  fait  paraître  successivement: 
IlistoÏTe  de  toutes  les  nations  gui  composent  Vempire  de  Russie 
(4  vol.  in-8»);  Vie  de  Catherine  II  {Z  vol.  in-S"  )  ;  Tableau  de 
Vempire  de  Russie ,  depuis  le  règne  de  Catherine  IL  jusqu'à  la  fin 
du  dix-huitième  siècle  {"h  vol.  in-S");  Histoire  de  Russie ,  depuis  la 
fondation  de  cetempire  jusqu'à  rauênement  au  trône  de  Catherinell 
(3  vol.  inS"  \  Pendant  son  séjour  à  Pétersbourg,  M.  Tooke  s'était 


EUROPE.  215 

familiarise  avec  la  langue  allemande,  et  c'est  lui  qui  a  fait  connaître 
à  ses  compatriotes,  dans  une  traduction  soignée,  le  tableau  de  Pé- 
tersbourg  ,  par  Storch  (  i  vol.  in  8»  ] ,  et  presque  tous  les  ouvrages  du 
célèbre  prédicateur  ZoIIikofer  (lo  vol.  inS").  Il  était  en  outre  édi- 
teur du  Dictionnaire  de  biographie  générale  et  collaborateur  d'un 
recueil  littéraire  ,  publié  à  Londres  sous  le  titre  de  Genlleman's 
magazine.  H-s, 

RUSSIE. 

Finlande. —  Abo.  —  Obseruatoire.  —  L'empereur  Alexandre  a  fait 
construire  dans  cette  ville  un  observatoire  magnifique,  dont  ila  confié 
la  direction  au  célèbre  astronome  Balbeck. 

Sai.m-Pétersbourc. — Instructiun  publique. — Le^sfait  aux  écoles. 
— La  princesse  Anna  Narischkin ,  morte ,  il  y  a  environ  six  mois , 
dans  un  âge  très-avancé,  a  laissé  par  testament  une  somme  de  i5o,ooo 
roubles  aux  établissemens  destinés  à  l'éducation  de  la  jeunesse  ; 
savoir:  l'académie  pour  l'éducation  des  jeunes  dames  nobles;  les 
écoles  de  l'ordre  de  Sainte-Catherine  ,  à  Saint-Pétersbourg  et  à 
Moscou  ;  l'école  des  orphelines ,  filles  de  militaires ,  et  l'institutioa 
des  sourds-muets. 

—  Musée  asiatique  de  l'Académie  des  sciences.  —  Manuscrits 
orientaux.  —  Les  collections  littéraires  de  l'académie  des  sciences 
de  cette  ville  ont  été  enrichies,  en  1819,  de  trésors  philologiques 
qui,  pour  la  nouveauté  et  la  rareté,  autant  que  pour  l'influence 
qu'ils  auront  à  l'avenir  dans  la  culture  d'une  branche  des  sciences 
long-tems  négligée  en  Russie ,  méritent  qu'on  en  fasse  une  mention 
particulière.  Une  collection  d'environ  5oo  manuscrits  arabes,  per- 
sans et  turcs ,  a  été  ajoutée  à  la  fois  à  celle  du  musée  asiatique 
de  l'académie,  recueillie  en  Sj'rie,  en  Mésopotamie  et  en  Perse, 
par  un  homme  versé  dans  ces  langues ,  M.  Rousseau ,  ci-devant 
consul  général  de  France  à  Alep,  et  maintenant  à  Bagdad;  cette 
collection  avait  été  envoyée  en  France.  C'est  au  zèle  du  respectable 
président  de  l'académie  que  la  Russie  doit  cette  belle  acquisition, 
et  à  peine  a-t-elle  été  faite  que  l'empereur  Alexandre  en  a  fait  don 
à  cette  société.  Le  Musée  asiatique,  déjà  si  riche  en  ouvrages 
chinois,  mandchous,  japonais ,  mongols ,  kalmouks  et  tangutiens, 
de  même  qu'en  monnaies  et  antiquités  orientales  ,  a  ,  par  ce  grand 
accroissement  en  manuscrits  mos'cmims,  acquis  une  nouvelle  impor- 


216  EUROPE. 

tance ,  et  contient  aujourdhui ,  dans  chacnnc  des  trois  langue* 
eitées,  et  presque  dans  chaque  science,  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages classiques  de  l'Islam  ,  qu'on  chercherait  en  vain,  même  dans 
les  bibliothèques  des  IMollahs  les  plus  savans  de  ses  habitans  maho- 
métans.  La  partie  lexicographique  contient  deux  manuscrits  du 
grand  Dictionnaire  arabe ,  connu  sous  le  titre  dcKamous ,  c'est- 
à-dire  l'Océan;  un  ouvrage  sur  la  pureté  de  la  langue,  par  Dgen- 
heri ,  dont  Rasi  nous  a  donné  un  fort  bon  extrait;  le  Diction- 
naire arabe  du  Mai-onite  Gabriel  Ferhat;  celui  qui  est  appelé 
Ferheng  Dgihangiri ,  et  qui  est  très-important  pour  l'étude  de 
l'ancienne  langue  persanne.  On  trouve  en  outre  des  règles  sur  le 
siyle  sublime  par  Ibn  Koreïba ,  ouvrage  classique  pour  le  philo- 
logue arabe,  et  qui  a  été  constamment  expliqué  dans  ces  écoles  de 
l'Orient.  La  quintessence  de  l'éloquence,  ou  exemples  des  divers 
genres  du  style  arabe ,  par  Abul  liusein ,  le  Sabéen  ;  enfin,  les 
Ononiasliques ,  si  utiles  pour  l'étude  approfondie  de  la  langue 
arabe.  L'histoire,  la  géographie  et  la  biographie  offrent  un  nombre 
considérable  d'ouvrages  d'un  grand  intérêt.  Nous  citerons,  parmi  les 
ouvrages  d'auteurs  arabes,  l'histoire  des  conquêtes  de  la  Syrie  ,  de 
VEgypte  et  d'Iral-  par  les  Arabes  ,  par  Jfukedi,  le  père  de  l'histoire 
arabe,  qui  a  écrit  vers  le  commencement  du  g»  siècle  ;  l'histoire  de  la 
Mecque,  par  Asraki  (  contemporain  du  précédent),  ouvrage  histo- 
rique le  plus  ancien  ,  et  peut-être  le  plus  intéressant  parmi  le  grand 
nombre  de  ceux  qui  ont  paru  sur  cette  fameuse  ville. 

— Architecture.  —  Quatre  des  colonnes  qui  doivent  être  employées 
dans  la  construction  de  l'église  d'Lsaac  sont  arrivées  par  eau ,  de  la 
Finlande  ;  elles  sont  d'une  très-grande  dimension  ;  le  fût  a  huit 
brasses  (environ  48  pieds)  de  hauteur  ,  en  un  seul  morceau.  Trente- 
six  colonnes  semblables  orneront  cet  édifice  colossal.  Sous  le  fronton, 
qui  sera  en  marbre  ,  il  y  aura  trente-deux  poêles  pour  chauffer  l'église 
en  hiver:  les  tuyaux  passeront  sous  le  pavé.  Chacune  des  colonnes 
dont  nous  venons  de  parler  pèse,  telle  qu'elle  est  à  présent, 
i3,ooo  pouds  (  environ  229,060  kilogr.  )  ;  on  les  polit ,  à  l'aide  d'une 
machine  à  vapeur. 

POLOGNE. 

Vabsovie.  —  I\ouvelles  machines.  —  JL  Kuhaïewski  vient  d'in- 
venter une  nouvelle  machine  pour  battre  le  blé.  Avant  d'y  mettre 


EUROPE.  217 

la  dernière  main ,  il  a  fait ,  en  présence  d'un  grand  nombre  de 
connaisseurs,  plusieurs  essais  qui  ont  eu  un  succès  complet  et  qui 
constatent  l'utilité  de  cette  invention.  Le  mécanisme  de  cette  ma- 
chine est  simple,  et  peu  coûteux;  il  est  durable;  et  si  quelque 
réparation  devient  nécessaire ,  elle  peut  être  faite  facilement  par  les 
ouvriers  de  la  campagne.  La  possibilité  de  la  transporter  sans  incon- 
vénient d'un  local  dans  un  autre,  rend  son  usage  très  commode  pour 
l'agriculteur.  De  toutes  les  machines  pour  battre  le  blé ,  inventées 
jusqu'à  présent,  elle  est  la  seule  qui,  en  séparant  le  grain  de  l'épi, 
ne  brise  ni  le  grain  ni  la  paille.  En  employant  un  seul  homme 
pour  mettre  cette  machine  en  mouvement ,  on  lui  fait  faire  le  tra- 
vail ordinaire  de  plusieurs  dizaines  d'ouvriers.  Le  mécanisme  se 
compose  de  plusieurs  roues ,  dont  deux ,  armées  de  quarante-huit 
fléaux,  et  placées  à  chaque  bout  de  la  machine,  à  une  distance 
d'environ  trois  pieds  l'une  de  l'autre ,  sont  mises  en  mouvement 
par  un  treuil  à  fuseaux  placé  entre  elles,  et  dans  lequel  marche 
un  homme.  La  machine  a  un  mouvement  qui  la  porte  en  avant , 
autant  que  cela  est  nécessaire  ;  et ,  quand  elle  est  arrivée  à  l'en- 
droit déterminé,  elle  recule  d'elle-même.  Dans  ce  mouvement 
de  va  et  vient,  les  fléaux  battent  les  épis  sans  discontinuer,  et  le 
résultat  de  cette  opération  est  semblable  à  celui  que  produirait  un 
ouvrier  habile  dans  la  pratique  de  battre  le  blé.  A  l'aide  d'un  seul 
homme,  la  machine  peut,  sur  un  terrain  uni,  être  poussée  à  une  grande 
distance  en  avant  ou  en  arrière,  à  droite  et  à  gauche.  M.  Kuhaïewski 
se  propose  de  publier  une  description  de  cette  machine  ;  le  nouveau 
mécanisme  qu'il  a  inventé  peut  être  employé  utilement  dans  la  com- 
position des  machines  destinées  à  un  autre  but.  Cet  habile  mécani- 
cien a  imaginé  aussi  un  moulin  à  scier ,  mis  en  mouvement  par 
une  seule  personne,  sans  le  secours  de  l'eau  ;  on  lui  doit  aussi  un 
nouveau  moyen  d'effectuer  le  mouvement  rétrograde  qu'on  obtient 
ordinairement  à  l'aide  d'une  manivelle.  Il  s'occupe  en  ce  moment 
de  faire  connaître  ces  deux  inventions  par  des  modèles  exécutés 
en  grand.  On  doit  aussi  à  M.  Kuhaïewski  l'invention  d'une  montre 
astronomique ,  qui  indique  la  différence  des  heures  dans  les  prin- 
cipaux endroits  des  diverses  parties  du  globe.  L'empereur  Alexandre, 
en  ayant  agréé  l'hommage,  a  fait  remettre  à  l'auteur  une  magni- 
fique tabatière,  et  lui  a  fait  assigner  un  fonds  pour  pouvoir  conti- 
nuer ses  importans  travaux. 


%iS  EUROPE. 

— 3Ionumenl  à  Copernic. — La  statue  colossale  en  bronze,  qui  doit 
être  élevée  dans  cette  ville  à  Nicolas  Copernic ,  sera  placée  devant 
le  magnifique  édifice  de  la  Société  des  amis  des  sciences,  au  faubourg 
de  Cracovie,  dans  les  environs  de  l'emplacement  de  l'église  des 
Dominicains  qui  a  été  abattue.  Cet  homme  illustre  sera  représenté 
assis  sur  un  siège  antique,  couvert  d'une  toge  académique,  richement 
drapée.  D'une  main,  il  tiendra  le  globe  céleste,  divisé  par  ses  cercles 
astronomiques.  Les  Polonais  fournissent  aux  frais  de  ce  monument, 
par  des  souscriptions  volontaires. 

-—Théâtres.  —  La  tragédie  de  Jeanne  d'Arc  de  Schiller,  traduite 
en  polonais  et  jouée  sur  le  théâtre  national  de  Varsovie  ,  n'a  pas  eu 
de  succès.  On  va  y  représenter  incessamment  la  Vestale,  opéra  de 
MM.  Jouy  et  Sponlini. — Le  théâtre  français  s'est  ^lacè  dans  le  beau 
palais  de  Mniszck,  dans  un  local  petit,  mais  très-bien  distribué,  où 
il  donne  ,  trois  ou  quatre  fois  par  semaine ,  des  représentations  très- 
suivies  par  la  bonne  compagnie.  Pendant  quelque  tems,  la  troupe 
a  été  obligée  de  se  borner  à  ne  jouer  que  de  petites  pièces  ;  mais , 
depuis  qu'il  est  arrivé  de  nouveaux  acteurs  de  Paris,  on  y  joue  la 
haute  comédie. 

Journaux. — Dans  toute  la  Pologne  russe,  autrichienne. prussienne, 
polonaise  et  à  Cracovie,  on  publie ,  depuis  le  i*'  janvier  i^zi^^vingt- 
quatre  feuilles  périodiques,  tant  scientifiques  que  politiques.  A  Var- 
sovie, oîi  toute  la  population,  y  compris  les  militaires,  se  compose 
tout  au  plus  de  210,000  habitans,  les  presses  sont  occupées  à  faire 
paraître  douze  journaux,  dont  voici  les  titres:  1.  Pamietnik  JVars- 
zawski  [journal  de  Varsovie  )  ou  journal  des  sciences  et  des  arts.  Il 
paraît  tous  les  mois  un  cahier  de  7  feuilles  in-S".  Le  rédacteur  est 
M.  le  professeur  d'histoire,  Fel.  Bejîtk.owski.  2.  Izys  Folska  (l'/sw 
polonaise)  ou  \e  journal  des  sciences  -,  des  découvertes,  des  arts  et 
des  manufactures  ;  il  est  entièrement  consacré  à  l'industrie.  Tous  les 
mois,  il  en  paraît  un  cahier  de  8  feuilles  in-8°,  avec  figures.  Le  rédac- 
teur est  M.  Gral.  KoawiN.  3.  Sylwan  {Sjluan).  Ce  journal,  dont 
on  ne  publie  que  tous  les  trois  mois  un  cahier  de  8  feuilles  in-8»  avec 
figures,  traite  de  tout  ce  qui  a  rapport  à  la  science  forestière.  4-  i^- 
billa  nadivislanska  [la  Sj bille  de  la  Vistule).  Ce  journal  national 
traite  de  la  littérature ,  de  l'histoire,  de  la  politique  et  de  tout  ce  qui 
touche  aux  intérêts  de  la  patrie.  Deux  fois  par  mois,  il  en  paraît  un 
cahier  de  trois  à  quatre  feuilles.  Le  rédacteur  est  M.  Franc.  Gbzv- 


EUROPE.  219 

MAL*.  5.  Dékala  pvlska  (la  Décade  polonaise)  j  ce  journal  portait 
auparavant  le  titre  de  Polonais  constitutionnel,  qu'il  a  quitté  depuis 
peu  :  il  rapporte  exclusivement  les  événemens  politiques  d'une  im- 
portance majeure.  Conformément  à  son  titre,  il  paraît,  tous  les  dix 
jours,  un  cahier  de  3  feuilles  in-S".  Le  rédacteur  est  M.  F'ict.  Heltman. 
6.  Uganda  (  journal  consacré  aux  belles-lettres  et  aux  beaux-arts  ). 
Il  en  paraît,  toutes  les  semaines,  une  demi-feuille.  Les  rédacteurs  sont 
MM.  Franc.  Dmochowski  et  Dom.  Lisiecki.  -.  Mumus ,  une  demi- 
feuille  in-8»  par  semaine ,  remplie  d'anecdotes  plaisantes  ,  d'épi- 
grammes,  de  jeux  de  mots,  etc.,  etc.  Le  rédacteur  est  M.  Alqys. 
ZoLKOwsKi ,  excellent  acteur  comique.  Cette  feuille  est  suspendue 
dans  ce  moment.  S-  Ty  godnik  muzjczny  {journal  de  musique).  Il 
paraît  in-4°  une  fois  par  semaine.  Le  rédacteur  est  M.  Charles  Kua- 
piNSKi.  p.  Gazeta  literacha  {Gazette  littéraire).  lien  paraît,  toutes 
les  semaines,  une  feuille  in-4°.  Elle  embrasse  tout  ce  qui  a  rapport  à 
la  littérature  nationale  et  étrangère ,  et  donne  des  articles  souvent 
profonds  et  généralement  bien  rédigés,  lo.  Kurger  TVarszawki  (le 
Courrier  de  Varsovie).,  5  fois  par  semaine,  un  quart  de  feuille  in-4". 
11.  Gazeta  Korrespondenta  If^arszawsTciego  (la  Gazette,  le  Cor- 
respondant de  Varsovie),  4  fois  par  semaine,  une  feuille  et  demie 
in-4°.  12.  Gazeta  IFarszawska  (la  Gazette  de  Karsouie),  ^îoïs  par 
semaine,  une  feuille  et  demie  in-4*.  Ces  trois  derniers  journaux  sont 
entièrement  politiques. 

SUÈDE. 

SxORCHOLM. — Académie  des  sciences. — Le  roi  ayant  sanctionné  les 
nouveaux  statuts  de  l'académie  des  sciences ,  rédigés  par  elle-même, 
cette  société -lui  a  fait  exprimer,  par  une  députation,  la  reconnais- 
sance dont  elle  est  pénétrée.  Voici  la  réponse  que  le  roi  a  faite  aux 
députés:  «  Messieurs,  j'ai  approuvé  avec  d'autant  plus  de  plaisir  le 
règlement  que  l'académie  m'a  soumis,  qu'il  est  sorti  de  la  plume 
d'hommes  connus  par  leur  sagacité  autant  que  par  leurs  profondes 
connaissances,  et  dont  les  travaux  feront  époque  dans  l'histoire  des 
sciences.  Dans  tous  les  états  éclairés ,  mais  surtout  dans  les  états 
libres,  le  monarque  est  le  protecteur  des  sciences;  et  lorsqu'il  les 
protège,  comme  il  le  doit,  la  nation,  ainsi  que  lui-même,  peuvent 
espérer  de  voir  s'affermir  davantage  ,  de  jour  en  jour,  les  droits  que 
la  nature  a  gravés  au  fond  du  cœur  de  chaque  homme.  Continuez, 


Î2Ô  EUROPE. 

messieurs,  de  travailler  à  rendre  de  plus  en  plus  généraPle  dévelop- 
pement des  facultés  intellectuelles.  Le  flambeau  des  lumières  fera 
pâlir  ces  étoiles  sinistres  dont  la  funeste  influence  a  désolé  tour  à  tour 
non  seulement  notre  pays,  mais  encore  les  autres  contrées  de  l'Eu- 
rope ,  les  plus  fertiles  comme  les  plus  stériles.  Paix  générale ,  repos 
intérieur,  sûreté  des  états,  voil.'»  les  bienfaits  qu'appellent  par  leurs 
Toeux  toutes  les  nations.  » 

—  L'académie  a  nommé  son  correspondant  M.  Chaumelte  des 
Fossés,  consul  général  de  France  pour  la  Suède  et  la  Norwège. 

—  Société  commerciale. —  Le  roi  vient  d'accorder  à  la  société  qui 
s'est  formée  pour  faire  une  expédition  commerciale  aux  Indes  et  à  la 
Chine  ,  sous  la  direction  du  capitaine  Hantson ,  les  mêmes  privilèges 
que  le  gouvernement  avait  concédés  ,  en  i8oG,  à  la  ci-devant  com- 
pagnie des  Indes  orientales. 

— Une  banque  d'épargnes  doit  s'établir  incessamment  dans  cette 
capitale. 

DANEMARCK. 

Copenhague.  —  L'académie  des  sciences  a  proposé  plusieurs  su- 
jets de  mémoires,  pour  chacun  desquels  elle  décernera  une  mé- 
daille d'or  de  la  valeur  de  cinquante  ducats.  Les  ouvrages  seront 
reçus  jusqu'à  la  Cn  de  1821. 

Classe  de  mathématiques  :  Generaliter  superGciem  datam  in  aliâ 
superficie  ita  exprimere  ut  partes  etiam  minimœ  imaginis  arctè  fiant 
similes.  —  Classe  de  physique  :  Cum  circà  mixturas  metallorum 
Dulla  adhuc  constet  lex  ,  juxta  quam  eorum  densitas  et  cohœsio ,  ut 
etiam  temperatura  caloris  quâ  liquéfiant,  ex  metallis  componentibus 
deduci  etcomputari  queant,  societas  prœmium  solitum  auctori  pro- 
mittit,  qui  an  te  Cnem  anni  proximi  disquisitionemipsi  obtulerit  qui 
nostram  hujusrei  scientiam  insigniter  locupletet. — Classe  d'histoire  : 
Proposuerat  classis  historica ,  anno  i8i6,thema  de  linguae  frisicae 
ratione.  Quaestio  nullum  habuit  commentatorem  licettempusaliquot 
menses  ultra  terminum  constitutum  ampliaretur,  cum  veroresipsa 
ad  disquirendum  gravis  sit  quumque  sit  periculum  ne  paucae  quae  su- 
persunt  istiuslingusereliquiœ,breviprorsusevanescant,  rursus  propo- 
nendum  censet  societas  idem  thema.  —  Classe  de  philosophie  :  Dis- 
quiratur  fons  ex  que  philosophia  historica  deducenda  sit.  Constitua- 
tur  notio  hujus  scientije  explicenturque  principia  cjusdem  nec   non 


EUROPE.  221 

methodus  quae  ia  ea  pertractanda  adhibeii  possil  ;  adeo  ut  piolego- 
mena  philosopbiœ  historiae  quodammodù  sislantur,  simulque  ratio 
inter  banc  et  generalem  quam  tentarunt  nonnulli  bistoriam  generis 
hutnani  ,  sive  quam  vocant  bumanitatis,  exponatur. 

—  Théâtre. — M.  Œlanscblâger,  auteur  de  plusieurs  pièces  de 
tbéâtre  fort  admirées  et  de  quelques  autres  ouvrages  ,  vient  de  ter- 
miner une  nouvelle  tragédie  ,  intitulée  :  Erich  et  Abel,  qu'on  doit 
représenter  incessamment  sur  le  tbéâtre  de  Copenbague.  — Le  pro- 
fesseur Kruse  a  fait  paraître  sa  tragédie  d'£zzelino ,  qui  a  été  jouée 
avec  beaucoup  de  succès    dans  cette  ville,  le  20   novembre  dernier. 

ALLEMAGNE. 

Prusse. — Erfurt. — Nouvelle  presse. — M.  Hellfortb  a  inventé 
une  presse ,  avec  laquelle  on  peut  mettre  en  forme  buit  feuilles  à 
la  fois. 

Bavière.  —  Muxich.  —  L^académle  a  célébré  ,  le  laoctobre  1S20, 
dans  une  séance  solennelle,  la  fête  du  roi  de  Bavière.  M.  de  Scblicbte- 
groU  a  prononcé  un  discours  sur  les  travaux  de  cette  compagnie.  L'an- 
née précédente  ,  à  pareil  jour,  la  classe  d'histoire  avait  proposé  un 
prix  à  l'auteur  du  meilleur  mémoire  sur  la  procédure  obseruée  tant  au, 
civil  qu  au  criminel  par  les  anciens  habitans  de  la  Bauière',  2°  sur 
V influence  que  cette  procédure  pouvait  exercer  en  bien  ou  en  mal , 
en  ce  qui  concerne ■J'application  des  lois,  l'accélération  des  affaires 
et  leur  diminution.  —  C'est  avec  surprise  que  l'académie  se  voit 
obligée  de  déclarer  qu'aucun  mémoire  ne  lui  est  parvenu.  Elle  avait 
beaucoup  espéré  d'un  sujet  qui  présente  tant  d'intérêt  à  ceux  qui 
aiment  l'bistoire  de  leur  pays  ;  elle  se  croyait  d'autant  plus  fondée 
à  compter  sur  un  meilleur  résultat,  que,  même  au  sein  de  l'assem- 
blée des  états,  on  s'est  occupé  de  ces  questions.  M.  de  Scblicbtegroll 
a  proposé  de  proroger  encore  d'une  année  le  délai  fixé.  L'académie 
fera  connaître  sa  détermination  par  la  vole  des  journaux.  La  classe 
philosophique  et  philologique  attend  également  la  solution  d'une 
question  du  plus  baut  intérêt  :  Quel  était,  au  XP'l^ siècle,  l'état  de  la 
liltérature  en  Allemagne  ?  Les  mémoires  seront  reçus  jusqu'au 
i8  mars  1822.  Le  prix  sera  décerné  le  12  octobre  de  la  même 
année.  P.  G-y. 

Dessau.  —  Formation  d'une  Bibliothèque  publique.  — Les    biblio- 
tlièques  particulières  qui  se  trouvaient  dans  les  divers  châteaux  du 


"222  EUROPE. 

duc  de  Dessau ,  ou  qui  appartenaient  aux  grandes  écoles  et  aux  col- 
lèges ,  ont  été  réunies  dernièrement,  dans  la  ville  de  Dessau,  en  une 
seule  bibliothèque,  qui  a  été  ouverte  au  public,  en  juin  1820.  Elle 
est  particulièrement  riche  en  belles  éditions  d'ouvrages  anglais  ;  elle 
renferme  aussi  des  livres  précieux  par  leur  antiquité ,  et  principale- 
ment des  auteurs  classiques  et  des  manuscrits  de  poètes  latins.  Le 
duc  régnant,  Léopold- Frédéric  ,  avait  chargé  son  conseiller  intime  , 
M.  A.  de  Rede,  d'en  diriger  la  formation;  depuis  M.  W.  Muller, 
connu  dans  le  monde  littéraire  par  plusieurs  productions  estimées , 
en  a  été  nommé  le  bibliothécaire.  Des  fonds  assez  considérables  lui 
ont  été  assignés  pour  augmenter  progressivement  cette  nouvelle 
source  d'instruction.  H-s. 

Pelsse.  —  DissELDORF. — InslruclioTi  publique.— \jdi  direction  su- 
prême d'instruction  publique  qui  siège  en  cette  ville,  a  fait  lithogra- 
phier  des  plans  et  des  instructions  ,  aCn  que  les  écoles  fussent  bâties 
à  l'avenir  d'une  manière  uniforme  et  convenable  à  un  objet  aussi 
important. 

Weimah.  —  Instiliiiion  de  hicnf aisance.  —  Depuis  les  batailles 
d'Iena ,  de  Lutzen  et  de  Leipzick,  quelques  amis  de  l'bumanité  ,  à 
Weimar,  s'étaient  cotisés ,  dans  le  généreux  dessein  de  secourir  un 
grand  nombre  d'enfans  qui  avaient  perdu  leurs  parens  par  suite  de 
la  guerre  ,  ou  qui,  séparés  des  corps  de  trrupes  qu'ils  avaient  suivis, 
rôdaient  sans  asile  dans  les  environs  de  cette  ville  ,  située  au  centre 
des  divers  champs  de  carnage.  Le  respectable  pbilantrope,  M.  J. 
Falk ,  fut  le  premier  qui  donna  à  ses  concitoyens  l'exemple  d'arra- 
cher ces  jeunes  vagabonds  à  l'ignorance,  à  la  misère  et  au  crime, 
en  les  plaçant  comme  apprentis  chez  des  artisans  recommandables  , 
et  en  leur  donnant,  avec  une  instruction  religieuse,  les  premiers 
élémens  des  connaissances  utiles.  M.  Falk  alla  de  maison  en  maison 
pour  faire  une  collecte  qui,  quelque  modique  qu'elle  fût,  ne  l'empê- 
cha pas  de  poursuivre  avec  zèle  la  bonne  œuvre  qu'il  avait  commencée. 
Dans  la  suite,  non  seulement  les  habitans  de  Weimar  y  contribuèrent, 
mais  aussi  ceux  d'Iena  et  d'Erfurt;  et,  quoique  ces  secours  res- 
tassent toujours  au-dessous  des  besoins  de  cette  petite  colonie , 
M.  Falk  parvint,  dans  l'espace  de  sept  ans  ,  à  placer  chez  les  divers 
artisans  de  \Yeimar  plus  de  cinq  cents  pauvres  enfans,  appartenant 
à  toutes  les  nations  combattantes ,  et  qui  ,  élevés  presque  miracu- 
leusement, promettent  de  devenir  un  jour  des  citoyens  utiles.  Ces 


EUROPK.  2-25 

jeunes  gens,  désirant  laisser  un  souvenir  touchant  de  leur  recon- 
naissance, ont  résolu  de  construire  une  chapelle,  dont  tous  les  ma- 
tériaux ,  depuis  la  tuile  jusqu'au  drap  qui  couvre  l'autel,  depuis  le 
moindre  clou  jusqu'à  la  serrure,  soient  l'ouvrage  de  leurs  mains. 
Pour  leur  procurer  les  fonds  nécessaires  à  cette  entreprise  ,  M.  Falk 
propose  la  publication  d'un  livre  de  cantiques  ,  particulièrement  de 
l'Oraison  dominicale ,  telle  que  les  élèves  la  chantent  dans  leurs 
réunions  des  dimanches,  consacrées  spécialement  à  leur  instruction 
morale  et  intellectuelle.  Cette  partie  principale  sera  suivie  d'un 
précis  historique  de  l'institution.  Ce  livre,  qui  comprendra  six  feuilles 
d'impression,  huit  pages  de  notes  et  neuf  gravures  ,  sera  également 
l'ouvrage  des  élèves.  M.  Falk  invite  tous  les  amis  de  l'humanité  à 
contribuer  à  cette  bonne  œuvre.  La  maison  Treuttel  et  Wijrtz,  rue 
de  Bourbon ,  n"  17,  à  Paris,  s'est  chargée  de  la  souscription  pour 
la  France.  Prix  de  chaque  exemplaire,  4  fr.  H-«. 

Wurtemberg. — Stuttgard. — Economie  rurale. —  Le  libraire  Cotta 
fait  paraître  une  édition  allemande  du  bel  ouvrage  que  M.  le  comte 
Lasteyrie  publie  à  Paris,  sous  le  titre  de  Machines ,  instrurnens. 
Ustensiles,  etc.,  emplojy  es  dans  V  économie  rurale.  L'éditeur  allemand 
a  réduit  le  prix  de  la  souscription  à  deux  francs,  pour  chaque  cahier 
de  dix  feuilles  in-4°,  renfermant,  outre  le  texte,  5o  à  4o  figures. 

Saxe-Gotha. — Altenbourg. — Publications  prochaines.  -  Le  libraire 
Habn  annoace  la  publication  prochaine  de  traductions  de  divers 
ouvrages  français ,  tels  que  les  Pièces  officielles  sur  les  affaires  de 
NapJes,  le  Guide  de  Parit,  et  l'JEssai  sur  la  philosophie  des  sciences, 
par  M.  M.  A.  Jullien,  de  Paris.  (  On  imprime  en  ce  moment,  à 
Paris,  une  seconde  édition  française ,  très-auo-mentée,  de  ce  dernier 
ouvrage.  ) 

Francfort-sur-le-Mein. —  Lifre  de  prophéties. —  Le  conseiller  de 
justice  de  LilHenstern  a  publié  un  ouvrage,  dans  lequel  il  prouve  mé- 
thodiquement que  l'Ante-Christ  arrivera  en  1S25  ;  dix  ans  après,  nous 
aurons  des  guerres  de  religion;  enfin,  en  i836  .  s'ouvrira  le  fameux 
règne  de  mille  ans. 

Autriche. — Vienne.  —  Concordia  journal. -'M.  Schlcgel  imprime 
un  recueil  périodique,  sous  le  titre  de  Concordia.  Ce  titre  est  un  vé- 
ritable contre-sens  par  rapport  à  l'ouvrage.  Il  n'y  a  effectivement  de 
concorde  qu'entre  les  rédacteurs  qui  s'entendent  à  merveille,  lors- 
qu'il s'agit  de  jeter  la  division  dans  le  monde  littéraire.  Ces  messieurs 


22A  EUROPE. 

déclarent  la  guerre  à  quiconque  n'a  pas  les  mêmes  idées  qu'eux.  C'est 
surtout  en  religion  qu'ils  veulent  dominer.  Leur  intolérance  se  ma- 
nifeste dans  le  traité  intitulé  Signatur  des  Zestalles.  L'auteur  de  ce 
traité  se  montre  l'ennemi  de  toute  espèce  de  lumières  ;  il  approuve 
fort  ceux  qui ,  dans  le  bon  vieux  tems ,  ont  appelé  l'invention  alors 
récente  de  l'imprimerie  Eine  TeufelsJcunst,  un  art  diabolique.  Pour- 
quoi donc  impriment-ils?  P.  G-v. 

Prusse.  —  Iema. — Journal  de  morale.  —  MM.  Frédérich  Bœhme^ 
inspecteur  ecclésiastique,  et  Charles  Mùller ,  ministre  à  Neumarck , 
publient  un  journal  intitulé  :  Zeitfchrist  fur  moral  ;  mais  il  paraît 
que  le  troisième  cahier  sera  le  dernier.  La  sécheresse  du  titre  a  effrayé 
les  lecteurs  :  de  nos  jours ,  on  entend  par  morale  quelque  chose  de 
contraire  aux  plaisirs.  Les  auteurs  de  ce  recueil  avaient  pris  ce  mot 
dans  toutes  les  acceptions  que  lui  donnait  l'ancienne  philosophie.  Ils 
avaient  appliqué  leurs  principes  à  des  faits  sur  lesquels  l'attention 
publique  était  particulièrement  dirigée,  par  exemple,  au  meurtre 
commis  par  Sand....  Les  critiques  Allemands  souhaitent  à  ce  journal 
une  prompte  résurrection  ,  surtout  avec  un  titre  plus  piquant.  G.   J. 

Stdttgakd. — Nouveau  journal  politique. — Les  Annales  d'Eu- 
rope {Europaische  uinnalen),  recueil  mensuel  très-estimé,  publié 
depuis  long-tems  par  la  libi-airie  de  Cotta  à  Stuttgard  et  à  Tu- 
bingue,  ont  été  remplacées,  depuis  le  commencement  de  cette  année, 
par  les  Annales  politiques  universelles  {Allgemeine  poUtische 
Annalen^.  On  y  trouve,  i°  un  tableau  précis  de  tous  les  événemens 
qui  se  rattachent  à  l'histoire  de  nos  jours  ,  et  dont  les  matériaux  sont 
puisés  dans  des  sources  authentiques  ;  2°  un  examen  analytique  des 
travaux  des  assemblées  constitutionnelles  de  tous  les  pays  qui  jouis- 
sent d'un  gouvernement  représentatif;  5°  une  analyse  des  ouvrages 
politiques  qui  paraissent  dans  ces  pays;  4°  des  mémoires  originaux 
de  publicistes  et  d'écrivains  politiques  distingués.  M.  Fuederich 
Mi'EHAKD,  littérateur  estimé,  s'est  chargé  de  la  rédaction  de  ce  re- 
cueil périodique,  qui  paraîtra  par  mois,  en  cahiers  de  huit  feuille* 
d'impression.  H-s. 

SiLÉsiE  PE^sslEN^■E. — Bbeslatv. — Archéologie — M.  Kruse  ,  déjà 
connu  par  un  opuscule  sur  les  monumens  de  la  Silésie  ,  travaille 
maintenant  à  un  livre  plus  important  :  il  étend  ses  recherches  à  tout* 
la  Germanie.  M.  Kruse  publiera,  tous  les  ans,  trois  on  quatre  cahiers. 
Le  premiertraitera  des  peuples  de  l'Orient,  depuis  le  Danube  jusqu'à 


KUROPE.  5?5 

la  mer  Baltique.  L'auteur  a  compris  de  quelle  importanre  est,  dan* 
un  livre  de  ce  genre  ,  la  partie  géograpliique  ;  c'est  par  là  qu'il  a  com- 
mencé ;  et ,  pour  donner  une  garantie  de  plus ,  il  a  soumis  la  carte  de 
l'ancienne  Germanie  à  l'académie  des  sciences  de  Berlin.  En  outre  , 
M.  Kruse  propose  une  souscription  pour  la  recherche  des  antiquités  ; 
il  pense  qu'un  écu  d'empire  par  chaque  signature  suBRrait  :  i"  pour 
faire  commenter  avec  un  soin  plus  particulier  les  auteurs  grecs  et 
latins  qui  ont  parlé  de  sa  patrie;  2°  pour  fairn  imprimer  les  écrits 
de  ceux  des  sociétaires  qui  auront  montré  le  plus  d'activité  ;  Ti"  enfin 
pour  créer  un  musée  central  d'antiquités  nationales.  Pu,  Golbérv. 

Stuttgard. — Poésie. — Le  Morgenblall  (Journal  du  matin)  con- 
tient, dans  sa  feuille  du  8  janvier,  un  fragment  en  vers  allemands 
du  Dithyrambe,  sur  l'Egj'pfe  ,  de  M.  Joseph  Agoub,  du  Caire;  Di- 
thyrambe ,  déjà  emprunté  à  la  Reloue  par  deux  journaux  français  ,  et 
traduit  en  italien  dans  l'yénthologie,  publiée  à  Florence.  (  Heuue  , 
vol.  VIII ,  page  45  ,  et  tome  IX,  pageGii).  Cette  traduction  con- 
serve toute  l'énergie  qui  caractérise  l'original  français. 

PausSE.  —  Berlin. — Académie  des  beaux-arts. —  A  l'exposition 
de  1820,  on  a  remarqué  plusieurs  tableaux  exécutés  parles  élèves  de 
l'académie  des  beaux-arts.  La  plu^iart  de  ces  jeunes  artistes ,  après 
avoir  passé  quelques  années  en  France  et  en  Italie,  sont  revenus 
orner  de  leurs  ouvrages  la  capitale  de  la  Prusse.  M.  Schadow,  fils  du 
célèbre  sculpteur  de  ce  nom ,  et  M.  Wach ,  sont  au  premier  rang.  Le 
portrait  d'une  jeune  paysanne  de  Velletri,  près  de  Rome  ,  peint  par 
ce  dernier  ,  a  réuni  tous  les  suffrages  ,  tant  pour  l'éclat  du  coloris 
que  pour  la  délicatesse  de  l'exécution.  Les  tableaux  de  M.  Zimmer- 
man  ont  réveillé  les  regrets  qu'avait  excités  dans  le  public  la  mort 
prématurée  de  ce  jeune  liommc,  qui  s'est  noyé  l'été  dernier.  M.  Rauch, 
célèbre  sculpteur,  qui  exécute  en  ce  moment  les  statues  en  marbre 
des  généraux  Bulow  et  Scharnhorst,  avait  exposé  un  fort  beau  buste 
du  roi ,  ainsi  que  celui  de  la  grande  duchessp  de  Prusse.  On  a  fort  ad- 
miré le  modèle  d'une  statue  de  Blûcher  ,  par  le  même  artiste.  Elle 
est  destinée  à  l'une  des  places  publiques  de  Berlin.  L.   S. 

Ilmenau. — N'écrolo'^ie. —  Koigt. — Nous  avons  perdu,  le  i"'"' jan- 
vier 1821,  l'infatigable  na^turaVist^  Jean'CharIe;:-Giiillaiime  Yoicr  , 
conseiller  des  mines;  il  est  mort  à  l'âge  de  soixante-huit  ans.  Dans  le 
cours  de  son  honorable  et  laborieuse  vie  ,  il  avait  su  se  concilier  l'amour 
ei  l'estime  de  tous  ses  concitoyens. Voici  comment  s'exprime  ,  an  sujet 

Tome  X.  l'o 


de  ce  I  liste  cvéïicincnl ,  la  garcl  te  officielle  deBerliii  ;  «  M.  Voigt  était 
connu  parla  vivacité  et  la  fratichise  de  son  caractère  ;  les  soucis  n'ont 
jamais  troublé  le  repos  de  sa  belle  anie  ,  et ,  jusque  dans  ses  derniers 
inomens,  il  conserva  sa  gaîté.  » — Voulez-vous  me  voir  mourir  (dit- 
il  à  l'un  de  SCS  amis  qui  venaitle  visiter  sur  son  lit  de  douleur),  restez 
encore  quelques  instans ,  et  vous  serez  témoin  de  ma  fin.  —  n  A  peine 
avait-il  parlé,  que  sa  prédiction  s'accomplit.  »  Le  dernier  ouvrage  de 
^I.  Voigt  est  un  traité  sur  les  mines  d' llraenau.  Nous  ne  dirons  rieu 
des  autres  ,  qui  sont  connus  de  tous  les  savans. 

Pu.  GoLcÉav. 

SUISSE. 

GE.NÎiVE. — Botanique. —  Dans  la  dernière  séance  anniversaire  delà 
Société  heluéLique  des  sciences  naturelles ,  M.  de  Candolle  a  missous 
les  yeux  de  cette  Société  une  Flore  du  Mexique,  composée  de  1740 
IVuilles,  et  renfermée  en  ij  volumes  grand  in-folio.  C'est  au  zèle  de 
ses  compatriotes  pour  les  sciences  que  le  savant  naturaliste  est ,  en 
grande  partie,  redevable  de  la  possession  de  cette  collection  précieuse. 
Voici  quelques  détails  à  ce  sujet,  que  l'on  trouve  dans  le  Morgenhlalty 
j)ublié  à  Stuttgardt.  MISI.  Scssé ,  ÎMocino  et  Cervantes  avaient  par- 
couru la  Nouvelle-Espagne,  dans  la  vue  de  composer  une  Flore  du 
Piïexique  ;  ils  avaient  fait  faire  le  dessin  de  chaque  plante  sur  le  lieu 
•  même.  M.  Mocino  s'était  rendu  à  Madrid,  pour  y  faire  graver  cçs  des- 
sins ,  lorsque  les  premiers  troubles  de  l'Espagne  le  forcèrent  à  se  ré- 
fugier avec  sa  Flore  à  Montpellier.  M.  de  Candolle,  qui  se  trouvait 
alors  daus  la  même  ville,  accueillit  son  illustre  confrère  avec  bien- 
veillance, lui  procura  tous  les  secoui's  possibles  pour  continuer  ses 
travaux  botaniques ,  et  les  deux  savans  travaillèrent  ensemble  pen- 
dant dix -huit  mois,  pour  classer  systématiquement  les  nombreux 
f)bjets  de  toute  la  collection.  IMais  le  malheur,  l'.'ige  et  des  infirmités 
avaient  tellement  découragé  M.  Mocino,  que,  lors  du  départ  de 
M.  de  Candolle ,  qui  retournait  de  Montpellier  à  Genève,  il  lui  remit 
sa  Flore,  pour  la  publier  un  jour  en  son  nom.  Cependant,  quelque 
Icms  après,  le  naturaliste  espagnol  lui  manda  qu'il  avait  pris  la  ré- 
solution de  retourner  dans  sa  patrie  ,  et  qu'il  désirait  emporter  la 
collection  dont  M.  de  Candolle  était  devenu  dépositaire.  L'idée 
de  se  séparer  de  tant  de  richesses  botaniques  devait  nécessairement 
causer  des  regrets  à  un  homme  qui  fj.',ç,^is.l;e  g[ne  pour  la  science. 


EUIVOFE.  227 

Désirant  doue  en  garder  au  moiiiii  un  souvenir,  M.  de  CandoUe  prie 
quelques-uns  de  ses  amis  de  lui  copier  les  dessins  les  plus  curieux. 
Aussitôt,  un  grand  nombre  de  personnes  des  deux  sexes  otFrcnt  leurs 
services  ;  tous  les  liabitans  de  Genève,  capables  de  manier  le  crayon 
ou  le  pinceau,  sont  occupés  de  la  Flore  du  Mexique.  On  travaille 
avec  ardeur;  les  dames  surtout  montrent  une  complaisance  et  un 
zèle  sans  bornes,  et,  en  huit  jours  de  tems,  il  ne  reste  plus  un  seul 
dessin  à  copier.  IIexkichs. 

—  Le  même  M.  de  Gandolle  vient  de  faire  un  appel  à  tous  les 
naturalistes  de  la  Suisse  méridionale  ,  pour  qu'ils  le  secondent  dans 
son  projet  défaire  une  Flore  physico-géographique  de  la  vallée  du 
Léman,  d'après  les  principes  qu'il  a  développés  dans  l'article  géogra- 
phie botanique  du  Dictionnaire  des  sciences  naturelles.  Cette  idée 
a  été  accueillie  de  la  manière  la  plus  favorable  :  l'ouvrage  qui  résul- 
tera de  son  exécution  sera  le  premier  qui  aura  été  publié  dans  ce 
genre. 

Casto.-^  dk  Vald. — Lausa^.>e. — Poéle-cheininée. — M.  Bischop  a  lu 
ix\a. Société  des  sciences  naturelles  la  description  d'un poéle-cher/iinée 
de  son  invention  qui  joint  à  une  grande  économie  de  combustibles 
l'avantage  de  conserver  beaucoup  plus  long-tems  sa  clialeur  que  les 
autres.  Il  en  fait  usage  depuis  deux  ans,  et  les  expériences  les  plus 
rigoureuses  ont  confirmé  ce  double  résultat.  En  attendant  la  publi- 
cation de  son  mémoire  ,  qui  paraîtra  dans  un  des  premiers  numéros 
de  la  feuille  du  canton  de  Vaud  ,  nous  nous  bornerons  à  dire  qu'il  a 
atteint  ce  but,  en  entourant  sa  cheminée  de  doubles  parois,  dont 
l'intervalle  est  rempli  d'eau. 

—  Le  Cercle  littéraire  de  celte  ville  a  mis  au  concours  les  trois 
questions  suivantes  :  i»  l'Eloge  biographique  du  docteur  Tissot  , 
avec  une  notice  raisonnée  de  ses  ouvrages. —  2"  Présenter  le  plan 
d'une  institution  charitable  qui,  avant  pour  but  de  secourir  les  indi- 
vidus sorlant  des  maisons  de  force  et  de  détention  du  canton,  leur 
procurerait  des  moyens  de  travail  et  de  subsistance  pour  ces  premiers 
momens  où  la  société  les  repousse  de  toutes  parts.  Ce  plan  doit 
ollrir  les  meilleurs  moyens  de  se  procurer  les  fonds  nécessaires , 
l'organisation  du  personnel  de  l'administration,  et  l'indication  des 
moyens  à  employer  par  cette  administration  pour  remplir  le  but 
proposé. — 5"  En  quoi  consiste,  relativement  à  une  petite  république, 
ce  qu'on  appelle  l'esprit  public  ?  Quels  soiil  les  caractères  auxquels  on 

15* 


228  l'XTiOPi:. 

peut  let.uiHiaîlie  son  t-xisteiicu,  sa  natuie  et  le  degré  auquel  il  est 
])arveiiu  ?  quels  sont  les  obstacles  qui  s'opposent  à  ses  progrès? 
quels  sont  les  moyens  de  détruire  ou  d'écarter  les  obstacles  ? 

R.— r. 

ITALIE. 

Sicile.  —  T'qyage  scientifique.  —  M.  Brocchi  ,  continuant  son 
voyage  et  ses  observations  dans  la  Sicile ,  s'est  arrêté  à  considérer 
quatre  écueils  qui  se  trouvent  près  de  Catane,  qu'on  appelle  aujour- 
d'hui Faraglioni  et  qu'on  nommait  anciennement  les  Ecueils  des 
Cyclopes.  D'après  le  scoliaste  Eustace  ,  on  avait  cru  que  ces  géans, 
dont  le  chef  était  Poliphême  ,  habitaient  la  campagne  de  Lentini  et 
le  mont  Etna ,  et  qu'en  cela  il  était  d'accord  a.vec  Homère. 
M.  Brocchi  pense  que  tout  ce  que  le  poète  immortel  dit  des  Cyclopes 
et  d'Ulysse  ne  cadre  point  avec  les  assertions  d'Eustace  et  de  ses  com- 
mentateurs. Il  lui  semble  plus  probable  que  \es  faraglioni  étaient 
le  véritable  séjour  des  Cyclopes,  comme  Pline  l'avait  déjà  indiqué. 
Ces  écueils  ,  après  les  découvertes  faites  par  Dolomieu  de  l'analcime 
ou  zeolile  blanche,  que  Fcrrara  a  nommée  Cjclopite ,  sont  devenus 
plus  célèbres  chez  les  physiciens  qu'ils  ne  l'étaient  chez  les  érudits. 
M.  Brocchi  a  donné  une  description  nouvelle  et  encore  plus  détaillée 
des  mêmes  lieux  ;  il  y  examine  une  cave  qui  s'étend  à  deux  milles  de 
largeur.  Il  a  trouvé  dans  un  champ  contigu  l'atropa  mandragora , 
plante  qu'il  regarde  comme  indigène  dans  l'Italie  méridionale;  il 
fait  des  remarques  fort  ingénieuses  sur  la  formation  des  grandes  ca- 
vernes ,  qui  se  trouvent  dans  les  courans  de  lave  tombés  perpendi- 
culairement dans  la  mer.  Il  trouve  çà  et  là  des  traces  de  lave  qu'il 
rapporte  à  une  date  fort  ancienne.  Les  observations  faites  sur  les  îles 
des  Cyclopes  sont  encore  plus  curieuses,  surtout  par  rapport  à  l'anti- 
quité prodigieuse  qu'annoncent  des  laves  accumulées  près  d'Aci. 
{F'oy.  la  Bibliothèque  Italienne ,  n"  lix,  pag.  217). 

Véhose. — Publications  nouvelles- — Pharmacie. —  On  a  imprimé 
dans  cette  ville  une  traduction  du  Code  pharmaceutique  ,  publiée  à 
Paris  en  181S  par  la  faculté  de  médecine.  On  la  trouve  préférable, 
sous  tous  les  rapports,  à  celle  dePalerme,  qui  paraît  avoir  été  faite 
par  une  personne  peu  familière  avec  cette  science. 

RoMK. — Peinture. — Le  pape  vient  de  confier  à  plusieurs  artistes 
distingués  la  restauration  des  principaux  tableaux  qui  ornent  les 


EUROPE.  229 

églises  de  Rome.  La  direction  de  ce  travail  a  été  Confiée  au  chevalier 
Caumlcini. 

Beaux-arts.  —  Sculpture. —  M.  Canova  vient  de  ternniner  un  ou- 
vrage qu'on  dit  supérieur  à  tout  ce  qui  est  sorti  de  son  ciseau.  C'est 
un  groupe  de  deux  statues  colossales ,  dont  l'une  représente  Thèses 
tuant  un  centaure.  Le  héros  serre  de  la  main  gauche  le  cou  de  son 
ennemi,  dont  la  partie  humaine  lait  encore  quelques  efforts  inutiles 
contre  son  redoutable  vainqueur,  qui  soulève  de  sa  main  droite  la 
lourde  massue  de  Périphète.  Ce  groupe  est  destiné  pour  la  cour  im- 
périale de  Vienne. 

MiLAPf. — Gravure. — M.  le  chevalier  Longhi,  célèbre  graveur,  qui, 
comme  Morgen  et  Gandolfi  ,  a  suivi  la  méthode  de  Woolet,  a  publié, 
l'année  dernière,  une  gravure,  la  plus  grande  qui  ait  été  produite 
jusqu'ici.  Elle  représente  le  mariage  de  la  Sainte  Vierge,  de  Ra- 
phaël. Les  artistes  italiens,  tout  en  appréciant  ce  beau  travail,  sont 
loin  de  mettre  cette  gravure  au  même  rang  que  la  Transfiguration  ^^ax 
Morgen.  On  loue  surtout  les  têtes  du  prêtre,  de  saint  Joseph,  d'une  ser- 
vante, etc.  Une  autre  gravure,  quia  obtenu  un  plus  grand  succès  dans 
son  genre,  est  celle  de  VAinore  dorniienle,  exécutée  par  M.  Gandolfi. 
On  la  compare  à  V  Amour  de  Barlolozzi  pour  l'invention,  le  dessin  et  la 
grâce.  Le  même  artiste  s'occupe  à  graver  le  fameux  saint  Jérôme  du 
Corrège,  dont  on  a  déjà  fait  près  de  trente  gravures,  toutes  peu  dignes 
de  leur  modèle. 

PiÉMOJiT. — Turin. — Hommage  à  Alfieri. — Le  marquis  de  Brème, 
voulant  venger  la  mémoire  du  célèbre  Vittorio  Alfieri,  son  conci- 
toyen ,  avait  proposé,  il  y  a  quelque  tems ,  une  médaille  d'or,  repré- 
sentant l'image  de  ce  grand  poète,  pour  celui  des  Piémontais  qui 
aurait  le  mieux  démontré  dans  une  dissertation  le  mérite  des  pièces 
dramatiques  d' Alfieri.  La  médaille  fut  décernée  à  l'avocat  Gaetano 
Marré ,  qui ,  dans  une  savante  dissertation  ,  a  réfuté  complètement 
l'écrit  de  M.  le  professeur  Carmignagni  sur  le  même  sujet.  Le  mar- 
quis de  Brème  a  voulu  faire  encore  plus  ;  il  a  donné  des  médailles  en 
bronze,  frappées  d'après  le  même  modèle,  à  plusieurs  hommes  de 
lettres  qui  partagent  son  enthousiasme  pour  ce  grand  poète.  Une  de 
ces  médailles  a  été  envoyée  à  M.  Salfi ,  l'un  de  nos  collaborateurs  , 
auteur  de  l'article  sur  la  célébrité  d'Alfieri,  inséré  dans  le  T.  Vil, 
pag.  202. 

jSécrologie.  —  UeMaistrc.—  M.  le  comte  Josrph  de  Maislre,  miiiisfra 


230  EUROPE. 

d'état  du  roi  de  Sardaigne  ,  est  mort  à  Turin  ,  le  25  février  i8ai.  Ses 
Considérations  sur  la  France,  quoique  dominées  par  une  opinion  sys- 
tématique et  partiale  ,  offrent  une  supériorité  de  vues  et  une  profon- 
deur de  pensées  remarquable.  Son  livre  du  Pape,  publié  en  1819,  et 
dont  le  troisième  volume  doit  paraître  incessamment,  a  augmenté  sa 
réputation  ;  c'est  un  ouvrage  écrit  avec  talent,  quoique,  plus  qu'aucun 
de  ceux  de  l'auteur,  il  manque  de  justesse  et  d'impartialité.  On 
imprime  en  ce  moment  un  nouvel  ouvrage  de  î>I.  de  Maistre,  les  Soirées 
de  Sainl-Félersbûurg,  ou  Entretiens  sur  le  gouvernement  temporel 
de  la  Providence  j  ouvrage  que  ses  amis  regardent  comme  son  chef- 
d'œuvre.  11  formera  3  vol.  in-8». — M.  de  Maistre  avait  été  ministre 
plénipotentiaire  de  Sardaigne  à  Saint-Pétersbourg,  et  il  avait  les 
titres  de  ministre  d'état,  régent  de  la  grande  chancellerie,  membre 
de  l'académie  des  sciences  de  Turin  ,  chevalier  grand-croix  des 
ordres  de  S. -Maurice  et  S. -Lazare ,  etc. 

GRÈCE    ET    TVRQX'IE. 

A>DBi>-OPLK. — Instruction  publique. — Un  riche  marchand  de  cette 
ville  vient  d'y  fonder  depuis  peu  une   école  à  ses  frais. 

—  Athèîîes.  —  Lf école  de  celte  ville   continue  à  prospérer. 

—  BccnAKKST.  —  Le  lycée  de  cette  ville  fait  des  progrès  journaliers  ; 
il  a  l'avantage  de  po«séder  actuellement  qn  troisième  professeur,  qui 
a  fait  d'excellentes  études  en  Allemagne  et  en  France,  et  il  se  montre 
déjà  l'émule  de  l'école  de  Chios. 

M.  Stéphanos  Kanélos,  un  des  premiers  professeurs  de  ce  lycée, 
a  pronencé  ,  cette  année  (1821"),  devant  un  nombreux  auditoire  ,  un 
discours  énergique  adressé  aux  laborieux  élèves  qui  fréquentent  cet 
utile  établissement.  On  a  remarqué  dans  ce  discours  le  passage  sui- 
vant: «  Oui,  chers  cnfans  de  la  patrie  !  l'amour  du  bien  public  doit 
vous  animer  constamment  :  le  bien  public  sera  toujours  le  seul  but 
de  vos  études  et  de  tous  vos  efforts.  Vos  travaux  produiront  des 
fruits  salutaires.  La  patrie  vous  encourage  de  tous  ses  moyens  : 
rendez-vous  toujours  dignes  de  son  amour  maternel  et  de  ses  bril- 
lantes espérances.  Mais  que  dis-je  ?  Je  lis  sur  vos  fronts  l'expression 
de  vos  nobles  sentimcns ,  et  ma  joie  est  inexprimable,  etc.  »  Le 
discours  de  M.  Kanélos,  éciit  avec  chaleur  et  prononcé  avec  force , 
a  électrisé  toute  l'assemblte,  et  a  été  couvert  d'applaudissemens. 
Tous  les  boyars  faisaient  partie  ce  cette  réunion. 


EUROPE.  231 

—  Ciiios. —  M.  Baiijaqui  vient  de  faire,  à  l'école  de  Cliios,  un  nou- 
veau legs  qui  porte  la  totalité  de  ses  dons  à  plus  de  120,000  fr. 
Cette  augmentation  des  capitaux  de  l'école  a  mis  l'administration 
a  même  d'envoyer  deux  jeunes  gens  à  Paris  pour  y  perfectionner 
leurs  études  ;  on  espère  qu'il  va  en  être  envoyé  un  troisième  au 
célèbre  institut  de  M.  de  Fellenberg,  en  Suisse  ,  pour  s'occuper  par- 
ticulièrement dé  l'éducation  proprement  dite.  Si  l'inconstance  des 
événeniens  en  Turquie,  et ,  nous  osons  le  dire  ,  si  la  malveillance  de 
quelques  Européens,  indignes  d'appartenir  à  des  nations  civilisées, 
n'opposent  point  quelques  obstacles  imprévus  au  perfectionnement 
de  l'école  de  Chios ,  on  peut  se  flatter  dé  voir  bientôt  l'ile  de  Chios 
devenir;  dans  la  Grèce  moderne,  ce  qu'était  anciennement  la  ville 
de  Milet,  en  lonie.  La  traduction  de  la  Chimie  de  M.  2'hênard  est 
sous  presse;  on  peut  espérer  de  voir  bientôt  imprimer  dans  cette 
ville  celle  du  Cours  de  mailièrnatiques  de  M.  Francœur. 

— ■  CoNSTANTi?iorLE.  —  Ccttc  viUc  renferme  une  grande  école  et  dix 
écoles  inférieures,  peut-être  plus  actives  que  la  première.  —  On  a 
publié  récemment  ici  la  traduction  en  grec  moderne,  par  un  ecclé- 
siastique ,  de  la  cbimie  de  M.  Brugnateîli. 

—  CvDbiviE.  —  Le  digne  archevêque  d'Eplièse,  monseigneur  Dib- 
nysios,  a  consacré  lès  revenus  de  quelques  églises  de  Cydonie  aux 
besoins  de  l'école  de  cette  ville. 

— Epire'.^— Le  fléau  de  la  guerre  a  causéla  ruine  des  deux  anciennes 
écoles  de  Janina,  et,  ce  qui  est  plus  alliigeant  encore,  l'incendie 
des  deux  bibliothèques  de  cette  ville.  Cependant  les  habilans  d'urt 
canton  de  l'Epire  ,  les  Zagoriotes  ,  malgré  les  calamités  qui  ont  af- 
iligé  le  pays,  persévèrent  dans  la  résolution  d'établir  une  école  au 
milieu  de  leurs  montagnes,  et  viennent  défaire  passer  ir  l'un  de  leurs 
compatriotes,  à  Paris,  une  somme  d'argent  pour  acheter  des  livres. 

—  ^Iont-Péliox  [Thessalie  .  —  L'école  de  cette  ville  continue  ses 
traraux  avec  succès. 

— Smyrne. — La  fermeture  d'une  des  écoles,  amenée  par  quelques 
événemens  fâcheux ,  n'a  pas  diminué  le  zèle  des  Smyrniotes  pour 
le  perfectionnement  des  études.  L'ancienne  école  de  la  même  ville 
vient  de  s'enrichir  par  l'acquisition  de  M.  Benjamin  ,  ancien  profes- 
seur à  l'école  de  Cydonie,  daus  l' Asie-Mineure,  qui  a  fait  d'exciiUenles 
études  en  Italie  et  en  France,  et  qui  a  visité  aussi  l'Angleterre.  Oa 
vient  de  s'abonner,  pour  cette  école  ,    à  la  Renie  Encyclopédique , 


Zn  EUROPE. 

afin  de  se  tenir  au  courant  de  tout  ce  qui  se  fait  dans  le  monde  civi- 
lisé. Les  Smjmiotes  ont  aussi  établi  une  école  d'enseignement  mutuel , 
à  la  tète  de  laquelle  ils  ont  mis  un  maître  sorti  de  l'école  normale 
d'enseignement  mutuel  établie  à  Yassy,  capitale  de  la  Moldavie  ,  par 
MM.  Rosnovano  et  le  professeur  Cleobulos.  Ces  deux  honorables 
philantropes  continuent  toujours  avec  succès  leurs  utiles  travaux  ;  ils 
viennent  de  donner  des  certificats  à  dix  autres  maîtres,  qui  ont  subi 
leur  examen  dernièrement  à  Yassy.  Un  de  ces  nouveaux  maîtres  est 
destiné  pour  l'île  de  Candie. 

IiEs  Ioniennes.  —  f  rétendue  découverte  géographique. — M.  le  ca- 
pitaine G.  H.  Smith,  dans  une  lettre  adressée,  le  21  août  1820,  à  M.  le 
baron  de  Zach  ,  s'est  empressé  de  lui  donner  une  liste  des  îlots  dé- 
pendans  du  gouvernement  d'Ithaque,  dont  l'existence  était,  dit-il , 
entièrement  inconnue  des  géographes,  et  même  du  sénat  ionien. 
Les  noms  de  ces  îles  sont  :  ^rcudi ,  jitoco ,  Calamo ,  Castus ,  Ta- 
rachinico  ,  Mangelaria  ,  Fermecula  j  Profatuchi ,  Claronissi  ,  To- 
sia ,  Lambrino ,  Dragonara ,  Calogero ,  Filipo ,  Pistro  ,  Zacalonissi, 
Prouati,  Carlonissi  ,  Pondico  ,  Modi  ,  Uromana  ,  Maori,  Claro- 
nissi ,  Oxia.  Ces  îles  inconnues  pour  MM.  le  baron  Théotocki ,  prési- 
dent du  sénat  ionien  ,  le  baron  de  Zach  ,  le  haut  commissaire  britan- 
nique, sir  Maitland,  et  le  capitaine  Smith,  étaient  déjà  indiquées 
dans  plusieurs  cartes  géographiques  ,  telles  que  celles  du  Falma ,  de 
D.  Dionisio  Alcala  Paliano,  du  Péloponèse  par  Cantelio,  et  du  golfe 
de  Venise  et  de  la  Morée ,  par  Bellin.  On  trouve  aussi  une  longue 
dissertation  du  père  Coronelli ,  ainsi  qu'un  article  dans  l'Encyclopédie 
méthodique,  sur  les  Cunolaires.  Les  mêmes  îles  avaient  été  citées 
par  Pline  ,  Tacite  ,  Ovide  ,  Stiabon,  Plolomée,  etc.,  etc.  (^Voy.  Bi- 
bliothèque italienne ■,  n"  lxi  et  lxii  ,  page  200]. 

ESPAGNE. 

Madrid. — Médecine. — Pectirologe  du  docteur  Laennec. — On  a  fait 
un  grand  nombre  d'expériences  pour  vérifier  si  les  effets  an  pectirologe , 
inventé  par  le  docteur  Laennec ,  médecin  de  Paris  ,  sont  tels  que 
l'auteur  les  avait  annoncés  dans  l'ouvrage  qu'il  a  publié  à  Paris, sur 
ce  sujet.  Les  résultats  ont  été  aussi  satisfaisans  qu'il  est  possible ,  et  l'on 
a  reconnu  combien  est  précieux  cet  instrument,  au  moyen  duquel  les 
poumons  révèlent  en  quelque  sorte  au  médecin  l'état  dans  lequel  ils 
se  trouvent,  La  gazette  de  .Madrid  ajoute  qu'on  a  reconnu  dans  deux 


EUROPE.  233 

cadavres    disséqués    la  lésion  organique  du  poumon  ,  telle  qu'on  l'a- 
vait présumée  d'après  le  son  da pectirologe. 

— Médailleen  lave  du  Vésuve.  —  Les  corlès  ont  fait  placer 
dans  la  salle  de  leurs  séances  une  superbe  médaille ,  faite  de  lave 
ardente  du  Vésuve,  dont  le  savant  M,  Gimbernat  leur  a  fait  hom- 
mage, et  sur  laquelle  on  lit:  a  Alliance  du  trône  et  de  la  liberté, 
scellée  de  la  lave  ardente  du  Vésuve,  lo  mars  1820. —  J'ai  juré 
cette  constitution  ,  pour  laquelle  vous  soupiriez  :  Le  roi  à  la  patrie  , 
10  mars    1S20.  » 

PORTUGAL. 

LiSBOR»"»K.  ^^bolitition  de  la  peine  de  iiiorl.  —  Les  cortès  por- 
tugaises ont  prononcé  l'abolition  de  la  peine  de  mort.  Ainsi,  les 
publicistes  vont  être  à  même ,  par  cette  application  d'un  principe 
de  justice  et  d'humanité  si  long-tems  violé ,  d'apprécier  la  préten- 
due nécessité  de  cette  punition  si  terrible  et  anti-sociale,  que  notre 
état  actuel  de  civilisation  réprouve  ,  et  contre  laquelle  Beccaria  et 
un  grand  nombre  de  criminalistes  et  de  philosophes,  et,  en  France, 
l'infortuné  Condorcet,  se  sont  élevés  avec  tant  de  force.  11  est  digne 
de  la  nation  française  de  consacrer  par  une  disposition  législative 
cette  abolition  de  la  peine  de  mort ,  qui  serait  remplacée  utilement, 
pour  la  morale  publique  et  pour  la  société ,  par  V isolement  absolu., 
dans  une  prison  solitaire.,  des  criminels  qui  auraient  encouru  cette 
peine,  ainsi  qu'on  le  pratique  aux  Etats-Unis  d'Amérique.  Nous 
croyons  devoir  appeler  sur  cette  question  importante  l'attention  des 
législateurs,  des  publicistes  et  des  philosophes.  L'exécution  d'un 
homme  mis  à  mort  dans  nos  sociétés  modernes,  au  milieu  d'une 
foule  nombreuse  réunie  pour  assister  à  cet  affreux  spectacle,  n'est 
pas  sans  analogie  avec  ces  fêtes  barbares  de  quelques  peuples  sau- 
vages qui  tuent  leurs  prisonniers,  et  forment  un  grand  cercle  au- 
tour de  la   victime,  avant  de  l'immoler.  M.  A.  J. 

PAYS-BAS. 

Harlem. — Société  Teylérienne. — La  classe  théologique  de  cette 
société  a  eu  à  prononcer,  dans  le  mois  de  novembre  dernier, 
dans   le  concours  qu'elle  avait  ouvert  sur  cette  question: 

•  A  dater-de  la  Confession  à'iXç,  A' Augsbourc^ ,  quelle  influence 
cette  sorte  de  formulaire  de  foi  ou  de  livres  symboliques  a-t-elle 


23A  •  EUROPE. 

exercée  sur  les  études  de  théologie  ?  Jusqu'à  quel  point  cette  înflucnrn 
semble-l-elle  conseiller,  soit  l'abrogation  de  ces  formulaires  et  confes- 
sions, soit  un  nouveau  mode  à  établir  à  cet  égard?  et,  dans  le 
den  '"r  cas,   quelle  serait  !a  forme  à  adopter  de  préférence  ?» 

Dans  les  quatre  mémoires  hollandais  envoyés  au  concours,  la 
société  en  a  distingué  deux  ;  celui  numéroté  i  ,  et  portant  pour 
.devise  ces  paroles  de  PEvangile:  Tonte  plante  que  mon  père  céleste 
na  point  plantée ,  sera  déracinée  ,  et  celui  numéroté  4i  ayant  pour 
devise:  JIoc  fundamenlum  est  libertatis ,  ht"  fons  œquilatis. 
Mais  la  société  a  cru  devoir  se  borner  h  une  mention  honorable 
des  deux  mémoires;  elle  n'a  point  adjugé  de  prix.  Elle  propose  la 
question  suivante  pour  le  prochain  concours:  «Quelle-  est  l'origine, 
et  quel  a  été  le  développement  des  sociétés  bibliques  actuellement 
existantes  dans  les  diverses  contrées?  Quel  a  été,  sous  le  rapport 
de  la  religion  et  des  mœui*s,  le  résultat  de  la  propagation  du  code 
sacré  par  le  moyen  de  ces  sociétés,  soit  en  général  ,  soit  en  par- 
ticulier, parmi  les  nations  non-civilisées,  ou  parmi  celles  qui,  plus 
ou  moins  civilisées,  n'en  sont  pas  moins  étrangères  au  christia- 
nisme ?  Qu'est-ce  qu'on  peut  en  espérer  à  l'avenir  ?  Enûn ,  les  moyens 
adoptés  par  ces  sociétés  pour  atteindre  leur  but  sont-ils  les  meil- 
leurs, ou  serait-il  possible  d'en  employer  d'autres  qui  promissent 
plus  de  succès?» 

Le  prix  est  une  médaille  d'or  de  la  valeur  de  loo  florins  (Soo  fr.  )  : 
les  mémoires  écrits  en  hollandais,  en  latin  ,  en  français  ou  en  anglais, 
et  ne  faisant  connaître  le  nom  de  l'auteur  que  dans  un  billet  cacheté, 
doivent  rtrfe  adressés,  avant  le  premier  janvier  1822,  à  la  fonda- 
tion de  Jeu  Rerre-Teyler  van   liurst ,  à  Harlem. 

FRANCE. 

Somme. —  Amieks. — Isouveau  procédé  pour  rendre  les  étoffes  de 
coton  incombustibles. — Le  professeur  de  physique  de  l'académie  de 
cette  ville  a  découvert  qu'en  trempant  les  cotonnades,  avant  de  les 
repasser  ,  dans  une  dissolution  de  tartrile  de  potasse  et  de  soude 
{  sel  de  seignette),  elles  ne  peuvent  plus  s'enflammer.  Cette  prépa- 
ration,  qui  ne  change  rien  à  la  qualité  ni  à  la  couleur  des  étofles, 
peut  prévenir  des  accideus  qui,  depuis  quelque  tems  ,  ont  été  très- 
fréquens.  (  Voj'ez  Tom.  IX,  pag.  igS  etizoj.  ) 

AisxE.  —  SiiixT-QuKSTi.f .  —  Nouvelle  machine.  —  Un  fabricant    de 


EUROPE.  235 

cette  ville  vient  d'inventer  une  machine  très-ingénieuse  pour  l'étirage 
des  draps. 

IsÙRB. — GnENOBtE.  —  Facullè  de  droit. — Une  ordonnance  royale, 
du  2  avril,  supprime  ,  pour  des  motifs  politiques  ,  la  l'acuité  de  droit 
do  Grenoble.  Cette  ordonnance  laisse  pourtant  l'espoir  d'une  pro- 
chaine réorganisation. 

Aube. — Tkoyes. — Anûquilès. — M.  le  préfet  de  l'Aube  a  commu- 
niqué aux  personnes  qui  s'occupent  de  recherclies  sur  les  antiquités 
de  ce  département ,  les  mesures  prises  par  le  ministre  de  l'intérieur, 
pour  la  distribution  de  médailles  d'or  aux  auteurs  des  meilleui's  mé- 
moires sur  cet  objet.  A  cette  occasion ,  on  remarque  que  les  Romains 
ont  laissé  dans  l'Aube  peu  de  traces  de  leur  domination.  Il  ne  sub- 
siste même  plus,  du  gouvernement  des  anciens  comtes  de  Cham- 
pagne, que  la  distribution  des  eaux  dans  la  ville  de  Troyes,  précieux 
monument  de  leur  administration. 

Hékault. — Montpellier.  —  Un  tombeau  antique  a  été  découvert 
dans  une  des  propriétés  de  M.  Martin  de  Choisy,  auditeur  à  la  cour 
royale  de  INIontpcllier,   sur  le  chemin  qui  conduit  de  cette  ville  au 
village  de  Pérols.  Des  ouvriers,  occupés  à  travailler  dans  une. vigne, 
trouvèrent  des  fragmens  de  briques  et  d'ancienne  poterie,  et,  parmi 
ces  débris  ,  la  moitié  d'une  médaille  en  bronze  de  l'empereur  Claude. 
Elle  paraît  avoir  été  partagée  à  dessein.  On  y  distingue  très-aisément 
le  profil  de  ce  prince,  ainsi  que  ces  mots  :  x.  claudius  cies.  Au  revers, 
on  aperçoit  en  partie  une  figure  de  femme  et  ce  seul  mot  :  libertas. 
Ce  revers  est  connu  :  on  sait  que   la  légende  entière  est  liberlas  au- 
gusta,  et  que  le  type  est  une  femme  tenant  \q  pile  us  dans  la  main 
droite  ,  et,  aux  deux  côtés,  les  lettres  S.  C  — A  une  profondeur  de 
deux  pieds,  les  ouvriers  furent  arrêtés  par  une  pierre  ;   cette  pierre 
recouvrait  une  sorte  d'encaissement  d'environ  deux  pieds  en  carré 
et  de  plus  d'un  pied  de  profondeur;  il  était  formé  par  cinq  dalles, 
dont  les  quatre  premières  servaient  de  parois  et  la  cinquième  de  fond; 
elles  n'étaient  jointes  par  aucun  ciment.  On  trouva  dans  cet  encais- 
sement une  urne  de  verre,  d'une  teinte  un  peu  azurée  ;  elle  est  ronde, 
renflée  parle  haut  et  allant  en  se  rétrécissant  vers  le  bas,  qui  est  plat; 
elle  a  environ  un  pied  ;  sa  partie  supérieure   est  entière.   Elle  étai* 
remplie  de  cendres  mêlées  de  terre  et  de  quelques  petits  ossemens 
qui  semblaient  calcinés.  Autour  étaient  placés  un  assez  grand  nombre 
d'autres  vases  de  différentes  grandeurs  et  de  formes  variées.  Il  y  en 


236  EUROPE 

a  de  très-petits  et  comme  des  fioles,  de  très  alongés  ou  de  forme 
carrée,  avec  une  anse.  On  parle  d'autres  objets  encore  ,  tels  que  des 
vases  déterre,  des  lampes,  des  tiges  de  cuivre,  des  médailles  d'An- 
tonin,  etc.,  qui,  d'après  une  notice  écrite  par  M.  Sicard,  président  de 
la  commission  des  antiquités  de  l'Hérault,  ont  été  découvertes  dans 
le  même  tombeau. 

SOCIÉTÉS    SAVANTES    ET    d'uTILITÉ    PUBLIQUE. 

Caen  {Calvados). — Académie  royale  des  sciences,  arts  et  belles- 
lettres. — Séance  du  lo.  janvier.  Après  diflerens  rapports  qui  ne  ren- 
ferment aucun  fait  important,  le  secrétaire  présente.cinq  pièces  de 
poésie  envoyées  pour  concourir  au  prix  de  poésie,  proposé  à  la  der- 
nière séance  publique  de  l'académie  ,  intitulé  :  Le  deuil  de  la  ville 
de  Caen  sur  la  mort  du  duc  de  Berri.  Ces  pièces  sont  renvoyées  à  une 
commission. — M.  J.  S.  Smythe,  associé  correspondant,  adresse  à 
l'académie  une  liste  de  vingt  questions  numérotées ,  sur  un  vieillard 
âgé  de  cent  quarante-deux  ans,  qu'on  dit  existera  Vauville ,  près 
Cherbourg. 

— Séance  du  26  janvier. — Le  président  donne  lecture  d'une  lettre 
qu'il  a  reçue  de  M.  Cuvier,  de  l'institut  : 

«  Je  vous  prie  de  vouloir  bien  présenter  à  l'académie  l'expression 
de  ma  vive  reconnaissance  pour  le  service  qu'elle  m'a  rendu.  Le 
modèle  parfaitement  exécuté  du  crocodile  fossile  qu'elle  a  bien 
voulu  m'adresser  est  un  trop  beau  présent  pour  que  je  veuille  l'ac- 
cepter pour  moi;  mais  j'espère  qu'elle  me  permettra  de  le  déposer 
en  son  nom  au  cabinet  du  roi.  Ce  modèle  satisfait  d'ailleurs  à  tout 
ce  que  je  pouvais  désirer ,  et  il  ne  sera  point  nécessaire  de  déplacer 
le  morceau  original  :  d'autres  pièces ,  qui  m'ont  été  données  par  quel- 
ques persoHnes  zélées  pour  les  sciences  ,  m'instruisent  suÉBsamment 
de  ce  qu'on  pouvait  encore  découvrir  en  enlevant  un  peu  de  l'enve- 
loppe pierreuse  qui  incruste  les  vertèbres  :  il  est  certain  maintenant 
que  ce  crocodile  est  d'une  espèce  tout-à-fait  particulière ,  et  diffé- 
rente non  seulement  de  tous  les  crocodiles  vivans ,  mais  aussi  de  tous 
les  crocodiles  fossiles  qui  ont  été  découverts  jusqu'à  présent.  Le  seul 
qui  en  approche  est  celui  qui  a  été  déterré  près  de  Pappenheim ,  et 
qui  se  trouve  dans  le  cabinet  de  l'académie  royale  de  Bavière.  Lorsque 
j'aurai  terminé  le  mémoire  où  je  dois  en  exposer  les  caractères,  je 
me  ferai  un  devoir  d'en  faire  hommage  à  l'académie  de  Caen  ,  à  la- 


EUROPE.  557 

quelle  j'adresserai  aussi  les  modèles  en  plâtre  des  pièces  que  je  pos- 
sède, et  que  je  compte  placer  également  au  cabinet  du  roi  :  de  cette 
manière,  les  deux  collections  offriront  au  public  tout  ce  qui  sera 
nécessaire  pour  lui  donner  une  idée  complète  de  cette  espèce  cu- 
rieuse. J'ai  reçu  aussi  l'empreinte  du  poisson  (trouvé  en  Normandie)  , 
qui  était  jointe  à  celle  du  crocodile.  Sitùt  que  j'aurai  terminé  les 
comparaisons  nécessaires  pour  en  fixer  l'espèce,  j'aurai  l'honneur 
de  vous  l'aire  part  de  mes  résultats.  » 

M.  Pattu  lit  une  analyse  de  l'ouvrage  de  M.  Cachin,  relatif  aux 
travaux  de  laradede  Cherbourg.— M.  Lange  fait,  sur  les  crayons  de 
M.  Saint-Edme  Jobert,  un  rapport  dont  voici  un  extrait  :  c  Ces 
crayons  sont  faits  avec  un  schiste  argileux,  tendre  ,  doux  au  toucher, 
d'un  gris  blanchâtre,  jaunâtre  ou  rougeâtre  ;  se  montrant  en  bancs 
subordonnés  dans  la  formation  du  terrain  de  grès  rouge  qui  occupe 
une  partie  du  sol  de  la  Basse-Normandie.  Nous  avons  prié  MM.  de 
Page  et  de  Bayan,  directeurs  des  écoles  d'enseignemcDt  mutuel  de 
Caen,  de  faire  l'esai  des  crayons  ;  et  voici  les  résultats  qu'ils  nous  ont 
communiqués.  Ces  crayons  sont  plus  tendres  que  ceux  d'Allemao-ne 
dont  on  fait  usage;  ils  marquent  mieux  sur  l'ardoise,  même  lorsqu'elle 
est  humide,  soit  par  l'effet  de  l'haleine  des  élèves,  soit  par  l'effet  de  la 
température  ;  ils  l'usent  beaucoup  moins  ,  et  les  caractères  qu'ils  ont 
tracés  sont  plus  faciles  à  effacer  avec  la  main  ou  le  linge  :  ils  sont 
plus  aisés  à  tailler;  ce  qui  est  avantageux  pour  les  moniteurs  ,  ordi- 
nairement chargés  de  cette  opération.  En  se  servant  de  ces  crayons , 
les  élèves,  obligés  d'appuyer  et  d'élever  la  main  avec  plus  de  pré- 
caution, saisiront  mieux  et  plus  promptement  le  mécanisme' de  la 
pression  de  la  plume ,  si  nécessaire  pour  la  formation  des  pleins  et 
des  déliés;  et,  lorsqu'on  substituera  le  papier  à  l'ardoise  ,  ils  trouve- 
ront moins  de  difficulté  dans  ce  changement  que  s'ils  eussent  toujours 
fait  usage  des  autres  crayons.  Ceux  de  la  Normandie  peuvent  être 
considérés  comme  parfaits  sous  le  rapport  de  l'écriture  :  ils  durent  un 
peu  moins  que  les  autres  ;  mais  on  pourra  les  employer  un  peu  plus 
secs  pour  les  commençans,  ce  qui  ne  les  empêchera  pas  d'être  en- 
core préférables  aux  crayons  allemands.  Quant  à  la  différence  de 
durée,  elle  sera  compensée  par  le  prix.  Le  crayon  d'Allemao-ne, 
long  de  six  pouces ,  coûte  2  fr.  5o  centimes  le  cent.  Le  crayon  de 
M.  Jobert ,  long  de  trois  pouces ,  coûtera  i  fr.  ;  le  même ,  de  deux 
pouces  et  demi,  coûtera  1  fr.  le»  i5o  crayons.  . 


238  ELROPE. 

M.  de  Baudre  fait  un  rapport ,  au  nom  d'une  commission,  sur  les 
pièces  présentées  au  concours  pour  le  prix  de  poésie  dont  le  sujet  est  : 
«  Le  Deuil  da  la  ville  de  Caen  sur  la  mon  du  duc  de  Berri.  »  L'a- 
cadémie décerne  le  prix  à  la  pièce  do  poésie  qui  porte  pour  épi- 
graphe :  «  Ilonos  alil  arles.  »  (  ï.  IX,  pag.  463.  ) 

CoLMAR. —  (  Haut-Rhin).  —  Société  pocu  l'amélioratios  de  l'eît- 
SEiGAKiiK.NT  ÉLÉME.xT  '.IRE. — Lc  conscil  d'administration  de  cette  société 
a  entendu,  dans  sa  séance  du  3  avril,  le  rapport  fait  par  M.  Blelzger, 
l'un  de  ses  membres,  sur  le  livre  intitulé  :  J-'rincipes  généraux  de 
lecture  appliquée  simultanément  aux  langues  française  el  alle- 
Tnande,  par  A.  Jeanmougin.  Cet  ouvrage,  d'un  professeur  très-habile, 
est  le  fruit  de  plusieurs  années  de  réflexion.  Il  est  propre  à  bannir 
de  nos  campagnes  l'accent  désagréable  que  contractent  ceux  qui 
parlent  le  français  ,  car  c'est  surtout  à  la  prononciation  que  M.  Jean- 
mougin s'est  attaché.  Le  conseil  a  pensé  que  nul  autre  livre  n'était 
capable  de  répandre  aussi  promptement  la  connaissance  de  la  langue 
française,  et  qu'il  serait  d'une  égale  utilité  pour  les  méthodes  mu- 
tuelles, simultanées  et  individuelles.  En  conséquence,  il  a  été  arrêté 
que  la  société  ferait  l'acquisition  d'un  certain  nombre  d'exemplaires 
pour  l'usage  des  écoles  et  pour  les  pris  à  distribuer  aux  élèves.  Nous 
croyons  devoir  rappeler  que  cette  société  (dont  nous  avons  annoncé 
la  formation  (Tome  lY,  pag.  4o4)  est  composée  d'un  très-grand 
nombre  de  propriétaires,  de  fabricans  et  de  fonctionnaires  du  dé- 
partement du  Haut-Rhin,  et  qu'elle  emploie  ses  fonds  à  encourager 
les  instituteurs  par  des  primes;  h  entretenir  à  l'école  normale  de  Stras- 
bourg des  élèves  pauvres,  qui  prennent  l'engagement  d'enseigner 
pendant  cinq  ans  dans  les  écoles  primaires;  enfin,  à  pourvoir  ces 
mêmes  écoles  de  tous  les  objets  qui  leur  manquent.  Le  conseil  d'ad- 
ministration se  réunit  deux  fois  par  mois. 


IsSTiTDT. —  u4cadériie  royale  des  sciences.  M^bs  1821. — Séance 
du  5.  Au  nom  d'une  commission,  M.  Halle  lit  un  rapport  sur  un 
mémoire  de  MM.  Martinet  et  Parent-Duchâtekt  sur  Vinf.ammaiion 
de  l'arachnoïde  cérébrale  et  spinale. 

«  Nous  avons  remarque  dans  cet  ouvrage,  dit  en  terminant  M.  le 
rapporteur,  un  esprit  d'exactitude  et  de  précision  digne  de  louange,' 
et  qui  d'ailleurs  est  remarquable  dans  un  certain  nombre  de  disser-' 


Jl 


EUROPE.  239 

lations  publiées  depuis  quelques  années  par  de  jeunes  médecins, 
que  nos  écoles  modernes  ont  droit  de  se  glorifier  d'avoir  vus  naitn; 
dans  leur  sein,  et  se  former  sous  leur  iulluence.  Le  travail  dont  nous 
venons  de  donner  l'analyse  nous  parait  pouvoir  contribuer  à  per- 
l'ectionner  la  connaissance  et  le  diagnostic  souvent  bien  difficile 
il'une  maladie  très-importante  à  bien  caractériser,  et  par  conséquent 
à  assurer  le  siiccès  de  son  traitement.  Nous  pensons  que  cet  ouvragfe 
mérite  d'être  accueilli  par  l'académie  et  d'être  honoi'é  de  son  appro- 
bation. »  La  commission  du  prix  de  pbysique  sur  Vanatomie  com- 
parative du  cerfeuil  annonce  qu'elle  a  arrêté  à  l'unanimité  que  le 
prix  devait  être  décerné  à  M.  Serre  ,  médecin  de  l'hôpital  de  la  Pitié. 
—  M.  Diipin  présente  à  l'académie  le  Traité  de  mécaniçue  usuelle 
de  M.  Borgnis  ;  il  est  prié  lui-même  d'en  rendre  un  compte  verbal. 
M.   Clievreul  lit  un  mémoire  sur  la  saponification. 

— Du  12.—  M.  Prechtel,  directeur  de  l'institut  polytechnique  de 
Vienne,  adresse  à  l'académie  un  mémoire  intitulé:  Du  magnétisme 
transuersal  et  des  phénomènes  quien  dépendent  dans  le  fil  conjonctif 
de  la  pile  électrique.  A  cette  occasion,  M.  Ampère  communique  quel- 
ques observations  sur  le  même  sujet.  M.  Arago  présente  les  élémens 
de  la  comète  découverte  et  calculée  par  M.  Nicollet. — .Au  nom  d'une 
commission,  M,  Halle  lit  un  rapport  sur  un  mémoire  de  M.  Chomel, 
intitulé  :  Observations  sur  l'emploi  des  sulfates  de  quinine  et  de  cin- 
chonine.  Ce  rapport  finit  par  ces  expressions  :  «Nous  pensons  que  les 
efforts  de  ]M.  r'AorncZ  méritent  d'être  encouragés  par  l'approbation 
de  l'académie,  et  qu'il  convient  que  son  mémoire  ,  vu  l'importance 
des  résultats  qu'il  présente  ,  soit  imprimé  parmi  les  mémoires  des 
savans  étrangers  ,  en  y  joignant  toutelbis,  comme  complément  histo- 
rique ,  im  extrait  des  observations  déjà  publiées  sur  le  même  sujet 
par  M.  Double.  » — M.  Pfaff  est  nommé  correspondant  de  la  section 
de  géométrie,  à  la  place  de  M.  Gauss,  devenu  associé  étranger. — 
M.  Dupetit-Tbouarslit  une  réclamation. — M.  Dutrochet  continue  la 
lecture  du  mémoire  qu'il  avoit  commencé  dans  une  des  séances 
précédentes;  il  en  promet  la  suite. —  ]\L  Audouin  lit  des  observa- 
tions sur  les  appendices  copulateurs  mâles  des  insectes  ,  et  particu- 
liéi'ement  des  bourdons. 

Du  19. —  Au  nom  d'une  commission,  M.  Arago  lit  ini  rapport  sur 
un  ouvrage  de  M.  Vallée,  intitulé  :  Traité  de  la  science  du  dessin. 
t  Cet  ouvrage  ,  dit  M.  le  rapporteur,  nous  paraît  devoir  être  très- 
utile  aux  ingénieurs  civils  et  militaires,  aux  architectes,  aux  peintres, 


2A0  EUROPE. 

et  en  général  à  toutes  les  personnes  qui  cultivent  les  arts.  Nous 
proposons  conséquemment  à  l'académie  de  lui  donner  son  approba- 
tion. Le  recueil  des  planches  qui  accompagne  l'ouvrage ,  ajoute-t-il 
ailleurs,  a  été  fait  par  M.  Vallée  lui-même,  et  sera  un  véritable 
modèle  de  travail  graphique.  Des  données  heureusement  choisies, 
des  solutions  curieuses  et  inattendues  ,  les  constructions,  quelquefois 
assez  compliquées,  qui  les  ont  fournies,  se  groupent  toujours  ,  sans 
confusion,  dans  des  espaces  assez  resserrés.  Vos  commissaires  espèrent 
que  M.  Vallée  sera  assez  encouragé  dans  son  utile  entreprise  pour 
que  la  précieuse  collection  des  épures  soit  confiée  à  un  graveur  ca- 
pable d'en  faire  ressortir  tout  le  mérite. — L'académie  entend  les  rap- 
ports de  ses  diverses  commissions  des  prix,  pour  la  section  des  sciences 
physiques.  (  Voyez  ci-après  la  note  de  la  séance  publique  ). 

M.  Geoffroy  Saint-Hilaire  lit  des  observations  d'anatomie patho- 
logique sur  un  acéphale  humain,  éclaircissant  quelques  points  de 
r histoire  de  l'origine  des  nerfs,— M,  Dupin  présente  un  ouvrage  an- 
glais, intitulé:  Recherches  sur  les  moyens  qui  ont  été  pris  pour 
préserverla flotte  britannique  de  cette  espèce  de  dépérissement,  connu 
sous  le  nom  de  pourriture  sèche. — M.  Latreille  lit  un  mémoire  sur 
les  zodiaques  égyptiens  ,  et  M.  Gérardin,  de  nouvelles  observations 
sur  la  fièvre  jaune. — L'académie  entend  les  rapports  de  ses  com- 
missions des  prix  pour  la  section  des  sciences  mathématiques.  Voyez 
ci-après  la  note  de  la  séance  publique. 

— Séaisce  plbltqce  du  2  avril. — Voici  quel  a  été  l'ordre  des  lectures. 

L'un  des  secrétaires  perpétuels,  INL  Delambre  ,  a  ouvert  la 
séance  par  l'annonce  des  prix  décernés  durant  l'année  qui  vient  de 
s'écouler  et  des  prix  proposés  pour  l'année  prochaine.  —  M.  Biot  a  lu 
ensuite  une  analyse  historique  des  découvertes  faites  récemment  sur 
le  magnétisme,  ou  sur  les  phénomènes  de  l'aimantation.  M.  Ampère, 
qui  lui  a  succédé,  a  lu  pareillement  une  notice  sur  le  même  sujet, 
mais  considéré  sous  de  nouvelles  vues  (  elle  sera  insérée  dans  notre 
prochain  cahier).  La  séance  a  fini  par  l'éloge  de  M.Bancks,  prononcé 
par  M.  le  baron  Cuvier. 

Prixdécernés. — L'académie  avait  remis,  pour  la  troisième  fois,  au 
concours  cette  question  :  quels  sont  les  changemens  chimiques  qui 
s'opèrent  dans  les  fruits  pendant  la  maturation  et  au-delà  de  ce 
terme  ?  Les  concurrens  devaient ,  aux  termes  du  programme  :  i  "  faire 
l'analyse  des  fruits  aux  principales  époques  de  leur  accroissement  et 


EUROPE.  m 

de  leur  maturation ,   et  même  à  l'époque  de  leur  blessissement  et  de 
leur  pourriture;  2°  comparer  erttre  elles  la  nature  et  la  quantité  que 
les  fruits  contiendraient  à  ces  diverses  époques  ;  5»  examiner  avec 
soiu  l'influence  des  agens  extérieurs,  surtout  celle  de  l'air  qui  envi- 
ronne les  fruits  et  l'altération   qu'il  éprouve.  Les  observations  pou- 
vaient se  bornera  quelques  fruits  d'espèces  différentes,  pourvu  qu'il 
fût  possible  d'en  tirer  des  conséquences  assez  générales. — Trois  con- 
currens  se  sont  présentés;  une  mention  honorable  est  accordée  à  l'un 
d'eux,  M.  Couverschel ,  pharmacien  à  Paris,  et  le  prisa  été  décerné 
à  M.  Bérard  ,  correspondant  de  l'académie,  à  Montpellier.   Ce  n'est 
pas  ,  disent  MM.  les  commissaires  du  prix,   que  les  expériences  que 
rapporte  M.  Bérard  sur  les  changemens  survenus  dans  la  composition 
du  fruit ,  depuis  sa  naissance  jusqu'à  sa  maturation  et  à  son  bl.essisse- 
jnent,  soient  bien  concluantes  :  elles  laissent,  au  contraire,  beaucoup 
à  désirer  ;  elles  ne  sont  ni  assez  multipliées  ni  assez  précises  pour  que 
l'on  puisse  en  tirer  des  conséquences  générales  et  incontestables.  Mais 
celles  qu'il  a  faites,  en  examinant  l'influence  des  gaz  sur  la  matu- 
ration, sont   très-remarquables.  Il  a  vu  que  la  maturation  des  fruits 
ne  s'opérait  que  par  le  contact  de  l'air,  et  qu'alors  il  se  formait  du  gaz 
acide  carbonique  par  l'union  de  l'oxigcne  de  l'atmosphère  avec  le 
carbone  du  fruit,  de  sorte  qu'il  se  passe  alors  un  phénomène  opposé 
à  celui  que  présentent  les  feuilles  sous  l'influence  solaire.  Ainsi  ,  se- 
lon l'auteur,  le  résultat  de  l'action  des  fruits  sur  l'air,  tant  sous  l'in- 
fluence de  la  lumière  que  sous  celle  de  l'obscurité,  est  une  perte  de 
carbone  de  la  part  du  fruit.  Cette  perte  de  carbone  est  une  fonction 
indispensable  pour  que  la  maturation  s'opère;  car,  quand  le 'fruit  est 
plongé  dans  une  atmosphère  dépourvue  d'oxigène ,  cette  fonction  (  !a 
formation  d'acide  carbonique)  ne  pouvant  plus  s'exécuter,  la  matu- 
ration est  arrêtée  ;  et  si  le  fruit  reste  attaché  à  l'arbre  ,  il  se  dessèclie 
et  meurt.  11  résulte  de  là  qu'on  peut  retarder  la  maturation  des  fruits 
en  les  plaçant  dans  des  milieux  dépourvus  d'oxigène  ;    mais  ce  sé- 
jour ne  doit  pas  être  trop  prolongé  ,  sans  quoi  le  fruit  perdrait  la  fa- 
culté de  pouvoir  mûrir.  On  peut  encore  ,    en  suspendant   la  matu- 
ration ,  conserver  plus  ou  moins  les  fruits  ,  surtout  ceux  qui  n'ont  pas 
besoin  de  rester  attachés  à  l'arbre  pour  mftrir  ,  etc.,  etc. 

Le  prix  de  phj'sique  sur  l' anatomie  comparatlue  du  ccri/eau  a  été 
accordé  à  l'unanimité  à  M.  Serre,  médecin  de  l'hi^pital  de  la  Pitié  , 
«t  une  mention houorable  à  M.  C.  D.  Sommé,  I).  M. 

Tome  x.  16 


2A2  EUROPE. 

Le  prix  de  statistique  ,  fondé  par  feu  M.  de  Mont3'on  ,  écrivain  dis- 
tingué, grand  magistral  ^  philosophe  sincère  et  constant,  bienfaiteur 
des  sciences  ^stlon  les  propres  expressions  du  programme  de  l'académie, 
a  été  décerné  d'une  opinion  unanime  à  la  statistique  du  département  du 
Jjot,  ouvrage  manuscrit  de  M.  Delpon,  membre  du  conseil  général  du 
département.  Le  prix  était  double  cette  année.  On  a  distingué  parmi 
les  pièces  envoyéesau  concours  un  Essai  de  statistique  sur  le  départe- 
ment de  la  Loire,  dont  l'auteur  est  M.  Duplessy ,  sous-préfet  de  Nan- 
tua.  Cet  essai  a  paru  digne  d'une  mention  très-bonorable. 

Le  prix  annuel  de  pbysiologie  expérimentale  ,  également  fondé  par 
AL  de  Montyon  ,  a  été  partagé  entre  MM.  Dutrochet  et  Edwards  ; 
l'ouvrage  du  premier  a  pour  titre  :  Recherches  sur  V accroissement 
et  la  reproduction  des  végétaux  ;  celui  du  deuxième ,  de  l'influence 
des  agens  physiques  sur  les  animaux  vertébrés.  L'académie  a  dé- 
cerné l'accessit  à  un  ouvrage  allemand  imprimé  ,  de  MM.  Tiedeman 
et  Gemelin,5M/"  les  voies  que  prennent  dii-'erses  substances  pour  passer 
de  l'estomac  et  du  tube  intestinal  dans  le  sang ,  etc.  Elle  a  accordé 
une  mention  honorable  à  un  mémoire  de  M.  Magendie ,  sur  le  méca- 
nisme de  l'absorption  chez  les  animaux  à  sang  rouge  et  chaud  j  et 
un  témoignage  d'encouragement  à  un  mémoire  de  M.  Desmoulins, 
sur  l'étal  du  système  nerveux,  sous  ses  rapports  de  masse  et  de  vo- 
lume dans  le  marasme  non  senile. 

Le  prix  annuel  de  mécanique,  fondé  encore  par  M.  de  Montyon, 
en  faveur  de  celui  qui  s' en  sera  rendu  le  plus  digne,  en  inventant  ou 
perfectionnant  des  instrumens  utiles  aux  progrès  de  F  agriculture , 
des  arts  mécaniques  et  des  sciences  ,  n'a  point  été  décerné  cette 
année ,  et  en  conséquence  il  sera  cumulé  avec  celui  de  l'année 
prochaine. 

Enfin,  la  médaille  d'astronomie ,  fondée  par  M.  de  Lalande  ,  a  été 
accordée  à  MM.  Nicollet  et  Pons,  qui,  le  même  jour,  21  janvier 
1821 ,  et  presque  à  la  même  heure,  ont  découvert  une  comète  dans 
la  constellation  de  Pégase  ;  l'un  à  l'observatoire  royal  de  Paris ,  et 
l'autre  à  celui  de  Marlia,près  deLucques.  [Voy.  R.  E.,  T.  IX,  p.  ôSg). 

Prix  proposés.  —  Prix  annuel  de  statistique.  —  Parmi  les  ouvrages 
publiés  chaque  année  et  qui  ont  pour  objet  une  ou  plusieurs  questions 
relatives  à  la  statistique  de  la  France,  celui  qui  contient ,  au  jugement 
de  racadémie ,  les  recherches  les  plus  utiles ,  est  couronné.  On  con- 
.sidëre  comme  admis  à  ce  concours  les  mémoires  envoyés  en  manus- 


EUROPE.  2/4 

crits,  et  ceux  qui,  imprimés  et  publiés  dans  le  cours  de  l'année, 
sont  adressés  à  l'académie.  On  avertit  ceux  qui  voudraient  concourir 
pour  l'année  prochaine  que  les  mémoires  manuscrits  doivent  être 
remis  au  secrétariat  de  l'Institut ,  avant  le  i""  janvier  1822.  Ils 
peuvent  porter  le  nom  de  l'auteur,  ou  ce  nom  peut  être  écrit  dans 
un  billet  cacheté  joint  au  mémoire.  Quant  aux  ouvrages  imprimés , 
il  suffit  qu'ils  aient  été  publiés  dans  le  courant  de  l'année  1821,  et 
remis  avant  l'expiration  du  délai  indiqué.  Le  prix  est  une  médaille 
d'or  de  5oo  francs ,  et  sera  décerné  dans  la  séance  publique  de  mars 
1S22.  On  ne  peut  trop  engager  MM.  les  concurrens  à  méditer  les  ins- 
tructions consignées  dans  le  programme  de  l'académie. 

Prix  de  physique. — L'académie  propose,  pour  ce  prix,  de  déter- 
miner par  des  expériences  précises  quelles  sont  les  causes ,  soit  chi- 
miques .  soit  physiologiques  ,  de  la  chaleur  animale.  Elle  exige 
particulièrement  que  l'on  détermine  exactement  la  chaleur  émise 
par  un  animal  sain,  dans  un  tems  donné,  et  l'acide  carbonique 
qu'il  produit  dans  la  respiration  ;  et  que  l'on  compare  cette  cha- 
leur à  celle  que  produit  la  combustion  de  carhone ,  en  formant  la. 
même  quantité  d'acide  carbonique.  Le  prix  sera  une  médaille  d'or 
de  5,000  francs,  décernée  dans  la  séance  publique  do  l'année  1S23. 
Les  mémoires  devront  être  remis  au  secrétariat  de  l'Institut,  avant 
le  !«■■  janvier  iS23,  et  porter  chacun  une  épigraphe  ou  devise,  qui 
sera  répétée,  avec  le  nom  de  l'auteur,  dans  un  billet  cacheté  joint  au 
mémoire. 

—  Académie  française.  —  Séance  particulière  du  3  avril.  — 
M.  Auger  a  lu,  dans  cette  séance,  la  Vie  de  Molière,  et  M.  Lemontey, 
le  chapitre  VII  de  son  Histoire  critique  de  la  France,  depuis  la 
mort  de  Louis  XIV. 

— Séance  publiqce  annuelle  des  quatre  académies  (  24  avril  1821  ). 
—  Après  le  discours  d'ouverture  prononcé  par  M.  Walkenaer,  pré- 
sident, il  a  été  fait  lecture  de  l'annonce  du  prix  fondé  par  M.  le  comte 
de  VoLNEY  pour  encourager  et  simplifier  l'étude  des  langues  orien- 
tales. On  a  proclamé  ensuite  le  nom  de  l'auteur  qui  a  remporté  le 
prix  destiné  à  l'ouvrage  le  plus  utile  aux  mœurs  ;  c'est  M.  le  baroa 
de  Gérando,  membre  de  l'académie  royale  des  inscriptions  et  belles- 
lettres ,  auteur  de  l'ouvrage  intitulé.  Le  visiteur  du  pauvre,  dont 
nous  avons  rendu  compte  dans  la  Revue  (T.  VI ,  pag.  077  ).  L'aca- 
démie a  accordé,  à  titre  d'encouragement,  une  médaille  d'or  de  la 

16* 


2AA  EUROPE. 

valeur  de  trois  cents  francs  à  M.  Hugues  Milloi,  auteur  d'un  ou- 
vrage intitulé,  Damis  ou  r£ducation  du  cœur,  dont  nous  avons  éga 
lement  rendu  compte  (T.  VIII,  page  3-6).  M.  le  comte  Boissy 
d'Anglas,  de  l'académie  royale  des  inscriptions  et  belles-lettres ,  a  lu 
avec  chaleur  un  fragment  d'un  poème  intitulé  :  Bougiral  ou  les 
Souvenirs  f  renfermant  de  très-beanx  vers  et  un  hommage  touchant  à 
la  mémoire  de  Louis  XVI.  M.  Charles  JDupin,  de  l'académie  royale 
des  sciences ,  a  lu  ensuite  des  Considérations  pleines  d'intérêt  sur 
les  avantages  de  l'industrie  et  des  machines,  en  Angleterre  et  en 
France. 

Ce  discours  a  pour  but  de  prouver,  d'après  l'exemple  d'une  contrée 
célèbre  par  son  industrie,  et  que  l'auteur  a  spécialement  étudiée  dans 
ses  voyages,  cette  vérité  si  importante  et  malheureusement  aujour- 
d'hui trop  méconnue  parmi  nous  :  l'industrie  qui  féconde  le  travail,  et 
la  science  qui  sert  de  guide  à  l'industrie ,  sont  les  plus  sûrs  fonde- 
mens  de  la  puissance,  de  l'ordre  et  du  bonheur  publics.  A  l'appui 
de  cette  assertion,  l'orateur  nous  offre  le  tableau  touchant  et  sublime 
d'un  immense  empire  qui,  pendant  beaucoup  d'années,  avait  pour 
roi  un  vieillard  octogénaire  ,  privé  des  facultés  de  son  intelligence  et 
néanmoins  plus  révéré ,  plus  chéri  de  ses  sujets ,  que  des  monarque:* 
absolus  dans  toute  la  force  et  le  faste  de  leur  règne  ;  parce  que  ce 
prince,  aux  beaux  jours  de  son  règne ,  avait  été  le  véritable  ami  de 
son  peuple ,  et  qu'alors  il  se  plaisait  à  protéger  les  arts  utiles  et  les 
hommes  qui  les  cultivent.  A  ce  sujet,  M.  Oupin  rapporte  un  dia- 
logue piquant  entre  Georges  III  et  Boulton,  l'associé  du  célèbre 
Watt  dans  l'exécution  des  machines  à  vapeur:  machines  qui,  dit 
l'orateur ,  devaient  bientôt  contribuer  à  rendre  le  roi  de  la  Grande- 
Bretagne  un  des  monarques  les  plus  puissans  de  l'univers.  Pour 
donner  une  idée  du  pouvoir  des  machines  à  vapeur  de  l'Angleterre, 
M.  Dupin  se  demande  combien  il  faudrait  de  tems  à  ces  machines 
pour  transporter  un  poids  égal  à  celui  de  tous  les  matériaux  de  la 
grande  pyramide ,  élevés  du  fond  de  la  carrière  jusqu'à  la  position 
qu'ils  occupent  dans  les  différens  degrés  de  ce  haut  édifice.  Dix-huit 
heures  seulement  suffiraient  à  ce  travail  immense.  M.  Dupin  examine 
ensuite  s'il  est  vrai ,  comme  on  le  prétend ,  que  l'emploi  des  ma- 
chines ait  pour  résultat  nécessaire  d'accroître  le  nombre  de  pauvres; 
il  se  décide  pour  la  négative  ,  et  justifie  victorieusement  son  opinion 
par  l'exemple  des  diverses  nations  européennes,  et  surtout  par  celui 


EUROPE.  Ui 

de  la  Grande-Bretagne.  Il  fait  voir  que,  dans  cette  dernière  contrée, 
les  lois  qui  favorisent  l'oisiveté  et  qui  encouragent  la  multiplication 
de  la  classe  indigente,  et  les  lois  qui  favorisent  la  concentration  des 
propriétés  dans  un  petit  nombre  de  mains,  la  substitution  inalié- 
nable des  feudes  et  des  grands  majorats,rénormité  des  taxes,  les  res- 
trictions, les  prohibitions  et  les  privilèges,  sont  les  véritables  causes 
de  l'accroissement  effrayant  du  nombre  des  pauvres  en  Angleterre. 
— M.  Dupin  fait  voir  que  l'industrie,  par  ses  moyens  variés,  et  surtout 
par  l'emploi  des  machines ,  s'eirorce  avec  succès  de  remédier  à  ces 
maux  produits  par  les  institutions  les  plus  funestes.  Il  montre  com- 
bien le  seul  usage  de  la  machine  à  vapeur  a  donné  de  travail  et  d'ai- 
sance à  un  nombre  immense  d'artistes  et  d'ouvriers  de  toute  profes- 
sion.— L'auteur  termine  son  discours,  en  présentant  des  considérations 
générales  sur  les  progrès  et  les  bienfaits  de  l'industrie  ,  et  sur  les 
moyens  de  la  faire  fleurir  parmi  nous.  —  De  vifs  applaudissemens  ont 
souvent  interrompu  ce  discours,  où  l'auteur  avait  à  lutter,  parle» 
efforts  du  style ,  contre  un  sujet  naturellement  aride,  et  qui,  semblait 
peu  fait  pour  une  assemblée  qu'on  doit  croire  beaucoup  plus  sensible 
au  charme  des  beaux  vers,  qu'aux  austères  leçons  de  la  philosophie. 
—  Ainsi,  malgré  les  calomnies  de  l'étranger,  le  sexe  le  plus  léger 
d'une  nation  qu'on  s'obstine  à  représenter  comme  la  plus  légère  des 
nations ,  sait  porter  un  intérêt  profond  et  senti  à  toutes  les  vérités 
utiles,  au  bonheur  public  et  à  la  gloire  nationale. 

Après  M.  Charles  Dupin ,  M.  Guérik,  de  l'académie  royale  des 
beaux-arts ,  a  lu  de»  Réflexions  sur  une  des  opérations  disùnclives 
du  génie.  Il  a  commencé  par  réfuter  l'opinion  qui  prétend  attribuer 
le  génie  à  la  patience  ;  puis  il  a  établi  que  la  simplicité  est  l'attribut 
caractéristique  d  u  génie  en  tout  genre ,  et  il  a  appuyé  son  opinion  par 
une  analyse  ingénieuse  du  tableau  du  déluge ,  par  le  Poussin.  On  a 
beaucoup  regretté  que  la  faiblesse  d'organe  n'ait  pas  permis  de  le 
l)ien  entendre. 

M.  LEMEaciEB,  de  l'académie  française  ,  a  terminé  la  séance  par  la 
lecture  du  Tableau  des  L'gislalions  successii-'es  du  monde,  extrait 
de  son  poème  sur  Moïse.  On  y  a  reconnu  le  beau  talent  de  l'auteur,  qui 
a  mérité  de  nombreux  applaudissemens.  Nous  croyons  faire  plaisir  à 
nos  lecteurs,  en  leur  offrant  un  passage  de  cet  intéressant  tableau. 

Dit-u  du  ciel  !  qu'en  nos  jours  tu  rigiU'ur  soit  fléchie: 


2A6  EUROPE. 

Fais  succéder  l'aspect  de  nos  prospérités 
Aux  fastes  criminels  que  l'Ange  a  présentés. 
J'ai  vu  le  Fanatisme  armé  du  cimeterre  ; 
Les  deux  fronts  de  ce  monstre  épouvantent  la  terre  : 
La  Discorde  grava  ,  d'un  trait  ensanglanté ,  ' 
Sur  l'un  ,  religion  ;  sur  l'autre  ,  libertés 
Ah  i  que  du  monstre  aveugle  à  jamais  affranchie  , 
La  France  indépendante  écrase  l'Anarchie  l 
De  l'abjecte  licence  elle  a  fui  le  chaos , 
Du  despotisme  armé  repoussé  les  fléaux  ; 
Là,  mesuré  l'abîme,  où  l'altière  victoire 
Pousse  une  race  aux  fers ,  ivre  de  folle  gloire  ; 
Et  là  ,  le  gouffre  immonde ,  où  tombent  écrasés 
Les  hommes  s'agitant  sous  leurs  niveaux  brisés. 
Fille  de  la  Nature ,  immortelle  pensée  , 
Sous  le  chaume  et  le  dais  ta  lumière  est  lancée. 
La  simple  piété  dit  aux  cultes  jaloux  : 
«  Vos  autels  sont  divers  ,  et  Dieu  pareil  pour  tons.  » 
Entre  les  dogmes  saints  la  Tolérance  habite  ; 
De  cinq  âges  savans  l'âge  présent  hérite  ; 
Il  voit .  il  pense ,  il  juge ,  et  veut  qu'enfin  les  rois, 
Chefs  de  sujets  égaux,  soient  les  sujets  des  lois: 
De  la  foi  primitive  accomplissant  l'ouvrage , 
D'un  hémisphère  à  l'autre  il  détruit  l'esclavage. 
Trois  pouvoirs  sont  des  lois  l'organe  créateur. 
Et  l'état  de  lui-même  est  le  législateur. 
Des  leçons  du  passé  l'avenir  se  féconde  : 
Un  monde  rajeuni  sort  des  flancs  du  vieux  monde. 
J'entends  des  nations  l'irrésistible  vœu  : 
La  liberté  de  l'homme  est  un  décret  de  Dieu. 

■ — Société  d' encouragement  pour  l^  indus  trie  nationale. — Séance  du 
18  acril  1821 ,  présidence  de  M.  le  comte  Chapial. 

— M.  DB  GtBAKDO,  secrétaire  général,  fait  la  récapitulation  des 
travaux  du  conseil  d'administration,  dans  le  cours  de  cette  année  , 
et  des  progrès  de  l'industrie.  Il  examine,  sous  les  rapports  de  l'utilité 
générale  ,  le  système  de  douanes  établi  par  les  divers  gouvernemens. 
et  considère  les  prohibitions ,  d'une  part,  comme  un  moyen  de  pro- 


EUROPE.  2A7 

tection  pour  les  manufactures,  et,  de  l'autre,  comme  une  mesure 
qui  tend  à  rompre  tous  les  rapports  entre  les  nations  et  entre  les 
particuliers,  et  à  encourager  le  fléau  de  la  contrebande.  Il  fait  remar- 
quer qu'il  est  aussi  absurde  d'exiger  qu'un  peuple  ne  consomme  que 
ce  qu'il  produit ,  qu'il  l'est  de  consommer  sans  rien  produire.  La 
richesse  d'une  nation  ne  se  compose  pas  de  la  misère  des  autres  ;  et, 
lorsque  les  relations  sont  bien  entendues,  chacune  a  part  à  l'aisance 
de  ses  voisines.  La  France,  par  sa  position  géographique,  recueillera 
toujours  les  premiers  fruits  de  l'abondance  générale;  elle  est,  par 
cela  même,  la  première  intéressée  à  une  harmonie  constante,  à  des 
relations  fondées  sur  une  heureuse  émulation,  et  à  ce  que  le  juste 
équilibre  commercial  ne  soit  détruit  par  aucune  domination  d'un 
état  sur  les  autres,  quelque  part  qu'en  soit  le  siège. 

Outre  les  personnes  qui  doivent  être  récompensées  par  des  mé- 
dailles d'encouragement,  M.  de  Gérando  fait  connaître  celles  qui 
se  sont  distinguées  par  d'heureuses  tentatives,  ou  des  succès  moins 
importans  :  MM.  Molard  frères  ,  pour  leurs  fabriques  d'instrumens 
aratoires  perfectionnés;  MM.  De  Laslejrie  et  Te  maux ,  pour  leurs 
travaux  relatifs  à  la  conservation  des  grains;  M.  Dartigues ,  pour 
la  culture  des  plantes  propres  à  fournir  de  la  potasse ,  et  pour  un 
nouveau  mécanisme  qu'il  nomme  balancier  hydraulique;  INL  Ber- 
nadac ,  pour  son  aciérie  établie  dans  les  Pyrénées  orientales; 
MM.  Vallot  etJJery,  pour  le  moirage  des  feuilles  d'étain  ;  MM.  Gail- 
lard et  Perrin,  pour  leur  fabrique  de  toiles  métalliques  ;  M.  Souillarde 
pour  l'invention  d'une  substance  propre  à  mouler  les  statues  et  les 
crnemens,  et  qui  est  susceptible  d'acquérir  une  très-grande  dureté; 
M.  De  Kalcour ,  pour  un  mémoire  intéressant  sur  les  machines  à 
vapeur  à  haute  pression  :  M.  Bresson,  pour  la  construction  de  l'un 
de  ces  appareils;  M.  Legrand,  pour  sa  machine  à  broyer  le  chocolat 
M.  Favereau ,  pour  un  métier  à  faire  des  tricots  sans  envers 
"^l.  Boucher ,  pour  une  \.i'cs-]o\iç.  niachine  propre  à  la  perspective 
MM.  Jomard  et  Collardcau ,  pour  des  règles  à  calculer  construites 
par  M.  Lenoir  ;  M.  Gluck,  de  Mulhausen,  pour  un  moyen  très-utile 
de  rompre  les  glaces  et  d'empocher  les  ravages  de  la  débâcle. 

Après  des  rapports  de  M.  Beillat-Savarin  sur  la  situation  finan- 
cière de  la  société,  et  de  M.  le  duc  de  la  Rochefodcault  sur  la  cen- 
sure  des    opérations   du  conseil,   M.  de  Gébaî(do  communique  un 


3A8  EUROPE. 

éloge  funèbre  de  l'cslimahlc  M.  Scipios  Pkbibr,    qu'une  mort  pré- 
maturée vient  d'enlever  aux  arts,  qu'il  aimait  et  protégeait. 

M.  Fhakcceuh  fait  connaître  au  conseil  les  motifs  sur  lesquels  le 
conseil  s'est  fondé  pour  accorder  des  médailles  h  divers  fabricans  ;  . 
ces  artistes  se  présentent  successivement  pour  recevoir  cette  récom- 
pense ,  et  recueillir  les  témoignages  de  satisfaction  de  l'assemblée. 
Une  médaille  d'or  est  accordée  à  M.  Pradier,  pour  sa  double 
fabrication  d'objets  en  nacre  de  perle  et  de  rasoirs  ;  ces  rasoirs  sont 
d'une  qualité  qui  égale  au  moins  celle  des  meilleures  fabriques  ;  ils 
sont  livrés  au  commerce  à  très-bas  prix,  et  au  nombre  de  quatre 
mille  par  mois  :  ces  instrumens  sont  construits  avec  un  soin  par- 
ticulier et  sont  identiques,  sous  les  rapports  de  la  forme  et  de  la 
trempe.  (  Tom.  VIII  ,  pag.  644-)  C'est  dans  deux  maisons  de  déten- 
tion que  M.  Pradierconfectionne  ses  ouvrages  en  nacre,  qui  sont  d'une 
délicatesse  et  d'une  élégance  parfaites. 

Six  médailles  d'argent  sont  accordées  :  i'  h  MM.  Roui  et  Berlhier, 
pour  leur  utile  fabrique  de  dés  à  coudre ,  qui  sont  très-bien  exécutés 
et  livrés  à  très-bas  prix;  2"  à  madame  De  Grand-Gurget ,  de  Mar- 
seille, pour  ses  beaux  ouvrages  en  acier,  et  particulièrement  ses  lames 
damassées  ;  ù°  à  M.  Jaeger  Schinidt ,  pour  avoir  importé  divers  pro- 
cédés intéressans  dans  la  fabrication  des  faux  ;  4°  à  M.  Dilh ,  pour 
les  applications  d'un  mastic  dur  et  imperméable  à  l'eau,  d'une  ma- 
nière nouvelle  et  très-avantageuse  ;  5»  à  M.  Lousteau ,  pour  ses 
cbapeaux  d'étofl'e  et  sa  fabrique  de  schakos ,  maintenant  adoptés 
pour  le  service  de  notre  infanterie  ;  6»  à  M.  Saulnier,  pour  les  belles 
machines  à  vapeur  qu'il  a  construites  et  où  il  a  introduit  divers  per- 
fectionnemens  intéressans. 

Deux  mentions  honorables  sont  accordées  à  MM.  Sennejelder  et 
Hngelmann  ,  pour  leurs  inventions  en  lithographie. 

Le  reste  de  la  séance  est  employé  à  procéder  aux  élections  des 
membres  du  conseil  d'administration ,  et  à  passer  en  revue  les  pro- 
duits remarquables  que  divers  fabricans  présentent  à  l'assemblée. 
M.  Dieiz,  auteur  du  f/ûz/Aarpe,  fait  entendre  ce  bel  instrument, 
dont  on  joue  à  l'aide  d'un  clavier  pareil  à  celui  du  forte -piano, 
et  dont  les  sons  harmonieux  tiennent  de  ceux  de  la  harpe.  Il  ne  faut, 
pour  jouer  du  clariharpe,  aucune  étude  particulière  ;  et  tout  pianiste 
peut,  de  suite,  exécuter  un  morceau,  comme  s'il  touchait  un  piano. 
Plusieurs  pédales,  habilement  disposées,  modifient  les  sons  au  gré 


EUrxOPE.  2/19 

«ie  l'artisle,  et  donnent  à  cet  instrument  une  douceur,  une   grâce 
et  une  vigueur  particulières. 

— Société  èlahlie  à  Paris  pour  l'avièlioration  de  l'enseignement  élé- 
mentaire. Séance  générale  annuelle  du  i-x  mars  18-21. 

M.  le  duc  DE  DonDEAuviLLE,  président  honoraire,  et  M.  lo  duc  dk 
LA  Vaogdïon,  président  actuel,  prononcent  chacun  un  discours  sur 
les  succès  obtenus  dans  l'instruction  primaire,  et  expriment  l'intérêt 
qu'inspire  à  tous  les  gens  de  bien  l'établissement  de  l'enseignement 
mutuel  dans  toutes  les  régions  de  la  terre. 

M.  Qai ,  invalide,  âgé  de  vingt-huit  ans,  quoique  privé  du  bras 
droit,  ne  sachant  d'ailleurs  pas  lire,  a  été  mis  en  état,  après  deux 
mois,  de  bien  lire  et  écrire,  par  M.  Delahaye ,  instituteur  d'une 
école  mutuelle  située  dans  l'île  Saint-Louis  ;  un  fac-similé  de  l'écri- 
ture de  M.  Gai  est  rendu  public  par  la  voie  de  la  lithographie. 

M.  JoMABD ,  dans  un  rapport  très-étendu ,  expose  au  conseil  l'état 
actuel  de  l'enseignement  mutuel  en  France  et  dans  l'étranger;  en- 
viron i55o  écoles  sont  en  activité  en  France,  nombre  qui  excède  de 
plus  de  200  celui  qui  existait,  il  y  a  un  an  ;  170,000  élèves  y  reroi- 
rent  l'instruction.  Lé  rapport  est  divisé  en  trois  parties  :  l'exposé 
de  l'état  de  nos  écoles,  celui  des  travaux  du  conseil  d'administration 
en  1820,  et  la  correspondance  étrangère. 

Dans  la  première  partie,  le  rapporteur  donne  connaissance  des 
progrès  des  élèves,  de  l'accroissement  des  écoles  et  de  la  marche  de 
l'enseignement  :  un  tableau  figuré  rend  sensible  aux  yeux  les  divers 
résultats  que  présentent  ces  intéressantes  comparaisons.  M.  Jomard 
annonce  que  le  Roi  a  fondé  une  école  à  Domrémy  ,  en  l'honneur  de 
Jeanne  d'Arc,  que  S.  Exe.  le  ministre  de  l'intérieur  a  encouragé  cent 
écoles  mutuelles,  durant  l'année  1820,  et  placé  deux  élèves  de  l'école- 
modèle  de  Paris  à  l'école  des  arts  et  métiers  :  que  l'école  normale 
a  fourni,  depuis  sa  fondation,  5 1 2  maîtres,  parmi  lesquels  on  remarque 
24  étrangers. 

La  seconde  partie,  qui  a  pour  objet  les  travaux  du  conseil  d'ad- 
ministration ,  annonce  qu'un  bulletin  a  été  créé  pour  fournir,  chaque 
mois,  gratuitement,  à  tous  les  souscripteurs  ,  aux  correspondans  et 
aux  maîtres,  une  connaissance  précise  des  opérations  et  des  amélio- 
rations ordonnées.  Le  comité  des  litres  a  augmenté  la  liste  des  ou- 
vrages qui  doivent  former  la  bibliothèque  populaire  des  écoles  Le 
cvmité  d'économie  a   indiqué  des  crayons  moins   dispendieux.  La 


250  EUROPE. 

comité  des  méthodes  et  les  commissions  spéciales  ont  fait  adopter 
des  tableaux  de  grammaire,  un  Traité  complet  d'arithmétique  et 
une  nouvelle  méthode  de  chant  :  ces  travaux  sont  maintenant  livrés 
à  l'impression. 

Enfin  ,  les  écoles  étrangères  se  multiplient  rapidement ,  non  seu- 
lement dans  les  diverses  contrées  de  l'Europe,  mais  même  dans 
toutes  les  parties  du  monde.  On  possède  maintenant  des  tableaux  de 
lectures  composés  en  douze  langues  différentes. 

JM.  JoMAHD  annonce  que  le  jeune  prince  de  Madagascar,  qui  est 
présent  à  la  séance ,  a  achevé  en  moins  d'un  an  son  cours  d'ins- 
truction élémentaire,  chez  M.  Morin,'et  qu'il  se  dispose  à  retourner 
dans  sa  patrie. 

M.  DE  Gérando  communique  un  rapport  sur  les  avantages  et 
les  progrès  de   l'enseignement  mutuel. 

L'assemblée  ordonne  que  la  place  d'instituteur  de  l'école  Gau- 
thier soit  donnée  par  la  voie  du  concours.  Elle  décerne  52  mé- 
dailles de  première  classe,  16  de  seconde,  et  -4  mentions  hono- 
rables à  divers  instituteurs  qui  se  sont  rendus  dignes  de  ces  dis- 
tinctions :  M.  TFilhem,  auteur  d'une  nouvelle  méthode  pour  appli- 
quer l'enseignement  mutuel  à  la  musique;  M.  Badoureau ,  habile 
directeur  de  l'école-modèle  de  la  préfecture  de  la  Seine ,  M  Drach , 
rabbin,  instituteur  à  l'école  des  israélites;  M.  Groult  à  Versailles, 
M.  Lemaire  à  la  Villette,  M.  Frèjacques  à  Libourne  ;  M.  Raymond 
à  Saint-Brieuc,  etc. ,  sont  proclamés  par  le  président. 

M.  Jlllien,  de  Paris,  fait,  au  nom  du  comité  des  livres,  un 
rapport  sur  divers  ouvrages  que  la  société  a  honorés  de  son  appro- 
bation. 

Le  reste  de  la  séance  est  employé  au  compte  rendu  de  la  situation 
delà  caisse,  aux  élections  des  membres  du  conseil  d'administra- 
tion et  à  voter  des  remercîmens  à  Son  Exe.  le  Ministre  de  l'inté- 
rieur, à  M.  le  duc  de  la  Vauguyon,  ancien  président,  aux  préfets  des 
départemens,  et  particulièrement  à  celui  de  la  Seine,  à  M.  le  duc 
d' Albulfera ,  aux  fondateurs  et  aux  sociétés  d'enseignement  mutuel  ; 
enfin,  au  fondateur  anonyme  d'un  prix  que  l'académie  française 
doit  décerner  au  meilleur  poème  sur  les  avantages  de  ce  nouveau 
mode  d'instruction,  FHANcœDH. 


EUROPE.  251 

Phares.  —  Le  1 5  avril,  la  commission  des  phares  a  fait ,  en  pré- 
sence de  M.  le  directeur  général  des  ponts  et  chaussées,  de  plu- 
sieurs membres  du  bureau  des  longitudes  et  de  l'académie  des 
sciences,  et  d'officiers  de  marine  et  d'ingénieurs,  une  expérience  com- 
parative sur  les  effets  de  lumière  produits  par  les  plus  grands  ré- 
flecteurs paraboliques  employés  jusqu'à  présent  dans  les  phares  de 
France ,  et  la  lumière  produite  par  une  grande  lentille  à  échelons , 
analogue  à  celle  de  BufTon,  mais  construite  par  un  procédé  nouveau. 
L'éclat  de  la  lentille  a  été  très-supérieur  à  celui  de  ces  deux  réûec- 
teurs  réunis.  M.  le  directeur  général  s'est  empressé  d'accueillir  et 
d'encourager  ce  nouveau  moyen  d'éclairer  nos  côtes ,  sur  lesquelles 
on  doit  espérer  de  le  voir  bientôt  mis  en  usage. 

Eclairage  par  le  gaz.  —  L'appareil  établi  au  Luxembourg  par 
MM.  PauTvel,  fournit  un  très-beau  gaz,  résultant  de  la  distillation  du 
charbon  de  terre,  mêlé  avec  le  carbonate  de  chaux  fpierre  à  chaux),  et 
dont  la  lumière  est  très-pure  et  très-vive.  Déjà  le  palais  des  pairs,  le  pé- 
ristyle de  l'Odéon,  un  café  de  la  rue  de  Vaugirard,  et  un  restaurantplacé 
à  l'angle  de  la  rue  de  Tournon  et  de  la  rue  de  Vaugirard ,  sont  éclairés 
par  cetappareil.  Ce  dernier  établissement  donne  par  jour  pour  chaque 
bec  25  c.  en  hiver  ,  et  i5  c.  en  été  ,  terme  moyen  20  c. ,  sans  aucun 
frais  d'entretien  ;  tandis  que  chaque  bec  à  l'huile  coûterait  de  25  à  5oc. 
au  moins  ,  puisque  l'on  compte  ordinairement  5  c.  par  heure  ,  et 
que,  dans  les  théâtres,  où  il  y  a  moins  d'économie  que  chez  les  par- 
ticuliers, la  dépense  va  jusqu'à  7  c.  Si  l'on  considère ,  en  outre,  que 
le  gaz  éclaire  beaucoup  mieux  que  l'huile  ;  qu'en  employant  cette 
dernière  substance,  l'entietien  des  lampes  est  très-coûteux;  que 
beaucoup  d'objets  sont  tachés;  que  les  plafonds  et  les  tentures  sont 
promptement  noircis  par  la  fumée  ,  on  n'aura  plus  de  doute  sur  les 
avantages  que  présente  le  nouvel  éclairage  (  Voyez  T.  VIII,  p.  212, 
et  T.  IX,  p.  627). 

— La  nouvelle  salle  d'ojiéra{Voyez  l'article  ci-après)  sera  entièrement 
éclairée  de  cette  manière  ;  et  ce  sera  un  nouvel  objet  de  comparaison 
pour  les  partisans  etpourles  antagonistes  du  gaz.  L'appareil  construit  à 
Montmartre  a  été  fait  avec  beaucoup  de  soin ,  et  d'après  les  mêmes 
principes  que  celui  de  l'hôpital  Saint-Louis.  Les  rues  et  les  maisons 
qui  se  trouvent  dans  la  direction  du  tuyau  de  conduite  pourront 
ftre  éclairées  comme  le  théâtre;  déjà  même  plusieurs  becs  sont  dis- 
posés à  cet  effet,  sur  les  boulevards ,  à  l'cntiéc  des  rues  Montmartre 
et  du  faubourg  Montmartre. 


252  EUROPE. 

yiiisainissement  des  théâtres.— Dts  exemples  récens  d'évanouissc- 
mens  dans  les  salles  de  spectacle  ont  déterminé  le  ministre  d'état, 
préfet  de  police  ,  à  former  une  commission  composée  de  médecins  , 
de  savans  et  d'arlistes  ,  chargée  de  chercher  et  d'indiquer  les  meil- 
leurs moyens  d'assainir  les  théâtres.  Cette  commission,  prise  dans  le 
sein  du  conseil  de  salubrité,  a  demandé  l'adjonction  de  quelques 
artistes  habiles,  et  s'est  occupée  d'abord  de  l'examen  de  toutes  les 
salles  existantes.  Elle  a  fait  lever  les  plans  de  celles  de  Londres  ;  elle 
les  a  comparées  à  celles  d'Italie  et  d'Allemagne  ,  et  s'est  procuré  tous 
les  documens  qui  lui  étaient  nécessaires  ;  elle  a  fait  ensuite  ,  et  parti- 
culièrement pendant  les  représentations  gratuites,  des  expériences 
eudiométriques,  thermométriques  et  hygrométriques  à  l'Opéra,  à 
Feydeau,  au  Théâtre-Français,  au  Vaudeville;  il  en  est  résulté  :  i"  que 
l'air  pris  dans  la  salle  est  aussi  pur  chimiquement  que  celui  qu'on 
respire  sur  les  quais,  résultat  déjà  connu;  2"  que  l'air  contient  moins 
d'eau  qu'avant  et  après  la  représentation,  à  cause  de  l'excessive  éléva- 
tion de  la  température ,  et  que  c'est  probablement  à  cette  sécheresse 
de  l'air  qu'on  doit  attribuer  la  gêne  que  la  respiration  éprouve  ,  et  les 
suffocations  qui  en  sont  souvent  la  suite.  Des  mémoires  et  des  projets- 
ont  été  adressés  à  la  commission,  elle  les  a  examinés;  elle  a  choisi 
partout  ce  qu'elle  a  reconnu  de  meilleur ,  et  elle  a  adopté  un  système 
complet  de  chauffage  et  de  ventilation  qui ,  appliqué  aux  différentes 
salles,  doit  assurer  leur  salubrité. 

L'architecte,  chargé  des  travaux  de  l'Opéra,  a  pris  toutes  les  dis- 
positions nécessaires  pour  établir,  dans  la  nouvelle  salle  ,  une  venti- 
lation parfaite,  et  en  faire  un  théâtre-modèle  sous  ce  rapport.  Des 
calorifères,  convenablement  placés,  élèveront^  d'une  manière  uni- 
forme et  méthodique,  la  température  des  vestibules ,  des  escaliers, 
des  corridors  et  des  foyers  ;  c'est  cet  air,  ainsi  tempéré  ,  qui  renou- 
vellera celui  de  la  salle,  à  mesure  que  l'air  vicié  sera  enlevé  par  les 
ventilateurs,  placés  dans  les  combles.  L'appareil  qui  doit  fournir 
l'air  chaud  en  hiver  fournira  en  été  de  l'air  froid,  pris  dans  les  caves. 
Le  même  système  de  ventilation  sera  établi  pour  le  théâtre  qui ,  par 
excès  de  précaution ,  ne  sera  chauffé  que  par  de  la  vapeur  d'eau.  Il  y 
aura  dans  le  foyer  un  chemin  sous  lequel  passera  un  conduit  de  cette 
vapeur  d'eau  qui  servirai»  tenir  chauds  les  pieds  des  promeneurs;  des 
plaques,  placées  devant  les  statues,  procureront  ce  même  avantage  à 
ceux  qui  voudront  s'arrêter.  Enfin,  si  la  nature  du  spectacle  exige  que 
l'on  brille  sur  la  scène  de  la  poudre  ,    des  pièces  d'artifice  )  etc. ,  des 


EUROPE.  253 

venlilateurs  sont  disposés,  pour  que  l'odeur  et  la  fumée  ne  puissent 
jamais  pénétrer  dans  la  salle. 

Il  est  probable  que  le  rapport  général  de  la  commission  sera  publié  , 
avec  des  plans  et  des  dessins  à  l'appui;  nous  pourrons  alors  revenir 
sur  ce  sujet ,   en  raison  de  son  importance. 

Instruction  pablique. — École  des  dtarlres,  établie  par  ordonnance 
du  Roi ,  du  1-y. février. — Art.  i"".  Il  y  aura  à  Paris  une  école  des 
Chartres,  dont  les  élèves  recevront  un  traitement.  2.  Les  élèves  de 
l'école  des  Chartres  ne  pourront  excéder  le  nombre  de  douze.  Ils 
seront  nommés  par  le  ministre  de  l'intérieur,  parmi  des  jeunes  gens 
de  vingt  à  vingt-cinq  ans,  sur  une  liste  double  qui  sera  présentée 
par  l'académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  3.  On  apprendra  aux 
élèves  de  l'école  des  chartres  à  lire  les  divers  manuscrits  et  à  expli- 
quer les  dialectes  français  du  moyen  âge.  4-  Les  élèves  seront  dirigés, 
dans  cette  étude  ,  par  deux  professeurs  choisis  par  le  ministre  de 
l'intérieur,  l'un  au  dépôt  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  royale, 
l'autre  au  dépôt  des  archives  du  royaume.  5.  Les  professeurs  et  les 
élèves  de  l'école  des  chartres  sont  sous  l'autorité  du  conservateur 
des  manuscrits  du  moyen  âge  de  la  bibliothèque  royale  ,  et  sous  celle 
du  garde  général  des  archives  du  royaume. 

— La  niélhode pour  l'enseignement  des  langues ,  de  M.  Ordinaire , 
recteur  de  l'académie  de  Besançon  (Tom.  VIII,pag.  554,etTom.  IX, 
pag.  2i5  ) ,  est  en  activité  depuis  plusieurs  mois  dans  l'institution  de 
M.  Muron ,  rue  de  la  Pépinière  ,  n»  47»  où  elle  obtient  un  succès 
complet;  M.  Morin  ,  rue  Louis-le-Grand ,  et  I\l.  A.  Lemoine,  qui  a 
transféré  ,  rue  Notre-Dame-des-Champs ,  n»  2  ,  son  élablissehient  de 
l'avenue  des  Champs-Elysées,  se  proposent  d'adopter  ce  moyen 
prompt  et  sûr  d'apprendre  toutes  les  langues  :  nous  ferons  connaître 
les  résultats  qu'ils  obtiendront. 

— enseignement  primaire. —  Les  ordonnances  royales  de  1816  et 
de  1820  ont  donné  de  grands  développement  à  cette  branche  si  im- 
portante de  l'instruction  publique.  Les  comités  cantonnaux  ont  rendu 
et  rendront  plus  facilement  encore  des  services  signalés;  la  classe 
des  instituteurs  s'épure  et  s'augmente  :  cependant  il  reste  beaucoup 
à  faire.  145000  communes  sont  encore  privées  de  toute  espèce  d'é- 
coles ;  et ,  dans  les  5/6"=  des  communes  où  il  en  existe  ,  le  sort  des 
maîtres  est  si  chétif,  l'état  des  bâtimens  servant  d'écoles  est  si  misé- 
rable ,  que  beaucoup  d'améliorations  restent  à  désirer.  Le  zèle  de 
MM.  les  recteurs  n'en  est  que  pins  digne  d'éloges,  et  cette  portion 
de  leur  tâche  n'est  pas  la  moins  glorieuse  à  remplir.  Le  tableau  sui- 
vant fera  connaître  les  succès  qu'ils  ont  obtenus. 


25A 


EUROPE. 


—  Etat  de  t enseignement  primaire  au  \"  juillet  1S20  dans 
les  vingt-six  académies  dont  se  compose  V  université  de  France. 


ACADEMIES. 


ACADEMIES 

DI7    MIDI. 

Grenoble 

Aix  (non    com- 
pris la  Corse.) 

Nîmes 

Montpellier.  . ,  . 

Toulouse 

Pau 

Bordeaux 

Caliors 


ACADEMIES 

DU    MILIEU. 

Rennes 

Angers 

Poitiers 

Limoges 

Clermont 

Bourges 

Orléans 

Dijon 

Lyon 

Besançon 

ACADÉMIES 

DU  NOJiD. 

Amiens 

Douai 

Metz 

Nancy 

Strasbourg 

Paris 

Caeu 

Rouen 


Total., 


Population 
deâ  écoles 
primaires 
des  acailc- 


l6,53o 
29,673 
21,746 
lfi,l82 
45,000 
18,452 

i8,43j 


i5_,2i7 

i5,45i 

[29,64o 

7,8x6 

7,000 

9=7-^7 

6jo5o 

67, 127 

21,680 

70^060 


107,194 
78,8.6 
52,761 
63,i47 
63,876 

148,572 
47.172 
43,989 


,063,919 


72^000 
96,000 
99,000 

1 1 1 ,000 
82,000 

126,000 
1 8,000 


229,000 

114,000 

116,000 
72,000 

i32,ooo 
66.000 
77,oooji 

106,000  1 
97,000 
83,ooo 


l32,000 

i4o  000 

60,000 

98,000 

77,000 

268^000 

i5i,ooo 

106^000 


2,882.00c 


4,3 
3.3 
4,6 

6,9 
1,8 

6.9 

4,7 


i5,o 

7,5 
3,9 

18,8 
6,7 

12,8 

4,4 
1,17 


1,2 
1,17 
1,1 
1,5 
1,2 


-,  4 


Population 

totale  des 

académies  (2) 


849,395 

725.525 
962^056 

998,991 

J, 116,777 

-'■22 ,4 11 

1,265,31)0 
880,773 


2,292,109 

1,147,122 

1,168,977 

723,690 

1,322,738 

665,142 

775,918 

1,064,678 

978,915 

853.389 


1,321,554 

1,477,724 

601,286 

984,682 

776,215 

2,683,477 

1,512,76g 

1,064,429 


2g;0l2,l62 


1820. 


i5o 
74 
39 
92 

189 
68 

128 
i5 
45 


17 
11 

i5 
12 

18 

32 

1      27 


Ainsi,  les  deux  académies  où  l'enseignement  primaire  est  le  plus 
florissant  sont  celles  de  Besançon  et  de  Metz;  et  les  deux  où  il  est  le 
moins re'pandu  sont  celles  de  Rennes  et  de  Clermont-Ferrand. 

(1)  Le  nombre  des  en  fans  mâles  de  cinq  à  quinze  ans  est ,  à  très-peu 
de  chose  près,  le  10''  de  la  population  totale.  Le  rapport  exact  est 
celui-ci  :  29,000,000  ;  2,784,565.Cerapport  peut  s'exprimer  ainsi  d'une 
manière  approximative  :  i, 45o,i3g, 2  ;  ou  plus  simplement,  i45:  i4. 

(2)  La  population  totale  de  chaque  de'partement  a  été  prise  dans 
l'annuaire  présenté  au  Roi  par  le  l,urpau  deslongitiides  pour  l'an  182 1 , 


EUROPE.  255 

Comparaison  des  deux    années   1817(1)   et   1820(2)   à 
V époque  du  1*""  juillet. 

DifTérencc  en  plus  pour 
1817.  1820.  1820. 

Nombre  des  communes  avant  une  )       o  /       /  r  r?   , 

^     ■  '1  ^  \  17,000         24,124  6,324 

ou  plusieurs  écoles j     '  '     ^  <j,o.-i.^ 

Nombre  total  des  écoles 20,200  27,581  7>38i 

Nombre  (les  e'ièves 865,721  1063,919  198,198 

Nombre  tles  maîtres 20,784  28,945  8,i6i 

Nonibrc  des  e'coles  tenues  par  les  )          /-  o 

frères \ ]         *^"  ^^7  127 

Nombre  des  écoles  d'enseignement)        g.-r  ^  r. 

mutuel ; ....  i  '  '    '  '     * 

SI."  degré 5o  238  188 

2.®  degré i,5oo  5,539         4, 039 

5.^  degré i8,65o         2i,8o4         3,i54 

Rapport  de   la   population     des   \      ^^^  ^  ^  g , 

écoles  à  la  population  totale. .    ^  ' 

— Voyage  scienllfique  et  littéraire, —  M.  le  docteur  Cbarles  Witte  , 
jeune  Allemand,  connu  dans  le  monde  savant  par  le  développement 
précoce  de  son  esprit ,  et  plus  particulièrement  encore  par  les  détails 
historiques  de  son  éducation  ,  qu'a  publiés  son  père  dans  un  ouvrage 
allemand,  dont  on  doit  donner  incessamment  une  traduction  fran- 
çaise, vient  d'arriver  à  Paris.  Chargé[,  depuis  trois  ans,  parle  gou- 
vernement prussien,  d'un  voyage  scientifique  et  littéraire,  il  a  par- 
couru l'Allemagne,  la'  Suisse,  l'Italie,  la  Sicile  et  le  midi  de  la 
France.  Après  s'être  familiarisé  avec  les  arts  et  les  antiquités  de 
Rome,  où  il  a  séjourné  pendant  plus  d'un  an,  M.  Charles  Witte  a 
parcouru  seul  toutes  les  Calabres  et  une  grande  partie  delà  Sicile, 

(i)  On  prend  pour  point  de  départ  l'année  1817,  comme  étant  celle 
où  l'ordonnance  du  29  février  1816,  sollicitée  depuis  long-tems  par 
l'université  ,  a  commencé  à  recevoir  son  exécution  et  à  produire  ses 
heureux  efTets. 

(2)  La  Corse  n'est  pas  comprise  dansée  résumé:  quelque  bien  s'est 
déjà  opéré  dans  ce  pays,  par  une  suite  d'efforts  qui  ont  éprouvé  des 
obstacles  de  tous  genres:  mais  tout ,  jusqu'à  la  correspondance  dans 
l'intérieur,  étant  extrêmement  difficile  en  Corse ,  les  résultats  n'étaient 
encore  connus  que  trop  imparfaitement  pour  pouvoir  figurer  sur  le 
tableau  général  de  1820. 


256  EUROPE. 

au  milieu  de  la  révolution  qui  agitait  ces  pays.  Tout  en  faisant  des 
recherches  dans  les  bibliothèques,  pour  recueillir  des  monuinens  rela- 
tifs à  l'histoire  du  droit,  il  n'a  pas  négligé  de  réunir  beaucoup  de  rensei- 
gnemens  d'un  intérêt  plus  général  sur  des  objets  qui  avaient  échappé  à 
une  foule  d'aulres  voyageurs.  Il  ne  tardera  pas  à  livrer  au  public  les 
résultats  de  ses  observations,  dont  il  se  propose  d'insérer  une  partie 
dans  la  Revue  Encyclopédique ^  destinée  à  devenir  un  point  central 
de  communication  entre  les  hommes  éclairés  de  tous  les  pays  et  de 
toutes  les  branches  des  connaissances. 

— Histoire  de  la  religion  de  Bouddhah. — Dans  le  Journal  des  Sa- 
vons,  du  mois  de  janvier  1S21 ,  M.  Abel  Remusat  a  publié  des  re- 
cherches importantes  d'histoire  philosophique  et  de  chronologie,  sur 
la  succession  des  trente-trois  premiers  patriarches  de  la  religion  de 
Bouddhah,  depuisl'an  1029  avant  Jésus-Christ  jusqu'à  l'an  715  de  l'ère 
chrétienne.  L'auteur  a  tiré  cette  liste  de  V encyclopédie  japonaise , 
livre  64.  Sa  dissertation  est  très-curieuse.  On  sait  que  le  bouddhisme  , 
religion  du  Thibet  et  de  l'Asie  orientale  ,  est  né  dans  l'Inde,  et  re- 
gardé parles  plus  savans  écrivains,  comme  ,une  hérésie  du  brahma- 
nisme ou  de  la  religion  des  J^eda.  Tous  les  ouvrages  originaux  sur 
le  bouddhisme  et  le  brahmanisme  sont  en-langue  samskritc.  La  pre- 
mière version  de  livres  de  Bouddha  en  chinois,  est  de  l'an  4'8  de 
notre  ère.  L. 

— Philologie. — Nous  avons  annoncé,  dans  notre  cahier  de  février,  le 
Desatir ,  ou  les  écrits  sacrés  des  anciens  prophètes  persans,  dans 
leur  langue  originale  ,  etc. ,  publié  à  Bombay  en  1820,  2  vol.  in-S"  , 
parMoulla  Firous  ben  Kaous.  Notre  savant  orientaliste  ,  M.  Silvestre 
de  Sacy,  vient  de  publier,  dans  le  Journal  des  Savans,  de  janvier 
et  de  février  dernier ,  une  dissertation  sur  cet  ouvrage  ,  où  il  prouve 
que  cette  langue  originale  n'est  qu'un  idiome  artificiel,  calqué  sur 
un  texte  persan ,  lequel  texte  a  été  donné  pour  traduction  du  persan , 
quoiqu'il  soit  l'original  moderne,  et  que  le  tout  n'est  qu'une  impos- 
ture, qui  ne  peut  pas  être  plus  ancienne  que  le  douzième  ou  trei- 
zième siècle  de  l'ère  chrétienne.  L. 

— Histoire  littéraire. — L'édition  des  (Enures  de  Duclos  que  vient 
de  publier  M.  Belin ,  et  qui  fait  partie  de  sa  Collection  des  prosa- 
teurs français,,  est  la  première  qui  contienne  deux  ouvrages  de  cet 
auteur,  intitulés,  l'un:  £ssai  sur  les  ponts  et  chaussées,  la  voirie 
et  les  ccrvjes  (  dont  la  première  édition  est  de  i755,in-i2};  l'autre: 


EUROPE.  257 

R^Jlixions  sur  la  coruée  des  chemins  ,  ou  supplément  à  l'EsSai  sur 
les  ponts  et  chaussées ,  la  voirie  et  les  contées ,  pour  sentir  de  réponse 
à  la  critique  de  l'Ami  d^s  hommes  (dont  la  piemière  édition  est  de 
1769,  in-12.)  La  France]  littéraire  de  1769-  1784  les  attribue,  il  est 
▼rai,  à  Duclos,etM.  Ersch  donnait  la  même  indication.  Cependant, 
non  seulement  les  éditeurs  des  œui'res  de  Duclos  avaient  rejeté  ces 
deux  ouvrages ,  mais  encore  la  plupart  de  ses  biographes  n'en  par- 
lent pas  :  il  pouvait  donc  rester  quelques  doutes  à  cet  égard.  Déjà 
feu  M.  Nouai  de  la  Houssaye,  parent  de  Duclos,  les  avait  levés, 
quant  au  premier  ouvrage,  dans  son  Eloge  de  Duclos,  i8o6,  in-8». 
C'était  une  autorité  suffisante;  mais  une  plus  forte  peut-être  est 
l'exemplaire  que  possède  M.  Villenave ,  et  qui  contient  une  feuille 
blanche  sur  laquelle  on  lit,  écrit  de  la  main  de  Marmontel,  ami  et 
successeur  de  Duclos  dans  la  place  d'historiographe,  ces  mots  :  Par 
Duclos,  secrétaire  de  l'académie  française.  Quant  au  second  ouvrage, 
il  suffit  (  dit  M.  Villenave,  dans  sa  notice  sur  Duclos,  page  XLVI  ) 
de  lire  le  discours  préliminaire  des  Réjlexions sur  les  contées,  pour 
se  convaincre  que  cet  ouvrage  est  de  l'aulCur  de  l'Essai  sur  les  ponts 
et  chaussées. 

—  Traduction  d'oui^rages  français  en  espagnol.  —  Un  libraire 
de  la  Havane,  ayant  chargé  un  libraire  de  Paris  de  lui  faire  traduire 
de  bons  ouvrages  français  en  espagnol ,  celui-ci  n'a  pas  cru  pouvoir 
mieux  commencer  la  collection  que  par  la  Vie  du  chevalier  de  Pau- 
hlas  (  Voyez  T.  IX,  pag.  694  )  «^t  par  l'i  Compère  Mathieu.  Il  est 
à  regretter  qu'on  n'ait  pas  choisi  des  ouvrages  propres  à  former  le 
goût  et  les  mœurs. 

—  Beaux-arls.  — Nomination. —  Une  ordonnance  du  roi,  en  date 
du  10  mars,  nomme  M.  le  comte  de  Forbin,  inspecteur  général  des 
musées  et  beaux-arts  dans  les  départemens.  Cette  place  qui  n'exis- 
tait pas  précédemment,  est  indépendante  de  celle  de  directeur  gé- 
néral des  musées  royaux,  que  M.  le  comte  de  Forbin  occupe  déjà 
depuis  plusieurs   années. 

—  iScu//j<;<A-e.^  En  examinant,  pour  la  restaurer ,  la  belle  statue 
antique  dont  M.  le  marquis  de  Rivière  a  fait  don  au  musée  royal 
(,  Voyez  T.  IX,  pag.  637),  on  a  aperçu  sur  la  plinthe  les  vestiges 
d'une  inscription  grecque,  qui  nous  apprend  que  le  sculpteur  se 
nommait  Alexandre, H  était  né  à  .4ntioche,  en  Carie.ll  reste  à  savoir 

Tome  x.  17 


25S  EUROPE. 

f[ui  était  cet  Alexaiulie,  et  en  quel  teins  il  vivait.  L'éclaircissement 
de  ce  fait  regarde  l'académie  des  inscriptions  et  belles-lettres. 


Théatees. — Théâtre  françaiî- — Le  faux  Bon-homme,  comédie  en 
cinq  actes  et  en  vers,  par  M.\^Ze.r.  Duval  (7  avril). — Le  succès  de 
cette  pièce  n'a  été  que  faiblement  contesté.  Quoiqu'elle  soit  très-ha- 
bilement conduite  ,  nous  la  mettons  bien  au-dessous  de  la  FiLie 
d'honneur  et  même  de  la  Manie  des  grandeurs ,  avec  laquelle  elle 
nous  paraît  avoir  quelque  ressemblance.  Le  principal  défaut  de  la 
nouvelle  comédie  est  d'avoir,  selon  nous,  un  titre  inexact.  En  efïet, 
est-ce  un  faux  bon-homme,  que  celui  qui  prodigue  les  complimens  et 
les  ofiies  de  services  à  tout  le  monde;  qui,  après  avoir  dénoncé 
comme  prévaricateur  un  fonctionnaire  respectable ,  chez  lequel  il 
s'est  impatronisé ,  lui  offre  d'aller  à  Paris  pour  le  défendre ,  et  là , 
par  des  réticences  perfides,  achève  de  perdre  son  ami,  dont  il  finit 
par  demander  la  place  ?  N'est-ce  pas  plutôt  un  homme  poli ,  un 
flatteur,  un  faux  obligeant.,  un  fourbe  qui  cache  son  égoïsme  et 
son  ambition  sous  le  masqijç  de  l'amabilité?  Candor  (le  faux  bon- 
homme) n'affecte  pas  un  seul  instant  la  bonhomie;  il  est  mielleux, 
louangeur,  et  ne. montre  jamais  ni  cette  franchise  ni  cette  simplicité 
qui  caractérisent  les  bonnes  gens:  enfin,  nous  pensons  que  le  faux 
bon-homme  reste  encore  à  faire.  On  trouve  dans  cet  ouvrage,  comme 
dans  la  presque  totalité  de  ceux  de  M.  A.  Duval ,  un  personnage 
mystérieux  qui  conduit  l'intrigue  et  fait  le  dénouement;  mais  ici  les 
moyens  employés  pour  le  faire  agir  sont  peu  vraisemblables.  Le  per- 
sonnage de  Franville ,  dont  le  caractère  est  en  opposition  avec  celui 
de  Candor,  nous  paraît  bien  tracé.  Le  rôle  de  madame  Franville, 
femme  légère  ,  médisante  et  spirituelle  ,  est  rempli  de  traits  piquans 
et  jette  de  la  gaîté  dans  une  comédie  d'un*  genre  un  peu  sévère  ; 
malheureusement ,  il  n'est  pas  nécessaire  à  laction.  Le  style  du  Faux 
bon-homme  est,  comme  celui  des  pièces  en  vers  du  même  auteur, 
plus  remarquable  par  la  justesse  et  par  l'énergie  de  la  pensée ,  que 
par  la  correction  et  l'élégance  de  l'expression  ;  peut-être  même 
M.  Duval  a-t-il  écrit  cet  ouvrage  avec  moins  de  soin  que  ceux  dont  il 
l'a  fait  précéder. 

— Second  théâtre  français. — Frédègonde  et  Brunehaut,  tragédie 
en  cinq  actes,  par  M.  Lemercier  (27  mars'. — Nous  ne  dirons  que  peu 


i 


EUROPE.  i59 

de  mois  d'un  ouvrage  ,  dont  il  sera  rendu  un  compté  détaillé  dans  un 
de  nos  prochains  cahiers.  Cette  tragédie  présente  un  tableau  histo- 
rique d'une  étonnante  fidélité.  Les  caractères  sont  vrais  et  Ibrtement 
tracés  ;  les  situations  éminemment  tragiques  ;  le  dénouement  aussi 
naturel  qu'original.  Le  style  offre  des  morceaux  très-remarquables  et 
plusieurs  vers  sublimes;  mais  on  peut  reprocher  à  l'auteur  d'avoir 
plus  d'une  fois  abusé  du  goût  qu'il  a  pour  les  expressions  et  les  tours 
hasardés. 

—  Opéra  comique.  —  Le  Maitre  de  chapelle ,  comédie  en  mi  acte 
de  M.  Al.  Duval  ,  arzangée  en  opéra  comique  par  madame  Gay  , 
musique  de  M.  Paer  (  29  mars  ).  —  Le  Chanoine  de  Milan ,  de 
M.  Al.  Duval ,  eut  dans  la  nouveauté  beaucoup  de  succès  ;  son  dégui- 
sement en  Dlailre  de  chapelle  lui  a  fait  perdre  de  sa  gaîté.  Peut- 
être  aussi  les  Français ,  qui  ont  éprouvé  récemment  tout  ce  que  les 
vexations  militaires  ont  de  plus  pénible  ,  ne  sont-ils  guère  disposés  à 
rire  en  voyant  des  hussards  s'emparer  du  dîner ,  de  la  nièce  et  de  la 
gouvernante  d'un  pauvre  compositeur ,  enthousiaste  de  son  art  et 
contre  lequel  on  n'a  aucune  raison  de  prendre  parti.  Il  en  résulte  que 
la  première  moitié  de  la  pièce  est  amusante,  tandis  que  la  seconde 
est  froide  ou  d'un  comique  forcé.  L'ouverture ,  oii  l'on  reconnaît  l'ha- 
bile auteur  de  la  Griselda  et  de  l' /Jgnese ,  nous  paraîtrait  plus 
agréable,  si  les  tambours  y  faisaient  moins  de  fracas.  Dans  les  pre- 
mières scènes  ,  il  y  a  trois  morceaux  remarquables  :  le  ti-io  ,  le  duo  de 
la  leçon  de  chant  et  le  grand  air  du  maître  de  chapelle  ;  mais,  après 
l'anivée  des  hussards,  la  musique  semble  s'affaiblir,  ainsi  que  la 
pièce.  Sans  avoir  obtenu  autant  de  succès  que  le  F  tisonnier.  Maison 
a  vendre ,  et  d'autres  ouvrages  de  M.  Al.  Duval  qu'on  revoit  toujours 
avec  un  nouveau  plaisir,  le  Maitre  de  chapelle  a  été  applaudi. 

— Le  jeune  Oncle ,  opéra  en  un  acte,  paroles  de  1\L  dk  Fonte^ille, 
musique  de  M.  Blangini  (10  avril). — Cet  ouvi-age  a  réussi.  On  y 
trouve  peu  de  situations  comiques  ;  mais  le  dialogue  offre  des  traits 
spirituels.  La  musique  est  agréable  et  facile  ,  comme  devait  l'être 
celle  de  l'auteur  d'un  si  grand  nombre  de  romances  et  de  nocturnes, 
qiii  ont  obtenu  un  succès  populaire.  Quoiqu'il  y  ait  de  très-beaux 
morceaux  dans  le  grand  opéra  de  Ncphtali  de  1\L  Blangini,  la  nature 
do  son  talent  nous  paraît  l'appeler  plutôt  à  la  composition  d'ouvrages 
légers ,  dans  le  genre  du  jeune  Orulc ,  qu'.à  celle  de  nos  grandi 
diurnes  lyriques. 

17  * 


260  EUROPE. 

TÎÉCHOLOGiE. — Petit.  —  Extrait  de  la  Notice  historique ,  lue  a  la 
société  philomatique  ,  par  M.  Biot,  de  l'académie  des  sciences, 
le  i5  février  1821. — Alexis-Thérèse  ^t-Tin ,  membre  de  la  société 
philomatique,  professeur  de  physique  à  l'école  polytechnique  et  au 
collège  royal  de  Bourbon,  naquit  à  Vésoul ,  département  de  la 
Haute-Saùne,  le  2  octobre  1791.  Les  études  commencèrent  pour 
lui  dès  la  première  enfance;  et  il  suivait  déjà  des  cours  publics, 
à  cet  âge  où  l'attention  tendre  et  légère  des  autres  enfans  se  laisse 
k,  peine  captiver  par  la  constance  exclusive  des  soins  maternels. 
Elève  de  l'école  centrale  de  Besançon ,  il  y  reçut  ces  germes  d'une 
instruction  générale  ,  et  réellement  appropriée  à  nos  sociétés  ac- 
tuelles ,  dont  ces  établissemens  présentaient  alors  le  modèle  nou- 
veau et  imparfait  sans  doute ,  mais  qui  aurait  pu  être  si  aisément 
ajnélioré,  si  on  l'eût  voulu  ,  et  qui  aurait  été  la  source  de  tant 
d'avantages  certains  pour  notre  patrie.  Suivant  l'usage  de  ces  éta- 
blissemens. Petit  y  suivit,  à  peu  près  simultanément,  les  cours  de 
langues  anciennes  et  ceux  de  mathématiques,  dans  lesquels  il 
obtint  surtout  des  succès  constans ,  dus  à  une  supériorité  décidée. 
On  assure  qu'à  dix  ans  et  demi  il  avait  déjà  acquis  les  connaissances 
nécessaires  pour  être  admis  à  l'école  polytechnique.  Heureusement 
pour  lui ,  on  ne  pouvait  y  être  reçu  avant  seize  ans.  En  attendant 
qu'il  eût  atteint  cet  âge,  M.  Hachette,  dont  il  est  depuis  devenu 
Iç  confrère  dans  la  société  philomatique,  et  qui  lui  a  toujours 
été  attaché ,  l'appela  à  Paris ,  et  lui  procura  le  bonheur  insigne 
d'être  admis  dans  un  établissement  d'instruction  qu'avaient  fondé 
plusieurs  professeurs  de  l'école  polytechnique ,  et  que  M.  Thurot 
dirigeait.  A  cette  excellente  école  ,  il  eut  toute  la  facilité  possible 
pour  donner  plus  d'étendue  et  de  solidité  à  ses  études  mathéma- 
tiques et  littéraires.  Il  le  fit  avec  l'ardeur  qui  était  dans  sa  nature, 
çt  avec  assez  de  succès  pour  mériter  qu'on  lui  confiât  les  fonctions 
<Je  répétiteur.  Enfin ,  dès  que  le  tems  si  désiré  des  seize  ans  fut 
arrivé,  il  se  présenta  aux  examens  de  l'école  polytechnique,  et  il 
fut  admis  le  premier  de  toute  la  promotion.  Après  les  deux  années 
qu'embrasse  le  cours  d'études  de  cette  école  ,  il  en  sortit  avec  plus 
de  distinction  encore;  car  on  le  mit  tout-à-fait  hors  de  ligne,  et 
l'on  donna  le  premier  rang  d'élève  à  celui  qui  s'était  le  plus  dis- 
tingué après  lui.  On  s'empressa  aussitôt  de  l'attacher  à  l'enseigne- 
ment de  l'école,  comme  lépcliteur  d'analyse.   L'année  suivante, 


EUROPE.  2G1 

il  fut  nommé  répétiteur  de  physique,  et  en  mCiiie  leins  professeur 
de  physique  au  lycée  Buonaparte,  devenu  depuis  le  collège  de 
Bourbon.  Petit  avait  alors  dix-neuf  ans.  En  iSii,  il  fut  reçu  doc- 
teur es  sciences.  Les  membres  de  la  faculté  devant  lesquels  il  sou- 
tint sa  thèse ,  peuvent  se  rappeler  combien  il  les  étonna  par  le 
mérite  toujours  rare,  mais  singulièrement  remarquable  à  cet  âge , 
d'une  élocution  à  la  fois  claire,  élégante,  précise  et  aussi  soutenue, 
aussi  facile  que  l'aurait  été  la  lecture  d'un  discours  écrit.  Ces  qua- 
lités étaient  sans  doute  en  partie  chez  Petit  le  résultat  de  l'exer- 
cice presque  continuel  qu'il  avait  fait  du  professorat  ;  mais  elles 
étaient  aussi  évidemment  l'effet  d'une  facilité  naturelle.  Ce  talent 
remarquable  lui  mérita  d'être,  à  vingt-trois  ans, nommé  professeur- 
adjoint  de  physique  à  l'école  polytechnique  ;  et  il  devint  profes- 
seur titulaire,  en  iSi5,  à  l'époque  de  la  réorganisation  de  cet 
établissement.  Le  21  février  1S18,  il  fut  nommé  me  «bre  de  la 
société  philomatique  ;  ce  fut  la  première  et ,  à  ce  que  nous  croyons , 
la  seule  des  distinctions  académiques  que  la  brièveté  de  sa  vie  ait 
laissé  le  tems  de  lui  donner. 

Avec  ce  tems  si  court  et  les  devoirs  qu'il  avait  à  remplir,  on  con- 
cevrait aisément  qu'il  eût  fait  ou  du  moins  publié  peu  de  travaux 
scientifiques:  il  en  est  cependant  autrement;  et  plusieurs  de  ceux 
qu'il  a  faits  seul ,  ou  auxquels  il  a  pris  part ,  laisseront  dans  les  sciences 
des  traces  durables.  Un  projet  qui  l'avait  spécialement  occupé,  et 
dans  lequel ,  avec  les  connaissances  de  physique  et  d'analyse  qu'il 
réunissait,  il  aurait  certainement,  s'il  eût  vécu,  fait  des  recherches 
importantes,  c'était  la  ihéorie  des  machines.  Chargé  de  professer 
cette  théorie  à  l'école  polytechnique  ,  il  s'y  était  livré  avec  attrait  ;  et 
il  avait  entrepris  d'y  appliquer  ces  résultats  généraux  de  la  mécanique 
auxquels  l'usage  a  fait  donner  le  nom  de  principes,  quoiqu'ils  ne 
soient  qvie  des  déductions  des  principes  véritables  ,  c'est-à-dire,  des 
conditions  premières  de  l'équilibre  et  du  mouvement.  Les  premiers 
essais  de  ce  travail  ont  été  publiés  par  Petit,  en  1818,  dans  les  /4n- 
nales  de  chimie  et  de  physique ,  sous  le  titre  d'Emploi  du  principe 
des  forces  vives  dans  le  calcul  des  machines.  L'année  iSi4  du  même 
recueil  renferme  un  travail  d'un  autre  genre,  auquel  Petit  a  pris 
part,  et  qui  lui  est  commun  avec  M.  Arago  :  ce  sont  des  recherches 
entreprises  pour  étudier  les  variations  que  le  pouvoir  réfringent  d'une 


262  EUROPE. 

même  substance  éprouve  daus  les  divers  états  d'agrégation  qu'on 
peut  lui  donner  par  l'eiret  gradué  de  la  chaleur. 

Petit  prit  encore  part  à  deux  autres  suites  importantes  de  recher- 
ches, qu'il  Ct  avec  M.  Dulong.  La  première,  qui  fut  couronnée  en  iSi8 
par  l'académie  des  sciences ,  et  qui  a  été  imprimée  en  entier  dans 
le  Xoiae  XI  du  Journal  de  l  école  pclj'lechnique,  ainsi  que  dans  les 
annales  de pliysique  et  de  chimie,  a  pour  objet  la  détermination  de 
plusieurs  élémens  iniportans  jiour  la  théorie  de  la  chaleur.  On  y 
trouve  d'abord  des  résultats  aussi  nouveaux  que  précieux  sur  les  dila- 
tations des  corps  observées  entre  des  limites  très-étendues  de  tempé- 
rature, et  rapportées  à  la  dilatation  de  l'air  sec,  laquelle,  suivant 
les  inductions  les  plus  vraisemblables ,  paraît  devoir  être  à  très-peu 
près,  sinon  exactement,  proportionnelle  aux  accroissemens  des 
quantités  de  calorique  ,  dans  les  limites  de  température  où  les  obser- 
vations son^renfermées.  Le  reste  du  travail  de  MM.  Petit  et  Dulong 
est  consacré  à  l'étude  des  lois  physiques  ,  suivant  lesquelles  s'opère 
le  refroidissement  des  corps,  soit  dans  l'air,  soit  dans  les  gaz.  Ce 
travail  fut  accueilli  comme  le  méritait  l'importance  des  recherches 
qui  s'y  trouvaient  consignées.  Un  an  après,  le  12  avril  1819,  ils  pré- 
sentèrent à  l'institut  un  ISIémoire  qui  contenait  assurément  une  des 
lois  les  plus  remarquables  que  l'on  ait  jamais  découvertes  sur  les 
chaleurs  spécifiques  des  corps.  Ce  travail,  qui  semble  ouvrir  une 
route  pour  reconnaître  les  conditions  de  l'existence  du  calotkjue  dans 
les  corps ,  sa  liaison  avec  leurs  particules  ,  et  peut-être  sa  nature 
même,  est  le  dernier  auquel  Petit  ait  pris  part. 

Mais,  avant  d'avoir  consumé  cette  courte  durée  de  vie  que  la 
nature  lui  avait  donnée  ,  il  avait  été  destiné  à  la  voir  un  moment 
embellie  par  les  jouissances  d'une  union  douce  et  désirée,  puis  à 
payer  cruellement  ce  bonheur  ,  api-ès  l'avoir  à  peine  goûté  quelques 
instans.  Dans  le  mois  de  novembre  1814,  je  cite  cette  date  précise; 
car,  dans  une  si  courte  carrière,  quelques  jours  de  plus  ou  de  moins 
de  bonheur  se  comptent;  il  avait  éponsé  une  fille  de  M.  Carrier, 
ingénieur  des  ponts  et  chaussées.  Ce  mariage  l'avait  rendu  beau  frère 
de  M.  Arago ,  dont  il  était  déjà  l'ami ,  et  qui  était,  comme  lui,  sorti 
de  l'école  polytechnique.  Son  sort  désormais  fixé  d'une  manière  ho 
norable  dans  le  professorat ,  l'estime  générale  dont  il  jouissait ,  la 
réputation  méritée  de  talent  qu'il  avait  acquise  et  qui  commençait 
à  s'étendre,  la  conformité  de  goûts  qu'il  trouvait  dans  sou  beau-frerc. 


EUROPE.  263 

la  commiinautc  de  travail  qui  s'était  établie  entre  lui  et  M.  Dulon^; 
enfin,  cette  bienveillance  générale  qui  s'attaclie  presque  toujours  auic 
premiers  succès  d'un  talent  qui  se  développe,  et  qui  lui  couvre  au 
moins  de  quelques  fleurs  les  épines  que  l'envie  fait  croître  lentement 
sur  sa  carrière,  tout  ce  qui  peut,  en  un  mot,  rendre  heureuse  une 
ame  honnête.  Petit  le  posséda  pendant  quelques  jours  ,  mais  ce  fut 
pour  perdre  tous  ces  biens  avec  la  même  rapidité  qui  semblait  atta- 
chée à  toutes  les  autres  particularités  de  sa  vie.  Seize  mois  après  son 
mariage,  sa  femme  tomba  malade,  et  elle  mourut  le  5  avril  1817. 
Petit  n'en  avait  pas  eu  d'enfans.  Un  coup  si  cruel  et  si  imprévu  le 
frappa  fortement.  Il  accrut  en  lui  cette  espèce  d'inactivité  de  corps, 
et  quelquefois  d'esprit,  que  l'on  remarquait  avec  surprise  dans  un 
si  jeune  homnre,  et  qui  n'était  peut-être  qu'une  sorte  de  lassitude, 
et  comme  une  disposition  pi'ématurée  à  la  vieillesse,  résultante  du 
développement  trop  hâtif  que  ses  facultés  morales  avaient  éprouvé. 
Avec  tout  l'extérieur  d'une  santé  florissante,  il  fut  bientôt  attaqué 
d'une  maladie  de  poitrine,  qui  le  consuma  pendant  deux  ans  ,  et 
dont  les  soufli-ances  furent  adoucies,  autant  quelles  pouvaient  l'être  , 
par  les  soins  constans,  assidus,  éclairés  de  M.  Magendie,  qui  était 
à  la  fois  son  médecin  et  l'un  de  ses  amis  les  plus  dévoués.  Malgré 
ses  eflbrts ,  le  terme  inévitablament  marqué  par  la  maladie  arriva  ; 
et,  le  21  juin  1S20,  à  l'âge  de  vingt-neuf  ans.  Petit  fut  enlevé  à 
l'amitié  et  aux  sciences. 

Les  élèves  de  l'école  polytechnique,  voulant  donner  un  témoi- 
gnage public  de  la  profonde  estime  qu'ils  avaient  pour  leur  profes- 
seur, et  de  la  douleur  q.ue  leur  causait  sa  perle ,  érigèrent'  sur  sa 
tombe  ,  au  cimetière  de  l'Est,  un  petit  monument,  avec  celte  ins- 
cription :    A  Petit,  les  élèves  de  l'école  polytechnique. 

— Erratum. — Nous  avons  annoncé  (T.  IX,  p.  621),  à'ajtvits  l'Etat 
de  l'institut  de  France,  la  mort  de  M.  l'abbé  Palassou  de  Pau, 
savant  minéralogiste  et  correspondant  de  l'académie  des  sciences.  Il 
est  constant  aujourd'hui  qu'on  avait  été  induit  en  erreur,  et  que 
M.  Palassou  ,  plein  de  zèle  et  de  santé,  continue  de  cultiver  la  miné- 
ralogie. 


TABLE    DES    ARTICLES 

CONTENUS 

PANS    LE  VINGT-HUIÏIÉME   CAHIER, 
AVRIL     1821. 


I.   MEMOIRES,  NOTICES  ET  MELANGES. 

1.  Rapport  sur  l'histoire  naturelle  des  mammifères. 

De  Lacépède.  pag.  i 

2.  Esquisse  d'un  plan  de  lectures  historiques ,  rapporté  à 
l'influence  des  femmes.  M.  A.  Jullien.         S 

5.  Poésie.  —  Le  portrait  de  Clarisse.  Le  même.       35 

4.  —  Les  femmes  et  les  fleurs.  Le  même.       09 

H.  ANALYSES  D'OUVRAGÉS. 

5.  Observations  de  M.  Pariset  sur  la  fièvre  jaune. 

L.  J.   Moreau  (de  la  Sarthe).       45 

6.  Monographie  historique  et  médicale  de  la  fièvre  jaune. 

Flourens.       C5 
j.  Considérations  sur  l'art  de  la  guerre  ,  par  Rogniat,  et  re- 
marques critiques  sur  cet  ouvrage,  par  Marbot.    Ch.  Dupin.       69 

8.  Atlas  général  de  l'histoire  de  France.  J.       91 

9.  Histoire  complète  des  voyages  et  découvertes  en  Afrique. 

u4i^nan.  97 

10.  L'Europe  et  l'Amérique  ,  depuis  le  congrès  d'Aix-la- 
Chapelle.                                                                             Depping.  106 

11.  L'Europe  au  moyen  âge.                                        De  Ségur.  112 

12.  Observations  sur  les  inconvéniens  du  système  actuel 
d'instruction  publique  ,  par  Pottier.                                       B.  1  24 

i3.  Epîtres  et  poésies  de  Viennet.  Léon  Thiessé.     i5i 

m.  BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE. 

Annonces  de  ii4  ouvrages  français  et  étrangers.  i44 

IV.    NOUVELLES    SCIENTIFIQUES    ET   LITTÉRAIRES. 

Amériqie  : — Martinique. — Etats-Unis. — New-York. — BrésiL     aoi 
AsiK  : — Calcutta.  —  Chine.  —  Indes  orientales.  —  Bombay. — 

Empire  Birman. —  Russie  asiatique. — Thibet.  2o3 

Afrique:— Egypte.  206 

EiiROPE  :  — Grande-Bretagne. — Russie.  —  Pologne. — Suède. — 
Danemarck.  —  Allemagno. —  Suisse. — Italie. — Grèce. — Es- 
pagne.— Portugal. — Pays  Bas. — France. — Paris.  ibid. 


REVUE 

ENCYCLOPÉDIQUE , 

ou 
ANALYSES  Et  ANNONCES  RAISONNÉES 

Des  pfoductions  fes  plus  remarquables   dans   la 
Littérature,  les  Sciences  et  les   Arts, 

I.  MÉMOIRES,  NOTICES, 

LETTRES    ET    MÉLANGES. 


SCR  LES  DEBNikBES  EXPÉRIENCES    ÉLECTBO-MAGNÉTIQUES. 

Dks  que  le  célèbre  physicien  Galvani  eut  découvert 
le  singulier  mode  d'action  des  métaux  sur  l'irritabilité 
animale ,  il  en  voulut  faire  une  théorie  séparée.  Volta 
reconnut  bientôt  que  les  phénomènes  galvaniques  et 
électriques  étaient  de  même  nature  :  l'électricité,  que  l'on 
n'avait  jusqu'alors  développée  que  par  le  frottement  de 
certains  corps  ,  se  manifestait  par  le  simple  contact  de 
deux  métaux  ,  qui  se  constituaient .  par  cela  seul ,  dans 
des  états  électriques  opposés.  Cette  découverte  fit 
prendre  à  la  physique  une  face  nouvelle ,  en  y  intro- 
duisant des  idées  neuves,  dont  la  chimie  a  depuis  retiré 
de  grands  avantages. 

Tome  x.     29'    Cahier.— Mai   1821,  18 


266  NOTICE  SUK  LES  EXPÉRIENCES 

Mais,  jusqu'h  ces  derniers  tems,  les  phénomènes 
magnétiques  faisaient  nn  ordre  à  part  :  bien  qu'ils  se  pré- 
sentassent ,  sous  certains  aspects ,  comme  analogues  à 
ceux  de  l'électricité ,  on  ne  trouvait  pas  de  liens  pour 
unir  théoriquement  ces  divers  modes  d'action.  La  belle 
découverte  de  M.  OEbsted  (i)  fit  concevoir  qu'on 
pourrait  bientôt  regarder  ces  fluides  comme  identiques, 
quoique  présentant  des  diversités  de  résultats  par  des 
causes  inconnues.  Les  expériences  de  plusieurs  physi- 
ciens français  ont  répandu  quelque  jour  sur  cette  doc- 
trine; et,  quoiqu'on  ne  sache  pas  encore  jusqu'où  ces 
intéressans  travaux  peuvent  porter  un  jour  la  connais- 
sance que  nous  avons  des  lois  de  la  nature ,  il  est  permis 
d'en  présager  la  fécondité.  Ce  sujet  intéresse  non  seule- 
ment les  personnes  qui  cultivent  les  sciences ,  mais 
même  le  philosophe  qui  se  plaît  à  suivre  leurs  progrès  , 
et  à  juger  de  l'influence  d'une  découverte  unique  sur 
l'ensemble  de  nos  théories.  Nous  remplissons  l'un  des 
buts  que  notre  recueil  doit  atteindre ,  en  publiant  la 
KOTiCE  que  M.  Ampère  a  lue  à  la  séance  publique  de 
l'académie  royale  des  sciences  de  Paris,  le  2  avril  1821. 


.W'i'^'W*.'*  »■*  ^\<\,'W*  V^'*"* 


NOTICE 

Sur  les  expériences  électro-magnétiques  de  MM.  Am- 
père ET  Arago  (2). 

Un  nouveau  genre  de  phénomènes ,  aussi  remarquables 
par  leur  singularité  que  par  les  nombreuses  applications 

(1)  Voy.  JRep.  Encycl;  T.  VIII ,  pag.  181  ,  et  T.  IX ,  pag.  i85. 
(ï)  Voy.  ci-dessus  j  pag.  240. 


KLECTRO-MAGNKTIQCJiS.  267 

qu'ils  font  espérer,  s'est  oilert  réceiniuent  aux  regards 
des  physiciens.  Plusieurs  d'entre  eux,  tant  en  France  que 
dans  le  reste  de  l'Europe,  en  ont  fait  avec  plus  ou  naoïn^ 
de  bonheur  l'objet  de  leurs  recherches.  Tandis  que  le  mou- 
vement imprimé  ù  l'esprit  humaiu  par  cette  brillante  dé- 
couverte promet  à  l'une  des  branches  les  plus  intéressantes 
de  la  physique  des  progrés  comparables,  peut-être,  ù  ceux 
que  dut  la  théorie  de  la  lumière  au  travail,  sur  la  polari- 
sation, d'un  collègue  (i)  dont  tous  les  membres  de  l'aca- 
démie pleureront  long-tems  la  perte,  j'ai  pensé  qu'il  me 
serait  permis  de  rappeler,  dans  cette  séance  solennelle,  que 
des  Français  entrèrent  les  premiers  dans  la  carrière  qui 
venait  de  s'ouvrir ,  et  qu'ils  y  rencontrèrent  aussi  quelques 
faits  nouveaux.  Je  m'étais  d'abord  proposé  de  présenter, 
dans  cette  notice,  l'ensemble  de  leurs  recherches  ;  mais 
comme  on  en  trouve  une  exposition  complète  dans  l'ana- 
lyse, publiée  aujourd'hui  même,  des  travaux  de  l' académie 
pendant,  Vannée  1820,  j'ai  cru  devoir  me  borner  à  une 
oourte  indication  des  faits  qui  paraissent  les  plus  dignes 
d'attention. 

Les  aimans  naturels  et  artificiels,  le  fer,  le  nickel  et  le 
cobalt,  étaient  les  seuls  corps  dans  lesquels  on  eût  reconnu 
la  propriété  d'agir  sur  l'aiguille  aimantée  ,  lorsque 
M.  Oebsted  ,  secrétaire  de  l'académie  royale  des  sciences 
de  Copenhague,  découvrit  que,  dans  certaines  circons- 
tances, tous  les  métaux  sans  exception,  et  en  général  tous 
les  corps  susceptibles  de  conduire  l'électricité,  exercent  sur 
cette  aiguille  des  actions  très-intenses.  Il  suffit  pour  cela 
que,  mis  en  communication  avec  les  deux  extrémités  d'une 
pile  de  volta ,  ils  servent  de  conducteurs  au  courant  élec- 
trique qu'elle  produit. 


(j)   M.    Mall"<,  mort  en  iSir». 

■  18* 


368  NOTICE  SUR  LES  EXPÉRIENCES 

Eli  m'occupant ,  dans  le  mois  de  septembre  dernier  , 
d'expériences  relatives  à  cette  importante  découverte,  j'ai 
reconnu  ce  fait,  plus  général  et  non  moins  inattendu ,  que 
deux  fils  métalliques,  de  quelque  nature  qu'ils  soient, 
agissent  l'un  sur  l'autre  ,  lorsqu'ils  transmettent  tous  deux 
un  courant  électrique  ;  et,  ce  qui  ajoute  à  la  singularité  de 
ce  résultat,  c'est  que  l'action  est  attractive  quand  les 
courans  sont  dirigés  dans  le  même  sens ,  et  répulsive 
quand  ils  se  meuvent  en  sens  contraire. 

Dans  le  même  tems ,  M.  Arago  annonçait  à  l'académie 
que  le  courant  voltaïque  qui,  d'après  les  expériences  de 
M.  Oersted,  donne  à  tous  les  métaux  la  propriété  d'agir 
sur  les  aimans,  est  lui-même  un  puissant  moyen  d'aiman- 
tation. En  disposant  convenablement  le  fil  conducteur  au- 
tour du  barreau  d'acier,  même  à  une  distance  considérable, 
on  parvient  par  ce  moyen  à  produire  dans  le  barreau  autant 
de  pôles  que  l'on  veut,  et  auxplaces  que  l'on  a  choisies  d'a- 
vance. Le  même  physicien  montra  bientôt  après  que  ces 
effets  s'obtiennent  également,  lorsqu'on  se  sert  de  l'élec- 
tricité ordinaire,  au  lieu  de  celle  qui  est  produite  par  la 
pile  de  volta. 

L'action  directrice  du  globe  terrestre  sur  les  aimans 
n'est  pas  seulement  un  des  faits  les  plus  remarquables  de 
la  physique  ;  on  sait  à  quelle  hauteur  elle  a  élevé  l'art  de  la 
navigation.  J'ose  me  flatter  que  les  marins  n'auront  pas 
appris  sans  intérêt  que  je  suis  parvenu,  parla  seule  combi- 
naison des  conducteurs  électriques,  à  produire  un  appareil, 
dans  lequel  il  n'entre  que  des  fils  de  laiton,  et  qui  est  sus- 
ceptible, comme  la  boussole  ordinaire,  d'indiquer  la  di- 
rection du  méridien. 

J'ai  obtenu  ,  par  une  combinaison  analogue  de  fils  mé- 
talliques, les  mouvemenscorrespondansà  ceux  de  l'aiguille 
d'inclinaison  ;  et  il  m'a  été  facile  de  reconnaître  que  les 


lÎLECïRO-MAGNÉTlQUES.  269 

aimans  et  les  conducteurs  voltaïques  prennent,  par  l'action 
de  la  terre,  précisément  les  positions  que  tendraient  à  leur 
donner  des  courans  électriques,  dirigés  dans  le  sens  du 
mouvement  apparent  du  soleil,  perpendiculairement  aux 
méridiens  magriétiques ,  et  d'autant  plus  intenses  qu'ils 
seraient  plus  près  de  l'équateur.  Il  suffît  pour  cela  d'attri- 
buer à  ces  couransle  même  mode  d'action  quo  l'on  déduit, 
relativement  aux  aimans,  des  expériences  de  M.  Oersted, 
etj  relativement  aux  conducteurs,  de  celles  que  j'ai  faites 
sur  leur  action  mutuelle. 

Telle  est,  en  effet,  suivant  moi ,  la  cause  de  la  direction 
constante  qu'offrent  les  aimans  et  les  fils  conducteurs  de 
nos  appareils  ;  mais,  si  la  force  directrice  du  globe  terrestre 
est  produite  par  de  tels  courans,  n'est-il  pas  naturel  d'ad- 
mettre que  l'action  qu'exerce  un  aimant,  soit  sur  un  con- 
ducteur voltaïque ,  soit  sur  un  autre  aimant ,  est  aussi  due 
à  des  courans  électriques  situés  dans  des  plans  perpendi- 
culaires à  son  axe,  et  dirigés ,  relativement  à  ses  pôles  , 
comme  le  mouvement  apparent  du  soleil  l'est  à  l'égard  des 
pôles  de  la  terre  correspondans  à  ceux  de  l'aimant? 

On  parvient  ainsi  à  représenter  par  utie  force  unique , 
toujours  dirigée  suivant  la  ligne  droite  qui  joint  le^  deux 
points  entre  lesquels  elle  s'exerce,  non  seulement  les  phé- 
nomènes magnétiques  anciennement  connus,  mais  encore 
toutes  les  circonstances  de  l'action  d'un  conducteur  vol- 
taïque sur  un  aimant,  découverte  par  M.  Oersted,  et  de 
celle  que  j'ai  reconnue  entre  deux  conducteurs.  C'est  ce 
qui  me  semble  appuyer  fortement  l'opinion  que  j'ai  émise, 
à  l'époque  de  mes  premiers  travaux  sur  ce  sujet,  relative- 
ment à  l'identité  de  l'électricité  et  du  magnétisme.  Les  ré- 
sultats des  expériences  que  j'ai  faites  depuis ,  m'ont  paru 
la  rendre  de  plus  en  plus  probable. 

•le  n'entrerai  point  ici  dans  les  détails  de  ces  expériences; 


270  .NOTICE  SUR  LES  EXPERIENCES,  etc. 
j'ajouterai  seulement  que,  conformément  à  la  manière  dont 
je  tonçois  que  l'électricité  produit  tous  les  phénomènes 
magnétiques,  un  fil  de  laiton,  renfermé  en  partie  dans  un 
tube  de  verre  et  se  repliant  extérieurement  en  hélice  autour 
de  ce  tube,  est  attiré  et  repoussé  par  un  aimant,  et  agit 
sur  lui  en  toutes  circonstances,  comme  le  ferait  un  autre 
aimant,  dès  qu'on  établit  autour  de  ce  tube  des  courans 
électriques,  en  mettant  les  deux  extrémités  du  fil  en  com- 
munication avec  celles  d'une  pile  voltaïque. 

Les  effets  qu'on  "observe  à  l'aide  de  cet  instrument, 
oiTrent  des  preuves  directes  et  multipliées  de  l'identité  de 
l'électricité  et  du  magnétisme.  Une  des  principales  consé- 
quences de  la  théorie  fondée  sur  cette  identité ,  est  que 
l'action  directrice  de  la  terre  n'émane  ni  des  régions  po- 
laires ni  du  centre  du  globe  ,  comme  on  l'a  supposé  succes- 
sivement, et  qu'elle  provient  surtout  de  la  zone  équatoriale. 
où  la  chaleur  et  la  lumière  agissent  avec  le  plus  d'inten- 
sité. Je  pense  que  cette  détermination  des  régions  de  la 
terre  où  réside  la  cause  de  l'action  du'ectrice,  intéressera 
les  physiciens  qui  cherchent  à  représenter  par  des  formules 
générales  les  valeurs  des  déclinaisons  et  des  inclinaisons 
de  l'aiguille  aimantée,  depuis  les  pôles  jusqu'à  l'équateur. 

Ainsi,  tandis  que,  d'après  les  expériences  de  M.  Arago, 
l'électrophore  et  la  bouteille  de  Leyde  pourront  désormais 
servir  aux  navigateurs  comme  un  moyen  infaillible  de 
réaimanter  à  saturation  les  aiguilles  de  leurs  boussoles, 
lorsque  le  tems  ou  d'autres  circonstances  les  auront  affai- 
blies, j'aurai  peut-être  contribué,  par  mes  recherches,  au 
perfectionnement  des  formules  magnétiques,  destinées  a 
rendre  plus  sûr,  et  à  étendre,  par  de  nouvelles  applications, 
l'usage  d'un  instrument,  sans  lequel  la  plus  grande  partie 
de  la  terre  nous  serait  encore  inconnue. 

Ampèrk  ,  membre  de  Tinstitul^ 


271 


^%  iVh'VV^VVVVV^V'^ 


EXAMEN  DE  CETTE  QUESTION: 

Dans  quelles  vues  l'Angleterre  poursuit-elle ,  depuis 
iSoy,  auprès  des  puissances  continentales,  l'aboli- 
tion de  la  traite  des  noirs  d'Afrique? 

Depuis  quatorze  ans,  le  gouvernement  anglais  poursuit, 
avec  une  ardeur  et  une  persévérance  extraordinaires,  l'abo- 
lition de  la  traite  des  nègres,  que  le  parlement  a  prononcée 
en  1807.  Est-ce  bien  réellement  par  un  sentiment  de  jus- 
tice et  d'humanité,  qu'il  veut  délivrer  l'Afrique  de  ce 
jQéau  destructeur,  et  qu'il  projette  de  la  faire  entrer  gra- 
duellement en  partage  des  bienfaits  de  la  civilisation  eu- 
ropéenne, et  de  substituer  à  un  affreux  brigandage  un 
commerce  légitime  et  avantageux  aux  deux  continens  ? 
C'est  une  question  importante ,  sous  le  rapport  moral  et 
politique,  que  nous  allons  examiner  et  discuter  avec  toute 
l'impartialité  qu'elle  exige. 

Ceux  qui,  en  Fi'ance  et  ailleurs,  sont  persuadés  que 
l'Angleterre,  dans  tout  ce  qu'elle  entreprend,  ne  peut 
avoir  que  des  vues  intéressées,  se  prononceront,  avant 
même  toute  discussion.  Dans  leur  opinion,  l'Angleterre,  en 
insistant  sur  l'abolition  absolue  et  définitive  de  la  traite,  et 
en  invoquant  de  fortes  lois  pénales  contre  les  contraven- 
tions, ne  peut  avoir  d'autre  but  que  de  ruiner  les  colonies 
des  autres  puissances,  de  paralyser  leur  commerce  en 
leur  enlevant  les  bras  nécessaires  à  la  culture,  et  de  s'as- 
surer la  continuation  du  monopole  des  denrées  coloniales. 
Prévoyant  qu'à  la  paix  il  serait  obligé  de  rendre  une  partie 
des  colonies  conquises ,  le  gouvernement  anglais  a  pris 
soin  d'approvisionner  ses  propres  colonies  et  celles  qu'il 
«spérait  garder,  des  csclaviïs  dont  elles  pouvaient  avoir 


372  SUR  rABOLlTION 

besoin,  et  de  prendre  des  mesures  conservatrices  de  leur 
populalion  noire,  afin  de  pouvoii-,  à  l'époque  de  l'abolition, 
se  passer  de  la  traite.  Cette  conduite  ne  suppose-t-elle 
pas  l'intention  de  rendre  les  colonies  étrangères  impro- 
ductives, et  de  les  mettre  hors  d'état  de  satisfaire  aux 
besoins  de  leur  métropole?  Après  avoir  ainsi  mis  son  mo- 
nopole des  denrées  coloniales  hors  de  toute  concurrence  , 
il  a  pu  sans  inconvénient  abolir  la  traite  dans  tous  ses 
établissemens  de  la  côte  d'Afrique  et  dans  ses  autres  colo- 
nies. Cependant,  malgré  ces  mesures  prises  dans  l'inté- 
rêt de  sa  politique  et  de  son  commerce ,  l'Angleterre  a 
senti  qu'elle  n'arriverait  jamais  au  but  qu'elle  se  propo- 
sait, sans  le  concours  des  autres  puissances.  C'est  alors 
qu'elle  a  fait  mouvoir  tous  les  ressorts  de  sa  diplomatie 
ordinaire.  Il  ne  lui  a  pas  été  difficile  d'associer  à  ses 
vues  la  Russie,  l'Autriche  et  la  Prusse,  qui  n'ont  guère 
de  colonies;  la  Suède  et  le  Danemarck,  qui  n'ont  que  des 
colonies  insignifiantes,  avaient  peu  d'intérêt  à  se  mettre 
en  opposition.  La  grande  difficulté  était  de  déterminer 
l'Espagne,  la  France  et  le  Portugal  à  concourir  au  même 
plan.  Le  projet  d'abolition  de  la  traite  semblait  menacer 
leurs  colonies  d'une  destruction  prochaine.  Quoique  ces 
nations  reconnussent  toute  l'immoralité  d'un  semblable 
trafic,  elles  eussent  probablement  hésité  long-lems,  si  les 
événemens  de  i8i4et  de  i8i5  ne  fussent  venus  précipi- 
ter les  négoctations.  L'Angleterre  ne  manqua  pas  de  faire 
valoir  les  services  rendus  à  la  coalition;  et  les  souverains 
que  cette  coalition  avait  remis  sur  leur  trône,  consentirent 
à  l'abolition  de  la  traite.  Ils  eurent  cependant  la  prudence 
de  demander  au  congrès  de  Vienne  des  délais,  et  de  refu- 
ser l'abolition  immédiate;  mais  elle  fut  prononcée  au 
congrès  d'Aix-la-Chapelle.  Après  toutes  ces  concessions, 
lAngleterre  eût  dû  être    satisfaite;   elle  crut  çependatit 


DE  LA  TRAITE  DKS  NOIRS.  273 

n'avoir  rien  fait,  si  elle  n'en  obtenait  une  autre  bien  im- 
portante pour  son  ambition.  C'était  le  droit  mutuel  de 
visite  des  navires  des  puissances  coloniales,  qu'elle  sup- 
poserait faire  lu  contrebande  des  esclaves  sur  la  côte  d'A- 
frique et  dans  les  Indes  occidentales.  La  France,  qui  n'a- 
vait pas  oublié  l'abus  que  l'Angleterre  avait  fait  de  ce 
droit  de  visite,  pendant  la  guerre  et  le  blocus  continen- 
tal, s'est  bien  gardée  d'accorder  cette  demande.  Elle  a 
voulu  et  elle  veut  que  son  pavillon  soit  respecté  ;  elle  ne 
croit  pas  avoir  besoin  d'une  permission  anglaise  pour  que 
ses  vaisseaux  entrent  et  sortent  des  ports  de  ses  colonies 
d'Afrique  et  d'Amérique.  Ce  droit  de  visite  mettrait  évi- 
demment le  commerce  de  la  France  sous  l'inspection  de 
l'Angleterre.  Une  nation,  jalouse  de  son  honneur  et  de  son 
indépendance,  ne  peut  l'admettre. 

D'ailleurs,  ajoute-t-on  ,  lorsqu'après  avoir  fait  la  traite 
pendant  deux  cents  ans,  on  voit  l'Angleterre  s'apitoyer 
tout-à-coup  sur  le  sort  do  ces  barbares  Africains ,  peut- 
on  regarder  comme  bien  sincère  ce  zèle  subit  pour  leur 
affranchissement?  Elle  voudrait,  dit-elle  ,  civiliser  l'Afri- 
que ,  et  la  traite  est  un  obstacle  à  ce  projet  philantropique. 
Sans  doute,  elle  le  voudrait;  mais  dans  quelles  vues? 
pour  avoir  le  monopole  de  son  commerce.  Elle  aperçoit 
dans  le  lointain  la  possibilité  de  faire  en  Afrique  ce  qu'elle 
a  fait  dans  l'Inde.  Sur  un  simple  comptoir,  elle  est  venue 
à  bout  d'élever  la  base  d'un  grand  empire;  pourquoi  ne  le 
tenterait-elle  pas  en  Afrique?  Examinons  bien  l'ensemble 
de  sa  conduite  politique.  Le  gouvernement  anglais  a  chassé 
les  Hollandais  du  cap  de-Ronne-Espérance;  il  a  empêché 
les  Français  de  s'établir  en  Egypte;  il  regrette  de  leur 
avoir  laissé  les  deux  petits  établissemens  du  Sénégal  et 
de  Gorrée.  Mais  il  a  gardé  l'île  de  France  ;  il  multiplie 
PÀ  agrandit    ses    établissemens   sur   la    côte    occidentale 


27/1  SUR  L'ABOLITION 

(rAiViqiie,  et  resserre  et  circonscrit  le  coirimerce  des  éta- 
biissemens  portugais  ;  la  côte  orientale  était  libre  ;  il 
vient  de  s'emparer  de  l'ilc  de  Socotora  ;  ses  intrigues 
viennent  de  lui  ouvrir  un  nouveau  passage  dans  l'inté- 
rieur du  continent  africain,  jusqu'à  Timbuctow,  et  tout 
récemment ,  jusqu'à  la  capitale  d'Ashantie  ;  enfin  il  fait  faire 
à  grands  frais  des  voyages  d'observation  et  de  recherche 
pour  s'assurer  des  ressources  que  ce  vaste  continent  peut 
offrir  à  son  commerce.  Peut-on  douter  encore  qu'il  ne  se 
propose  de  fonder  un  nouvel  empire  en  Afrique,  lorsqu'on 
en  voit,   pour  ainsi  dire,  l'échafimdage  tout  dressé? 

C'est  ainsi  que  s'accumulent  les  objections  contre  le 
système  de  l'abolition  de  la  traite.  Nous  n'en  sommes  point 
surpris.  La  France  a  d'assez  bonnes  raisons  pour  se  défier 
de  l'Angleterre:  il  faut  en  convenir  franchement.  L'Angle- 
terre, de  son  côté,  n'aime  pas  très-cordialement  la  France, 
et  l'on  doit  déplorer  cet  esprit  de  rivalité,  de  jalousie, 
presque  de  haine  qui  subsiste  toujours  entre  les  deux  na- 
tions. Nous  croyons  cependant  que,  relativement  à  la  ques- 
tion de  la  traite,  les  adversaires  de  l'abolition  connaissent  mal 
la  véritable  situation  des  choses,  et  sont  injustement  préve- 
nus. Ce  qui  nous  étonne,  c'est  d'apercevoir  ces  préventions 
même  dans  la  haute  aristocratie  française.  Si  nous  sommes 
bien  informés,  l'opposition  vient  de  là;  cependant  on  ne 
peut  ignorer  que  c'est  la  grande  majorité  de  l'aristocratie 
anglaise  qui  presse  son  gouvernement  de  réclamer  des  lois 
pénales  propres  à  réprimer  enfin  la  contrebande  qu'elle 
nous  accuse  de  faire.  Comment  l'aristocratie  française,  qui 
ne  cesse  de  vanter  le  système  de  l'aristocratie  anglaise  , 
peut-elle  Ctre  en  opposition  avec  elle  sur  une  question  si 
importante  ?  Cette  divergence  d'opinion  ne  pourrait  s'ex- 
pliquer qu'autant  que  l'aristocratie  française  aurait  un 
grand  intérêt  à  prolonger  la  irftite.  Mais  comment  croire 


DE  LA  TRAITE  DES  NOIRS.  275 

qu'elle  veuille  opposer  l'intérêt  de  quelques  iiulividn.s  aux 
réolamation?  énergiques  et  unanimes  que  la  raison  ,  riui- 
manité,  la  justice,  et  même  la  politique  font  entendre  en 
faveur  des  malheureux  Africains  ?  Peut-cire  n'a-t-ellc  pas 
compris  comment  s'est  opérée  celte  grande  révolution 
morale,  à  laquelle  toutes  les  puissances  de  l'Europe  ont 
concouru.  En  nous  reporlant  aux  événemens  qui  ont  pro- 
voqué la  question  que  nous  examinons,  nous  entrerons 
dans  quelques  détails  peu  connus  en  France,  et  qui  pré- 
sentent cependant  le  plus  haut  degré  d'intérêt.  -i 
A  l'époque  de  la  révolution  française,  plusieurs  ouvrages, 
en  Angleterre,  avaient  appelé  l'attention  publique  sur  la 
traite  des  noirs.  Jusqu'alors,  le  peuple  anglais  ne  s'était 
point  informé  de  la  nature  et  des  circonstances  de  cet 
odieux  commerce.  Il  supposait  qu'étant  depuis  si  long- 
tems  autorisé  et  réglé  par  les  lois,  il  devait  êti-e  légitime 
et  exempt  de  crime.  Mais,  en  1788,  la  question  de  la  traite 
devint  l'objet  d'une  discussion  publique.  On  vit,  pour  la 
première  fois,  un  simple  particulier,  sans  titre ,  sans  am- 
bition, sans  grande  fortune,  sans  influence  politique,  en- 
treprendre d'arracher  le  voile  qui  en  dérobait  les  atro- 
cités aux  yeux  de  ses  compatriotes.  Ce  jeune  philantropc 
(M.  "Wilberforce),  indigné  de  voir  les  nations  les  plus  ci- 
vilisées du  globe  ,  professant  une  religion  douce,  humaine, 
et  ennemie  de  l'esclavage,  arracher,  sans  scrupule  et  sans 
remords,  des  millions  d'hommes  à  leur  patrie,  et  les  plon- 
ger dans  la  plus  dure  captivité,  conçoit  le  projetde  délivrer 
l'Afrique  de  ce  brigandage.  Il  ne  se  dissimule  pas  la  faiblesse 
de  ses  moyens,  et  les  obstacles  que  tant  d'intérêts  blessés 
allaient  opposer  à  ses  premiers  efforts.  Son  zèle  religieux 
pouvait  même  être  un  préjugé  défavorable  à  sa  cause;  car. 
aux  yeux  des  philosophes,  il  avait  le  ridicule  d'être  dévot, 
et,  aux  yeux  du  clergé  anglican ,  le  tort  d'être  de  la  secte 
des  méthodistes;  mais  cette  cause  lui  parait  trop  belle  pour 


276  SUR  L'ABOLITIO?î 

qu'il  ne  reinj)iasse  pas  avec  ardeur.   11  commence  par  ex- 
poser au  public  le  tableau  de  la   dévastation  de  l'Afrique, 
les  souffrances  inouies  des  esclaves  enchaînés  à  bord  des 
bâtimens  négriers,   va  toutes  les  misères  humaines  étaient 
renfermées  dans  le  plus  petit  espace  possible ,  et  les  traite- 
mens  cruels   auxquels  ils  étaient  exposés   dans   leur  per- 
pétuelle  captivité.  A  cette  vue,    le  peuple«anglais  frémit 
d'horreur;  chacun  s'étonne   qu'on  ait  pu  souffrir  si  long- 
tems  un  commerce  aussi  abominable.    Les  préjugés,  les 
intérêts  divers  et  les  passions  alarmées  cherchent  à  con- 
tenir l'indignation  publique  ;  mais   elle   éclate   de  toutes 
parts.    Les   comtés ,    les   cités  ,    les  bourgs    s'assemblent 
pour  rédiger  des  adresses  et  demander  la   suspension  de 
la    traite.    Lne    foule  de    hauts  et  puissans    personnages 
partagent  l'enthousiasme  général ,    et  se  rangent  autour 
du  généreux  défenseur  de  l'humanité  outragée.   Devenu 
membre  du  parlement,  il  réussit,  par  l'ascendant  de  son 
éloquence  entraînante,    par  la  noblesse  de   son  caractère, 
par  l'appui  de  ses  honorables  amis,  k  faire  accueillir,  dans 
la  chambre  des  communes,  les  réclamations  motivées  de 
ses  concitoyens.  Le  parlement  ordonne  qu'il  soit  fait  une 
enquête  solennelle;  il  charge  un  comité    de  recevoir  les 
dépositions  des  pétionnaires  et  des  intéressés  à  la  continua- 
tion de  la  traite,  des  marchands  d'esclaves,  des  principaux 
planteurs  des  colonies ,  et  de  consigner  dans  des  registres 
tous  les  faits  relatifs  à  la  traite.  Ce  comité  emploie  à  cette 
information  une  partie  des  années  179061 1791  :  la  lenteur 
était  commandée  par  la  justice,  dans  une  affaire  d'une  telle 
importance.  Des   extraits  de  ce  long  examen  sont   placés 
8OUS  les  yeux  du  public.  Ils  établissent  de  plus  en  plus  la 
nécessité  de  suspendre   un  commerce  aussi  criminel ,   et 
d'effacer  la  tache  honteuse  qu'il  imprime  au  caractère  de 
lu  nation. 

Vendant  cette  enquête  éclate  l'insurrection  des  nègres 


DE  LA  TRAITE  DES  INOIRS.  277 

de  Saint-Domingue.  Cette  révolution  sanglante  alarme 
l'Angleterre;  elle  craint  d'autant  plus  la  contagion  pour 
ses  colonies  voisines  ,  que  déjà,  dans  quelques-unes,  et 
particulièrement  à  la  Jamaïque^  des  insurrections  partielles 
d'esclaves  lui  avaient  appris  avec  quelle  impatience  iîs 
supportaient  la  servitude.  Ses  craintes  redoublent,  quand 
elle  considère  quelle  est  l'énorme  disproportion  entre  la 
population  noire  de  ses  îles  et  celle  des  hommes  blancs 
(elle  est  de  io;\  i),  et  que  c'est  aux  importations  extraor- 
dinaires d'esclaves  à  Saint-Domingue,  pendant  les  quinze 
années  qui  avaient  précédé  l'insurrection ,  que  l'on  devait 
particulièrement  attribuer  les  terribles  événemens  de  cette 
île  (ces  importations  avaient  été  de  26,000  par  an,  terme 
moyen).  Le  danger  était  donc  imminent;  des  mesures 
promptes  et  prései'vatrices  de  la  contagion  étaient  devenues 
indispensables. 

M.  Wilberforce  et  ses  amis  saisissent  cette  circonstance 
pour  faire  au  parlement  la  première  proposition  de  l'abo- 
lition de  la  traite  des  noirs  d'Afrique.  Les  massacres  de 
Saint-Domingue,  les  horribles  cruautés  que  l'enquête  du 
comité  avait  mises  au  grand  jour  ,  le  danger  auquel  étaient 
exposées  les  possessions  anglaises  des  Indes  occidentales, 
leur  fournissent  de  puissans  argumens.  Ils  n'insistent  pas 
seulement  sur  les  principes  d'une  politique  conservatrice 
et  prévoyante,  mais  ils  font  surtout  valoir  les  considérations 
morales  et  religieuses  qui  s'offraient  en  faveur  d'une  si 
belle  cause.  Cette  première  motion,  quoique  fortement 
appuyée  par  les  principaux  orateurs  de  la  chambre  des 
communes,  MM.  Pitt,  Fox,  Burke,  "Windham,  Sheridan, 
lord  North  et  M.  Grey  (aujourd'hui  lord  Grey),  fut  cepen* 
dant  rejetée,  le  ig  avril  1791,  par  une  majorité  de  i63voix 
contre  88.  On  reconnaissait  bien  l'immoralité  de  la  traite  ; 
mais  on  craignait  que  son  abolition  trop  subite  ne  com- 


278  SUK  L  ABOLITION 

promît  laloitune  publique.  En  Angleterre,  on  n'improTise 
point  les  nouvelles  lois,  et  on  n'abolit  les  anciennes  qu'a- 
près une  longue  et  mûre  délibération. 

Le  rejet  de  la  proposition  de  M.  "Wilberforce  ne  le  dé- 
couragea point,  et,  loin  d'affaiblir  l'opinion  publique,  lui 
donna  au  contraire  une  nouvelle  l'orce  ;  car  à  peine  la 
session  de  l'année  suivante  fut-elle  ouverte,  qu'une  foule 
de  pétitions  nouvelles,'en  faveur  de  l'abolition,  arrivèrent  à 
la  chambre  des  communes ,  de  toutes  les  parties  de  la 
Grande-Bretagne,  même  des  villes  majitimes  les  plus  in- 
téressées à  la  continuation  de  la  traite.  Au  2  avril  1792,  on 
en  comptait  018.  11  semblerait  que  la  chambre  des  com- 
munes aurait  pu  s'autoriser  du  rejet  de  la  motion  faite 
l'année  précédente ,  pour  écarter  par  un  ordre  du  jour  ces 
nombreuses  pétitions;  ma-is  le  respect  pour  le  droit  sacré  de 
pétitions  et  pour  l'opinion  publique,  lui  faisait  un  devoir 
de  les  prendre  une  seconde  fois  en  considération  ;  et  un 
comité  fut  chargé  d'en  faire  l'examen. 

M.  "NVilberforce  demande  que  la  chambre  se  forme  en 
comité  général ,  et  il  lui  soumet  cette  proposition  :  «  c'est 
l'opinion  du  comité  que  le  commerce  fait  par  les  sujeia 
anglnis,  dans  l'intention  de  se  procurer  des  esclaves,  sur 
la  côte  d'Afrique ,  doit  être  aboli.  »  La  motion ,  si  elle  était 
admise ,  devait  être  suivie  de  celle  d'un  bill  rédigé 
d'après  ce  principe. 

Les  débats  sur  la  proposition  de  M.  "Wilberforce  furent 
longs  et  animés,  et  les  opinions  très-partagées.  Elle  était 
dangereuse,  inadmissible,  selon  les  uns,  qui  jugeaient  la 
traite  un  mal  nécessaire;  selon  les  autres,  l'abolition  était 
indispensable  ,  quelles  qu'en  dussent  être  les  suites  ;  la 
traite  était  un  crime;  la  raison,  l'humanité,  la  conscience 
et  l'honneur  de  la  nation  exigeaient  qu'elle  fflt  immédia- 
ment  abolie.  D'autres  proposaient  un  amendement,  et  de- 


DE  LA  TRAITfc;  DES  NOIRS.  279 

mandaient  que  l'abolition  fût  graduelle;  la  motion,  ainsi 
amendée,  fut  adoptée  à  une  majorité  de  aSo  membres 
contre  85. 

Il  s'agissait  ensuite  de  fixer  l'époque  où  l'abolition  serait 
définitive  et  universelle  clans  toutea  les  colonies  anglaises. 
On  propose  le  i"  janvier  1800  ;  puis  le  i"  janvier  1798  :  le 
premier  terme  paraît  trop  éloigné,  le  second  trop  rappro- 
ché. Enfin ,  après  une  discussion  prolongée  sur  chacun  de 
ces  amendemens,  le  comité  général  décide  que  la  loi  d'a- 
bolition aurait  sa  pleine  et  entière  exécution  le  1"  janvier 
1796.  A  celte  dernière  époque,  les  circonstances  critiques 
où  se  trouvaient  l'Angleterre  et  l'Europe,  absorbaient  toute 
l'attention  des  gouvernans.  Le  bill  d'abolition  définitive  ne 
fut  point  présenté  au  pai-lement. 

Riais  ceux  qui  l'avaient  provoqué  ne  le  perdaient  pas  de 
vue.  En  attendant  l'heureux  moment  de  la  délivrance  de 
l'Afrique,  ils  s'occupèrent  de  l'amélioration  de  la  condition 
des  esclaves  dans  les  colonies.  Ils  demandèrent  et  obtinrent 
du  parlement  la  réforme  des  abus  ;  l'autorité  des  maîtres 
fut  restreinte;  un  traitement  plus  humain  et  plus  favorable 
à  la  population  fut  ordonné.  Les  lois  mirent  aussi  un  frein 
à  ravidlté  des  marchands  d'esclaves,  et  allégèrent  les  souf- 
frances auxquelles  étaient  soumis  ces  malheureux,  à  bord 
des  bâtimens  négriers,  en  leur  assurant,  par  des  réglemens, 
un  espace  qui  leur  permît  de  se  mouvoir,  une  quantité 
suffisante  de  vivres  et  d'eau ,  et  en  fixant  le  nombre  d'es- 
claves qu'un  bâtiment  négrier  pourrait  prendre  à  son  bord, 
relativement  à  sa  grandeur  et  à  son  port.  Ces  généreux 
amis  des  noirs  sollicitèrent  encore  et  obtinrent  du  parle- 
ment, en  i8o5  ,  un  bill  qui  interdisait  aux  sujets  de  l'An- 
gleterre tout  trafic  d'esclaves  avec  les  colonies  étrangères , 
et  qui  leur  interdisait  aussi  de  prendre  aucune  part,  aucun 
intérêt  dans  celui  que  les  autres  nations  pourraient  faire. 


280  SUR  L'ABOLITION 

C'était  déjà  une  branche  importante  de  commerce  qui  leur 
était  enlevée  :  mais  il  était  aisé  <le  prévoir  que  cette  défense 
ferait  refluer  sur  les  colonies  anglaises  les  importations 
qu'on  ne  pourrait  plus  faire  à  l'étranger,  si  une  loi  sévère 
n'opposait  une  digue  à  ce  reflux.  Cette  digue,  le  parlement 
l'opposa  par  un  acte,  en  vertu  duquel,  à  dater  du  i"  août 
1806,  il  fut  défendu  d'employer  à  la  traite  aucun  bâtiment 
qui  n'y  aurait  pas  été  destiné  ,  antérieurement  au  10  juin 
de  la  même  année ,  sous  peine  d'une  amende  de  5o  livres 
sterling  par  esclave  enlevé  de  la  côte  d'Afrique,  en  contra- 
vention à  cette  loi. 

Ces  restrictions  réduisaient  de  moitié  à  peu  près  le 
commerce  d'esclaves,  et  préparaient  la  voie  à  son  entière 
abolition;  c'était  tout  ce  qu'on  avait  pu  obtenir,  depuis 
près  de  vingt  ans  que  la  question  était  agitée.  Mais  ce 
trafic  honteux  subsistait  encore,  sous  la  sanction  des  lois, 
toujours  soutenu  par  de  puissans  intérêts  et  par  des  pré- 
jugés invétérés.  Il  importail  aux  amis  de  l'humanité  de  ne 
pas  perdre  les  avantages  obtenus  ,  de  redoubler  leurs 
oftbrls  pour  obtenir  l'abolition  définitive  de  la  traite,  et 
pour  hâter  l'époque  où  ils  pom-raient  s'occuper  du  grand, 
projet  qu'ils  avaient  en  vue  :  la  civilisation  de  l'Afrique. 

Les  événemens  qui,  en  1806,  portèrent  au  ministère 
M.  Charles  Fox  et  ses  amis ,  amenèrent  enfin  la  chute  de 
ce  système  de  fraude,  de  trahison,  de  violence,  qui  avait 
transformé  un  vaste  continent  en  un  champ  de  bataille  et 
de  désolation.  Ce  ministre ,  ami  des  hommes  et  de  la 
liberté ,  propose  lui-même  à  la  chambre  des  communes , 
et  fait  proposer  par  lord  Grenville  à  celle  des  pairs,  la 
résolution  suivante  :  «La  chambre,  considérant  que  le 
commerce  d'esclaves  africains  estcontraire  aux  principes 
de  la  justice ,  de  l'humanité  et  d'une  saine  politique , 
prendrale  plus  promptement  possible  des  mesures  efficaces 


DE  LA   l'RAITE  DES  NOIRS.  281 

pour  l'abolition  de  ce  commerce.  »  Cette  résolution  fut 
examinée  et  discutée  dans  les  deux  chambres,  pendant 
plusieurs  longues  séances,  avec  toute  la  franchise  et  l'im- 
partialité que  commandait  son  importance.  On  écouta  tous 
les  orateurs  qui  voulurent  parler,  tous  les  amendemens , 
tous  les  projets,  toutes  les  objections  tant  de  fois  repro- 
duites, parce  que  chaque  membre  voulait  être  éclairé. 
Dans  le  parlement  anglais,  l'interruption  d'une  délibéra- 
tion par  une  demande  de  clôture  serait  regardée  comme 
une  violation  de  la  liberté  des  opinions  individuelles  et  du 
respect  dû  à  la  chambre.  Enfin,  malgré  Vopposition  de 
lord  Castlereagh,  de  lord  Ifawi-eshu/y  (aujourd'hui  lord 
Lwerpool)j  de  lord  Sidmouth j  qui  regardaient  l'abolition 
immédiate  comme  impraticable,  intempestive  et  désas- 
treuse, la  résolution  h\t\otée,  à  une  majorité  de  ii4  voix 
contre  i5  dans  la  chambre  des  communes,  et  de  4i 
contre  20  dans  celle  des  pairs. 

C'était  sans  doute  un  grand  avantage  obtenu ,  que  cette 
déclaration  solennelle.  Mais  une  résolution  n'est  point  une 
loi,  et  c'était  une  loi  que  M.  Wilberforce  et  ses  amis  deman- 
daient avec  tant  d'instance.  Le  bill  fut  proposé,  l'année  sui- 
vante 1807,  aux  deux  chambres,  et  discuté  de  nouveau, 
de  part  et  d'autre,  avec  beaucoup  de  chaleur.  Enfin,  la 
sentence  d'abolition  de  la  traite  des  noirs  fut  prononcée, 
le  10  février  1807,  à  une  majorité  de  3Go  voix  contre  100, 
dans  la  chambre  des  communes,  et,  dans  celle  des  pairs, 
le  25  du  même  mois,  sans  division.  Ce  triomphe,  après 
une  lutte  qui  durait  depuis  plus  de  dix-sept  ans,  fut,  pour 
M.  Wilberforce  et  ses  nobles  amis,  une  récompense  hono- 
rable de  leur  zèle  et  de  leurs  travaux. 

Mais  il  leur  restait  à  poursuivre  l'exécution  pleine  et 
entière  de  cette  loi  d'abolition.  Les  mêmes  obstacles  qu'ils 
venaient  de  surmonter   ne  manqueraient  pas    d'entraver 
Tome  x.  VJ 


282  ÉPIÏRE  A  M.   VIENNET. 

toutes  les  mesures  qui  seraient  proposées.  Comment  d'ail- 
leurs pourraient-ils  se  flatter  d'un  succès  complet,  sans 
le  concours  des  puissances  intéressées  à  la  continuation 
de  la  traite  ?  quelle  apparence  de  pouyoir  jamais  l'obtenir? 
Cependant  ces  philantropes,  qui,  à  cette  époque,  se  réuni- 
rent en  société  sous  ie  nom  d'institution  africaine,  sont 
venus  à  bout  d'intéresser  à  leur  cause  tous  les  cabinets 
de  l'Europe.  Par  quels  moyens?  c'est  ce  que  nous  aurons 
l'occasion  de  développer  dans  un  second  article. 

Ce  résultat  qu'ils  n'osaient  espérer  est  obtenu.  Toutes 
les  puissances  de  l'Europe  ont  aboli  la  traite  ;  l'Afrique 
ne  verra  plus  désormais  dans  les  Européens  établis  sur 
son  rivage,  ou  qui  arriveront  dans  les  ports,  des  hommes 
avides  de  son  sang,  mais  des  amis  et  des  bienfaiteurs. 
Comment  s'est  opérée  cette  révolution  inattendue?  L'ins- 
titution africaine  en  a  toute  la  gloire.  Babey. 


WWWWVW%\/VVV 


ÉPITRE  A  M.  VIENNET  , 

Par  M.  le  comte  François  ,  de  Neufchâteau  (i). 
{Février  1821  ). 

D'une  haleine,  Viesnet,  j'ai  lûtes  seize  épîtres. 
Dont  ta  verve  rapide  effleure  les  chapitres , 
Avec  cet  abandon  naturel  et  charmant 
Que  Montaigne  eut  jadis  en  prose  seulement. 
Ton  pégase  emporté  ,  déployant  ses  deux  ailes , 
Veut  voler  tour  à  tour  chez  les  neuf  immortelles. 
C'est  l'aisance  d'Ovide  et  non  son  esprit  faux. 
Les  grâces  d'un  talent  tiennent  à  ses  défauts  ; 

(1)  Une  circonstance  particulière  nous  ayant  procoré  une  copie  de 
cette  épître ,  encore  inédite,  du  Nestor  de  la  poésie  française ,  nous 
croyons  faire  plaisir  à  nos  lecteur»  en  la  leur  communiquant. 

(N.  ».  R.) 


KPITlli:  A  M.  VIENNKr.  283 

Cette  facilité  nous  charme  et  nous  invile , 
Mais  elle  embrasse  trop  ,  mais  elle  va  trop  vite. 
Deux  à  deux,  quatre  à  quatre,  et  de  source  coulant , 
Tes  vers  m'ont  fait  l'eËTet  d'un  très-long  feu  roulant. 
Où  mon  oreille  en  vain  attendait  quelque  pause. 
Le  coursier  le  plus  vif  quelquefois  se  repose  : 
D'allure  et  de  gambade  il  se  plaît  à  changer  ; 
S'il  va  l'amble,  il  est  ferme  ;  au  trot,  il  est  léger; 
Quand  il  faut  galoper,  l'œil  a  peine  à  le  suivre. 
Le  tien ,  dès  son  départ ,  à  sa  fougue  se  livre  ; 
Avant  qu'il  soit  au  but,  il  ne  peut  s'arrêter. 

Tes  sujets,  presque  tous,  sont  heureux  à  traiter. 
C'est  un  mérite  :  il  faut  choisir  ce  qu'on  veut  peindre  ; 
Louer  peu ,  blâmer  juste ,  et  rarement  se  plaindre. 
Tu  te  venges  gaîment  de  ce  maire  d'Issy  (i). 
Et  de  cette  police  à  l'esprit  rétréci , 
Qui  de  quatre-vingt-treize  imite  les  furies , 
Reforge  des  suspects  et  des  catégories  , 
Et  pour  vexer  les  gens ,  prenant  le  nom  du  Roi , 
De  ce  nom  protecteur  fait  un  signal  d'effroi. 
Lorsqu'il  reprit  son  poste ,  après  sa  longue  absence , 
Le  Roi  par  sa  bonté  cimenta  sa  puissance  , 
Et  sut  choisir  ainsi  le  garant  le  plus  sûr 
D'une  gloire  présente  et  d'un  renom  futur. 
Loin  d'aller  vainement ,  dans  les  tems  les  plus  sombres , 
.Des  vieux  abus  détruits  ramasser  les  décombres  , 
Il  apporta  du  ciel  les  trois  plus  grands  bienfaits  : 
La  liberté  publique ,  et  les  lois^  et  X^paix  (2). 
Au  prince  qui  les  fonde  on  rend  un  pur  hommage  ; 
Son  éclat  n'admet  rien  qui  souille  son  image. 
Il  ne  saurait  descendre  aux  ineptes  fureurs 
D'un  obscur  Hobereau  ,  vieilli  dans  ses  erreurs  , 
Qui  ne  peut  revenir  de  s'être  mis  en  tête 
Qu'à  se  battre  pour  lui  l'Europe  toujours  prête 
Viendrait  de  son  donjon  refaire  les  créneaux. 
Rebâtirait  ses  fours  et  ses  moulins  bannaux  , 

fi)  Epître  XIV  à  mon  frère  Joseph,  1816. 

(a)   hiberias  .   leges  ,  et  pax  sitnt  opiima  don  a. 


284  EPITRE  A  M.   VIENNET. 

£t  que  les  souverains,  avant  tout  armistice, 
Lui  feraient  relever  ses  fourches  de  justice. 
Mais  ses  hauts  alliés  {  quel  énorme  grief!  ) 
S'en  sont  allés  deux  fois  ,  sans  songer  à  son  fief: 
Et  de  ce  fief  maudit  les  traces  effacées 
Roulent  dans  le  torrent  des  sottises  passées. 
Eh  !  qui  les  reprendrait  au  gouffre  de  l'oubli  ? 
Qui  voudrait  retourner  sous  un  joug  aboli  f 
Le  monde ,  délivré  de  cette  tyrannie  , 
N'en  doit  plus  de  nouveau  subir  l'ignominie  (i). 
On  ne  sait  pas  encor  dans  quel  autre  dessein 
Reparut  en  nos  murs  le  froc  d'un  capucin. 
C'est ,  dans  certains  états,  une  lèpre  obligée  ; 
La  France ,  pour  jamais ,  crut  en  être  purgée  ; 
Son  peuple  ne  saurait,  libre  et  laborieux. 
S'épuiser  pour  nourrir  des  fainéans  pieux. 
On  doit  tout  au  travail  :  ce  dieu  des  arts  utiles 
Rend  les  hommes  meilleurs  et  les  champs  plus  fertile»; 
Mais  on  ne  peut  souffrir ,  dans  aucune  cité , 
Que  l'on  fasse  un  état  de  la  mendicité. 
Ton  épître  piquante  (2) ,  à  cette  ignoble  race  , 
Oppose  un  trait  railleur,  qui  nous  en  débarrasse. 
Veulent-ils  revenir?  bon  !  sans  les  rudoyer. 
C'est  en  se  moquant  d'eux  qu'il  faut  les  renvoyer. 
L'orgueil  brave  la  loi ,  rarement  il  recule  ; 
Mais  la  sottise  nue  a  peur  du  ridicule. 
Un  distique  naïf  a  suffi  dans  Paris 
Pour  imposer  silence  au  tombeau  de  Paris. 
L'archevêque  ,  moteur  des  troubles  de  la  fronde  (3)  , 
Lâchait  des  confesseurs  pour  agiter  le  monde. 
Pour  le  calmer,  la  cour  lâcha  des  chansonniers , 
Et  le  champ  de  bataille  échut  à  ces  derniers. 
Ainsi  donc  il  vaut  mieux,  dans  les  guerres  civiles, 

(1)  Montesquieu  a  prédî*  que  le  gouvernement  féodal  ne  parai- 
trail  qiCunefois  dans  le  monde. 

(2)  Epître  XV  au  Capucin. 

(3)  Le  cardinal  de  Retz. 


ÉPITRE  A  M.  VIENNET.  285 

En  place  de  canons,  braquer  des  vaudevilles. 
IJ  vaudrait  mieux  encor  ne  chanter  que  la  paix , 
Que  l'on  jure  toujours  et  qu'on  ne  tient  jamais. 
Mais  au  parnasse  enfin,  lorsque  l'on  entre  en  lice. 
Il  n'est  pas  de  succès  sans  un  peu  de  malice. 
Tu  ne  l'ignorais  point ,  mais  ton  glaive  discret 
Porte  à  l'extrémité  le  bouton  d'un  fleuret  ; 
Qu'importe ,  si  l'on  sent  la  pointe  que  tu  caches  l 

Parmi  tant  de  beautés  ,  noterai-je  des  taches  î 
Voyons  ;  tu  te  mets  trop  en  scène.  Est-ce  un  grand  mal? 
Le  moi ,  qui  paraissait  haïssable  à  Pascal , 
Offre  à  tout  homme  au  fond  une  douceur  secrète  ; 
A  plus  forte  raison  flatte-t-il  un  poète. 
Heureux,  quand  l'égoïsme  ,  empreint  dans  un  auteur. 
Subjugue  l'égoïsme  inné  dans  le  lecteur  ! 
Quand  Perse  mit  au  jour  son  très-petit  volume  : 
«  Qui  lira  ,  disait-il ,  ces  vains  fruits  de  ma  plume  f 
Deux  oisifs  tout  au  plus ,  ou  peut-être  pas  un  (i).  « 
Comment  donc  s'élever  au-dessus  du  commun  ? 
Le  secret  de  tout  tems  fut  assez  difficile. 
Martial  se  plaignait  qu'aux  muses  peu  docile  , 
Sa  Rome ,  en  ce  tems-Ià  ,  reine  de  l'univers , 
N'avait  qu'un  fier  dédain  pour  le  talent  des  vers. 
La  jeunesse  tranchante  ,  à  l'auteur  d'un  poème  , 
Montrait  le  nez  pointu  du  rhinocéros  même  (a). 
Les  Français  de  nos  jours  ne  sont  pas  moins  blaséii ,' 
Et  nos  rhinocéros  sont  mal  apprivoisés. 

Ils  se  plaignent  déjà  que  ta  muse  fleurie 
Ne  leur  livre  aucun  trait  de  sa  galanterie. 
Du  beau  sexe  ,  en  passant ,  à  peine  parles-tu  ; 
Mais  il  n'est  sans  l'amour  ni  talent  ni  vertu. 
Un  chantre  plus  habile ,  en  sa  lyrique  ivresse  , 
Suit  par-delà  le  Styx  l'ombre  de  sa  maîtresse. 
Quand  d'une  beauté  morte  on  est  si  fort  épris, 


(i)   Quisleget  hœc?  aut  duo,  autnemo.  Pkbsics. 

(a)  Nescis,  heu  !  nescis  noslrœfaslidia  Romœ  ; 

Elpueri  nasum  Rhinocenmùs  hahent.  Mahtulis. 


286  EPITRE  A  M.   VIENNET, 

Mainte  beauté  vivante  y  veut  mettre  le  pnx. 
Si  tu  n'entretiens  pas  le  public  de  tes  flammes  , 
«  Ce  rimeur,  dira-t-on  ,  n'a  rien  fait  pour  les  femmes  ; 
Le  sévère  Boileau  ne  fut  pas  plus  discret ,  » 
Et  tu  sais  là-dessus  tout  ce  qu'ajouterait 
L'esprit  sentimental  d'un  siècle  romantique, 
Oii  l'on  préfère  à  tout  la  romance  erotique. 
Mais  à  des  madrigaux  je  ne  veux  point  taxer 
Un  esprit ,  dont  le  vol  n'a  pu  s'y  rabaisser  ; 
Et  je  sais  que  ta  muse  ,  aux  jeux  de  Melpomène , 
Veut  de  l'amour  tragique  agrandir  le  domaine. 

Le  récit  de  Parga  prouve  un  autre  talent  ; 
C'est  un  tableau  tracé  par  un  peintre  excellent , 
Dont  l'œil  suit  les  tyrans  dans  leurs  marcbes  obliques. 
Et  qui  les  fait  passer  par  les  verges  publiques. 
O  que  la  poésie  est  un  noble  métier, 
Quand  la  muse  ,  suivant  ce  périlleux  sentier. 
Consacre  aux  opprimés  les  accens  de  sa  lyre  ! 
Mais  les  tyrans,  fâcbés  que  l'on  apprenne  à  lire. 
Ont-ils  jamais  goûté  la  cadence  d'un  vers  î 
Ils  n'en  ont  pas  besoin  pom-  régir  l'univers. 
Ils  ont  cette  raison  ,  dont  le  grand  fabuliste  , 
Dans  son  chef-d'œuvre,  a  fait  cette  règle  si  triste 
Des  agneaux  par  les  loups  faits  pour  être  mangés  (i). 
Eh  !  les  hommes  enti-e  eux  sont-ils  moins  enragés  1 
Sur  les  moindres  sujets  ,  et  pour  des  bagatelles , 
Ne  nourrissons-nous  pas  des  rixes  immortelles. 
Comme  si  le  destin  ne  nous  avait  promis 
Que  l'affreux  dénouement  des  Frères  ennemis  ? 
L'escadron  de  Cadmus  ne  sortit  de  la  terre 
Que  pour  s'exterminer  dans  une  horrible  guerre. 
Ainsi,  l'un  contre  l'autre  acharnés  à  lutter, 
Nos  gens  ne  semblent  nés  que  pour  se  disputer. 
Chacun ,  de  son  côté ,  fait  effort  de  poitrine 
Pour  faire  prévaloir  la  plus  saine  doctrine  ; 


^i;   La  raison  du  plus  fort  est  toujours  la  meilleure.      Lafomai-ns, 


KPITRE  A   M.   VIENNE!.  287 

La  plus  saine  doctrine  est  celle  d'un  parti  ; 

Le  mal  est  déguisé ,  le  bien  est  perverti  ; 

Personne  ne  s'entend  :  dans  l'énorme  cohue , 

D'un  côté  l'on  vous  claque,  et  de  l'autre  on  vous  hue  ; 

On  ne  rugissait  pas,  je  crois,  d'un  autre  ton, 

Au  pandœmonium  si  bien  peint  par  Milton. 

Même  la  piété,  telle  qu'elle  est  de  mode. 
De  ce  tapage  affreux  saintement  s'accommode. 
Et  des  frères  prêcheurs  voudrait  aider  la  voix 
Avec  l'heureux  secours  des  dragons  de  Louvois. 
La  piété  sincère,  humble,  douce  ,  ignorée. 
Désavoue  en  pleurant  sa  sœur  dénaturée  , 
Qui  dérobe  son  nom  pour  mettre  tout  en  feu , 
Et  couvre  ses  fureurs  des  intérêts  de  Dieu  ; 
Elle  gémit  en  vain  d'un  pareil  sacrilège. 
La  fausse  piété  trompe  avec  privilège  ; 
Et  ce  culte  divin ,  qui  devrait  aux  autels 
Lier  d'un  nœud  si  doux  tous  les  faibles  mortels , 
De  leurs  divisions  est  la  source  féconde. 
L'esprit  d'intolérance  est  le  fléau  du  monde  ; 
Et  ce  monstre  a  pour  lui  des  tartufes  nouveaux. 
Qui  jettent  sa  gangrène  en  de  faibles  cerveaux. 
Voilà  le  tems  présent ,  il  paraît  fort  étrange. 

Mais  pour  toi  ce  chaos  se  débrouille  et  s'arrange , 
Et  du  docteur  Pangloss  l'optimisme  joyeux 
A  rempli  sous  ta  plume  un  cadre  ingénieux  (i). 
A  travers  le  fracas  des  hommes  et  des  choses , 
Ton  siècle  et  ton  pays  n'ont  pour  toi  que  des  roses. 
Je  n'en  dis  pas  autant;  mais,  comme  toi,  j'ai  lu 
Que  les  siècles  passés  ont  encor  moins  valu. 
Pourquoi  donc  aujourd'hui,  de  l'ignorance  antique  , 
Fait-on  ,   à  tout  propos ,  l'éloge  dogmatique , 
Quand  l'Europe  ne  vit  ses  tristes  habitans 
Plus  à  plaindre  jamais  que  dans  le  bon  vieux  tems  î 
De  ces  âges  obscurs  l'histoire  dégoûtante 
Rend  leur  apologie  absurde  et  révoltante. 

(i)  Epitre  XVI  aux  louangeurs  du  tems  passé. 


;  ill^ITRE  A  M.   VIENNET. 

De  nos  pères  quiconque  exalte  le  bonheur. 
Se  trompe  ou  veut  tromper  ,  ment  à  son  propre  cœur. 
Si  leurs  os  ranimés  pouvaient  se  faire  entendre  , 
Un  seul  mot ,  un  seul  cri  sortirait  de  leur  cendre  : 
«  Hélas  !  nous  fûmes  tous  serfs  ou  tyrans.  »  Grands  dieux 
Veut-on  renouveler  ce  partage  odieux  ? 
Aux  vassaux  affranchis  va-t-on  rendre  leur  chaîne  î 
Ou  quelque  vieux  druide ,  orné  de  guy  de  chêne , 
Croit-il  persuader  aux  esprits  cultivés 
Qu'i4faut,  pour  voir  plus  clair,  avoir  les  yeux  crevés? 
Ayons  dans  l'avenir  un  peu  plus  d'espérance. 
Confions-nous  surtout  à  celui  de  la  France  ; 
Ce  grand  corps  fut  froissé  par  des  chocs  violens, 
Mais  une  âme  de  feu  circule  dans  ses  flancs. 
La  révolution,  parla  Charte  épurée, 
Dans  ce  qu'elle  eut  d'heureux  est  enfin  consacrée. 
Elle  a,  dans  ses  récits,  faits  pour  nous  effrayer. 
Des  feuillets  teints  de  sang  que  Clio  veut  rayer; 
Mais  il  en  est  ainsi  de  toutes  les  histoires  : 
Les  excès  sont  toujours  la  suite  des  victoires. 
La  modération ,  cette  rare  vertu , 
Ne  parle  qu'aux  humains,  las  d'avoir  combattu; 
Et  ce  qu'auparavant  ils  taxaient  de  faiblesse , 
Quand  ils  sont  fatigués  ,  n'a  plus  rien  qui  les  blesse. 
J'ai  d'avance  pourtant  signalé  ces  excès  ; 
J'osai,  jusqu'à  deux  fois,  leur  faire  leur  procès. 
Mais  sans  abandonner  le  principe  honorable , 
Que  la  sagesse  adopte  et  qu'elle  rend  durable. 
Par  elle  ,  trois  pouvoirs  d'intérêt  séparés , 
Mais  d'un  nœud  monarchique  étroitement  serrés  , 
A  la  voix  du  malheur  et  de  l'expérience, 
Ont  posé  parmi  nous  une  arche  d'alliance. 
Observons  franchement  ce  traité  solennel  ; 
Mais  cessons  de  tourner  dans  un  cercle  éternel 
De  plaintes  ,  de  regrets  .  de  reproches  sinistres. 
Songez  à  l'avenir,  pairs,  députés,  ministres! 
Le  passé  n'est  plus  rien,  le  présent  disparait, 
L'avenir  vous  attend  ;  redoutes  son  arrêt. 


EPITRE  A  M.  VIENNEÏ.  289 

Pour  mener  un  grand  peuple  il  faut  de  grands  mobiles  ; 

Soyez  donc  avec  lui  plus  généreux  qu'habiles  ; 

Écoutez,  écoutez  un  simple  citoyen. 

Ami  du  bien  public,  indifférent  au  sien! 

Je  touche  incessamment  au  terme  de  ma  vie; 

Je  vous  parle  sans  fard ,  sans  fiel  et  sans  envie  ; 

Sachez  les  sentimens,  apprenez  les  besoins 

De  cette  nation  qui  compte  sur  vos  soins. 

La  grande  vérité  qu'on  ne  peut  méconnaître , 

C'est  que  ce  beau  pays  n'est  pas  ce  qu'il  peut  être. 

Qu'on  aille  ,  j'y  consens ,  à  travers  les  dangers , 

Chercher  un  gain  douteux  sur  des  bords  étrangers  i 

Mais  que  l'on  sorte  enfin  de  cette  indifférence 

Qui  laisse  sans  valeur  la  moitié  de  la  France. 

Ah  !  si  tous  les  discorda ,  replongés  dans  l'enfer. 
Respectent  un  repos  qu'on  nous  vendit  si  cher. 
Dans  les  arts  de  la  paix  quelle  gloire  nouvelle , 
Quel  rameau  d'un  or  pur,  û  Français  ,  vous  appelle  l 
Dans  votre  heureux  climat  les  hommes  entassés 
Peuvent  sur  certains  points  se  trouver  trop  pressés. 
Sur  votre  carte  aussi ,  quels  grands  espaces  vides 
Ouvrent  un  champ  sans  borne  à  des  colons  avides  1 
Mais  de  vos  meilleurs  fonds ,  la  plupart  mal  tenus , 
Sans  peine  on  peut  d'abord  tripler  les  revenus. 
Pourvu  qu'une  herbe  utile  au  froment  s'y  marie , 
Et  transforme  partout  la  jachère  en  prairie.  , 

Les  bois  ,  depuis  long-tems  ,  encor  plus  négligés  ; 
Les  animaux  chétifs  ,  mal  nourris  ,  mal  logés  ; 
Les  vignes  périssant ,  faute  de  quelque  avance  ; 
L'olivier  qui  bientôt  manque  môme  en  Provence  ; 
Tout  réclame  des  lois ,  tout  veut  de  prompts  secours  ; 
Mais  il  faut  des  effets  et  non  pas  des  discours. 
A  l'art  de  cultiver  demandez  des  miracles. 
Mais  au  moins  de  sa  marche  écartez  les  obstacles. 
La  charrue  a  reçu  les  leçons  du  savoir, 
Elle  attend  désormais  les  bienfaits  du  pouvoir. 

O  combien  de  moissons  ,  sous  la  glèbe  cachées  , 
Par  le  soc,  rendu  libre,  en  seraient  arrachées  1 


290  EPITRE  A  M.   VIENNET. 

Combien  de  prés  rians,  perdus  sous  des  marais  l 
Combien  de  plateaux  nus  implorent  des  forêts  1 
La  corne  d'Amalthée  est  au  milieu  des  landes  ^ 
Si  Pomone  et  Bacchusy  tressaient  leurs  guirlandes. 
Des  landes,  des  déserts,  ô  France  !  ô  mon  pays  1 
Quel  opprobre ,  et  surtout  quels  trésors  enfouis  1 
Que  de  bras  sans  ouvrage  et  de  terres  en  friche  ; 
Et  si  le  continent  n'était  pas  assez  riche , 
Que  Neptune  à  Cérès  peut  cé»ler  de  terrain  (i)  ! 

Mais  puis-je  ici,  Viexnkt,  t'exprimer  mon  chagrin  ? 
J'ai,  depuis  quarante  ans,  rebattu  ces  images  ; 
J'ai,  depuis  quarante  ans,  évoqué  ces  villages. 
Ces  fermes,  ces  fossés,  ces  digues,  ces  enclos. 
Qui,  du  sein  d'un  sol  vierge  en  un  moment  éclos. 
Montreraient  au  bonheur  la  France  parvenue 
Par  une  route  encor  dans  l'histoire  inconnue. 
Voilà  l'ambition  ,  dont  l'innocente  ardeur. 
Sans  reculer  l'état ,  doublerait  sa  grandeur. 
Les  Français  peuvent  tout,  lorsqu'à  leur  industrie 
S'offre  pour  aiguillon  l'amour  de  la  patrie. 
Ce  prodige  est  aisé  ;  qu'on  le  veuille ,  il  suffit  ; 
Ce  n'est  qu'un  mot  à  dire,  et  ce  mot  n'est  pas  dit  (a)  1 
A  droite  comme  à  gauche,  on  pérore ,  on  s'emporte  : 
Pauvres  agriculteurs ,  écoutez  à  la  porte  l 
Jamais  vous  n'entendrez  personne  s'enquérir 
Des  millions  d'arpens  qui  sont  à  conquérir. 
Des  millions  d'arpens  !  .  .  L'ame  la  moins  active 
Serait-elle  insensible  à  cette  perspective  ? 
£h  quoi  !  d'un  Écossais  les  calculs  spécieux , 
Sur  le  Mississipi  fascinant  tous  les  yeux  , 
Firent  courir  la  France  après  cette  chimère  ; 
Le  rêve  fut  brillant ,  l'issue  en  fut  amère. 
L'effroyable  système  ayant  tout  déplacé 
Commença  nos  malheurs  dans  le  siècle  passé  (3). 

(i)  Les   laisses  et  relaisses  de  la  mer,  dont  on  peut  faire  des  pol- 
ders sur  deux  cents  lieues  de  côtes. 
(2)  Vers  de  Voltaiee  dans  Tancrède. 
Çf)  Il  y  a  cent  ans  juste  du  système  de  Law. 


IIRITRE  A   RI.   VIENNE!.  291 

La  morale  publique ,  aux  piedjS  presque  foulée  , 

Au  vil  agiotage  alors  fut  immolée  ; 

Et  le  seul  fondement  d"un  splide  bonheur. 

Le  travail  à  Paris  cessa  d'être  en  honneur. 

Mais  il  n'est  point  ici  d'illusion  lointaine. 

Point  de  chiffres  trompeurs ,  point  de  chance  incertaine. 

Ce  que  je  te  propose  ,  ù  France ,  tu  le  tiens  I 

L'industiie  et  le  sol ,  source  de  tous  les  biens , 

T'assurent ,  sans  sortir  de  tpn  enceinte  même. 

Ce  que  t'avait  au  loin  promis  un  faux  système. 
Où  sont-ils ,  en  effet ,  ces  millions  d'arpens  ? 

Sous  les  murs  de  Bordeaux  ,  de  Nantes ,  d'Orléans  ; 

Et  la  Champagne  encore  a  ses  plaines  de  craie , 

Où  le  blé  peut  un  jour  succéder  à  l'ivraie. 

Ces  plans  sont-ils  douteux  ?  quelques  heureux  essais 

N'en  ont-ils  pas  déjà  garanti  le  succès  ! 

Ceux  qui  surent  dompter  les  fureurs  de  la  Loire  (i) 

Ne  pourraient-ils  ailleurs  avoir  la  même  gloire? 

Tant  de  torrens  fougueux  ,  contenus  dans  leurs  lits , 

Verraient  leurs  bords  fixés ,  fécondés ,  embellis  ; 

Ou  leurs  flots  divisés ,  arrosant  leurs  rivages , 

De  leur  cours ,  en  bienfaits ,  changeraient  les  ravages. 

Paris  même,  si  l'art  eût  mieux  conduit  ses  eaux. 

Devrait  voir  arriver  et  partir  des  vaisseaux  (2). 

De  ces  projets  hardis  l'ignorance  s'étonne  ; 

Et  tandis  qu'à  sa  voix,  on  balance ,  on  tâtonne  , 

De  canaux  dépourvu ,  de  routes  mal  percé,  ' 

Le  centre  du  royaume,  à  lui-même  laissé  (5) , 

Languit  dans  cet  espoir,  dont  toujours  on  le  berce  , 

De  le  rendre  à  la  vie  en  l'ouvrant  au  commerce. 


(i)  Les  levées  de  la  Loire  sont  trop  peu  connues;  Lafontaine  est 
le  seul  de  nos  auteurs  qui  en  ait  dit  un  mot  dans  son  voyage  de 
Limoges.  L'Encyclopédie,  qui  cite  des  vers  anglais  sur  les  ravages  de 
ce  fleuve ,  aurait  pu  ne  pas  oublier  les  vers  de  Lafontaine. 

(■2)  Paris  est  le  plus  grand  débouché  de  notre  agriculture,  mais  il 
lui  manque  d'être  un  port  de  commerce ,  et  il  est  susceptible  de  le 
devenir. 

1)  Le  Berry  et  les  déparlemens  adjacens. 


592  EPITRE  A  M.   VIENNET. 

Mille  autres  lieux  restés  daos  le  même  abandon , 
Demandant  si  la  France  est  leur  patrie  ou  non  , 
De  ses  prospérités  étendraient  la  carrière. 
Pour  nous ,  quand  nous  jetons  nos  regards  en  arrière  » 
Des  travaux  des  Romains  les  restes  ont  du  prix  ; 
Ils  triomphent  de  nous  encor  dans  leurs  débris. 
Faisons  mieux  qu'eux  1  léguons  à  la  race  future 
Les  triomphes  plus  doux  de  notre  agriculture  1 
D'un  pareil  avenir  quand  on  peut  disposer. 
Le  plus  grand  des  malheurs  est  de  temporiser. 
Le  retard  d'une  année  est  ime  perte  immense  ; 
Je  le  dis,  chaque  fois  qu'un  nouvel  an  commence  , 
Et  pour  le  proclamer  et  le  redire  encor. 
Que  n'ai-je  les  poumons  et  la  voix  de  Stentor  i 
Depuis  long-tems  la  France  attend  ces  colonies , 
Et  les  difiQcultés  en  seraient  aplanies , 
Si  notre  esprit  public  ,  impétueux ,  ardent , 
Comme  un  fleuve  eût  coulé  dans  ce  lit  abondant , 
Où  le  riche ,  assignant  au  pauvre  son  salaire , 
Joindrait  à  ses  profits  le  plaisir  de  bien  faire. 
Tel  fut  du  grand  Henri  le  sublime  dessein  ; 
•  La  France  a  ,  disait-il ,  les  Indes  dans  son  sein  ; 
Il  faut  les  en  tirer.  »  Cette  ame  si  profonde 
Nous  aurait  fait  chez  nous  trouver  le  nouveau  monde  (i). 
Et  depuis  deux  cents  ans ,  ô  vertige  insensé , 
A  ses  plans  créateurs  nous  n'avons  plus  pensé. 
Henri  nous  fut  ravi  par  le  plus  noir  des  crimes  ; 
Hélas  !  le  même  coup  nous  ravit  ses  maximes, 
Et  mit  dans  son  royaume  ,  à  peine  rétabli , 
Ses  trésors  au  pillage  et  ses  lois  en  oubli. 
Cependant  son  ministre  et  son  ami  fidèle , 
Des  bons  rois  sur  Henri  figurant  le  modèle , 
Nous  apprit  le  secret  qu'ils  pratiquaient  tous  deux  : 
C'était  l'économie  ;  on  la  crut,  avant  eux, 
Restreinte  aux  soins  étroits  du  ménage  rustique  ; 


(i)  Ces  mots  sont  presque   textuellement  dans  le  préambule  d'un 
édit  de  Henri  IV,  pour  le  dessèchement  des  marais  de  Saintonge, 


ÉPITRE  A  M.  VIENNET.  293 

Ils  en  firent  un  art  royal  et  politique  (i)  ^ 

Et  l'épargne  ,  appliquée  à  de  si  grands  objets  , 

Fut  honorable  au  prince  et  sacrée  aux  sujets. 

De  Henri ,  de  Sully  le  tems  qui  nous  sépare. 

Fait  pour  nous  de  l'épargne  un  mot  presque  barbare. 

En  invoquant  leurs  noms  que  le  peuple  chérit , 

Nous  n'avons  pas  de  même  invoqué  leur  esprit. 

Il  est  vrai  qu'un  état,  presque  toujours  en  guerre , 
Songe  plus  à  troubler  qu'à  défricher  la  terre. 
Pour  commander  au  sol  d'abondantes  moissons , 
Il  faut  surtout  la  paix,  et  nous  en  jouissons. 
Mais  cet  astre  de  paix,  levé  sur  nos  rivages. 
Ne  luit  qu'environné  d'un  cercle  de  nuages  ; 
De  son  disque  éclatant ,  dans  ses  taches  noyé , 
Vers  nous  un  rayon  pâle  à  peine  est  renvoyé. 
Que  l'œil  du  jour  se  montre  et  perce  ces  ténèbres  ! 
Qu'il  nous  sauve  à  jamais  de  tant  d'ombres  funèbres  l 
Que  ses  nombieux  cufaus ,  plus  iiuuibicux  sous  sa  loi , 
Puissent  du  même  ton  crier  :  Vive  le  Roi  ! 
Mes  vœux  avec  les  tiens  en  ce  point  se  confondent, 
ViBNNET,  de  tous  côtés  les  échos  nous  répondent. 
Si  les  cœurs  sont  d'accord ,  quel  malheureux  travers 
Fait  donc  prendre  aux  esprits  des  chemins  si  divers! 
Des  intérêts  de  tous  la  concorde  est  le  gage  : 
Hélas  !  à  l'oublier,  quel  démon  nous  engage  î 
O  toi ,  de  qui  la  grâce  a  des  rayons  vainqueurs, 
Capable,  quand  tu  veux,  d'amollir  tous  les  cœurs, 

(i)  Les  économies  royales. .  . ,  titre  admirable  des  mémoires  de 
Sully.  On  y  trouve  un  parallèle ,  en  vers ,  de  César  et  de  Henri  IV, 
où  Sully  (oublié  dans  le  catalogue  des  poètes  français)  nous  atteste 
que  ce  prince  voulait 

Établir  des  lecteurs ,  lever  des  librairies , 
Réparer  tous  les  ponts ,  les  pavés ,  les  voiries  , 
Dessécher  les  marais ,  évacuer  les  eaux  , 
Conjoindre  les  deux  mers ,  faisant  divers  ruisseaux  , 
Et  coupant  monts  et  rocs  avec  un  tel  ménage 
Qu'on  aurait  admiré  l'inventeur  et  l'ouvrage. 


29A  EPITRE  A  M.   VIENNET. 

Toi  seul  grand ,  toi  seul  bon ,  seul  vrai  père  des  hommes , 
Dieu  puissant  !  prends  pitié  de  l'état  où  nous  sommes. 
O  mon  Dieu  !  fais-moi  voir  les  Français  réunis , 
Et  mes  vieux  ans  glacés  se  croiront  rajeunis. 
Sans  avoir  ce  plaisir,  faudra-t-il  que  je  menre  ?... 
Mais  j'aimerai  les  vers  jusqu'à  ma  dernière  heure. 
Je  veux  obstinément ,  chers  enfans  des  neuf  sœurs  , 
De  vos  concerts  divins  savourer  les  douceurs. 
Tu  vois  comme ,  Vierret,  tout  chaud  de  ta  lecture , 
De  ma  goutte  cruelle  oubliant  la  torture  , 
J'ai  cru  me  retrouver  dans  le  sacré  vallon , 
Assis,  malgré  mon  âge,  au  trépied  d'Apollon. 
Je  crains  que  les  détails  où  mon  zèle  m'entraîne 
N'effarouchent  un  peu  les  nymphes  d'Hippocrène. 
Mais  ma  voix  qui  s'exhale  en  ces  derniers  accens, 
Voudrait  les  rendre  encor  plus  vifs  et  plus  perçans. 
C'est  le  cri  de  l'oison  ,  et  non  le  chant  du  cygne  ; 
De  l'oison  toutefois  l'honneur  serait  insigne. 
Si  son  cri ,  favorable  aux  Romains  d'autrefois , 
Pouvait  être  entendu  des  enfans  des  Gaulois. 


REPONSE  DE  M.  VIENNET. 

Quoi  !  c'est  l'héritier  de  Volthrb  , 

Le  doyen  de  notre  hélicon , 

Le  digne  et  dernier  rejeton 

De  cette  école  littéraire. 

Qui ,  malgré  ÎVonotte  et  Fréron , 

Et  la  tourbe  parlementaire  , 

Fit  toucher  au  doigt  du  vulgaire 

Et  la  justice  et  la  raison  ; 

C'est  lui ,  dont  la  muse  facile 
A  daigné  dans  ses  vers  éterniser  mon  nom. 
Cette  épître  ,  échappée  à  sa  veine  fertile , 

Fut  écrite  au  sacré  vallon  , 

Entre  Despréaux  et  Virgile , 

Et  je  reconnais  à  son  style 

XJn  secrétaire  d'Apollon , 

Qui  m'y  décerne  un  droit  d'asyle. 


m 


tlVV«VVt/\>VVVVI/VVVVVV%VVtaVVVVl«V\>VI/t/VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV%'V'VV\VVVVVV\lVV\llVV% 


II.  ANALYSES  D'OUVRAGES. 


SCIENCES  PHYSIQUES. 

I 

Miroir  des  corps  ,  ou  anatomie  de  l'homme  ,  ouvrage 
sur  Tanatomie  ,  la  médecine  et  la  thérapeutique  , 
écrit  en  turc  par  Chani-Zadeh  ,  membre  de  l'our 
léma,  tiré  en  partie  des  ouvrages  français  ,  allemands 
et  anglais  sur  le  même  sujet  (i). 

Il  entre  dans  le  plan  de  ce  recueil  de  faire  connaître 
l'état  de  la  civilisation  et  des  sciences  chez  les  difFérens 
peuples.  Mais  c'est  surtout  lorsque  cette  civilisation , 
après  avoir  été  enchaînée  pendant  des  siècles  par  l'igno- 
rance et  le  fanatisme,  réussit  à  briser  ses  entraves  et  ù 
étendre  son  influence  sur  une  nation  jusqu'alors  barbare, 
qu'il  convient  de  signaler  ses  premiers  produits. 

Tel  a  été  jusqu'à  ce  jour  le  sort  de  l'empire  ottoman; 
placé  sous  le  ciel  brillant  de  la  Grèce  et  comblé  des  dons 
d'une  nature  aussi  belle  que  prodigue  de  bienfaits  ,  il 
n'en  est  pas  moins  livré  à  la  barbarie  et  en  proie  aux  plus 
horribles  calamités  qui  peuvent  affliger  l'espèce  humaine. 
L'aversion  des  musulmans  pour  les  innovations  les  plus 
utiles ,  lorsqu'elles  ne  sont  point  dans  l'esprit  du  Coran , 
leur    soumission    passive    et   aveugle    envers    l'ouléma 


(i)  Constantinople ,  1820.  i  vol.  in-f"  d'environ  3oo  pages,  avec 
56  planches  gravées  sur  cuivre.  C'est  le  premier  ouvrage  publié  en 
Turquie  sur  les  sciences.  Cet  article  n'est  que  le  résumé  d'une  notice 
plus  étendue  que  l'auteur  fait  imprimer  à  part,  et  dans  laquelle  lev 
orientalistes  trouveront  des  détails  qui  peuvent  les  intéresser. 


296  SCIENCES  PHYSIQUES. 

(ordre  religieux  et  politique,  chargé  du  dépôt  de  la  reli- 
gion et  des  lois),  dont  l'intérêt  et  l'esprit  de  domination 
l'ont  toujours  porté  à  entraver  et  à  étouffer  le  développe- 
ment du  génie  national  ;  le  contact  du  sang  regardé  comme 
une  souillure  ou  une  impureté  ;  l'idée  d'impiété  atta- 
chée à  toute  représentation  de  figures  humaines;  la 
loi  qui  s'oppose  formellement  à  l'ouverture  des  cadavres , 
lors  même  que  le  mort  aurait  avalé  la  perle  la  plus  pré- 
cieuse _,  et  qui  lie  lui  appartiendrait  pas  ;  enfin  ^  l'idée  de 
la  prédestination,  qui  change  en  vertu  religieuse  l'insensi- 
bilité et  l'imprévoyance  avec  lesquelles  on  attend  les  di- 
vers accidens  de  la  vie,  avaient  opposé  jusqu'à  ce  jour  des 
barrières  insurmontables  aux  progrès  de  la  médecine  et 
de  la  chirurgie,  en  Turquie. 

D'après  tous  ces  obstacles ,  on  n'apprendra  pas  sans 
étonnnement  que  le  gouvernement  turc  vient  de  faire 
composer  et  imprimer  le  premier  ouvrage  sur  l'anatomie 
et  la  médecine  qui  soit  encore  sorti  des  presses  de  Cons- 
tantinople.  Ce  qui  est  surtout  remarquable ,  c'est  que  cette 
publication  a  été  faite,  en  vertu  d'un  khatti-cherif,  ou 
édit  du  grand-seigneur,  lequel  n'a  pu  prendre  cette  ini- 
tiative qu'en  sa  qualité  de  calife,  ou  de  chef  suprême  de 
la  religion. 

Cet  ouvrage ,  qui  est  de  Chassi  Zadeh  Mehemmed 
Ataoullah,  membre  de  l'ordre  religieux  et  judiciaire  de 
l'ouléma,  forme  un  gros  volume  in-folio  d'environ  trois 
cents  pages,  orné  de  cinquante-six  planches  assez  mal 
gravées,  il  est  vrai ,  mais  où  l'homme  et  toutes  les  parties 
de  l'anatomie  sont  exactement  représentées  (i).  La  subs- 

(i)  La  planche  ci-jointe  ,  et  qui  est  un  fac  simile  de  deux  figures 
d'anatomie  ,  prises  dans  l'ouvrage  même  ,  donnera  une  idée  exacte 
de  l'état  actuel  de  la  gravure  chez  les  Turcs.  Cette  planche  est  de 
l'imprimerie  lithographique  de  M.  de  Lasteyrie. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  597 

tance  de  ce  livre  a  été  tirée  en  partie  des  auteurs  français. 
H  faut  observer,  à  celte  occasion,  que  ce  n'e«t  pas  la 
première  fois  que  les  Turcs  puisent  chez  nous  les  connais- 
sances essentielles  qui  leur  manquent  (i).  Il  est  honorable 
pour  la  France  d'avoir  contribué  au  bien-être  et  à  l'ac- 
croissement de  la  population  ottomane ,  en  la  mettant  à 
même  de  se  perfectionner  dans  l'art  le  plus  nécessaire  au 
soulagement  de  l'humanité. 

L'ouvrage  de  Chani-Zadeh  est  écrit  d'un  style  clair  et 
concis.  La  plupart  des  mots  techniques  ont  été  pris  de  l'a- 
rabe. Quelquefois  aussi,  et  surtout  dans  l'anatomie,  l'au- 
teur a  conservé  ,  en  traduisant,  le  mot  grec  ou  latin  em- 
ployé dans  l'original. 

L'ouvrage  se  divise  en  trois  pajties  :  la  première  con- 
tient tout  ce  qui  concerne  l'anatomie ,  et  l'explication  des 
cinquante-six  planches.  Ces  planches  paraissent  avoir  été 
copiées,  en  partie,  des  ouvrages  de  Eertin  et  de  Palfin.  La 
seconde  partie  comprend  l'étude  des  facultés  physiques  et 
intellectuelles  de  l'homme,  ou  la  pliysiologie.  Enfin,  la 
troisième  traite  delà  nature  des  maladies  et  de  l'emploi  des 
médicamens,  ou  de  la  pathologie  et  de  la  thérapeutique. 
Le  dernier  livre  se  termine  par  une  pharmacopée,. ou  traité 
delà  préparation  des  remèdes,  en  arabe  et  en  turc  ,  conte- 


(i)  Les  Turcs  nous  doivent  presque  toutes  leurs  fortifications  des 
Dardanelles  et  de  l'entrée  du  Bosphore  ou  canal  de  la  mer  Noire  , 
qui  ont  été  élevées  par  des  ofiGciers  français.  Il  en  est  de  même  de  leur 
marine  militaire  ,  dont  tous  les  vaisseaux  ont  été  construits  par 
MM.  Le  Roi ,  Brun  et  Benoit,  Le  Gis  du  dernier  est  encore  aujour- 
d'hui constructeur  de  la  marine  ottomane. 

Les  ouvrages  français ,  dans  lesquels  les  Turcs  ont  puisé  les  élé- 
mens  des  sciences,  sont  ceux  de  Vauban,  de  LaQtc  et  de  Trngaet , 
tous  traduits  en  turc ,  ainsi  que  plusieurs  traités  français  sur  les  ma-" 
thématiques  et  la  géographie  ,   depuis  l'année  i  jS.j  jusqu'en  i8of. 

Tome  x.  20 


?98  SCIKNCES  PHYSIQUES. 

nànt  trois  cent  dix-neuf  recettes    applicables  à  presque 
toutes  les  maladies.   Dans  cette  dernière  partie,  l'auteur 
fait  une  mention  détaillée   de  la  yaccine.  Ce  qu'il  en  dit 
est  très-remarquable  de  la  part  d'un  musulman.  Il  paraît 
attacher  à  cette  précieuse  découverte  toute  l'importance 
qu'elle  mérite.  Il    expose  particulièrement  les   avantages 
qu'elle  a   sur  l'inoculation   pratiquée  depuis   long-tems 
chez  les  Arabes ,   et  dit,  à  cette  occasion ,    que   la   petite 
yérolo,  inconnue   auparavant,   pénétra  en  Turquie  ,  lors 
de  la  conquête  de  l'Egypte  par  Selim  I".  D'après  le  doc- 
teur allemand  de  Caro,  que  l'écrivain  turc  traduit  litté- 
ralement, il  donne  l'historique  de  la  vaccine,  depuis  sa 
découverte  par  Jenner;  il  suit  ses  pi'ogrès  en  Europe,  rap- 
pelle les  expériences  faites  à  ce  sujet,  en  1800,  dans  le  palais 
de   lord    Elgin ,    ambassadeur   d'Angleterre  à  Constanti- 
nople ,  celles  qui   eurent  lieu  à  Vienne,   en  présence   de 
l'empereur  d'Autriche;  les  encouragemens  donnés  à  cette 
découverte  par  l'exemple  du  monarque,  qui  fit  lui-même 
vacciner  ses  enfans.  Enfin,  il  donne  des  passages  entiers  des 
divers  traités  sur  la  vaccination  par  les  docteurs  Rangue, 
Laurens,  Mandine  et  Guillotin.  Il  termine  cet  article  par 
une  conclusion  qui  est  entièrement  de  lui ,  sur  la  manière 
de  vacciner  et  sur  tout  ce  qui  se  pratique  dans  cette  opé- 
ration, dont  il  explique  les  diverses  périodes,  en  signalant 
les  accidens  qui  peuvent  s'y   manifester.  Il  observe,  en 
outre,  que   le  virus  vaccin  ne   se  trouve  pas  également 
sur    les  vaches  de   toutes   les  contrées,   qu'on  le  fait  ve- 
nir d'un   endroit  dans  un  autre,  que  celui  qui  parut  d'a- 
bord à  Constantinople  venait    d'Amérique  (1) ,    d'Angle- 
terre et  dautres  paj'^s  étrangers  ;  mais  qu'on  en  a  trouvé 


(1)  Je  dois  ici  rectifier  une  erreur  de  l'auteur.  Le  premier  vaccin 
n'a  pas  été  apporté  d'Amérique  en  Turquie  ,  mais  il  y  a  été  envoyé 
de  Vienne  par  le  docteur  allemand  de  Qaro. 


SCIENCES  PHYSIQlJi:s.  399 

•également  au  village  d'Aïaz-Aga,  dan.s  le  voisinage  de 
Kiad-Khana,  aux  environs  de  Constanlinople,  et  que  c'est 
avec  ce  dernier  que  plusieurs  milliers  de  personnes  ont 
été  vaccinées. 

Par  la  nature  même  du  pays  et  des  hommes  au  milieu 
desquels  il  vient  de  paraître ,  l'ouvrage  de  Chani-Zadch 
ne  peut  manquer  d'exciter  l'intérêt  des  personnes  atten- 
tives à  suivre,  dans  les  tems  où  nous  vivons,  les  progrès  de 
l'esprit  humain.  Mais  c'est  surtout  pour  les  orientalistes 
et  les  voyageurs  qui  ont  habité  long-tems  le  levant,  que 
cette  espèce  de  révolution  dans  l'esprit  des  musulmans 
paraîtra  extraordinaire.  Puissent  bientôt  l'influence  et  le 
développement  de  ce  premier  germe  de  la  science,  en 
éclairant  les  ottomans,  bannir  à  jamais  de  leur  patrie, 
comme  il  l'est  depuis  long-tems  du  reste  de  l'Europe  ,  le 
terrible  fléau  qui  les  accable  (1).  Biaxchi. 


Wl-'V  WWWW  W  »."V 


Traité  complet  de  îiécanique  appliquée  aux  arts  , 
contenant  l'exposition  méthodique  des  théovies  et 
(les  expériences  les  plus  utiles  pour  diriger  le  choix, 
l'invention,  la  construction  et  l'emploi  de  toutes 
les  espèces  de  machines  ;  par  M.  J.  A.  Borgnis  , 
ingénieur,  m^embre  de  plusieurs   académies  (9). 

(1)  La  conséquence  naturelle  de  cette  réflexion  devrait  être  pour 
les  Turcs  l'établissement  des  lazarets ,  seul  préservatif  convenable 
contre  les  ravages  annuels  de  la  peste.  Ce  fléau,  qui  semblait  avoir 
accordé  une  trêve  à  l'empire  ottoman  ,  depuis  l'expédition  des  Fran- 
çais en  Egypte,  a  reparu  avec  une  nouvelle  intensité,  en  1811  et 
1812.  Le  nombre  des  victimes  qu'il  a  moissonnées  dans  ces  deux 
fatales  années  ,  a  été  de  plus  de  aSo.Ooo  pour  les  seules  villes  de 
Constanlinople  et  de  Smyrne. 

(a)  Paris,  iSiS- 1820. 8  vol.  in-4°  avec  planches.  Bachelier,  libraire, 
quai  des  Augustins,  n"  55.  —  Pour  la  commodité  des  artiste»  ou  de 

20* 


r.ÛÛ  SCIKNCKS  l'HYSIQtrS. 

N.  B.  Nous  avons  déjà  fait  connaître  l'utilité  de  cet  im- 
portant ouvrage  {  Voy.  Hevue  Encyclopédique ,  Tome  I, 
page  227  );  mais  nous  avons  ensuite  (dans  notre  second 
volume,  page  2i5)  donné  une  analyse  détaillée  du  pie- 
mier  traité ,  qui  en  est  la  base  fondamentale.  Au  lieu  de 
rendre  compte  des  différentes  parties  qui  ont  été  publiées 
depuis,  au  furet  à  mesure  qu'elles  paraissaient,  nous  avons 
préféré  attendre  que  l'impression  de  l'ouvrage  fût  termi- 
née, pour  en  mettre  l'ensemble  sous  les  yeux  du  lecteur. 

SECOND  TRAITÉ. 

Du  mouuement  des  fardeaux,  contenant  la  description 
et  Vexamen  des  méthodes  les  plus  convenables  pour 
transporter  et  élever  toute  espèce    de  fardeaux  (^i^ 

Sous  la  dénomination  de  rnouvemeni  des  fardeaux ^ 
M.  Borgnis  comprend  toutes  les  espèces  de  translations 
et  de  chaogemens  de  position  que  l'on  peut  faire  subir 
aux  corps  inanimés,  depuis  les  plus  petits  jusqu'aux  plus 
gigantesques. 

Avant  d'entrer  en  matière,  l'auteur  se  livre  d'abord  à 
quelques  considérations  préliminaires  sur  le  choix  des  ma- 
chines les  plus  avantageuses,  dans  les  diverses  circons- 
tances que  présentent  les  fardeaux,  relativement  aux  mou- 
vemens  qu'on  se  propose  d'effectuer.  Par  trois  faits  qu'il 
cite,  et  qu'il  prend  au  hasard,  il  prouve  l'utilité  d'un 
bon  choix  sur  les  différentes  manières  de  produire  ce 
mouvement. 

ceux  qui  ne  voudraient  se  procurer  qu'une  ou  plusieurs  des  parties  de 
l'ouvrage,  on  vend  séparément  chacun  des  traités  dont  nous  avons 
donné  les  titres ,  pag.  21 5  de  notre  second  volume. 

(i)  Paris,  1820.  Bachelier,  libraire.  1  vol.  in-S»  de  334  pages  avec 
30  planches  ;  prix  ,  16  fr. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  301 

1°  Deux  blocs  de  pierre,  du  poids  de  27  milliers  de  livres 
métriques  chacun,  étaient  destinés  à  former  les  angles  du 
fronton  qui  couvre  le  péristyle  de  l'église  de  Sainte-Gene- 
viève à  Paris;  ils  étaient  l'un  et  l'autre  sur  le  port  des 
Invalides.  Pour  transporter  le  premier,  on  a  employé 
11  jours  et  7  nuits,  à  l'aide  de  deux  cabestans  tournés 
chacun  par  huit  hommes,  qui  se  relayaient  de  deux  heures 
en  deux  heures:  la  distance  était  d'environ  5, 200  mètres. 
Ce  transport  a  coûté,  en  journées  d'hommes,  indépendam- 
ment des  équipages  et  faux  frais,  768  francs.  Le  seconda 
été  amené,  par  un  voiturier,  du  même  endroit,  et  sur  le 
même  chariot,  en  moins  de  trois  heures.  Il  a  fallu,  pour 
ce  transport,  63  chevaux  attelés  trois  à  trois,  et  1:2  char- 
retiers; il  n'a  coûté  que  4^5  fr. 

2°  Le  transport  du  grand  obélisque  de  la  place  de  Saint- 
Pierre  à  Rome,  effectué,  sous  le  pontificat  de  Sixte-Quint, 
par  Dominique  Fontana,  coûta  plus  de  200  mille  francs; 
le  trajet  était  très-court,  l'obélisque  pesait  6gA  milliers. 
Les  frais  auraient  été  infiniment  moindres,  si  l'on  eût  em- 
ployé les  mêmes  moyens  qui  furent  mis  en  usage  pour 
transporter  le  fameux  rocher  de  Pétersbourg,  qui  pesait 
trois  millions  de  livres,  et  qui  existait  dans  un  n:\arais  près 
de  la  baie  du  golfe  de  Finlande,  à  une  lieue  et  demie  du 
bord  de  l'eau,  et  à  cinq  lieues  et  demie  de  la  ville.  Les  frais 
du  transport  ne  s'élevèrent  qu'à  3i5  mille  fr. 

3°  Le  port  des  ardoises  qu'on  retirait,  en  Angleterre ,  des 
carrières  de  lord  Penrhyn,  exigeait  autrefois  le  service  de 
j  A'i  chariots  et  de  4oo  chevaux;  en  1801 ,  le  propriétaire 
lit  établir  un  chemin  de  fer,  au  moyen  duquel  dix  che- 
vaux suffisent  pour  le  même  transport. 

L'auteur  assigne  ensuite  six  causes  principales,  qu'il 
"^egardc  comme  autant  de  sources  d'erreurs  qui  rendent 
difficile  le  bon  choix  des   machines  :  1°  lorsque,  dans  l'ap- 


302  SCIENCES  PHYSIQUES. 

préciation  (les  forces  ,  on  n'a  pas  égard  aux  vitesses  corres- 
pondantes; 2"  lorsque  l'on  confond  l'effet  statique  avec 
l'effet  dynamique,  c'est-à-dire  lorsque  l'on  confond  l'effet 
qui  dépend  de  l'équilibre  avec  celui  qui  dépend  du  mou- 
vement; 3"  lorsqu'on  néglige  de  tenir  compte  des  résistances 
qui  tendent  à  diminuer  l'effet  utile  des  machines;  4*^  lors- 
qu'on juge  d'une  action,  sans  avoir  égard  à  sa  durée; 
5"  lorsqu'on  ne  calcule  point  les  interruptions  dépendantes, 
soit  du  mécanisme,  soit  des  agens  moteurs;  6°  enfin, 
lorsqu'on  néglige  d'examiner  si  les  agens  moteurs  sont 
placés  de  manière  à  pouvoir  déployer  des  forces  libres  et 
concordantes. 

C'est  afin  de  n'être  pas  exposé  à  attribuer  aux  machines 
des  propriétés  chimériques  qu'elles  n'ont  jamais  eues  et 
qu'elles  ne  peuvent  avoir,  ou  pour  ne  pas  méconnaître 
celles  dont  elles  sont  douées,  que  l'auteur  indique  avec 
beaucoup  de  précision  et  de  clarté  les  régies  que  l'on  doit 
suivre. 

11  a  divisé  ce  traité  en  trois  livres.  Dans  le  premier,  il 
fait  connaître  les  machines  dont  on  se  sert  pour  mouvoir 
les  fardeaux.  Les  cordes  occupent  la  première  place  :  après 
avoir  indiqué  la  meilleure  manière  de  les  fabriquer,  et 
rapporté  sommairement  les  belles  expériences  de  Duhamel, 
Mussembroeck  et  Réaumur,  il  enseigne  le  meilleur  moyen 
de  faire  les  épissures  ,  c'est-à-dire  de  réunir  deux  cordes 
sans  faire  de  nœuds. 

Il  passe  ensuite  aux  leviers^  il  indique  leurs  différens 
genres,  ramène  plusieurs  instrumens  plus  ou  moins  simples 
au  levier,  de  sorte  que,  par  une  suite  de  cette  considération 
particulière,  il  est  facile  d'en  étudier  et  d'en  juger  les  effets. 
Il  faut  lire  avec  une  grande  attention  la  dissertation  de  l'au- 
teur sur  cette  machine  importante,  etàlaquelle  toutes  les 
autres  peuvent  se  rapporter.  C'est  toujours  le  Içvier  qu'on 


SCIENCES  PHYSIQUES.  303 

emploie  de  préférence  à  tout  autre  instrument,  à  cause  de 
sa  simplicité  et  de  ses  puissans  effets.  M.  Carburi,  dans  la 
vue  de  ne  rien  perdre  en  frottemens,  n'emplo}'^  que  le  levier 
du  premier  genre  pour  transporter  l'énorme  rocher  qui  sert 
de  base  à  la  statue  de  Pierre-le-Grand  à  Saint-Pétersbourg. 
Il  décrit  cette  opération  surprenante ,  ainsi  que  celle  de 
Dominique  Fontana,  lorsqu'il  transporta  l'obélisque  du 
Vatican,  de  derrière  la  sacristie  de  Saint-Pierre,  pour  l'éle- 
ver au  milieu  de  la  place. 

Le  cabestan,  les  treuils  horizontaux  de  toute  espèce,  les 
moulinets  ou  vireveaux,  les  roues  à  chevilles  j  à  tambour, 
à  double  force,  les  treuils  à  deux  parties,  sont  décrits  avec 
le  plus  grand  soin  et  avec  beaucoup  de  clarté.  M.  Borgnis 
traite  ensuite  de  la  construction  des  poulies,  des  vis,  des 
coins,  des  crics  et  des  machines  à  engrenage.  Il  entre  dans 
les  plus  grands  détails  sur  les  principes  qui  doivent  diriger 
le  mécanicien  dans  l'exécution  de  ces  instrumens  indispen- 
sables dans  les  travaux,  et  surtout  dans  ceux  que  ce  traité 
a  principalement  en  vue. 

Après  avoir  examiné  avec  une  attention  scrupuleuse  la 
manière  la  plus  avantageuse  pour  construire  ou  pour  em- 
ployer les  machines  qu'il  vient  de  décrire,  il  indique  les 
moyens  ingénieux  que  les  Egyptiens  employaient  pour 
transporter  leurs  obélisques,  depuis  les  carrières  jusqu'au 
Nil,  sans  le  secours  des  machines.  Ces  moyens  ont  donné 
naissance  à  l'invention  des  chameaux  dont  on  se  sert  dans 
les  ports  de  mer  qui  ont  peu  de  profondeur  à  leur  embou- 
chure, pour  faire  entrer  et  sortir  les  vaisseaux,  quand  leur 
immersion  est  plus  grande  que  cette  profondeur. 

Il  décrit  ensuite  le  moyen  dont  se  servit  Ctésiphon,  ar- 
chitecte du  fameux  temple  d'Ephèse,  pour  transporter  les 
fûts  des  colonnes  ioniques,  qui  avaient  dix-sept  mètres  de 
liautcur,   et  pesaient  plus  de  'j5o  milliers  métriques.   Ils 


30A  SCIENCES  PHYSIQUES. 

furent  traînés  comme  les  cylindres  avec  lesquels  on  apla- 
nit les  allées  des  jardins.  Les  achitraves  furent  amenés  par 
un  procédé  analogue  qu'imagina  son  fils  Métagènes. 

L'auteur  indique  le  parti  qu'on  peut  tirer  de  la  propriété 
qu'ont  les  cordes  de  se  raccourcir  par  l'humidité.  11  cite 
pourexemple  l'érection  des  deux  colonnes  de  la  place  Saint- 
Marc  à  Venise,  qui  eut  lieu  avec  facilité,  quoique  chacune 
d'elles  pesât  plus  de  43  milliers  métriques,  eu  employant 
des  cordes  sèches,  que  l'on  mouilla  au  moment  favorable. 
Un  simple  bûcheron  de  Craveggia,  patrie  de  l'auteur, 
a3'ant  beaucoup  de  grosses  pièces  de  charpente  à  transpor- 
ter à  travers  un  vallon  escarpé  et  très-profond,  imagina  de 
les  f.iire  glisser  le  long  d'un  cable  fortement  tendu  entre 
les  deux  montagnes.  Enfin,  il  fait  connaître  le  procédé 
simple  et  ingénieux  que  M.  Cravato  a  proposé  pour  re- 
dresser le  clocher  de  Saint-George  à  Venise. 

Cinq  espèces  de  résistances  nuisent  à  l'effet  actif  des 
machines  :  i°  l'obliquité  de  traction;  2°  le  défaut  de  so- 
lidité des  points  d'appui;  3"*  les  secousses  irrégulières 
et  le  changement  brusque  de  vitesse  et  de  direction;  4"  les 
frottemens,  la  roideur  et  l'âprelé  des  cordes.  M.  Borgnis 
donne  les  moyens  de  les  éviter  ou  de  les  diminuer,  et 
rapporte  les  expériences  de  Coulomb  sur  les  deux  dernières 
espèces. 

Il  traite,  dans  le  dernier  chapitre  du  premier  livre,  de 
la  mesure  de  la  force  des  hommes  et  de  celle  des  animaux, 
et  de  la  manière  la  plus  avantageuse  de  l'employer. 

Le  mouvement  des  fardeaux  se  divise  naturellement  en 
deux  espèces:  il  s'agit  de  les  traîner,  ou  bien  de  les  élever 
verticalement  ou  obliquement.  Le  second  livre  est  con- 
sacré aux  mouvemens  de  la  première  espèce,  qui  s'exé- 
cutent soit  sur  des  plans  horizontaux,  soit  sur  des  plans 
inclinés.  Les  résistances  que  l'on  éprouve  dans  le  transport 


SCIENCES  PHYSIQUES.  305 

naissent  principalement  des  plans  ou  des  chemins  à  par- 
courir, et  de  la  forme  des  véhicules  qu'on  y  emploie. 

i"  Du  chemin  de  terre.  M.  Borgnis  traite  de  la  construc- 
tion des  anciennes  voies  romaines,  comparées  aux  grands 
chemins  modernes  des  différens  pays  de  l'Europe.  On  regar- 
derait comme  des  fables  les  travaux  immenses  que  les  Ro- 
mains ont  entrepris  à  cet  égard,  si  leur  solidité  étonnante  ne 
les  avait  conservés  jusqu'à  nous,  long-tems  après  la  destruc- 
tion de  l'empire  romain  lui-même.  Nos  routes  modernes 
sont  bien  éloignées  de  cette  perfection;  mais  aussi  elles 
coûtent  moins,  et  sont  beaucoup  plus  larges.  L'auteur  rap- 
porte ensuite  les  belles  expériences  du  comte  de  Rumford, 
et  en  déduit  l'appréciation  de  la  résistance  que  le  roulage 
d'une  voiture  éprouve,  suivant  qu'elle  chemine  sur  une 
chaussée  pavée  en  grès,  ou  formée  d'un  simple  empier- 
rement, ou  bien  encore  suivant  que  cette  l'oute  est  prati- 
quée surleterrain  naturel,  ou  que  ce  terrain  est  sablonneux, 
ferme  ou  compressible. 

2°  Chemins  de  fer.  Ce  nouveau  moyen  de  transport,  dont 
on  a  commencé  à  faire  usage  en  France,  il  y  a  plus  de 
trente  ans,  à  la  fonderie  du  Creusot  (Saône-et-Loire),  ne 
s'y  est  pas  multiplié  comme  en  Angleterre,  où  toutes  les 
provinces  en  possèdent.  Si  l'on  fait  attention  aux  avan- 
tages immenses  qu'il  procure,  on  ne  sera  plus  étonné  du 
nombre  considérable  de  ces  routes  que  l'industrie  anglaise 
a  établies  dans  ce  pays.  La  facilité  qu'ils  offrent  pour  le 
transport  est  incroyable.  Sur  le  chemin  de  fer  établi  dans 
la  province  de  Surrey,  pour  faire  communiquer  Porst- 
moulh  avec  Londres,  un  cheval  traîne,  en  remontant,  trois 
chariots  pesant  i G  milliers.  Sur  un  autre  chemin,  ayant 
deux  tiers  de  pouce  de  pente  par  loise,  un  seul  cheval 
conduit,  en   descendant,   vingt-un   chariots  pesant  plus 


306  SCIENCES  PinSIQlES. 

de  86  milliers,  avec  la  plus  grande  facilité,  et  remonte 

i4  millier?. 

Ces  chemins  sont  formés  de  barres  de  fonte  de  fer  de 
trois  pieds  de  long,  pesant  de  3o  à  4o  livres;  elles  sont 
posées  bien  parallèlement  à  une  distance  de  4  à  5  pieds. 
Elles  sont  garnies  d'un  rebord  extérieur,  et  quelquefois 
d'un  rebord  intérieur;  ce  qui  forme  une  espèce  de  couloir 
sur  lequel  roulent  les  roues  des  chariots. 

Ces  coulisses  ont  l'inconvénient  d'être  souvent  obstruées 
par  le  gravier  ou  par  la  poussière ,  et  de  supporter  tout 
le  poids  dans  leur  partie  la  plus  faible.  Les  rebords  peu- 
vent aussi  blesser  le  cheval,  lorsqu'il  vient  à  broncher. 
M.  Wyatt  leur  a  substitué  des  barres  de  fer  ovales  de  4  pieds 
et  demi  de  long  et  de  36  livres  de  poids,  sur  lesquelles 
reposent  les  roues  de  fonte  des  chariots  dont  les  jantes  sont 
concaves;  cette  amélioration  importante  ne  laisse  plus  rien 
ù  désirer.  Sur  la  route  de  Penryhn,  qui  est  établie  de  cette 
manière,  2  chevaux  traînent  24  chariots  six  fois  par  jour 
sur  la  longueur  d'un  relais  de  demi-lieue.  Chaque  chariot 
porte  un  tonneau  ou  à  peu  près  i,ooo  kilogrammes[(deux 
mille  deux  cents  livres)  d'ardoises.  On  ne  peut  rien  oppo- 
ser, dit  M.  Borgnis,  à  l'évidence  d'un  pareil  fait,  qui  est 
la  preuve  incontestable  de  l'utilité  des  chemins  de  fer. 

3°  Hivièf-es  ou  canaux.  Ces  chemins  fluides  sont  aussi 
supérieurs  aux  cheiiiins  de  fer  pour  la  facilité  des  trans- 
ports, que  ceux-ci  l'emportent  sur  les  routes  de  terre. 
On  peut  citer  pour  exemple  le  canal  d'Orléans,  où  un  seul 
homme ,  tirant  un  bâtiment  chargé  de  5o  mille  kilo- 
grammes, fait,  en  dix  jours,  le  trajet  de  ii  myriamètres. 
En  comptant  encore  dix  journées  pour  le  marinier  qui  di- 
rige le  bateau,  on  voit  que  le  transport  n'exige  que  vingt 
journées  d'homme,  tandisquc,  par  terre,  il  faudraitSoojoui- 


SCIENCES  l'HYSIQLES.  .-507 

nées  de  chevaux  et  yS  journées  de  voituriers.  11  y  passe 
annuellement  3, 800  bateaux,  sur  le  port  desquels  le  canal 
présente  une  économie  de  neuf  cent  mille  journées  de 
chevaux  et  cent  soixante-quinze  mille  journées  d'hommes. 
On  voit  par  là  quelle  immense  accroissement  ce  canal  pro- 
cure à  la  richesse  nationale. 

Nous  nous  sommes  arrêtés  sur  ces  divers  moyens  de 
transport,  à  cause  de  leur  influence  incalculable  sur  la 
prospérité  des  peuples,  et  parce  que  la  France  se  trouve  à 
cet  égard  bien  en  arrière  du  point  où  elle  pourrait  arriver. 
L'Angleterre,  plus  heureuse,  a  dû  en  grande  partie  l'ex- 
tension de  ses  manufactures  et  l'augmentation  de  sa 
richesse  à  un  système  bien  combiné  de  communications 
faeiles  qu'elle  obtient,  soit  par  ses  chemins  de  fer,  soit  par 
ses  innombrables  canaux  de  grande  et  de  petite  navigation. 

Les  véhicules  que  l'on  emploie  le  plus  généralement 
sont  les  traîneaux,  les  chariots  et  les  charrettes  de  diverses 
espèces.  L'auteur  les  compare  entre  eux  et  fait  connaître 
les  circonstances  où  il  y  a  plus  d'avantages  à  employer  les 
uns  plutôt  que  les  autres.  Il  donne  des  observations  sur 
la  meilleure  manière  d'atteler  les  chevaux;  il  fait  un  exa- 
men comparatif  des  voitures  à  deux  et  à  quatre  roues  ;  il 
entre  dans  tous  les  détails  utiles  du  charronnage  etdes  devis, 
c'est-à-dire  des  descriptions  pièce  à  pièce  d'une  charrette 
et  d'un  grand  chariot. 

Il  examine  ensuite  le  transport  des  diverses  espèces  de 
matériaux,  en  mettant  à  profit  les  expériences  de  Vauban, 
de  Perronet,  de  Coulomb ,  de  Gauthey  et  de  plusieurs  autres 
ingénieurs. 

Il  n'a  pas  oublié  d'indiquer  les  moyens^  employés  pour 
le  transport  des  bois  de  charpente,  depuis  la  forêt  où  ils 
sont  abattus  jusque  sur  le  chantier  où  ils  sont  mis  en 
œuvre.  Il  décrit  d'abord  les  couloirs  pratiqués  sur  le  pen- 


208  SCIENCES  PHYSIQX^ES. 

chant  des  montagnes,  et  sur  lesquels  les  pièces  de  charpente, 
abandonnées  à  l'action  de  leur  pesanteur,  glissent  avec 
lapidité,  comme  les  chars  sur  nos  montagnes  artificielles, 
qui  en  sont  une  imitation.  Les  bois  exploités  sont  ensuite 
transportés  par  terre  sur  des  traîneaux,  ou  par  eau,  au 
moyen  du  flottage.  M.  Borgnis  s'arrête  particulièrement 
sur  l'opération  importante  du  transport  des  mâtures. 

Il  traite  ensuite  de  tout  ce  qui  est  relatif  au  transport 
de  la  pierre  de  taille  prise  à  la  carrière,  jusqu'au  chantier 
où  elle  est  façonnée,  et  de  là  jusqu'au  pied  de  l'édifice  où 
elle  est  mise  en  place. 

Dans  ce  genre,  l'histoire  rapporte  des  opérations  gigan- 
tesques et  par  conséquent  très-rares,  mais  dont  les  résul- 
tats seraient  presque  incroyables,  s'ils  n'étaient  attestés 
par  le  témoignage  des  auteurs  anciens,  et  par  les  traces 
qu'en  présentent  les  monumens  eux-mêmes.  L'auteur 
décrit  le  transport  dos  obélisques  ,  des  temples  monolithes 
égyptiens,  delà  voûte  monolithe  deThéodoric  àRavennes, 
et  le  transport^  plus  récent,  du  rocher  énorme  de  Péters- 
bourg,  qui  pèse  plus  de  trois  millions  de  livres. 

La  conservation  des  statues  et  des  autres  productions 
précieuses  des  beaux-arts  exige,  dans  leurs  transports,  des 
précautions  particulières  que  M.  Borgnis  indique  avec  soin. 
11  donne  pour  exemple  une  description  détaillée  du  trans- 
port de  la  statue  deLouis  XV,  et  des  fameux  groupes  de  Cous- 
tou,  depuis  Marli  jusqu'à  l'entrée  des  Champs-Elysées. 
Il  fait  voir  aussi  comment  on  est  parvenu  à  déplacer,  sans 
détérioration,  des  pans  de  murailles  peints  à  fresque,  et 
même  une  chapelle  entière,  qui  existe  encore  à  Rome. 

Les  vaisseaux  sont  les  plus  grosses  machines  que  le 
génie  de  l'homme  ait  encore  imaginées.  Une  des  plus  belles 
opérations  de  la  mécanique  est  le  lancement  a  la  mer  de 
ces  masses  énormes:  M.  Borgnis  la  décrit  avec  beaucoup 


SCIENCES  PHYSIQUES.  309 

de  détails,   et  y  joint   des    obscivations   imporlanli^s  de 
M.  Viai  de  Clairbois   et  de  Coulomb. 

Il  termine  ce  second  livre  par  une  description  que  Pline 
a  donnée  des  théâtres  mobiles  de  C.  Curion,  qui  chan- 
geaient de  place  et  se  réunissaient  en  un  seul  amphithéâtre, 
en  transportant  tous  les  spectateurs.  Dans  une  dissertation 
très-ingénieuse,  il  explique  les  moyens  qu'on  a  dû  em- 
ployer pour  opérer  ces  effets  étonnans  qui  tiennent  de  la 
féerie,  et  il  recherche  l'étendue  de  la  force  nécessaire  pour 
mettre  en  mouvement  les  deux  théâtres  qu'il  suppose 
chargés  de  douze  mille  spectateurs. 

Dans  le  livre  dernier  qui  traite  du  tirage  oblique  et 
vertical  des  fardeaux,  il  commence  par  décrire  divers 
appareils  qu'on  y  emploie,  tels  que  les  écoperches,  les  bi- 
gues,  les  chèvres,  et  les  échafaudages  usités  dans  la  cons- 
truction des  édifices.  Il  fait  connaître  ensuite  les  machines 
importantes  pour  le  chargement  et  le  déchargement  des 
bateaux,  et  surtout  les  machines  à  mater  dont  il  décrit 
trois  espèces. 

Il  discute  les  meilleures  méthodes  pour  élever  les 
matériaux,  et  les  moyens  usités  dans  le  levage  et  la  pose 
des  pièces  de  charpente  employées  dans  les  constructions 
d'architecture  civile  et  navale.  Une  des  opérations  les  plus 
importantes  est  le  cintrement  des  voûtes,  dont  il  donne  le 
procédé  appliqué  aux  ponts  les  plus  célèbres.  Il  n'oublie 
pas  le  levage  des  grosses  pièces  de  charpente,  dans  la 
construction  des  vaisseaux. 

L'auteur  passe  à  la  description  du  levage  des  pierres  de 
taille.  Dans  une  dissertation  très-détaillée ,  il  prend  pour 
exemple  la  mémorable  opération  de  la  pose  des  deux  énor- 
mes pierres  de  dix-sept  mètres  de  long  et  de  quatre-vingts 
milliers  de  poids  qui  couvrent  le  fronton  de  la  colonnade  du 
Louvre.    Ces  blocs,  dit-il,  dont  la  plupart  des  Parisiens 


è'iO  SCIENCES  PHYSIQUES, 

ignorent  l'existence,  sont  aussi  dignes  d'être  connus  et 
admirés  que  certaines  constructions  cyclopéennes,  égyp- 
tiennes ou  romaines,  devant  lesquelles  on  ne  cesse  de 
s'extasier,  parce  qu'elles  sont  antiques. 

M.  Borgnis  termine  ce  traité  par  la  description  des  pro- 
cédés employés  pour  l'érection  des  colonnes  monolithes  et 
des  obélisques  ,  et  entre  autres  de  celui  du  Vatican  qui 
pèse  69^,000  livres.  II  indique  aussi  la  manière  de  poser 
les  grandes  statues  sur  les  édifices  élevés. 

TROISIÈME  TRAITÉ. 

Des  machines  employées  dans  les  constructions  diverses  ^ 
OU  description  des  machines  que  l'on  emploie  dans  les 
genres  d'architecture  civile,  hydraulique,  militaire  et 
navale  (i). 

Ce  traité  est  divisé  en  quatre  livres. 

Livre  I". — Avant  de  bâtir  un  édifice,  et  surtout  si  l'on 
veut  obtenir  une  construction  solide ,  il  est  indispensable 
de  s'assurer  de  la  force  des  matériaux.  La  nécessité  d'é- 
prouver les  matériaux  que  l'on  veut  employer  a  fait  ima- 
giner plusieurs  machines  ou  appareils  pour  arriver  à  ce 
but,  et  que  l'auteur  décrit  d'abord.  Il  rapporte  ensuite  les 
résultats  des  expériences  importantes  faites  avec  ces  ma- 
chines ,  sur  les  bois,  les  pierres,  les  briques,  les  mortiers 
et  le  fer;  expériences  dont  les  constructeurs  peuvent  tirer 
un  grand  parti. 

Il  y  a  beaucoup  de  pays  auxquels  la  nature  a  refusé  des 
pierres  propres  à  la  construction ,  et  qui  auraient  été  pri- 
vés d'habitations  commodes,  si  l'industrie  humaine  n'y 
avait  suppléé,  en  fabriquant  ces  matériaux  de  toutes  pièces. 

(2)  Paris,  iSjo.  Bachelier,  quai  des  Augustias,  n"  55.  i  vol.  in-4* 
de  536  pages  avec  s6  plancUes  ;  prix,  ao  fr. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  ::H 

Les  briques  que  l'on  fait  à  la  main,  en  beaucoup  d'endroits, 
deviennent  coûteuses  et  sont  mal  faites;  mais,  si  l'on  in- 
troduit dans  cette  fabrication  des  procédés  mécaniques,  les 
produits  que  l'on  obtient  alors  sont  parfaits,  abondans  et  à 
très-bon  compte.  Tels  sont  les  résultats  que  donnent  les 
procédés  et  les  machines  décrits  dans  ce  livre.  Les  uns  ont 
été  inventés  et  mis  en  usage,  en  Russie,  par  M.  Hattomberg  ; 
les  autres  par  M.  Rinsley,  en  Angleterre. 

C'est  par  la  main  de  l'homme  que,  dans  plusieurs  con- 
trées, l'on  écrase  péniblement  le  plâtre  et  le  ciment;  mais, 
en  Egypte  et  aux  environs  de  Strasbourg,  ce  sont  des  ma- 
chines qui  exécutent  cette  opération  avec  plus  de  facilité 
et  une  plus  grande  perfection.  La  Hollande  surtout  est  cou- 
verte de  machines  à  pulvériser  qui  sont  mues  par  le  vent, 
Dans  la  construction  du  pont  de  Neuilly,  Perronet  a  fait 
usage  de  deux  belles  machines,  pour  pulvériser  le  ciment 
et  pour  confectionner  le  mortier.  L'auteur  a  décrit  dans  ce 
livre  toutes  ces  machines,  ainsi  que  deux  autres  pour 
broyer  les  couleurs  ,  dont  l'une  imaginée  par  M.  Molard  et 
l'autre  par  M.  Hubert. 

Lorsqu'on  s'est  procuré  les  matériaux  propres  aux  cons- 
tructions, il  importe  de  leur  donner  la  forme  convenable, 
ou  de  les  tailler^  pour  les  approprier  à  leur  destination. 
Les  principales  machines  que  l'on  emploie  pour  tailler  le 
bois  et  la  pierre,  sont  les  scies,  soit  à  bras,  soit  méca- 
niques. La  régularité  du  mouvement  deces  outils  a  permis 
de  leur  appliquer  tous  les  moteurs  connus,  tels  que  les  ani- 
maux, l'eau,  le  vent,  la  vapeur  de  l'eau  bouillante.  Outre 
les  scies  à  mouvement  alternatif,  on  a  imaginé  encore 
les  scies  à  lame  sans  fin,  les  fraises  ou  scies  circulaires,  et 
celles  qui  donnent  une  double  courbure  au  bois.  Toutes 
ces  iTiachines  ingénieuses  sont  décrites  avec  soin,  de  même 
que   les    rabots   mécaniques   employés   dans  l'arsenal    de 


512  SCIENCES  PHYSIQUES. 

Woolwichyles  procédés  ingénieux  de  M.  Wright  pour  tailler 
et  forer  les  pierres,  et  enfin  la  machine  de  Perronet  pour 
forer  les  gargouilles  du  pont  de  Neuilly. 

Lapolissure  est  une  opération  importante  pour  le  fini  des 
ouvrages.  M.  Borgnis  donne  d'abord  l'indication  des  potées 
ou  des  substances,  par  le  frottement  desquelles  on  parvient 
à  polir  les  corps  les  plus  durs;  puis  la  description  des 
procédés  emplo.yés  pour  la  polissure  des  ouvrages  d'acier, 
des  glaces  et  des  marbres.  Il  termine  ce  livre  par  une  no- 
tice sur  la  belle  manufacture  de  porphyre  d'Elfrcdalen  ,  en 
Suède. 

Lû're,  IL — Il  est  consacré  aux  machines  eaiployées  dans 
rarchiteclure  hydraulique.  Ici,  aux  obstacles  qui  s'opposent 
ordinairement  au  mouvement  des  machines,  se  joint  encore 
celui  de  l'eau.  On  peut  quelquefois  changer  cet  obstacle 
en  une  force  favorable,  lorsque  le  mouvement  est  imprimé 
par  le  courant  même  de  l'eau  dans  laquelle  la  machine  doit 
agir,  ou  par  le  flux  et  le  reflux  de  la  mer. 

Lorsqu'on  veut  reconnaître  la  nature  des  couches  d'un 
terrain,  soit  pour  y  bâtir,  soit  pour  toute  autre  cause,  le 
sondage  est  une  opération  qui  devient  indispensable. 
M.  Borgnis  décrit  à  cet  effet  les  sondes  et  les  autres  outils 
nécessaires  ,  et  particulièrement  les  vérificateurs  de 
M.  Baillet. 

L'opération  la  plus  importante  qui  se  fasse  sous  l'eau, 
est  le  curage  des  rivières,  des  canaux  et  des  ports,  pour 
faciliter  la  navigation.  On  emploie  pour  cela  un  grand 
nombre  de  machines  plus  ou  moins  simples,  plus  ou  moins 
ingénieuses.  M.  Borgnis  fait  connaître  les  plus  utiles,  telles 
que  les  dragues  à  sable  et  à  vase,  les  louchets,  la  grande 
machine  à  curer,  à  roues;  celle  de  Venise,  à  balancier; 
la  machine  à  draguer  de  Rochefort  et  la  machine  à  chapelet, 
à  laquelle  il  donne  la  préférence.    Enfin  ,  il  indique  une 


SCIENCES  PHYSIQUES.  315 

manière  avantageuse  de  mettre  à  profit  le  courant  d'une 
rivière,  ou  le  flux  et  le  reflux,  pour  faire  mouvoir  une  ma- 
chine à  curer,  garnie  de  deux  chapelets. 
.  Les  hommes  qui  font  mouvoir  ces  machines  sont  placés 
liors  de  l'eau  :  il  était  intéressant  de  trouver  des  moyens 
qui  permissent  à  l'homme  d'aller  jusqu'au  fond  de  l'eau, 
et  d'y  exécuter  lui-même  les  travaux  convenables.  C'est 
dans  ce  but  qu'on  a  imaginé  les  cloches  à  plongeur^  le  ba- 
teau plongeur  de  Coulomb  et  Venveloppe  imperméable. 
L'auteur  décrit  aussi  les  scaphandres  ;  il  donne  une  mé- 
thode pour  nîiner  un  rocher  couvert  par  les  eaux;  une  autre, 
pour  extraire  les  navires  submergés,  en  faisant  passer  par- 
dessous  des  cables  que  l'on  amarre  à  des  corps  flotteurs  ; 
enfin ,  il  décrit  la  mémorable  extraction  du  vaisseau  le 
Phénix,  qui  était  submergé  dans  les  lagunes  de  Venise. 

Lorsqu'on  a  des  constructions  à  faire  dans  l'eau,  ou  sur 
un  terrain  d'une  consistance  faible  ou  inégale ,  on  le  con- 
solide ,  soit  par  la  percussion  immédiate ,  soit  par  le  pilo- 
tage. M.  Borgnis  regarde  le  premier  moyen  comme  plus 
économique  pour  obtenir  des  fondemens  plus  solides.  Pour 
déterminer  la  valeur  de  la  percussion  qu'il  est  nécessaire 
de  connaître  dans  les  deux  cas,  il  rapporte  les  expériences 
de  quelques  savans,  et  surtout  celles  de  Rondelet.  Il  décrit 
ensuite  les  machines  à  l'aide  desquelles  on  effectue  l'en- 
foncement des  pieux  et  des  pilotis;  les  moutons  à  bras,  à 
tiraude  ,  à  déclic,  et  les  arrache-pieux. 

Il  passe  au  recepage  des  pilots,  c'est-à-dire  à  l'opération 
dont  le  but  est  de  couper  une  portion  du  pieu  immergé 
à  une  profondeur  plus  ou  moins  grande,  et  décrit  les  ma- 
chines propres  à  produire  cet  effet. 

'  Le  troisième  livre,  consacré  à  la  description  des  machines 
de  guerre,  prouve  que  l'homme  n'est  pas  moins  industrieux 
dans  l'art  de  détriiire  que  dans  celui  d'édifier.  Les  anciens 
Tome  x.  21 


31A  SCIEiNXES  PHYSIQUES. 

avaient  déjà  fait  de  grands  progrès  dans  cette  science:  on 
pourra  s'en  convaincre ,  en  lisant  la  description  que  l'au- 
teur donne  de  leurs  armes-machines ,  qui  sont  très-ingé- 
nieuses; telles  que  les  halistes _,  les  catapultes,  les  béliers^, 
les  lièlèpoles  ou  tours  mobiles,  et  les  corbeaux. 

L'invention  de  la  poudre  à  canon  a  produit  une  révo- 
lution complète  dans  Tart  de  la  guerre,  par  suite  de  laquelle 
l'artillerie  moderne  a  obtenu  une  grande  supériorité  sur 
l'ancienne.  Le  principe  en  est  simple:  un  peu  de  poudre, 
placée  au  fond  d'un  tube  plus  ou  moins  gros,  produit  des 
effets  étonnans.  Les  applications  en  sont  variées,  selon 
qu'on  veut  lancer  des  balles,  des  boulets,  des  obus  ou  des 
bombes  ;  ce  qui  donna  naissance  aux  pistolets  et  aux  fusils, 
aux  canons  ,  aux  obusiers  et  aux  mortiers.  M.  Borgnis 
donne  les  procédés  en  usage  pour  la  fabrication  de  ces  ins- 
trumens;  il  décrit  aussi  la  manière  de  construire  les  armes 
blanches,  qu'il  considère  seulement  sous  le  rapport  des 
opérations  mécaniques.  Il  traite  d'abord  de  la  construction 
du  canon  de  fusil,  des  platines,  des  baïonnettes;  il  passe 
ensuite  à  la  description  des  quatre  opérations  principales 
de  la  fabrication  d'un  canon,  et  s'occupe:  i"  du  moulage; 
2»  du  coulage;  5°  du  forage;  A°  du  percement  de  la  lu- 
mière. Il  fait  connaître  en  même  tems  les  machines  que 
ces  diverses  opérations  nécessitent. 

La  fabrication  de  la  poudre  à  canon  est  trop  importante 
pour  que  l'auteur  ne  lui  ait  pas  consacré  un  chapitre  parti- 
culier. Les  principales  opérations  qu'elle  exige  y  sont  dé- 
crites avec  soin.  Il  passe  en  revue  les  procédés  que 
nécessitent,  i°  la  pulvérisation  du  salpêtre,  du  soufre  et 
du  charbon;  2"  le  mélange  et  la  compression  de  ces  ma- 
tières; 3°  le  lissage  de  la  poudre  qui  en  résulte. 

Livre  IV. — Des  machines  d'un  autre  genre  sont  décrites 
dans  ce  livre  ,    qui   traite    de   V architecture   navale.   Le* 


SCIENCES  PHYSIQUES.  315 

vaisseaux,  par  leur  grandeur,  par  les  dispositions  savantes 
de  leurs  parties,  par  la  difficulté  de  leurs  manœuvres,  sont 
les  machines  qui  font  le  plus  d'honneur  à  l'esprit  humain. 
Les  appareils  employés  dans  leur  construction ,  ont  déjà 
été  décrits  précédemment:  il  ne  reste  qu'à  parler  des  ma- 
chines employées  dans  les  corderies,  les  poulieries,  et  dans 
les  Ibrgcs  des  grosses  ancres. 

Les  cordages  sont,  dans  toutes  les  machines,  et  surtout 
dans  les  vaisseaux,  ce  que  les  muscles  sont  dans  le  corps 
humain:  sans  eux,  point  dévie,  point  de  mouvement; 
aussi ,  M.  Borgnis  s'attache-t-il  à  décrire  ,  dans  tous  ses 
détails,  la  fabrication  des  cordes.  Il  examine  successive- 
ment le  teillage  du  chanvre,  l'espade  et  le  peignage ,  la 
filature,  la  fabrication  des  torons,  le  commettage,  le  gou- 
dronnage, et  les  machines  que  ces  opérations  exigent.  II 
indique  la  manière  de  faire  les  cordages  ronds  et  plats, 
avec  du  chanvre  ou  avec  des  métaux  ,  l'art  de  fabriquer  les 
cables  en  fer,  et  rapporte  la  série  des  expériences  faites 
par  plusieurs  savans  pour  déterminer  leur  force. 

Dans  le  chapitre  qui  traite  des  poulieries ^  on  trouve, 
1°  un  moyen  de  faire  mouvoir  par  un  seul  moteur  un  grand 
nombre  de  machines  ,  sans  leur  faire  perdre  leur  ipdépen- 
dance  mutuelle;  2°  la  description  des  diverses  espèces  de 
tours;  3°  les  machines  propres  à  tarauder  les  vis  et  les  écrous 
de  toutes  dimensions,  et  tout  ce  qui  peut  être  relatif  à  cette 
partie  importante  de  la  mécanique. 

Ce  traité  est  terminé  par  la  description  de  l'art  de  fa- 
briquer les  ancres,  ces  instrumens  précieux  auxquels  est 
confié  le  salut  des  vaisseaux  et  de  l'équipage  ,  et  qui 
tiennent  le  premier  rang  parmi  les  ouvrages  de  fer  forgé. 
Les  procédés  ingénieux,  mis  en  usage  pour  transporter,  du 
ffiurneau  sur  l'enclume  et  de  l'enclume  dans  le  fourneau, 

51  * 


316  SCIENCES  PHYSIQUES. 

les  lourdes  masses  dont  les  ancres  se  composent,  sont  dé- 
crits avec  le  plus  grand  soin. 

QUATRIÈME  TRAITE 

Des  machines  hydrauliques ,  ou  machines  employées  pour 
élever  Veau  nécessaire  aux  besoins  de  la  vie,  aux  usages 
de  l'agriculture ,  aux  épuisemens  temporaires  et  aux 
épuisemens  dans  les  mines  (i). 

Ce  volume  contient  la  description  comparative  des  ma- 
chines qui  servent  à  élever  les  eaux  à  une  hauteur  plus  ou 
moins  grande.  L'usage  indispensable  de  l'eau  pour  les 
besoins  domestiques  ,  et  dans  la  plupart  des  travaux  de 
l'homme  ,  en  a  fait  imaginer  un  grand  nombre,  dans  les- 
quelles on  a  mis  à  profit ,  d'une  manière  plus  ou  moins 
ingénieuse,  les  diverses  propriétés  de  ce  liquide,  et  même 
qi^elquefois  celles  de  l'air  atmosphérique. 

Considérons  d'abord  celles  qu'on  peut  regarder  comme 
les  élémens  de  toutes  les  autres,  et  qui  sont  désignées, 
par  notre  auteur  ,  sous  le  nom  d'organes  opérateurs  aptes 
à  élever  l'eau.  Les  plus  remarquables ,  parce  qu'elles  sont 
les  plus  simples,  servent  à  élever  l'eau  par  un  mouvement 
unique  de  translation.  Telles  sont  :  i°  les  noj-ias^  compo- 
sées d'une  série  de  vases  suspendus  à  des  chaînes  sans  fin 
qui  s'enveloppent  sur  deux  tambours;  2°  les  chapelets  ver- 
ticaux et  inclinés  formés  d'une  suite  de  plateaux  liés  entre 
eux  par  une  chaîne  sans  fin  et  se  mouvant  dans  un  tuyau  ; 
3°  les  roues  à  godets  et  à  timpan  ;  U^  la  vis  d'Archimède  et 
la  vis  hollandaise,  dans  lesquelles  l'eau  s'élève  en  glissant 
sur  une  surface  hélicoïde  (ou  semblable  à  V hélice,  qui  est 

(1)  Paris,  1820;  Bachelier,  libraire,  i  vol.  in-'i'  <1p  ôio  pages, 
avec  27  plaaclies.  Prix,  au  f'r. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  317 

une  ligne  en  vis  autour  d'un  cylindre).  Viennent  ensuite 
les  pompes  qui  servent  à  élever  l'eau,  soit  par  la  seule 
pression  ,  comme  dans  \si  pompe  foulante ,  soit  tout  à  la  fois 
par  la  pression  du  piston  et  par  le  poids  de  l'atmosphère  , 
comme  dans  les  pompes  aspirantea  et  dans  celles  que  l'on 
nomme  aspirante  s- foulante  s.  M.  Borgni?  fait  connaître  dans 
le  plus  grand  détail  la  forme,  la  disposition ,  le  jeu  de  toutes 
leurs  parties ,  et  spécialement  des  soupapes  et  des  pis- 
tons; il  décrit  les  principales  variétés  qui  ont  été  mises  en 
usage^  et  indique  les  avantages  et  les  défauts  de  chacune 
d'elles. 

Les  machines  à  compression  d'air  ont  pour  type  la  fon- 
taine de  Héron,  géomètre  grec;  elles  sont  fondées  sur  le 
principe  delà  compressibilité  et  de  l'élasticité  de  ce  fluide. 
Si,  dans  un  vase  clos,  on  verse  de  l'eau  par  un  tuyau  long 
et  étroit,  l'air  renfermé  dans  ce  vase  se  comprime  et 
acquiert  une  force  élastique  proportionnelle  à  sa  pression  ; 
alors,  si ,  au  moyen  d'un  tuyau,  on  réagit  fortement  sur 
la  surface  de  l'eau  contenue  dans  un  autre  vase,  celle-ci 
s'élèvera  rapidement  dans  un  tuyau  ascendant ,  établi  à 
cet  effet.  Tel  est  le  principe  sur  lequel  sont  fondées  ces 
machines  ingénieuses,  et  qui  sont  excellentes  pour  élever 
i'eau  à  une  grande  hauteur. 

Le  siphon  ,  que  tout  le  monde  connaît,  a  donné  lieu  à 
l'invention  de  plusieurs  machines.  Les  plus  remarquables 
sont  celles  par  lesquelles  M.  Manoury-d'Ectot  est  parvenu 
à  résoudre  ce  problème  extraordinaire  : 

«Une  chute  d'eau  étant  donnée,  élever  une  portion  de 
ce  fluide  au-dessus  du  réservoir,  par  le  moyen  d'une  ma- 
chine dont  toutes  les  parties  soient  absolument  fixes,  et  qui, 
par  conséquent,  ne  renferme  ni  roues  ,  ni  leviers,  ni  pis- 
tons ,  ni  soupapes  ,  ni  autres  parties  quelconques  mobiles.» 
Les  solutions  en  sont  aussi  neuves  que  simples  et  VJ^riées. 


318  SCIENCES  PHYSIQUES. 

«  Par  la  combinaison  de  tant  de  moyens  peu  connus  tf. 
tout-à-fait  inusités  dans  la  construction  des  machines 
hydrauliques,  l'auteur  est  sorti  du  cercle  ordinaire  des 
idées  sur  lesquelles  ces  machines  sont  conçues,  et  par 
conséquent  il  a  dû  arriver  à  des  résultats  absolument 
inattendus.  »  Rapport  de  Carnot  à  l^ Institut. 

La  machine  de  Irouville  est  encore  une  solution  très- 
simple  et  très-ingénieuse  du  même  problème. 

Le  flotteur  à  siphon  de  M.  de  Thiville  et  la  machine 
de  M.  W.  Close  sont  également  des  applications  heu- 
reuses du  siphon  à  l'élévation  des  eaux. 

Les  machines  à  colonne  d'eau  sont  fondées  sur  un  prin- 
cipe différent.  Elles  ont  pour  moteur  l'eau  qu'un  courant 
continu  verse  dans  un  tuyau  vertical,  et  à  laquelle  on  op- 
pose un  piston  qu'elle  repousse,  mais  que  l'on  fait  revenir 
à  sa  première  situation,  après  une  course  déterminée,  en 
interceptant  tout-ù-coup  la  communication  qu'il  a  avec  la 
colonne  d'eau,  et  en  laissant  écouler  l'eau  qui  s'oppose  à 
son  retour. 

L'expérience  a  démontré  l'utilité  de  ces  machines  qui 
sont  préférables  aux  roues  à  augets  pour  élever  l'eau  ù 
une  grande  hauteur. 

Le  bélier  hydraulique  ,  inventé  par  Montgolfier  ,  est  re- 
marquable par  sa  simplicité  et  par  son  utilité.  Le  principe 
de  sa  construction  est  aisé  à  concevoir  :  supposez,  dans  un 
tuyau  incliné  ,  ou  qui  a  la  forme  d'un  L,  un  courant  d'eau 
qui  s'échappe  par  l'extrémité  inférieure;  fermez  tout  d'un 
coup  cette  issue,  l'eau  qui  est  animée  d'une  certaine 
vitesse  agira  avec  force  contre  les  parois  du  canal,  comme 
pour  s'échapper  ;  et ,  si  elle  trouve  ouvert  un  tuyau  ascen- 
dant, elle  s'y  élancera  rapidement,  à  une  hauteur  supé- 
rieure à  celle  de  sa  chute. 

31.  Borgnis  donne  les  résultats  des  expériences  qui  ont 


SCIENCES   PHYSIQUES.  319 

été  faites  sur  cette  étonnante  machine  par  divers  savans, 
et  décrit  en  détail  la  forme  et  la  disposition  que  doivent 
avoir  ses  diverses  parties. 

L'auteur  passe  ensuite  aux  applications  de  ces  machines 
aux  usages  pratiques  :  il  fait  d'abord  connaître  celles  qui 
sont  relatives  aux  besoins  domestiques  et  aux  travaux  de 
l'agriculture;  il  donne  ensuite  la  description  des  puits  et 
des  citernes  les  plus  remarquables  ,  et  des  machines  qui  y 
sont  adaptées  pour  en  extraire  l'eau. 

Il  traite  de  la  conduite  et  de  la  distribution  des  eaux  dans 
les  villes.  Après  avoir  passé  en  revue  les  merveilleux  tra- 
vaux de  ce  genre  exécutés  par  les  anciens ,  il  décrit  aveo 
plus  de  détail  le  magnifique  travail  du  canal  de  l'Ourcq , 
dont  les  eaux ,  amenées  dans  le  bassin  de  la  Villette  , 
doivent  être  répandues  avec  profusion  dans  tous  les  quar- 
tiers de  Paris,  et  servir  en  outre  à  alimenter  deux  canaux 
de  navigation  qui  descendront  dans  la  Seine^  l'un  en  tra- 
versant le  faubourg  du  Temple,  l'autre  en  traversant  la 
plaine  de  Saint-Denis,  jusqu'à  l'entrée  de  cette  ville. 

En  parlant  des  pompes  à  incendie,  l'auteur  décrit  celles 
qui  sont  en  usage  en  Angleterre  ;  il  les  regarde  comme 
préférables,  sous  tous  les  rapports,  aux  pompes  mes- 
quines employées  par  le  corps  des  pompiers  de  Paris. 

Les  irrigations  et  le  dessèchement  des  marais  sont  de  la 
plus  grande  importance  pour  la  prospérité  agricole  d'une 
nation.  Les  machines  employées  à  cet  usage  sont  décrites 
avec  soin,  de  même  que  celles  qui  servent  aux  épuise- 
mens  temporaires,  tels  que  l'extraction  de  l'eau  contenue 
dans  un  batardeau  ,  dans  les  bassins  destinés  à  la  construc- 
tion et  à  la  réparation  des  vaisseaux,  et  surtout  pour  épui- 
ser l'eau  à  bord  d'un  navire.  Cette  dernière  opération,  d'où 
dépend  quelquefois  le  salut  d'un  bâtiment,  s'exécute  par 
le  moyen  des  archi-ponipes,  ,des  pompes,   des  bringue- 


320  SCIENCES  PHYSIQUES. 

balles.  L'auteur  s'est  attaché  à  décrire  les  plus  nouvelles^, 
qui  sont  très-remarquables. 

L'exploitation  des  mines  serait  souvent  impraticable,  si 
l'on  n'avait  des  moyens  d'épuiser  les  eaux  qui  les  inondent. 
On  emploie  à  cet  effet  des  systèmes  de  pompes  superposées, 
ou  d'autres  machines  mues  par  les  chevaux,  par  l'eau  elle- 
même  ou  par  la  vapeur.  M.  Borgnis  compare  entre  elles 
les  machines  de  cette  dernière  espèce,  et  en  fait  connaître 
les  avantages.  Depuis,  dit-il,  que  cette  précieuse  inven- 
tion est  en  usage ,  il  n'est  aucun  local  où  l'on  ne  puisse 
effectuer  des  exploitations,  et  il  n'est  aucune  résistance 
que  l'on  ne  puisse  vaincre,  pourvu  que  l'on  ait  le  com- 
bustible nécessaire.  C'est  surtout  dans  les  mines  de  houille 
que  ces  machines  rendent  les  services  les  plus  signalés; 
aussi,  elles  ont  prodigieusement  multiplié  ces  sortes  d'ex- 
ploitations, qui  surpassent  en  utilité  celles  des  mines  d'or 
et  d'argent,  et  qui  sont  devenues  chez  les  Anglais  une  des 
principales  sources  de  l'étonnante  prospérité  de  leur  indus- 
trie. Le  Normand  , /^ro/èss^a?'  de  technologie. 

(  La  suite  au  prochain  cahier.  ) 


SCIENCES  MORALES   ET  POLITIQUES. 

Examen  impartial  des  nouvelles  vues  de  M.  Robert 
OwEN ,  et  dû  ses  établissemens  à  ISeiv-Lanark ,  en 
Ecosse,  avec  des  observations  sur  l'application  de 
son  système  à  l'économie  politique  de  tous  les  gou- 
vemem.ens ,  par  Henry  Grey  Macnab  ,  m.êdecin  de 
feu  le  duc  de  Kent.  Ouvrage  dédié  à  S.  A.  R. ,  et 
publié  par  son  ordre;  traduit  de  l'anglais  par 
M.  Laffon  de  Ladebat  ,  ancien  député  (i). 

New-Lanark  est  un  village  très-peuplé  et  bien  bâti,  dans 
le  comté  de  Lanark  ,  sur  les  bords  de  la  Cljde.  Le  sol  sur 
lequel  il  s'est  élevé  n'était  qu'un  marais  avant  l'an- 
née 1784,  et  l'on  y  voit  aujourd'hui  l'une  des  plus  vastes 
manufactures  de  l'Ecosse ,  et  un  modèle  d'application  des 
meilleurs  moyens  qu'il  soit  possible  d'employer  à  l'amé- 
lioration de  la  condition  des  classes  ouvrières,  au  soulage- 
ment des  pauvres  et  à  l'éducation  de  leurs  enfans. 

M.  Robert  Owen,  propriétaire  principal  de  cet  éta- 
blissement, le  dirige  depuis  près  de  vingt  ans  :  son  pré- 
décesseur M.  Dale,  homme  d'un  mérite  réel,  mais  affaibli 
par  la  vieillesse,  l'avait  laissé  dans  un  état  de  décadence 
qui  l'afïligeait  lui-même,  et  le  besoin  de  la  plus  sévère 
réforme  s'y  faisait  vivement  sentir.  M.  Owen  a  lutté  contre 
des  obstacles  de  toute  espèce;  il  est  parvenu,  par  de  con- 
tinuels efforts,  à  les  surmonter,  et  à  réaliser  graduellement 
les  vues  les  plus  salutaires,  sous  le  rapport  de  l'industrie, 
du  commerce  et  de  la  condition  morale  des  employés  de 
ses  manufactures.  L'ensemble   de  son  système  pratique 

(1)  Paris,  182:.  1  vol.  in-S»  de  25o  pages.  Tieutlel  el  Wurtz,iue 
de  Bourbon  ,  a"  17. 


322  SCIENCKS  MORALES 

était  peu  connu  et  diversement  jugé  :  l'ouvrage  que  nous 
annonçons  en  donne  une  idée  très-étendue;  il  est  d'un 
homme  instruit,  attentif  aux  intérêts  de  l'humanité,  par- 
tisan de  toute  institution  utile  ;  et  nous  en  devons  la  tra- 
duction il  M.  Laflbn  de  Ladebat ,  ancien  membre  de  nos  as- 
semblées législatives,  ami  de  l'auteur,  animé  du  même 
zèle  et  livré  dès  long-tems  aux  mêmes  méditations. 

Nous  n'entrerons  point  dans  l'exposition  des  divers 
moyens  par  lesquels  M.  Owen  a  successivement  combattu 
les  habitudes  de  fraude,  de  vol  et  d'ivresse,  les  jalousies, 
les  dissensions,  les  animosités  religieuses,  les  liaisons  ir- 
régulières des  sexes,  qui  déshonoraient  l'établissement. 
C'est  à  sa  doctrine  qu'il  rapporte  tous  ses  succès.  Faites 
disparaître ,  dit-il ,  les  circonstances  qui  tendent  à  produire 
le  crime,  et  le  crime  n'aura  pas  d'existence  :  remplacez  ces 
circonstances  par  d'autres  qui  soient  combinées  pour 
former  des  habitudes  d'ordre,  de  régularité,  de  tempé- 
rance et  d'industrie^  et  ces  qualités  se  développeront. 
Adoptez  des  mesures  d'une  équité  et  d'une  justice  inva- 
riables ,  et  vous  obtiendrez  sans  peine  la  conûance  des 
classes  inférieures.  Les  dispositions  vicieuses  ne  peuvent 
résister  long-tems  à  une  volonté  ferme ,  bien  dirigée  ,  et  ù 
une  bienveillance  persévérante.  Ces  principes  sont  uni- 
versels, et  la  meilleure  application  qu'on  en  puisse  faire 
est  d'employer  des  moyens  raisonnables  pour  écarter  les 
tentations  du  vice,  et  de  donner  en  même  tems  une  di- 
rection convenable  aux  pouvoirs  actifs  de  chaque  individu, 
en  lui  ménageant  des  jouissances  qui  suffisent  à  ses  besoins. 
Il  faut  avoir  soin  aussi  de  cultiver  des  sentimens  d'union 
et  de  confiance  entre  tous  les  membres  d'une  communauté, 
et  leur  persuader  qu'il  existe ,  chez  ceux  qui  la  dirigent , 
\m  désir  sincère  d'accroître  le  bien-être  de  chacun. 

Ces  principes,  appliqués  ù  IScw-Lanark  ,  ont  produit  un 


ET  POLITIQUES.  ,32 ;î 

changement  lolal  dans  le  caractère  de  ses  habitans  :  on  n'y 
a  pas  infligé,  depuis  seize  ans,  une  seule  peine  légale,  et 
personne  n'y  a  réclamé  le  secours  des  fonds  de  la  paroisse  : 
la  communauté  entière  présente  un  aspect  général  d'in- 
dustrie,  de  tempérance,  d'aisance,  de  santé  et  de  con- 
tentement. 

L'exposé  de  M.  Owen  n'a  éprouvé  de  contradiction  sur 
aucune  de  ses  parties  :  il  est  d'ailleurs  pleinement  confirmé 
par  le  rapport  des  députés  de  la  corporation  de  Leeds,  en- 
voyés pour  prendre  connaissance  de  l'état  des  choses  ;  et 
c'est  aussi  un  témoignage  imposant  que  celui  du  comité  de 
Londres  ,  qui  a  reconnu  et  proclamé  la  supériorité  des  éta- 
blissemens  de  New-Lanark. 

Encouragé  par  ses  succès,  M.  Owen  a  conçu  le  projet 
d'appliquer  les  mêmes  vues  à  l'administration  et  à  l'entre- 
tien des  pauvres  et  des  ouvriers  sans  travail,  dans  l'étendue 
de  la  Grande-Bretagne  et  chez  toutes  les  nations  civilisées. 
On  sait  que  l'introduction  des  nouvelles  mécaniques  et 
l'emploi  de  la  machine  à  vapeur  perfectionnée  ont  prodi- 
gieusement accru  les  moyens  de  production.  C'est  au  point 
que,  dans  un  seul  établissement  de  2, 5oo  individus,  les 
machines  en  activité  donnent  un  produit  égal  à  ce  que 
toute  la  population  de  l'Ecosse  pouvait  manufacturer ,  par 
l'ancien  mode  de  travail,  il  y  a  cinquante  ans.  Les  consé- 
quences de  cet  ordre  de  choses,  sous  le  rapport  de  l'accu- 
mulation des  marchandises,  des  réactions  commerciales  et 
de  la  diminution  du  travail  manuel  dans  un  grand  pays, 
effraient  l'imagination.  Il  en  résulte  surtout  l'inévitable  né- 
cessité de  procurer  aux  pauvres  et  aux  ouvriers  sans  em- 
ploi une  occupation,  à  laquelle  le  travail  des  machines  soit 
subordonné,  au  lieu  d'être  appliqué,  comme  il  l'est  main- 
tenant, À  rendre  inutiles  les  bras  de  ces  individus.  De  là, 
l'idée  de  former  un  établissement  où  les  travaux  de  l'agri- 


32A  SCIENCES  310RALES 

culture  seront  combinés  avec  les  procédés  des  arts  méca- 
niques ,  dans  un  système  dirigé  vers  la  rectification  des 
habitudes  morales.  M.  Owen  présente  le  plan  de  cet 
établissement  ,  où  seraient  admis  douze  cents  hommes  , 
femmes  et  enfans.  Il  entre  dans  des  détails  d'exécution , 
qui  tendent  à  prouver  que  ce  système  présente  plus  d'éco- 
nomie que  tous  les  projets  adoptés  ou  proposés  jusqu'à 
présent;  qu'il  doit  obvier  à  la  nécessité  de  la  taxe  des 
pauvres  et  des  dons  de  la  charité  ,  qu'il  soulagera  les  fabri- 
cans  et  les  ouvriers  dans  leur  détresse;  et  qu'enfin  toutes 
les  classes  de  la  société  en  retireront  des  avantages  pro- 
gressifs, sans  secousse  et  sans  danger. 

Ces  vues  bienfaisantes  et  vraiment  philantropiques  ap- 
pellent l'attention  des  gouvernemens  et  de  tous  les  amis 
de  l'ordre  social.  M.  Owen  eu  poursuit  l'exécution  avec  la 
plus  louable  persévérance.  Il  a  présenté  ses  plans  au  congrès 
d'Aix-la-Chapelle,  et  les  a  développés ,  dans  plusieurs  con- 
férences, à  Londres  et  à  Paris;  mais,  au  moment  où  le 
docteur  Macnab  terminait  l'examen  raisonné  qu'il  s'était 
chargé  d'en  faire,  sur  l'invitation  de  S.  A.  le  duc  de  Kent, 
le  parlement  britannique  eut  l'occasion  de  les  discuter,  et 
des  hommes  du  plus  grand  poids,  dans  les  deux  chambres, 
s'opposèrent  à  leur  adoption.  Il  paraît  qu'ils  s'étaient  alar- 
més des  conséquences  possibles  de  quelques  assertions  liées 
aux  principes  moraux  et  religieux  de  M.  Owen  :  le  livre 
de  M.  Macnab  offre  à  cet  égard  les  explications  les  plus  ras- 
surantes. Les  points  de  doctrine  contestés  y  sont  l'objet 
d'une  discussion  impartiale,  peut-être  même  sévère;  et, 
après  la  lecture  du  troisième  chapitre  de  l'ouvrage,  on  de- 
meure convaincu  qu'ils  ne  peuvent  affecter  en  rien  les 
bases  essentielles  du  système.  11  ne  s'agit  en  effet  que  de 
s'entendre  sur  le  sens,  plus  ou  moins  restreint,  de  ces  asser- 
tions générales  :  que  linlérèt  personnel  est  le  principe  des 


ET  POLITIQUES.  325 

actions  humaines,  et  que  le  caractère  de  l'homme  est  le 
résultat  des  circonstances  dont  il  est  entouré.  M.  Macnab 
pense  qu'il  est  plus  vrai  de  présenter  le  devoir  comme 
mobile  de  la  conduite  et  des  actions  des  hommes;  il  veut 
encore  que  leur  caractère  dépende  essentiellement  de 
l'exercice  des  facultés  qui  leur  ont  été  départies.  Rappel- 
lerons-nous que  la  philosophie  ancienne  s'est  quelquefois 
égarée  sur  ces  théories  élémentaires,  et  que,  dans  les  tems 
modernes,  les  questions  du  libre  arbitre,  de  la  justification 
et  des  fins  de  l'homme  n'ont  pas  ouvert  une  carrière  moins 
vaste  aux  débats  scolastiques.  Ce  n'est  point  aujourd'hui, 
sans  doute,  que  de  vaines  subtilités  pourront  faire  obstacle 
à  la  pratique  du  bien  et  à  de  salutaires  améliorations. 
M.  Owen  a  reconnu  d'ailleurs,  dans  ses  dernières  commu- 
nications, que  le  véritable  intérêt  de  l'homme  est  insépa- 
rahlement  lié  à  son  devoir ,  et  que  le  caractère  de  la 
généralité  des  individus  est  principalement  formé  par  l'é- 
ducation qu'ils  reçoivent  et  par  les  circonstances  dans 
lesquelles  ils  sont  placés.  Des  définitions  aussi  précises 
doivent  satisfaire  tous  les  bons  esprits  ,  et  l'on  ne  peut 
douter  qu'elles  ne  ramènent  l'attention  et  ne  réunissent  les 
suffrages  des  membres  influens  du  parlement  sur  des  tra- 
vaux et  des  projets  qui  déjà  ont  acquis  la  sanction  de 
l'expérience. 

Le  traducteur  de  l'ouvrage,  dans  une  préface  qui  res- 
pire l'amour  du  bien  public  et  où  il  se  place  à  côté  de 
l'auteur,  nous  apprend  que  M.  Owen  vient  de  recevoir  des 
offres  considérables  pour  la  formation  d'un  nouvel  établis- 
sement conforme  à  ses  vues,  et  qu'on  a  de  justes  motifs 
d'espérer  que  son  zèle  et  sa  persévérance  triompheront 
enfin  de  tous  les  obstacles.  Il  termine  ses  observations  par 
une  analyse  bien  faite  du  rapport  de  M.  Brougham  sur 
l'èducatiim  des  pauvres,  rapport  d'un  intérêt  immense,  que 


,",2G  SCIENCES  MORALES 

nous  avons  fait  connaître  (i)  etdont  on  sait  que  la  discussion 
est  ajournée  à  la  prochaine  session  du  parlement  britan- 
nique. H.  L. 


«V»  A/t'V\ 'V%'*JV%^iVt/V\ 


Du  systIîme  industriel,  par  Henri  Saint-Simon  (2). 

Depuis  le  dixième  siècle ,  les  grands  propriétaires 
ont  éprouvé  deux  ou  trois  changemens  d'état  très-re- 
marquables. 

D'abord,  maîfres  absolus  de  la  population,  ils  furent 
seuls  riches,  seuls  puissans,  seuls  capables  de  droits  po- 
litiques, tant  que  la  richesse  et  la  puissance  se  mesurèrent 
sur  l'étendue  des  possessions  territoriales,  c'est-à-dire 
sur  le  nombre  d'hommes  qu'on  pouvait  faire  vivre  et 
employer  comme  instrumens  de  guerre,  ou  comme  moyens 
d'échange. 

Ce  régime  de  violence  et  d'inhumanité  ne  put  être  de 
longue  durée.  Bientôt  la  servitude  s'adoucit ,  en  prenant 
le  caractère  du  colonage.  Les  bourgs,  à  l'aide  des  fran- 
chises, se  transformèrent  en  villes:  obligée  de  fournir  à 
des  besoins  plus  étendus  et  plus  variés,  l'agriculture  com- 
mença de  devenir  un  art;  et,  parce  qu'elle  fut  long-tems 
l'industrie  principale  et  dominante ,  les  grands  proprié- 
taires conservèrent  avec  elle  leur  importance  politique. 
Non  seulement  ils  commandaient  et  dirigeaient  les  travaux 
du  colon,  mais  encore  ils  disposaient  exclusivement  des 
récoltes;  et,  sous  ce  double  rapport,  la  population  restait 
dans  leur  dépendance. 

(1)  Voy.    Tom.  IX,  p.  54o. 

(2)  Paris,  1821.  1  vol.  in-8"  de5ii  pages.  Antoine-Augustin  Re- 
nouard. 


KT  POLITIQUES.  327 

Lorsque  l'iisagc  des  fermes  à  prix  d'argent  s'introduisit, 
Tordre  de  ces  rapports  fut  renversé.  La  culture  des  terres 
devint  un  objet  de  spéculation ,  une  occupation  commer- 
çante ,  une  profession  libre  et  lucrative  ;  inais  elle  ne  joua 
plus  qu'un  rôle  secondaire  dans  le  système  économique,  et 
fut  entièrement  subordonnée  aux  manufactures  qui  réglè- 
rent ses  travaux,  ses  bénéfices  et  ses  progrès. 

De  cette  manière,  la  richesse  qui,  pendant  la  première 
période,  se  calculait  sur  l'étendue  des  possessions,  et,  pen- 
dant la  seconde,  sur  la  masse  des  récoltes;  la  richesse,  qui 
n'avait  pour  base  unique  que  la  propriété  ou  la  culture  des 
terres  ,  jaillit  de  toutes  les  sources  que  l'industrie  s'ouvrit, 
et  ne  se  calcula  plus,  pour  les  propriétaires  fonciers,  que 
sur  la  rente  qu'on  obtenait  des  fonds  de  terre,  et  même 
sur  le  capital  que  ces  fonds  pouvaient  représenter. 

Les  possesseurs  de  capitaux  et  ceux  qui  les  font  valoir 
possédèrent  à  leur  tour  la  véritable  puissance,  la  véritable 
richesse.  Ils  commandèrent  tous  les  travaux  ,  distribuèrent 
tous  les  produits,  et  occupèrent  la  place  qu'avaient  autre- 
fois les  grands  propriétaires,  simples  rentiers  maintenant, 
et  confondus  dans  la  classe  commune  des  consommateurs. 
Ces  changemens  se  sont  effectués  lentement  et  sans 
secousse.  Tout  ce  qui  dégrade  ou  améliore  l'état  social, 
procède  avec  cette  lenteur,  et  les  effets  n'en  deviennent 
sensibles  qu'à  de  longs  intervalles.  C'est  seulement  alors 
qu'on  sent  aussi  le  besoin  de  réformer  les  institutions  lé- 
gales qui  ne  s'accordent  plus  avec  les  mœurs.  Alors  com- 
mencent les  révolutions  qui  n'ont  pour  objet  que  l'état  po- 
litique, et  qui  sont  plus  ou  moins  apparentes,  plus  ou  moins 
complètes,  plus  ou  moins  violentes,  selon  que  le  régime 
qu'elles  tendent  à  détruireades  racines  plus  ou  moins  pro- 
fondes, et  que  celui  qu'elles  tendent  à  constituer  est  plus 
ou  moins  conforme  à  l'économie  acluelle. 


328  SCIENCES  MORALES 

Que  demandent  donc  maintenant  les  peuples  les  plus 
civilisés?  Que  l'on  prononce  formellement  l'abolition  de 
tout  ce  qui  est  aboli  par  l'opinion  et  les  habitudes;  que  l'on 
étende,  que  l'on  déplace  les  prérogatives  politiques,  con- 
formément au  nouvel  ordre  de  choses  qu'il  n'est  plus  pos- 
sible de  méconnaître  et  de  subvertir;  enfin,  que  l'on  con- 
vertisse en  droit  ce  qui  existe  en  fait. 

C'est  pourquoi  les  souvenirs  et  les  préjugés  de  l'ancienne 
domination  se  réveillent  et  s'irritent;  ils  s'attachent  aux 
débris  des  constitutions  domaniales,  qu'ils  tentent  de  faire 
prévaloir  par  la  ruse  ou  par  la  force.  La  grande  propriété, 
qui  a  perdu  le  rang,  l'influence,  les  fonctions  qu'elle  avait 
autrefois,  n'est  pas  satisfaite  des  avantages  qui  lui  sont 
propres ,  et  de  la  part  qu'on  lui  conserve  dans  l'exercice 
des  droits  politiques;  elle  veut  en  jouir  seule,  par  pri- 
vilège, et  sans  partage.  Elle  veut  humilier  et  flétrir  la  petite 
propriété,  qui  s'allie  aujourd'hui  à  toutes  les  professions 
utiles  et  alimente  communément  ce  que  les  hommes  doivent 
respecter  le  plus  :  les  talens,  le  savoir  et  les  vertus.  Elle  pré- 
tend asservir  et  ne  compter  pour  rien  dans  l'état  l'industrie 
agricole,  commerçante  et  manufacturière,  dont  les  progrès 
attestent  ceux  de  Tintelligence  humaine,  en  même  tems 
qu'ils  font  la  gloire ,  la  puissance  et  la  prospérité  des 
empires. 

C'est  à  ces  prétentions  orgueilleuses  qu'il  faut  attribuer 
la  crise  qui  tourmente  une  partie  de  l'Europe,  où  le  sys- 
tème politique  se  trouve  en  état  de  divorce  et  de  guerre 
avec  le  système  social. 

Là,  on  se  refuse  opiniâtrement  à  toute  espèce  de  ré- 
formes; là,  on  ne  consent  qu'à  des  réformes  illusoires  et 
incomplètes;  là,  on  les  obtient  par  les  armes,  et  les  armes 
les  renversent  ;  ailleurs ,  où  elles  étaient  légalement 
opérées,  légalement  garanties,  on  les  détruit  pièce  à  pièce 


KT  POLITIQUES.  ;529 

et  par  des  lois.  Ainsi,  de  toutes  parts,  la  lutte  s'engage,  se 
prolonge,  se  renouvelle,  sans  qu'on  puisse  prévoir  s'il 
eu  résultera  le  triomphe  de  la  civilisation  ou  de  la  barbarie. 

Si  l'on  parvenait  à  maintenir  le  vieux  régime  politique, 
il  faudrait  renoncer  au  système  industriel.  On  ruinerait  ht 
partie  matérielle  et  positive  de  la  civilisation  ;  ce  qui  ne 
pourrait  être  que  l'ouvrage  des  siècles  et  d'une  longue  suite 
de  guerres. 

Si  l'on  conserve  le  nouveau  système  social,  il  faut  que 
la  grande  propriété  prenne,  dans  nos  constitutions,  la  place 
qu'elle  occupe  dans  l'économie  moderne,  qu'elle  ne  soit 
point  constamment  préférée  au  travail,  et  qu'elle  ne  dis- 
pense point  du  mérite  personnel  :  alors  on  efface  les  der- 
niers vestiges  de  la  barbarie;  ce  qui  pe^ut  être  l'œuvre  d'un 
jour  et  le  gage  d'une  longue  paix. 

Telles  sont  à  peu  près  les  considérations  sur  lesquelles 
M.  Saint-Simon  s'exerce  depuis  long-tems  dans  une  foule 
d'écrits  polémiques,  et  qu'il  reproduit  dans  une  suite 
de  lettres  dont  le  recueil  forme  le  volume  que  nous  an- 
nonçons. 

Il  ne  faut  pas  trop  s'en  rapporter  au  titre  du  livre.  On 
n'y  traite  pas  précisément  du  système  industriel,  mais  des 
droits  et  des  intérêts  politiques  des  industriels,  dénomina- 
tion sous  laquelle  les  agriculteurs,  les  banquiers,  les  né- 
gocians  et  les  manufacturiers  sont  confondus. 

S'ils  sont  encore  assez  aveugles  pour  ne  pas  apercevoir 
leurs  véritables  intérêts,  assez  indifférens  pour  se  laisser 
dépouiller  de  leurs  droits  ,  ce  ne  sera  pas  la  faute  de  l'au- 
teur, qui  ne  cesse  de  leur  rappeler  ce  qu'ils  peuvent,  ce 
qu'ils  veulent  et  ce  qui  leur  est  dû. 

Il  s'adresse,  tantôt  aux  industriels _,  pour  les  engager  à 
se  rallier  autour   du  trône,  tantôt  aux   conseillers  de    la 
couronne,  pour  les  disposer  i\  embrasser  la  cause  des  in-- 
Tome  x.  22 


330  SCIENCES  MORALES 

dustriels ;  tantôt  au  monarque  et  au  peuple  tout  à  la  foiii, 
pour  les  conjurer  de  s'unir,  et  d'achever  la  révolution  qui, 
suivant  M.  Saint-Simon,  ne  sera  complète  et  terminée 
que  lorsque  les  propriétaires,  les  théologiens,  les  légistes 
et  les  métaphysiciens  n'auront  plus  le  droit  exclusif  de 
prendre  part  au  gouvernement.  Les  affaires  publiques,  et 
surtout  l'examen  et  le  règlement  du  budget,  doivent  être 
spécialement  confiés  aux  industriels,  seuls  capables  de 
comprendre  ces  matières,  de  les  simplifier,  et  de  diriger 
l'administration  dans  le  sens  du  système  social. 

Une  meilleure  méthode  aurait  peut-être  mis  dans  un 
plus  grand  jour,  et  resserré  dans  de  plus  justes  bornes-,  la 
vérité  de  quelques  propositions  dont  on  a  tiré  des  consé- 
quences outi-ées.  Uhe  discussion  aussi  importante  ne  com- 
porte peut-être  p;is  les  légè,retés,  les  négligences  et  l'espèce 
de  désordre  qu'admet  le  genre  épistolaire.  Peut-être  aussi 
ne  doit-on  attribuer  ce  désordre  qu'à  l'abondance  des 
idées  ,  ou  plutôt  à  la  variété  des  formes  sous  lesquelles  la 
même  idée  semble  se  reproduire  sans  cesse. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  le  fonds  de  l'ouvrage  est  puisé  dans 
les  principes  d'une  saine  doctrine.  Quelques  aperçus  neufs^ 
ime  foule  de  traits  et  de  rapprochemens  ingénieux,  ajoutent 
à  l'intérêt  du  sujet,  et  l'attention  est  presque  toujours  ré- 
veillée par  la  tournure  paradoxale  que  prennent  les  rai- 
sonnemens,  sans  rien  perdre  de  leur  force  et  de  leur  jus- 
tesse. On  reconnaît  partout  la  facilité  d'un  écrivain  exercé, 
les  intentions  d'un  bon  citoyen,  et  la  touche  originale  qui 
distingue  les  productions  de  l'auteur.  J.  B.  Hpet. 


î:t  politiques.  331 


*■*  M  \>t'\'\ VVVV%1,% V  w»-* 


De  la  pkine  ue  mort;  par  M.  P.  A.  Heiuerg> 
tnembre  de  la  société  royale  des  antiquaires  de  France, 
de  l'académie  des  sciences  d'Erfart,  etc.  (i)  >  avec 
cette  épigraphe  : 

.   .  .  sanguine  humano  abstine 
Quic unique  régnas. 

(  Senec.  Herc.  fur.  ) 

!  jÏj 'ouvrage  que  nous  annonçons  est  sorti  récemment 
xi'une  presse  norvégienne,  et  il  est  écrit  fïans  la  langue  dil 
pays.  Il  mérite,  par  l'importance  du  sujet,  de  fixer  l'at- 
tention des  publicistes  et  de  tous  les  hommes  qui  s'inté- 
ressent à  la  réforme  des  lois  pénales.  L'auteur  n'a  d'autre 
prétention  que  celle  d'un  ami  de  la  justice  et  de  l'huma- 
nité; ce  sentiment  l'a  porté,  depuis  vingt  années,  non 
seulement  à  lire  ce  que  d'autres  ont  écrit  avant  lui  sur 
l'importante  matière  qu'il  a  traitée,  mais  surtout  à  y  ap- 
pliquer ses  propres  méditations.  Quoiqu'il  y  ait  peut-être 
dans  son  écrit  beaucoup  de  réminiscences,  on  y  trouvera 
sans  doute  aussi  un  petit  nombre  d'idées  dont  il  ose  reven- 
diquer la  propriété,  et  que,  certes  ,  il  n'a  dérobées  à  per- 
sonne. 

Les  partisans  des  codes  sanguinaires  actuellement  eri 
vigueur  défendent  la  peine  de  mort,  plutôt  comme  néce- 
saire  et  utile  que  sous  le  point  de  vue  de  la  justice*  L'au- 
teur entreprend  de  prouver  qu'elle  est  injuste  :  s'il  y 
réussit,  les  deux  autres  considérations  tombent  d'clles- 
»nêmes;  car  rien  n'est  juste  ,  uniquement  parce  que  cela 
est  utile,  et  )la  peine  de  mort  ne  peut  devemir  liécessairé 
que  par  l'insuffisance  des    lois,  et  par  l'organisation  vi- 

(i)   Christiania,  1820.  1  vol.  in-8".  Imprimerie  de  Grondahli 

22* 


332  SCIENCES  MORALES 

cieuse  des  prisons  et  de  leur  surveillance,   dont  le  con- 
damné n'est  nullement  responsable. 

Apirès  avoir  rappelé  le  principe  connu  ,  qu'une  peine 
quelconque  dictée  par  les  lois  se  compose  de  deux  parties, 
dont  l'une  est  la  réparation  due  à  la  partie  lésée ,  si  et 
autant  que  cette  réparation  est  possible^  et  l'autre  forme 
la  garantie  que  le  coupable  doit  à  la  société  pour  l'avenir, 
l'auteur  prétend  que  ces  deux  parties  constituantes  de  la 
punition  doivent  être  circonscrites ,  chacune  dans  se» 
limites  étroitement  déterminées.  La  réparation,  lorsqu'elle 
est  possible,  doit  être  complète,  mais  nullement  surabon- 
dante; autrement,  des  hommes  pervers  y  trouveraient  des  ■ 
motifs  d'encourager  au  crime  des  hommes  nés  avec  des 
inclinations  semblables.  La  garantie  doit  être  strictement 
suffisante  et  analogue  à  la  nature  de  la  transgression. 
On  ne  traitera  pas  sur  le  même  pied,  sous  ce  rapport,  le 
simple  voleur  et  celui  qui  aurait  aggravé  son  crime  par 
l'effraction  ou  par  des  violences  ;  la  garantie  à  laquelle  on 
assujettit  ceux-ci,  doit  être  d'une  nature  différente  de 
celle  qu'on  exige  d'un  calomniateur  ou  d'un  libelliste.  Mal- 
heureusement, dans  tous  les  pays,  les  lois  ont  fait  leur 
part  si  largement,  que,  dans  presque  tous  les  cas,  leur 
application  est  devenue  plus  ou  moins  odieuse;  de  là,  il 
suit  que  le  mot  peine  a  perdu  sa  signification  origi- 
naire :  il  devait  être  l'équivalent  du  mot  Justice,  il  est  trop 
souvent  devenu  synonyme  de  vexation.  Il  faut  cependant 
se  résigner  à  employer  ce  mot,  jusqu'à  ce  qu'on  ait  trouvé 
et  adopté  une  expression  plus  rigoureusement  exacte,  ou 
bien,  ce  qui  vaudrait  beaucoup  mieux,  jusqu'à  ce  que 
l'ancien  terme  ait  été  réhabilité  par  l'entière  réforme  des 
lois  pénales  (i). 

(i)  Il  est  de  la  plus  haute  importance  pour  toutes  les  science»,  et 


ET  POLITIQUES.  333 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  la  réparation  est  due  à  la 
partie  lésée,  si  et  autant  qu^elie  est  j^ossible.  Dans  le  cas 
où  elle  serait  impossible,  non  seulement  en  entier,  mais 
en  partie,  il  faut  que  les  citoyens  s'accoutument  à  sup- 
porter ce  malheur,  comme  ils  sont  obligés  de  supporter 
ceux  que  leur  causent  un  incendie,  une  inondation,  et 
des  événemens  d'une  nature  semblable.  D'autres  raison- 
nemens  viendront  par  la  suite  à  l'appui  des  principes  de 
l'auteur. 

On  demande  maintenant  si  la  peine  de  mort  sert  de 
réparation  au  mal  produit  par  une  action  criminelle?  elle 
ne  répare  rien ,  et  la  famille  de  l'homme  assassiné  ne 
gagne  rien  par  la  mort  de  l'assassin,  si  ce  n'est  le  plaisir 
d'assouvir  une  vengeance  odieuse.  Les  lois  sont  faites  pour 
réprimer,  et  nullement  pour  nourrir  des  sentimens  de 
vengeance  dans  le  cœur  des  citoyens. 

D'un  autre  côté,  on  ne  peut  pas  nier  que  la  mort  d'un 
criminel  ne  soit  la  plus  forte  garantie  qu'il  puisse  fournir 
à  la  société  contre  la  récidive.  Il  s'agit  cependant  de 
savoir  si  la  société   n'a  pas  de  moyens  plus   doux  de  se 


particulièrement  pour  la  jurisprudence  ,  que  les  termes  principaux 
dont  on  se  sert  soient  exactement  définis;  mais,  sous  ce  rapport, 
dans  tous  les  pays,  il  reste  encore  beaucoup  à  faire.  L'auteur  cite, 
à  ce  sujet,  un  exemple  que  nous  croyons  devoir  rappeler  ici,  quoique 
la  définition  mentionnée,  bonne  pour  le  dictionnaire,  soit  défec- 
tueuse en  jurisprudence. — Le  dictionnaire  de  l'académie,  dit-il, 
définit  ainsi  le  mot  mensonge  :  "  Discours  avancé  contre  la  vérité, 
avec  dessein  de  tromper.  »  —  On  trouve  plus  loin  ,  dans  le  même 
dictionnaire  :  «  Mensonge  officieux  ;  un  mensonge  fait  purement  pour 
faire  plaisir  à  quelqu'un,  sans  vouloir  nuire  à  personne,  »  Le  mot 
tromper,  sans  aucune  modification,  présente  toujours  une  idée 
odieuse. 


S3A  SCIENCES  MORALES 

garantir  contre  lui;  car  il  est  reconnu  que  Ton  eniploie  en 
pure  perte  toute  la  force  qui  surpasse  celle  qui  est  stric- 
tement nécessaire  pour  obtenir  l'effet  demandé;  la  ju- 
risprudence ferait  bien  d'emprunter  cet  axiome  à  la  mé-» 
canique. 

Si  les  hommes  chargés  de  l'application  des  lois  étaient 
infaillibles,  on  saurait  du  moins  qu'une  condamnation 
capitale  ne  pourrait  jamais  être  prononcée,  encore  moins 
exécutée ,  sans  que  la  criminalité  du  prévenu  n'eût  été 
portée  à  une  évidence  qui  exclût  jusqu'à  la  possibilité  du 
doute. 

L'espace  mis  à  notre  disposition  est  trop  borné  pour  que 
nous  puissions  rendre  compte  de  tous  les  raisonnemens 
par  lesquels  l'auteur  cherche  à  prouver  qu'il  est  de  toute 
impossibilité  de  parvenir  à  une  certitude  qui  ,  lorsqu'il 
s'agit  de  priver  un  homme  d'un  bien  qui  ne  peut  lui  être 
restitué,  soit  en  entier,  soit  en  partie,  doit  équivaloir  à 
une  certitude  mathématique. 

La  même  raison  nous  empêche  de  parler  des  exemples 
nombreux  et  même  assez  récens  cités  par  l'auteur  pour 
confirmer  cette  déploiable  vérité  :  qu'il  arrive  plus  souvent 
qu'on  ne  le  croit,  qu'un  homme  est  frappé  du  glaive  de  la 
loi  comme  criminel;  et  que,  plus  tard,  son  innocence  est 
reconnue ,  lorsqu'il  n'est  plus  possible  de  réparer  la  funeste 
erreur  des  juges. 

Quand  un  homme  est  condamné  à  une  peine,  autre  que 
celle  de  la  mort ,  et  qu'il  réussit  par  la  suite  à  prouver 
son  entière  innocence,  que  fait  alors  l'état,  ou  du  moins 
que  doit-il  faire?  II  lui  rend  sa  liberté,  son  honneur,  ses 
biens  qu'on  a  saisis,  les  amendes  qu'il  a  dû  payer;  et,  quoi- 
qu'il soit  impossible  de  l'indemniser  des  souffrances  phy- 
siques cl  inoiale?   qu'il  a  éprouvées,  du  moins  l'état  fait 


tl   POLlTlQbliS.  ;S35 

tout  ce  qui  est  poss.ii)le  pour  lui  prouver  couibicii  il  regrette 
d'avoir  commis  une  erreur  si  funeste. 

Mais  ,  en  iVappant  un  homme  de  la  peine  de  mort ,  l'état 
se  met  dans  l'impossibilité  de  réparer  ses  torts  envers  l'in- 
nocence trop  tard  reconnue.  On  nous  répondra  peut-être 
que,  dans  un  pareil  cas,  l'état  fait  la  seule  chose  qu'il  soit 
en  son  pouvoir  de  faire  :  il  accorde  aux  héritiers  de 
la  personne  qui  a  péri  par  une  condamnation  injuste 
toutes  les  indemnités  ettausles  avantages  qui  lui  seraient 
dus  à  elle-même,  si  elle  vivait.  Le  beau  raisonnement  qui 
tend  à  faire  évaluer  le  prix  du  sang  humain  ù  dire  d'ex- 
perts ,  ou  même  ù  en  faire  un  objet  de  bourse  ,  soumis 
à  la  hausse  et  à  la  baisse,  et  qui  pourrait  presque  faire 
naître  dans  le  cœur  d'un  homme  pervers  le  désir  de  voir 
condamner  à  mort  son  propre  père ,  afin  de  venir  plus 
lard  recueillir  un  héritage  sanglant ,  en  récompense  de 
sa  piété  filiale  ! 

Nous  ne  pouvons  pas  suivre  l'auteur  dans  tous  les  dé- 
veloppemens  qu'il  donne  à  ses  idées ,  ni  rendre  compte 
ici  de  tous  les  argumens  sur  lesquels  il  cherche  à  les  ap- 
puyer; il  y  en  a  cependant  un,  quoique  subsidiaire,  que 
nous  ne  croyons  pas  devoir  passer  sous  silence,  parce  qu'il 
est  assez  important.  Il  y  a ,  dit-il ,  des  lois  qui  punissent 
le  suicide,  autant  que  cet  acte  est  susceptible  de  punition  ; 
nous  ne  parlons  pas  de  ces  lois  barbares  qui,  en  assujet- 
tissant les  biens  du  suicidé  à  la  confiscation,  frappent  les 
innocens  au  lieu  du  coupable,  mais  de  celles  qui  flétris- 
sent un  corps  inanimé  d'une  sépulture  plus»  ou  moins  hon- 
teuse. Si,  de  tous  les  biens  que  possède  un  homme,  la  vie 
est  celui  qui  lui  appartient  par  le  titre  le  plus  incontes^ 
table,  le  suicidé  ne  fait  que  détruire  une  propriété  qui  est 
bien  évidemment  ùlui;  or,  si  cette  action  est  réputée 
criminelle  par  les   lois,  nous  demanderons  comment  ces 


336  SCIENCES   MORALES 

mêmes  lois  pourront,  sans  crime,  détruire  la  propriété 
d'autrui  (i) ? 

Passant  ensuite  à  l'examen  des  différens  argumens  par 
lesquels  on  cherche  non  seulement  à  établir  et  à  défendre 
la  nécessité  et  l'utilité  de  la  peine  de  mort,  mais  encore 
à  la  justifier,  l'auteur  essaie  de  les  combattre,  l'un  après 
l'autre,  de  la  manière  suivante  : 

1°  Les  lois  demandent  vengeance.  Argument  détestable! 
L'exercice  de  la  vengeance  est  une  mauvaise  action,  aux 
yeux  de  la  loi.  Un  de  ses  devoirs  est  de  comprimer  cette 
passion  dans  le  cœur  des  hommes,  et  de  punir  ceux  qui 
se  permettent  de  l'exercer.  D'ailleurs,  si  la  vengeance  est 
excusable,  elle  ne  l'est  que  dans  le  particulier,  qui ,  en- 
traîné soudainement  par  la  violence  de  ses  passions,  dé- 
passe quelquefois  les  bornes  que  prescrivent  la  modération 
et  la  morale.  Mais  que  dire  de  l'état,  d'une  société,  d'une 
assemblée  de  juges,  qui,  délibérant  sur  une  action  crimi- 
nelle ,  appelleraient  froidement  la  vengeance  des  lois  sur 
la  tête  d'un  coupable  ?  Les  lois  punissent,  elles  ne  se  ven- 
gent pas;  elles  sont  impassibles;  leurs  organes,  s'ils  ne  le 
sont  pas  ,  s'ils  écoutent  leurs  passions  personnelles  ,  sont 
des  monstres.  Une  vengeance  ordonnée  et  exécutée  de 
sang  froid  est  une  atrocité. 

C'est  ici  le  lieu  de  rappeler  une  observation  de  l'auteur, 
lorsqu'il  blâme  les  autorités  qui ,  dans  leurs  procla- 
mations, se  permettent  souvent  de  menacer  de  toute  la 
rigueur  i  de  toute  la  sévéï-ité  des  lois  et  de  la  justice.  Les 
lois  ne  doivent  jamais  être  ni  sévères  ni  rigoureuses,  mais 
justes  ;  car  l'expression  de  rigueur,  de  sévérité  ,  renferme 

(i)  Nous  n'avons  pas  besoin  d'observer  que  nous  ne  considérons 
ici  le  suicide  qu'uniquement  par  rapport  aux  lois  civiles ,  et  nulle- 
ment sous  le  point  de  vue  religieux. 


ET  POLITIQUES.  337 

quelque  chose  de  plus,  et  une  idée  moins  noble  que  celle 
de  Justice.  Montesquieu,  et  certes  cette  autorité  ne  sera 
pas  récusée,  Montesquieu  dit  (i)  :  «  C'est  une  remarque 
perpétuelle  des  auteurs  chinois  ,  que  plus ,  dans  leur 
empire,  on  voyait  augmenter  les  supplices,  plus  la  révo- 
lution était  prochaine.  C'est  qu'on  augmentait  les  sup- 
plices, à  mesure  qu'on  manquait  de  mœurs.  Il  serait  aisé 
de  prouver  que,  dans  tous  ou  presque  tous  les  états  de 
l'Europe,  les  peines  ont  diminué  ou  augmenté,  à  mesure 
qu'on  s'est  plus  approché  ou  plus  éloigné  de  la  liberté.  » 
On  serait  frappé  de  la  justesse  de  cette  observation,  si  l'on 
voulait  appliquer  l'échelle  de  proportion  de  Montesquieu, 
pour  connaître  le  degré  de  liberté  dont  jouissent  aujour- 
d'hui les  différentes  nations  de  l'Europe. 

2°  Le  talion.  C'est  encore  la  vengeance,  mais  sous  un 
masque  plus  hideux.  Avant  de  discuter  le  mérite  de  cet 
argument,  il  faut  commencer  par  savoir  ce  qu'on  entend 
par  le  mot  talion.  Voici  la  définition  qu'en  donne  le  Dic- 
tionnaire de  V Académie  française  ^  et  qui  se  trouve  sans 
doute  fondée  sur  les  principes  reconnus  par  la  jurispru- 
dence du  pays.  «  Le  talion  est  la  punition  par  laquelle  on 
traite  un  coupable  de  la  même  manière  dont  il  a  traité  ou 
voulu  traiter  les  autres.  La  loi  du  talion  ordonne  qu'on 
fasse  souffrir  au  coupable  le  même  mal  qu'il  a  fait  :  qu'on 
crève  un  œil  à  celui  qui  a  crevé  un  œil  à  un  autre;  que  le 
meurtrier  soit  puni  ."de  mort;  que  le  faux  accusateur,  le 
faux  témoin  reçoive  le  même  châtiment  qu'il  voulut  faire 
souffrir  à  celui  qu'il  accusait.  »  Enfin,  le  dictionnaire  ter- 
mine en  assurant»  que  la  loi  du  talion  n'est  point  en  usage 
parmi  les  chrétiens.  »  Cette  dernière  assertion  n'est  pas 
exacte,  puisque,  dans  la  plupart  des  pays,  et  sauf  les  cir- 

(i)  Esprit  des  Lois  ,  ïiv,  YI ,  chap.  g. 


33^  SCIEiSCliS  MORALES 

constances  atténuantes ,  le  meurtrier  est  encore  puni  de 
mort. 

Si  le  talion  avait  pour  effet  nécessaire  de  réparer  le 
mal  causé  par  un  crime,  il  serait  sans  doute  parfaitement 
juste  :  l'auteur  convient  encore  qu'il  le  serait,  si  même  la 
réparation  ,  au  lieu  d'être  complète ,  ne  pouvait  devenir 
que  partielle.  Mais  il  demande  avec  raison  ,  si  un  œil  crevé 
à  un  malfaiteur  rend  la  vue  à  sa  victime ,  et  si  l'exécu- 
tion à  mort  d'un  assassin  fait  l'cssusciter  l'individu  assas- 
siné? Quel  est  donc  le  bien  que  cette  loi  du  talion  procure 
à  la  société  et  ù  la  personne  offensée,  et  qui  ne  pourrait 
pas  être  obtenu  par  des  moyens  moins  atroces  et  moins 
barbares?  L'auteur  n'en  voit  qu'un  seul,  s'il  est  permis  de 
l'appeler  un  bien  :  c'est  le  plaisir  de  se  voir  vengé.  Mais  la 
société  doit-elle  cette  jouissance  à  qui  que  ce  soit?  l'auteur 
a  déjà  répondu  négativement  à  cette  question. 

Si  la  peine  de  mort  pouvait  opérer  le  miracle  de  réparer 
le  mal  causé  par  un  crime,  elle  devrait  être  employée  in- 
distinctement comme  punition  de  tous  les  crimes  où  la 
réparation  serait  impossible  par  un  autre  moyen  quel- 
conque; mais  alors  il  faudrait  aussi  adopter  le  principe 
des  stoïciens  :  omiiia  delicta  suiit  paria ,  dont  traite 
Civèron  dans  ses  Paradoxes.  Il  faudrait  encore  punir  de  la 
même  peine,  et  toujours  par  droit  de  talion,  celui  qui,  par 
erreur  ou  par  négligence,  aurait  causé  la  mort  d'un  autre 
homme;  mais,  dans  un  pareil  cas,  l'auteur  demande  si  la 
société  trouverait  facilement  des  gens  disposés  à  se  vouer  à 
l'art  de  guérir  les  maladies  et  à  d'autres  professions ,  qui 
les  exposeraient  à  des  dangers  journaliers  et  souvent  iné- 
vitables? Il  semble  donc  que,  de  tous  les  argumens  par 
lesquels  on  veut  défendre  la  peine  de  mort,  celui  pris  du 
prétendu  droit  de  talion  est  le  plus  absurde. 

3°    La  peine  de  mort  diminue  le  nombre  des  crimes  j  en- 


ET  POLITIQUES.  339 

ejjf rayant  les  hommes  qui,  auLTement^n'y  livreraient  aarts 
crainte.  Cette  assertion  ,  fondée,  ù  ce  qu'on  prétend,  sur 
l'expérience,  est  démentie  par  celle  de  tous  les  tems  (i). 
Il  est  connu  et  hors  de  doute  que ,  sous  le  règne  de  Lèo- 
pold,  pendant  que  la  peine  de  mort  était  abolie  en  Tos- 
cane ,  il  y  eut  moins  de  crimes  à  punir  qu'il  n'y  en  avait 
eu,  avant  son  abolition;  et  que  le  nombre  des  criminels 
augmenta,  après  le  rétablissement  de  cette  peine. 

Pour  se  convaincre  que  la  peine  de  mort  n'inspire  pas 
cet  effroi  qu'on  appelle   salutaire  ,   on  n'a  qu'à  regarder 
avec  un  peu  d'attention  la  foule  qui  entoure  l'échafaud,  un 
jour  de  grande  exécution.   On  n'y  voit  qu'une  assemblée 
réunie  pour  jouir  d'un  spectacle  d'autant  plus  agréable  , 
qu'il  est  donné  gratis.  On  n'y  entend  que  des  propos  quel- 
quefois plaisans,  presque  toujours  indécens;  de  l'impa- 
tience, quand  le  condamné  se  fait  attendre  ;  l'expression  de 
la  satisfaction  générale ,  lorsqu'enfin  il  arrive  ;  des  remar- 
ques plus  ou  moins  satiriques  sur  sa  bonne  ou  mauvaise 
contenance ,  et  enfin  l'éloge  de  l'adresse  du  bourreau.  Si 
par  hasard  vous  découvrez  quelques  larmes,  si  vous  en- 
tendez quelques  soupirs,  ils  ne  sont  point  de  la  nature  de 
ceux  que  provoque  l'horreur  du  spectacle  ;  mais  Us  pro-» 
viennent  de  la  compassion  d'un  petit  nombre  de  specta- 
teurs.   C'est    aussi    par    cette    raison    que    no%fe    auteur 
voudrait  que ,  jusqu'à  l'abolition  entière  de  cette  punition 
barbare,  l'exécution  à  mort  se  fît  toujours  dans  l'intérieur 
des  prisons,  et  qu'on  n'y  admît  que  les  personnes  néces- 
saires pour  l'opération,  et  pour  constater  que  la  justice  a 
été  satisfaite  par  la  mort  du  coupable.  La  justice,  dit-il, 

(i)  MulU  sunt .  qui  niorlem ,  ut  requiem  malorum  ,  contemnunl^ 
ac  p; militer  expavescunl  ad  rajuivilatein  et  ignominiosum  opus. 

Sallust.  ,  Catil. 


3A0  SCIENCES  MOÏVAtlES 

doit  se  montrer,  pour  ainsi  dire,  honteuse  de  se  croire 
obligée  de  retrancher  du  nombre  des  vivans  un  citoyen 
qui,  malgré  sa  grande  culpabilité  aux  yeux  de  la  loi,  pour- 
rait être  un  jour  reconnu  innocent,  et  dont,  au  reste,  la 
vie  pourrait  encore  devenir  utile  à  la  société  (i). 

D'ailleurs ,  pour  se  convaincre  encore  davantage  de  la 
fausseté  de  l'argument  que  l'auteur  cherche  ici  à  com- 
battre ,  on  n'a  qu'à  se  rappeler  une  observation  connue  : 
c'est  qu'en  Angleterre,  où,  dans  certains  cas,  le  vol  est 
puni  de  mort,  un  jour  d'exécution  est  un  jour  de  fête  pour 
les  voleurs,  qui,  sous  la  potence  et  en  présence  de  l'ap- 
pareil terrible  de  la  justice ,  exercent  leur  infâme  métier 
avec  une  hardiesse  incroyable  et  avec  le  plus  grand  profit; 
tant  il  est  vrai  que  le  spectacle  d'une  exécution  à  mort  n'ef- 
fraie tout  au  plus  que  ceux  qui  n'ont  aucun  besoin  d'être 
effrayés. 

Si  l'humanité  pouvait  accorder  aux  lois  le  droit  de  pu- 
nir pour  effrayer^  elle  serait  obligée  de  faire  une  concession 
de  plus.  Une  ancienne  maxime,  qui  est  presque  devenue 
un  axiome ,  dit  que  celui  qui  veut  la  fin  _,  doit  aussi 
i^ouloir  les  moyens.  Plus  ces  moyens  sont  efficaces ,  plus 
ils  conduisent  sûrement  au  but.  Or,  il  est  incontestable 
qu'une  exécution  à  mort  qui  fait  souffrir  le  patient  pendant 
des  heures,  des  journées  entières,  est  beaucoup  plus  ef- 
frayante que  celle  qui  ne  lui  cause  qu'un  moment  de  dou- 
leur. Ainsi ,  en  admettant  le  principe  que  nous  combattons 
ici,  il  faudrait  que  la  législation  remît  en  vigueur  la  tor- 
ture et  tous  les  raflinemens  cruels  que  rejette  la  civilisation 
actuelle,  et  dont  l'atroce  jurisprudence  des  siècles  bar- 

(i)  Il  y  eut  un  tems  où  les  sénateurs  romains  prenaient  le  deuil , 
quand  la  justice  faisait  mourir  un  citoyen  ;  à  Rome ,  la  prison  était 
régulièrement  le  lieu  du  dernier  supplice. 


ET  POLITIQUES.  ZH 

bares  a  cru  devoir  entourer  le  dernier  supplice.  Il  faudrait 
même,  comme  dit  l'auteur,  aller  plus  loin:  on  devrait 
accorder  des  récompenses  au  génie  inventif,  qui  aurait 
le  triste  bonheur  de  trouver  des  punitions  encore  plus  ef- 
frayantes que  celles  dont  l'invention  appartient  aux  siècles 
passés. 

Mais,  ce  prétendu  droit  de  punir  pour  effrayer  et  pour 
prévenir  par  là  d'autres  crimes,  l'auteur  l'envisage  encore* 
sous  un  autre  point  de  vue,  afin  de  prouver  qu'il  est  con- 
traire à  toute  justice.  Si,  dit-il,  vous  punissez  de  mort  un 
homme  dans  la  vue  d'effrayer  les  autres,  et  pour  les  em- 
pêcher ainsi  de  se  rendre  coupables  ^  vous  ne  le  punissez 
pas  de  ses  propres  actions  criminelles,  mais  de  celles  qui 
pourraient  un  jour  être  commises  par  d'autres,  et  qui  en- 
core ne  sont  que  des  futurs  contingens  ;  quelle  atrocité! 
Gardez-vous  de  faire  considérer  comme  objet  des  punitions 
ce  qui  n'en  doit  être  tout  au  plus  qu'une  conséquence  plus 
ou  moins  certaine;  car,  si  vous  admettez  comme  un  juste 
motif  la  terreur  que  vous  prétendez  inspirer,  vous  n'avez 
qu'un  petit  raisonnement  aussi  bon  à  faire  pour  arriver 
plus  loin  ;  bientôt,  vous  vous  croirez  autorisés  à  punir  un 
innocent,  faute  de  coupables,  si  dans  un  malheureux  mo- 
ment vous  avez  lieu  de  craindre  qu'il  ne  soit  commis  des 
crimes. 

h"  On  prétend  aussi  justifier  la  peine  de  mort,  en  disant 
que  la  plupart  des  grands  criminels  sont  incorrigibles. 

Cette  assertion  est  fausse,  et  en  même  tems  impie. 

Elle  est  fausse  j  parce  que  le  contraire,  prouvé  déjà  par 
l'expérience  ,  est  encore  confirmé  par  tout  ce  que  nou  en- 
seigne le  simple  bon  sens. 

Personne  n'ignore  que,  dans  les  Etats-Unis  de  l'Amérique 
septentrionale,  il  y  a  des  prisons  organisées  de  manière 
que  non  seulement  la  dépravation    des   prisonniers   est 


Ui  SCIENCES  MORALES 

impossible ,  mais  qu'ils  en  sortent  presque  toujours  meil- 
leurs qu'ils  n'y  sont  entres.  Qu'on  organise,  en  Europe,  les 
prisons  sur  ce  modèle;  qu'on  y  ajoute  les  améliorations 
que  la  bienveillance  des  amis  de  l'humanité  ne  manquera 
pas  de  proposer,  et  les  mêmes  causes  seront  infailliblement 
suivies  des  mêmes  effets.  Mais  les  gouvernemens  sont  en 
général  paresseux  et  calculateurs  :  il  est  évident  qu'il 
coûte  bien  moins  de  tems,  et,  ce  qui  est  plus,  bien  moins 
d'argent,  pour  couper  la  tête  ù  un  scélérat,  que  pour  tra- 
vailler à  en  faire  un  citoyen  utile,  qui  pourra  être  rendu  sans 
danger  à  la  société.  C'est  ainsi  qu'aux  yeux  de  l'homme 
d'état  la  peine  de  mort  paraît  nécessaire  et  utile ,  et  l'on 
sait  qu'en  politique,  ce  qui  est  utile  ou  commode  au  pouvoir 
est  regardé  comme  juste. 

On  ne  raisonne  pas  de  la  sorte ,  quand  il  s'agit  des  ani- 
maux. Un  particulier  possède  un  cheval  fougueux,  sujet  à 
s'emporter,  et  dont  malheureusement  les  cmportemens  ont 
coûté  la  vie  à  un  homme  :  exerce-t-il  envers  cet  animal  le 
droit 'du  talion?  lui  inflige-t-il  la  peine  dé  mort?  non;  il 
sait  mieux  calculer:  il  envoie  son  cheval  au  moulin,  où, 
les  yeux  bandés,  il  tourne  le  manège  jusqu'à  !a  fin  de  sa 
vie ,  00  du  moins  jusqu'à  ce  que ,  le  travail  ayant  dompté 
sa  fougue,  il  paisse  être  de  nouveau  et  sans  danger  attelé  à 
la  voiture  de  son  maître,  ou  lui  servir  de  monture.  Serait-ce 
trop  demander,  de  vouloir  que  les  hommes  fussent  traités 
sur  le  même  pied  ? 

L'assertion  est  impie.  Vous  déclarez,  comme  si  c'était  en 
pleine  connaissance  de  cause ,  que  les  criminels  que  vous 
voulez  tuer  sont  incorrigibles  :  quelle  est  donc  cette  cmni- 
science  qui  vous  révèle  les  futurs  contingens  ?  Dieu  vous 
a-l>^il  admis  dans  l'intimité  de  ses  conseils  ?  Connaissez-' 
ViJtis  auguste  l'heure,  l'instant  où  se  réveillera  la  conscience 
d'un  scélérat ,  où,  pour  se  sauver  dans  l'autre  vie,  il  de- 


KT  l'OLIÏIQUES.  3A3 

mandera  sincèrement,  à  Dien  et  à  la  société ,  le  pardon  de 
ses  crimes  ?  savez-vous  avec  certitude  si  cet  instant  est  plus 
éloigné  que  celui  qui  amènera  sa  mort  naturelle?  Légis- 
lateurs, vous  reconnaissez  la  religion  pour  la  base  de  vos 
lois  et  de  votre  morale;  enfin,  vous  êtes  chrétiens  ;  et  ce- 
pendant ,  en  abrégeant  violemment  la  vie  d'un  homme 
qu'arbitrairement  vous  déclarez  incorrigible,  non  seule- 
ment vous  détruisez  son  corps,  mais,  autant  qu'il  dépend 
de  vous,  vous  perdez  encore  son  âme:  «ette idée  seule  ne 
vous  fait-elle  pas  frémir  ? 

5°  La  vie  d'un  grand  scéléixit  est  dangereuse  pour  la 
société.  Oui,  sans  doute,  tant  qu'il  est  libre  ;  vasHs^  au  mo- 
ment où  il  est  saisi  et  livré  entre  les  mains  de  l'autorité  et 
de  la  justice,  le  danger  cesse.  Prétendre  qu'alors  même 
il  serait  dangereux,  c'est  dire  qu'il  est  encore  plus  fort  que 
l'administration  et  la  justice  ;  que  les  institutions  et  les 
établissemens  de  l'état  sont  absolument  défectueux  et  sans 
aucune  force.  Le  gouvernement  qui  ferait  un  pareil 
aveu  se  couvrirait  de  honte;  il  ferait  quelque  chose  de 
pis,  en  voulant  justifier  la  peine  de  mort  par  une  pareille 
considération  ;  il  se  glorifierait  d'un  acte  ^u'il  est  de  son 
devoir  de  punir  comme  un  crime. 

Tout  le  monde  sait  quelles  sont  entre  particuliers  les 
bornes  de  ce  qu'on  appelle  la  légitime  défense.  Si  je  me 
vois  inopinément  attaqué  par  un  homme  armé,  de  manière 
à  être  momentanément  livré  à  mes  pi-opres  moyens,  à  mes 
seules  forces,  à  mon  adresse  personnelle,  je  tue  mon  ad- 
versaire, si  je  le  peux,  et  je  suis  innocent  aux  yeux  de  la 
justice.  Mais  si,  avant  que  cette  nécessité  Sort  deventie 
inévitable,  il  m'arrive  des  secours,  si  mon  adversaire  est 
désarmé  et  saisi,  et  que  néanmoins  je  le  tue,  les  lois  me 
punissent  comme  assassin ,  du  moins  comme  meurtrier. 

Ce  principe  est  nécessairement  applicable  à  la  justice, 


3AA  SCIENCES  MORALES 

au  gouvernement  lui-même.  Si,  après  avoir  commis  un 
grand  crime ,  le  coupable  n'avait  pu  être  saisi ,  et  qu'avant 
son  arrestation,  il  fût  à  craindre  qu'il  n'en  commît  encore 
d'autres  également  graves  ,  la  société  se  trouverait  envers 
lui  dans  le  cas  de  légitime  défense;  alors  il  serait  permis 
de  s'en  défaire  en  le  tuant,  afin  de  prévenir  d'autres  mal- 
heurs. Mais,  du  moment  où  il  se  trouve  entre  les  mains  de 
l'autorité  et  de  la  justice,  il  cesse  d'être  dangereux,  il 
n'est  plus  en  guerre  ouverte  avec  l'état  :  la  société  est  plus 
forte  que  lui.  Les  établissemens  publics  doivent  garantir 
l'avenir  des  citoyens  contre  le  coupable;  autrement,  il  n'y 
aurait  ni  gouvernement  ni  société  :  comme  cette  garantie 
peut  et  doit  durer  jusqu'à  la  fin  de  la  vie  naturelle  du  cou- 
pable ,  si  néanmoins  on  se  débarrasse  de  lui  par  une  mort 
violente,  il  n'est,  aux  yeux  de  l'auteur,  ni  condamné  ni 
puni,  d'après  les  principes  de  la  justice  éternelle;  il  est 
juridiquement  assassiné. 

Les  lois  pénales,  se  demande  l'auteur,  pourront-elles 
être  plus  cruelles  que  celles  de  la  guerre  ?  Ces  dernières 
ne  permettent  point  d'égorger  l'ennemi  vaincu,  après  qu'il 
a  été  désarmé  et  mis  hors  d'état  de  devenir  dangereux. 

M.  de  Tracy ,  dans  son  excellent  Commentaire  sur  f  Es- 
prit des  Lois,  dit  (pag.  82,  édition  de  Liège,  1817)  : 
«  Quand  le  corps  social  annonce  qu'il /)«?2ira  de  telle  peine 
telle  action  ,  il  se  déclare  d'avance  en  état  de  guerre  avec 
celui  qui  commettra  cette  action  qui  lui  nuit.  »  Qu'il  nous 
soit  permis  de  soumettre  à  ce  profond  philosophe  nos  doutes 
à  ce  sujet.  Il  nous  semble  que  le  droit  d'infliger  la  peine 
capitale  ne  découle  nullement  de  son  principe.  Celui  qui 
ôte  la  vie  à  l'homme  avec  lequel  il  est  en  état  de  guerre 
nepunit  pas ,  il  use  seulement  de  son  droit  de  légitime  dé- 
fense; et,  du  moment  où  l'adversaire  est  désarmé,  Itérât 
de  guerre  cesse.  Il  aurait  été  à  désirer  que  M.  de  Tracy, 


KT  POLITIQUES.  3A5 

qui  semble  favoriser,  jusqu'à  un  certain  poinl,  la  peine 
de  mort,  eût  employé  des  argumens  plus  solides  pour  en 
établir  la  justice. 

6''  On  dit  encore  que  la  peine  de  mort  est  nécessaire, 
et  par  conséquent  juste,  ajin  d" empêcher  que ^  par  son 
évasion,  un  grand  criminel  ne  redevienne  dangereux  pour 
la.  société. 

Ainsi,  vous  voulez  donc  punir  un  criminel,  non  pas  de 
ses  propres  crimes,  mais  de  la  négligence  d'un  gardien  , 
de  la  mauvaise  organisation  de  la  surveillance,  ou  de  la 
construction  vicieuse  de  vos  prisons?  car  il  est  impossible 
qu'il  puisse  s'évader,  à  moins  d'être  favorisé  par  des  cir- 
constances entièrement  indépendantes  de  sa  volonté.  Si 
l'état  doit  à  la  sûreté  publique  d'empêcher  l'évasion  d'un 
prisonnier ,  le  devoir  de  celui-ci  envers  lui-niême  lui  or- 
donne de  chercher  tous  les  moyens  de  réussir  dans  cette 
entreprise;  et  ce  devoir  devient  pour  lui  encore  plus  im- 
périeux, quand  il  s'agit  de  sa  vie  :  c'est  le  seul  bien  qui 
lui  reste  encore  dans  ce  monde,  il  le  défend  jusqu'à  la 
dernière  extrémité;  et,  puisqu'il  lui  est  impossible  de 
sauver  sa  vie  sans  reconquérir  d'abord  sa  liberté,  il  cherche 
à  s'emparera  tout  prix  de  ce  moyen  précieux  (i),.  D'ail- 
leurs» Ul  grand  coupable  n'est  jamais  eu  prison  sur  sa  pa- 
role d'honneur  :  la  justice  n'accepterait  pas  cette  garantie; 
elle  en  demande  d'autres  plus  sûi-es  que  celles  que  lui  four- 
nirait la  promesse  fallacieuse  d'un   homme  voué  à  des 

(i)  0  Le  coupable,  dit  M.  de  Tracy,  à  l'endroit  cite,  n'est  pas 
obligé  en  conscience  d'abandonner  sa  vie  ,  parce  que  la  loi  veut  sa 
mort,  et  de  renoncer  à  se  défendre  ,  parce  qu'elle  l'attaque  ;  le  cou- 
pable n'a  pas  perdu  pour  cela  le  droit  de  sa  défense  personnelle  ;  nul 
être  animé  n'en  saurait  être  jamais  privé  ;  seulement,  il  est  réduit  à 
ses  forces  individuelles  ;  et  les  forces  sociales  qui ,  dans  toute  autre 
occasion,  l'auraient  protégé,  sont,  dans  celle-ci,  tournées  contre  lui.  » 
Tome  x.  23 


U6  SCIENCES  MORALES 

peines  afllictives  ou  au  dernier  supplice.  Ainsi,  en  pro- 
fitant de  toutes  les  occasions  qui  se  présentent  pour  sauver 
sa  vie  en  reconquérant  sa  liberté,  il  ne  rompt  aucun  en- 
gagement, il  ne  viole  aucune  promesse,  il  ne  commet  au- 
cun nouveau  crime,  et  il  serait  évidemment  injuste  de  le 
punir  des  fautes  d'autruî. 

Nous  serions  obligés  de  traduire  plutôt  que  d'analyser 
toutes  les  considérations  que  l'auteur  fait  valoir  sur  cette 
matière,  ce  qui  entraînerait  à  des  longueurs  incompatibles 
avec  l'étendue  de  ce  recueil  ;  et  cependant  l'auteur  avoue 
lui-même  qu'il  a  cru  devoir  abréger  ici  son  traité,  et  s'abs- 
tenir de  plusieurs  raisonnemens  qui,  selon  lui,  auraient 
pu  donner  une  nouvelle  force  à  son  système,  afin  de  ne 
pas  fournir  à  un  lecteur  prévenu  ou  malveillant  l'occa- 
sion d'en  tirer  des  conséquences  que  certes  il  n'approu- 
verait pas,  mais  qui  pourraient  conduire  à  des  discussions 
trop  délicates. 

7°  Enfin,  on  ne  rougit  pas  d'affirmer  que  l'entretien  et 
la  surveillance  des  pi-isonniei's  exigeraient  des  dépenses, 
dont  l'immensité  minerait  lesfinances  deVétat. 

Malheur  au  pays  où  le  nombre  des  criminels  serait  si 
grand,  que  ce  dernier  argument  deviendrait  de  quelque 
poids  !  dans  un  tel  pays  ,  il  n'y  aurait  ni  administration,  ni 
police,  ni  justice,  ni  gouvernement,  ni  ordre  social;  il  n'y 
aurait  qu'anarchie  et  guerre  civile  :  la  société  serait  dis- 
soute ;  et  ce  n'est  pas  un  tel  état  de  choses  que  l'auteur  a 
eu  en  vue,  quand  il  a  composé  son  ouvrage.  Dans  un  état 
bien  organisé,  on  ne  traite  pas  les  hommes,  quoique  cri- 
minels, comme  en  tems  de  disette  et  de  famine  on  traite 
les  animaux  inutiles  ou  de  luxe,  que  l'on  tue  quelquefois 
pour  conserver  aux  hommes  tous  les  moyens  de  subsis- 
tance. Organisez  vos  prisons ,  comme  elles  doivent  être 
oiganiséei^  ;  faites-en  des  maisons  de  travail  et  de  correc- 


î;t  POLlT10l3i';>-  3À? 

tion ,  el  votre  objection  deviendra  aussi  ridicule  qu'elle 
est  aujourd'hui  barbare.  Soyez  humains  et  même  bien- 
veilians  envers  le  malheur  mérité,  et  vous  verrez  qu'il  est 
possible  de  porter  vos  institutions  de  cette  nature  à  une 
telle  perfection,  que  non  seulement  le  travail  des  prison- 
niers remboursera  les  dépenses  qu'ils  auront  occasion- 
nées à  l'état,  mais  donnera  encore  bientôt  un  surplus  ap- 
plicable au  soulagement  des  malheureux  dont  le  travail  a 
concouru  à  le  gagner.  L'homme  vivant  peut  toujours  être 
employé  utilement  (i);  l'homme  mort  n'est  bon  à  rien. 
Mais  surtout  soyez  justes  et  humains  ;  ne  remplissez  pas 
vos  prisons  de  personnes  que  vous  soupçonnez  ,  parce 
qu'elles  vous  déplaisent  ;  n'érigez  pas  arbitrairement  en 
crimes  des  actions  innocentes  en  elles-mêmes,  mais  qui 
pourraient  contrarier  vos  intérêts  et  vos  vues  personnelles  ; 
formez  les  mœurs  du  peuple  ,  au  lieu  de  contribuer,  comme 
vous  le  faites  de  mille  manières  différentes ,  à  augmenter 
leur  dépravation;  et  bientôt  vous  donnerez,  aux  nouvelles 
prisons  que  vous  faites  construire  ,  une  destination  plus 
honorable  pour  le  gouvernement  et  plus  utile  à  l'huma- 
nité. 

Nous  sommes  obligés  d'omettre  une  foule  de  considéra- 
tions et  d'argumens  secondaires,  par  lesquels  l'auteur 
appuie  son  système.  Nous  observerons  seulement  qu'il  a 
cru  que  la  publication  de  son  ouvrage  ,  composé  il  y  a  plus 
de  dix  ans,  pourrait  être  de  quelque  utilité,  à  une  époque 
où  l'érection  de  la  Norvège  en  royaume  indépendant  et 
constitutionnel  réclame  impérieusement  la  confection  d'un 
nouveau    code  de   lois,  tant  civiles    que  pénales,    adap- 

(i)  .   .   .   Occidere  noli , 

Serviet  uUliier,         Horacb  ,  JSpist.  I. 

23' 


3i8  SCIENCES  MORALES 

tées  à  la  nouvelle   situation  du  pays   et  aux  lumières  du 
siècle  (i  ). 

On  accuserait  peut-être  l'auteur  de  témérité  d'avoir  osé 
combattre  une  doctrine  soutenue  par  un  Montesquieu ,  un 
/,-/.  Rousseau,  un  Ma blj,  un  Filangieri,  et  par  tant 
d'autres  illustres  philosophes  et  publicistes,  s'il  ne  s'était 
pas  rangé  sous  la  bannière  d'autres  écrivains  également 
célèbres,  tels  que  Beccaria  parmi  les  morts,  et  M.  de 
Pastoret,  que  la  France  se  félicite  de  compter  encore  au 
nombre  de  ses  jurisconsultes  vivans.  Dans  son  ouvrage 
des  lois  pénales  (îî),  ce  dernier  a  réfuté  le  principe  atroce 
qui  admet  la  peine  de  mort,  avec  toute  l'énergie  de  la  rai- 
son et  toute  la  chaleur  d'une  ame  généreuse.  On  peut  être 
persuadé  que  ,  dans  tous  les  cas  où  ce  noble  pair  de  France 
sera  appelé  à  prononcer  sur  le  sort  de  grands  criminels,  il 
saura  éviter,  autant  que  les  circonstances  le  lui  permet- 
tront, tout  conflit  entre  ses  devoirs  politiques  et  ceux  que 
lui  imposent  la  raison,  son  humanité  et  ses  principes  hau- 
tement proclamés. 

La  discussion  sur  la  justice  ou  l'injustice  de  la  peine  de 
mort  conduit  naturellement  l'auteur  à  l'examen  du  droit 

(i)  N'oublions  pas  d'annoncer  ici  que  les  cortès  du  royaume  de 
Portugal  se  sont  honorés,  en  proposant  d'abolir  constilutionnellement 
la  peine  capitale  :  ce  bel  exemple ,  donné  déjà  par  la  convention 
nationale  de  France ,  sur  la  proposition  de  M.  l'évêque  Grégoire,  sera 
sans  doute  imité  ailleurs  (  Voyez  Revue  Encyclopédique,  ci-dessus  , 
pag.  233  ). 

(2)  Paris,  1790,  2  vol.  in-S».  L'auteur  donne,  dans  cet  ouvrage, 
la  nomenclature  de  plus  de  cent  crimes,  qui,  tous,  d'après  la  législa- 
tion française  de  ces  tems  ,  étaient  punis  de  la  peine  capitale.  Quelle 
jurisprudence  effroyable  l  En  1795  ou  1796,  M.  Valane,  dans  un  livre 
dédié  à  M.  le  comte  Lanjuinais,  alors  député  à  la  convention,  a  réuni 
une  multitude  de  réflexions  pour  faire  supprimer  la  peine  de  mort. 


ET  POLITIQUES.  3A9 

défaire  grâce.  Ce  droit  a  été  vivement  combattu  par  beau- 
coup d'autorités  respectables;  il  a  été  soutenu  par  d'autres. 
L'auteur,  en  se  rangeant  du  côté  de  ces  derniers,  croit 
qu'un  droit  d'une  telle  importance  doit  être  soumis  à  de  cer- 
taines restrictions  et  à  des  modifications  dont  il  serait  trop 
long  de  donner  ici  le  développement  complet  Nous  nous 
bornerons  à  indiquer  deux  de  ses  considérations  que  nous 
livrons  à  la  réflexion  de  nos  lecteurs. 

La  première  de  ces  considérations  n'est  pas  d'une  appli- 
cation générale;    elle  ne   s'applique  qu'à  des  pays  où, 
comme  en  Norvège,   le  jugement  par  jurés  en  matière 
criminelle   n'est  pas  encore  établi.   On  sait  que,  dans  un 
tel  état  de  choses,  les  juges  sont  tenus  de  prononcer,  con- 
formément aux  preuves  que  leur  auront  fournies  l'instruc- 
tion du  procès ,  les  aveux  du  prévenu   et   l'audition  des 
témoins.  Il  ne  leur  est  point  permis,  comme   aux  jurés, 
de  faire  valoir  leur  conviction  morale.  S'il  s'élève  un  soup- 
çon qui  porte  à  un  haut  degré  de  probabilité  l'innocence 
de  l'homme  accusé,  les  juges  n'ont  pas  la  faculté  de  s'en 
emparer  en  sa  faveur  pour  détruire  les  preuves  qui  auront 
acquis  la  force  voulue  par  la  loi.  Les  jurés,   au  contraire, 
dans  une  pareille   circonstance,  acquittent  le  prévenu  en 
écartant  les  preuves,  si,  dans  leuramc  et  conscience,    et 
quelque  incontestables  qu'elles  soient  aux  yeux  de  la  loi,  ils 
les  regardent  comme  fausses.  Ainsi  l'auteur  croit  qu'il  est 
de  toute  nécessité ,  dans  les  pays  où  le  jugement  par  jurés 
n'est  pas  encore  introduit,  qu'il  y  ait  un  moyen  pour  cor- 
riger l'imperfection  de  la  loi  et  pour  sauver  l'innocence. 
Ce  moyen  consiste,  à  ses  yeux,  en  ce  que  le  chef  de  l'état 
ait  la  faculté  de  faire  grâce;  mais  il  veut  aussi  que  jamais 
il  ne  puisse  en  faire  usage  que  sur  la  représentation  du 
tribunal  qui  se  serait  vu  dans  la  cruelle  nécessité  d'appli- 
quer la  rigueur  de  la  loi,  en  condamnant,  comme  cou- 


350  SCIENCES  MORALES 

pable,  l'homme  dont  la  conviction  morale  des  juges  atteste 
tantôt  la  culpabilité  moins  grande,  tantôt  l'innocence 
complète  (i). 

Mais  l'auteur  va  encore  plus  loin,  et  sa  seconde  consi- 
dération le  porte  à  reconnaître  qu'il  y  a  des  cas  où,  sans 
danger  pour  l'état,  le  prince  pourrait  remettre  la  peine 
légalement  prononcée  contre  un  homme ,  q«and  même  il 
ne  s'élèverait  aucune  présomption  en  faveur  de  son  en- 
tière innocence.  Un  homme  peut  avoir  commis  un  crime 
vraiment  punissable,  son  action  néanmoins  aura  été  ac- 
compagnée de  quelques  circonstances  atténuantes  ;  il  pour- 
rait paraître  extrêmement  probable  que  le  criminel  ne 
retombera  jamais  dans  le  même  crime;  enfin,  d'autres 
considérations  d'utilité  publique  pourraient  plaider  en 
faveur  de  l'homme  condamné;  et  l'auteur  croit,  sauf  meil- 
leur avis,  que,  dans  l'un  et  l'autre  de  ces  cas,  le  prince 
doit  avoir  le  droit  de  lui  remettre  la  peine  prononcée  contre 
lui  (2);  mais,  afin  que  cette  précieuse  faculté  ne  dégénère 
point  en  abus,  il  veut  qu'elle  soit  soumise  à  quelques 
conditions.  Comme,  dans  aucun  cas,  le  prince  ne  pourra 
faire  grâce  de  l'indemnité  complète,  due  à  la  partie  lésée, 
il  voudrait  qu'en  remettant  au  criminel  le  reste  de  la  pu- 
nition à  laquelle  il  aurait  été  condamné,  le  prince  se  ren- 
dît en  même  tems  garant  de  sa  conduite  future;  de  sorte 
que,  si  le  condamné  gracié  devenait  parla  suite  coupable 
d'un  crime  de  la  même  nature^  la  partie  lésée,  pour  ce 
qui  concerne  les  indemnités,  aurait  son  recours  directe- 
ment contre  la  liste  civile  du  prince,  qui   serait  tenue  de 

(1)  Cette  observation  de  l'auteur  serait  encore  applicable ,  dans 
le  cas  où  l'accusé  aurait  eu  le  malheur  de  trouver  un  jury  malveillant. 

(1)  Néanmoins  le  prince  ne  doit  jamais   pouvoir    remettre  Its  ia- 
«ieinnités  dues  à  la  partie  lésée. 


ET  POLITIQUES.  351 

Tacquitter  saos  contestation.  Il  est  à  croire  qu'un  pareil 
article,  inséré  dans  la  loi  fondamentale  d'un  pays,  et  rigou- 
reusement exécuté,  servirait  merveilleusement  à  rendre 
le  chef  de  l'état  très-circonspect  dans  l'usage  du  droit  de 
faire  grâce. 

Abandonnant  les  développemens  ultérieurs  que  l'auteur 
a  donnés  à  son  principe,  nous  observerons  qu'il  approuve 
de  tout  son  cœur  les  dispositions  de  l'article  20  de  la  cons- 
titution du  royaume  de  Norvège,  qui  veut  que  le  con- 
damné ait  le  choix  d^ accepter  la  grâce  royale  ^  ou  de  subir 
la  peine  prononcée  contre  lui.  Il  y  a  des  circonstances, 
dit-il,  où  la  grâce  flétrit  beaucoup  plus  que  la  peine.  La 
flétrissure  ne  réside  pas  dans  la  punition,  mais  dans  l'ac- 
tion commise  par  l'homme  que  la  loi  punit.  Si  cette  ac- 
.tion  n'est  pas  déshonorante  en  elle-même  ,  le  condamné 
est  absous  par  l'opinion  publique  qui  lui  rend  justice,  et 
celui  à  qui  l'on  rend  justice  n'a  pas  besoin  de  grâce;  on 
doit  même  supposer  qu'il  n'en  veut  pas. 

La  même  observation  est  applicable,  mais  sous  d'autres 
rapports,  à  ce  qu'on  appelle  commutation  de  peine.  La 
peine  de  mort ,  qu'on  regarde  comme  la  plus  effroyable 
de  toutes  les  peines,  paraît  quelquefois  inûnimen^  préfé- 
rable aux  travaux  forcés  ou  à  la  prison  perpétuelle.  La 
commutation,  au  lieu  d'être  une  grâce,  pourrait  ainsi 
devenir  une  rigueur  extrême,  une  véritable  cruauté.  Les 
sentimens  sont  individuels,  et  les  rois  eux-mêmes  n'ont 
pas  le  droit  d'ériger  les  leurs  en  règles  générales.  Choisir 
pour  moi ,  c'est  me  forcer  de  trouver  meilleur  ce  qui ,  à 
mes  yeux,  pourrait  être  pire  ;  aussi  ne  devrait-on  jamais 
proposer  au  prince,  soit  la  commutation  de  peine,  soit  la 
grâce,  à  moins  que  le  condamné  lui-même  ne  l'eût  dési- 
rée; autrement,  la  prétendue  grâce, ou  la  commutation 
deviendrait  une  véritable  aggravation  ,    et  son  effet  serait 


352  SCIENCES  MORALES 

de  rendre  odieux  aux  yeux  des  citoyens  le  prince  qui  se 

permettrait  d'en  user. 

L'auteur  veut  encore  que  jamais  le  prince  ne  puisse  exer- 
cer le  droit  def  aire  gràcequ^envers  les  criminels  condamnés 
endcTnière  instance  par  sentence  de  la  cour  suprême.  Il  s'en- 
suit que,  par  forme  de  grâce,  le  prince  ne  pourra  jamais 
arrêter  la  marche  d'un  procès  criminel.  Il  faudrait  encore 
qu'avant  de  faire  grâce  ,  il  prît  l'avis  de  son  conseil  d'état 
et  des  tribunaux  qui  ont  prononcé  la  condamnation  ;  au- 
trement, ce  droit  précieux  pourrait  devenir,  entre  les  mains 
du  prince,  et  même  entre  celles  de  ses  courtisans,  un  abus 
ou  un  moyen  de  sauver  de  grands  coupables. 

L'ouvrage  dont  nous  avons  essayé  de  donner  une 
analyse,  est  terminé  par  un  supplément  divisé  en  plu- 
sieurs chapitres,  et  contenant  quelques  réflexions  sur 
différens  points  de  jurisprudence  criminelle.  Nous  ne  par- 
lerons que  de  deux  de  ces  chapitres.  Dans  le  premier, 
l'auteur  désapprouve  la  législation  de  plusieurs  pays,  qui 
abuse  de  la  marque  et  de  la  flétrissure  d'une  double  ma- 
nière :  d'abord,  en  infligeant  celle  punition  ignominieuse 
à  des  criminels  condamnés  seulement  à  perdre  leur  liberté 
pendant  un  espace  de  tems  plus  ou  moins  limité;  ensuite, 
en  stigmatisant  des  individus  coupables  d'actions  qui  ne 
sont  réputées  crimes  que  par  des  considérations  pure- 
ment temporaires  ou  locales.  L'auteur  croit  que  l'homme 
flétri  en  place  publique  ne  peut  jamais  être  rendu  à  la  so- 
ciété sans  le  plus  grand  danger  pour  elle,  et  sans  qu'il 
soit  lui-même  ,  pour  ainsi  dire ,  forcé  à  devenir  un  scélé- 
rat accompli  ;  de  sorte  que  la  flétrissure  devrait  être  uni- 
quement réservée  pour  des  individus  condamnés  aux 
travaux  forcés  à  perpétuité.  Quant  à  l'autre  abus  de  la 
marque,  l'auteur  observe  que  ce  serait  une  contradiction 
scandaleuse  de  voir  un  homme   flétri  publiquement  pour 


ET  POLITIQUES.  353 

une  action  qui  n'a  rien  d'immoral  en  elle-même;  d'où  il 
pourrait  résulter  qu'il  fût  puni  ignominieusement  d'un 
acte  qui,  dans  d'autres  pays  et  à  d'autres  époques,  lui  au- 
rait mérité  la  canonisation  ou  des  statues. 

Il  est  une  autre  espèce  de  flétrissure,  dont  on  a  aussi 
quelquefois  cruellement  abusé.  Elle  est  purement  morale, 
et  consiste  à  faire  imprimer  la  note  de  calomnie  au  front 
du  citoyen  courageux  dont  la  plume  a  osé  révéler  certaines 
vérités  faites  pour  froisser  les  intérêts  les  plus  chers  de 
quelques  personnages  assez  puissans  pour  se  permettre 
d'exploiter  effrontément,  et  à  leur  profit,  le  mensonge.  Cet 
abus  vraiment  déplorable ,  favorisé  par  des  tribunaux  cor- 
rompus, a  été  poussé,  dans  plus  d'un  pays,  à  un  excès 
scandaleux.  C'est  ici  le  lieu  de  répéter  un  passage  de 
Beccaricif  cité  avec  éloge  par  M.  de  Pastoretj  en  1790  (1). 
«  Ce  n'est  pas,  dit-il,  ma  faute,  s'il  y  a  aujourd'hui  tant 
de  pays  où  Caton  ne  pourrait  paraître  sans  danger. 
Quand  la  vérité  est  punie,  soyez  sûrs  que  les  lois  ont  été 
faites  par  ceux  à  qui  l'erreur,  les  abus  et  les  vices  sont 
utiles ,  et  qu'elles  préparent  et  annoncent  la  ruine  d'un 
état.  » 

Dans  le  second  chapitre  du  supplément,  l'auteur  blâme 
la  prétendue  justice  qui  se  donne  pour  auxiliaire  des 
agens  provocateurs.  Après  avoir  montré  combien  est  im- 
moral l'emploi  de  ces  êtres  vils  et  corrompus,  il  cite  contre 
cette  jurisprudence  une  autorité  que  ,  certes,  personne 
ne  se  permettra  de  récuser.  «  Lorsque,  dit-il,  après  la 
transgression  de  nos  premiers  parens.  Dieu  descendit  au 
paradis  pour  prononcer  ses  terribles  sentences,  il  appela 
en  premier  lieu  le  serpent  provocateur,  à  qui  il  infligea 
la   peine   la  plus  rigoureuse;    ensuite   venait  Eve,  qui, 

(2)   Des  lois  pénales ,  Tom.  I  ,  part,  a  ,  art.  7. 


rsk       SCIENCES  xMORALES  ET  POLITIQUES. 

séduite  elle-même,  avait  encore  séduit  son  mari  :  sa  pu- 
nition fut  moins  douce  que  celle  d'Adam ,  coupable  seu- 
lement de  désobéissance.  La  peine  prononcée  contre  ces 
deux  derniers  était  simplement  afflictive;  celle  du  serpent 
était  ignominieuse  et  flétrissante.  La  justice  divine  ne 
niérite-t-elle  donc  pas  de  servir  de  modèle  à  celle  des 
hommes  ?  Mais  comment  espérer  de  voir  établir  cette 
justice  admirable,  quand  on  voit  que,  dans  plus  d'un 
pays,  sans  doute  à  son  insu,  et  sans  s'en  apercevoir,  la 
législation  elle-même  est  en  quelque  sorte  provocatrice  ? 
Les  maisons  de  jeu  (i),  les  loteries  et  tant  d'autres  éta- 
blissemens  immoraux,  souvent  tolérés,  quelquefois  même 
protégés  par  les  lois,  sont  autant  de  pépinières  propres  à 
fournir  journellement  des  victimes  au  bras  de  fer  de  la 
justice;  et,  par  une  bizarrerie  honteuse,  les  lois  pénales 
sont  souvent  obligées  de  punir,  avec  une  rigueur  barbare, 
des  crimes  dont  on  ne  trouve  la  première  origine  que  dans 
d'autres  dispositions  légales.  » 

En  rendant  compte  de  cet  ouvrage,  nous  nous  sommes 
abstenus  de  toute  critique  et  de  tout  éloge.  Renfermant 
notre  anal3'se  dans  les  bornes  étroites  d'un  simple  rap- 
port, nous  n'avons  pas  dû  hasarder  un  jugement  peu 
convenable  ,  et  que  le  public  aurait  bien  pu  infirmer. 
Les  raisons  qui  nous  ont  imposé  ce  devoir  sont  suflisam- 
ment  expliquées  par  notre  signature. 

Heiberc. 


(i)  On  voit  avec  étonnement ,  depuis  plusieurs  années,  étalée  aux 
yeux  du  public  une  brochure  in-4° ,  qui  a  pour  titre  :  Deux  mille  et 
quelques  chances  au  jeu  de  rouge  et  noire.  Cette  exposition  est,  à 
nos  veux,  extrêmement  immorale. 


LITTERATURE. 

RUSSIAN    ASTHOLOGY  ,      CtC ANTHOLOGIE   RUSSIi  ,    Uvec 

un  discours  préliminaire  et  des  notices  biographi- 
ques; par  John  Bowring  (i). 

C'est  depuis  un  petit  nombre  d'années  seulement  que 
les  poètes  et  les  écrivains  russes  prétendent  à  l'honneur 
d'occuper  une  place  dans  la  littérature  européenne.  L'im- 
pulsion donnée  à  l'empire  des  czars  par  Pierre-le-Grand, 
a  dû  naturellement  porter  sur  les  relations  politiques, 
objet  de  première  nécessité  pour  un  peuple.  Les  arts, 
qui  supposent  toujours  un  certain  état  de  repos  et  même 
de  mollesse,  ne  peuvent  fleurir  que  long-tems  après;  leur 
brillante  influence  adoucit  les  mœurs  et  ne  les  forme  pas; 
des  institutions  profondément  conçues  sont  établies  d'abord  ; 
viennent  ensuite  les  beaux-arts,  qu'on  pourrait  appeler  le 
superflu  de  la  civilisation.  Aussi  ce  ne  fut  que  vers  la  fin 
du  dernier  siècle  qu'on  vit  paraître  en  Russie  de  véritables 
poètes,  dont  plusieurs  sont  encore  nos  contemporains,  et 
dont  les  ouvrages  sont  bien  dignes,  par  leur  diversité  et 
leur  éclat,  de  franchir  les  limites  de  la  contrée  qui  leur 
a  donné  naissance.  Le  projet  de  les  traduire  était  hardi  ; 
il  fallait  vaincre  les  difficultés  d'une  langue  souple  et  riche; 
il  fallait  nous  présenter  la  poésie  russe  dans  son  mètre 
original.  Ces  obstacles  n'ont  pas  arrêté  M.  Bowring,  qui 
s'est  déjà  essayé  dans  plusieurs  compositions  assez  éten- 
dues,  où  l'on  distingue  surtout  l'empreinte  d'une  vive 
imagination.  On  ne  rend  pas  ordinairement  assez  de  jus- 
tice au  mérite  des  traducteurs  ;  cependant  il  faut  convenir 

(i)    Londres,  1821.  Un  vol.  in-12  de  240  pages. 


1 


356  LITTÉRATLRE. 

que  leur  tâche  devient  extrêmement  difficile,  quand  ils  en- 
treprennent de  nous  oflfrir,  dans  une  langue  douce  et  poli- 
cée, les  productions  d'une  poésie  qui  n'a  pas  été  inspirée 
par  nos  climats.  Il  est  évident,  ainsi  que  M.  Bowringle  fait 
remarquer  dans  sa  préface,  qu'il  leur  est  presque  impos- 
sible de  conserver  l'harmonie  et  la  justesse  des  expres- 
sions,   et  que  tout  ce  qu'ils  peuvent  se  flatter  de  n'avoir 
pas  altéré,  c'est  la  pensée  de  l'auteur;   encore  ,  nous  la 
donnent-ils   souvent  nue   et  décolorée.    Il   arrive   aussi 
presque  toujours  qu'un  traducteur  officieux  porte  la  peine 
des  défauts  de  l'original,  tandis  que  la  part  des  beautés 
est  toujours  décernée  à  l'auteur  même.  Nous  ne  voulons 
point  conclure  de  ces  réflexions  que  M.  Bowring  ait  fait  tort 
à  la  poésie  russe;   au  contraire,- fidèle  jusqu'à  conserver 
exactement  la  mesure  des  écrivains  qu'il  traduit,  jusqu'à 
imiter  le  rhythme  de  leurs  vers,  il  lui  a  fallu  aborder  tous  les 
genres  et  toutes  les  nuances  de  la  poésie   anglaise.    Un 
talent  heureux  et  flexible  a  pu  seul  le  soutenir  dans  cette 
lutte  difficile.  Tantôt  sa  lyre  est  montée  au  ton  de  l'ode , 
et  tantôt  elle  passe  à  la  gravité  de  la  poésie  morale  et 
philosophique  ;  puis  il  dépeint  les  fureurs  de  la  vengeance  et 
les  égaremens  des  passions;  enfin,  il  prend  le  voile  de  l'apo- 
logue, ou  manie  avec  succès  l'épigramme.  Son  Anthologie, 
quoique  fort  variée,  ne  fatigue  point  par  de  pénibles  con- 
trastes, bien  qu'il  ait  eu  quelquefois   recours  à  la  poésie 
métaphysique,  genre  monstrueux  que  néanmoins  plusieurs 
écrivains  d'un  vrai  mérite  s'obstinent  à  cultiver,  mais  où 
ils  réussissent  plus  souvent  à  se  faire  admirer  qu'à  se  faire 
comprendre.  Toutefois ,  M.  Bowring  avertit  qu'on  ne  doit 
point  lui  imputer  les  fautes  des  auteurs  qu'il  traduit,  parce 
qu'il  s'est  imposé  la  loi  de  respecter  leurs  écrits^  même 
dans  ce  qu'il  croyait  contraire  au  bon  goût. 

!Sous  ne  suivrons  pas  M.  Bowring  dans  les  détails  qu'il 


LITTÉRATURE.  357 

donne  sur  la  langue  russe,   qui  s'adapte  parfaitement  à 
tous  les  genres  de  poésie,  et  qui  doit  une  grande  partie  de 
sa  richesse,  d'abord  à  l'introduction  du  christianisme,  qui 
amena  avec  lui  une  foule  de  tournures  gi'ecques,  ensuite  à 
l'invasion  tartare,   qui   l'enrichit  d'un   grand   nombre  de 
locutions  et  d'images  asiatiques.  Nous  nous  hâtons  d'arriver 
à  ses  extraits  des  poètes  russes.   Le  premier  qui  figure, 
suivant  l'ordre  de  dates,  est  Michel  Lomonossofj  le  père 
de  la  littérature  russe.  Né,  en  1711,  d'un  simple  matelot, 
il  s'éleva  progressivement,  par  son  seul  mérite,  à  la  dignité 
de  directeur  de  l'université  de  Pétersbourg,  où  il  remplit 
long-tems  et  avec  la  plus  grande  distinction  la  chaire  de 
chimie.  L'académie  des  sciences  a  fait  imprimer,  aux  frais 
de  l'état,  en  seize  volumes,  ses  œuvres,  dans  lesquelles  on 
trouve  des  traités  d'optique  et  de  physique,  des  ouvrages 
sur  l'histoire,  des  tragédies,  un  poème  héroïque,  et  plu- 
sieurs autres  compositions  de  divers  genres.  La  hardiesse 
et  l'élégance  de  ses  ouvrages  contrastent  de  la  manière  la 
plus  tranchée  avec  les  productions  informes  qui  avaient 
précédé.  Ce  fut  lui  qui  fraya  la  route.  Il  a  rendu  à  la  lit- 
térature  russe  le  même  service  que   Corneille  rendit  à 
notre  théâtre  ;  il  ne  rédigea  point  de  préceptes ,  et  né  donna 
d'autre  leçon  que  son   exemple.  Il  est  à   regretter   que 
M.  Bowring  ne   nous  présente  que  deux  de  ses  pièces, 
encore    sont-elles   de  fort  peu    d'étendue.    La   première 
retrace  l'impression   que  produisit  sur  le  poète   la   vue 
des  lumières  du  Nordj  l'aurore  boréale,  ce  beau  phéno- 
mène dont  la  cause  n'est  pas  encore  dévoilée ,  et  qui, 
éclairant  de    ses  feux    rougeâtres  les  longues   nuits  des 
climats  septentrionaux,  joue  un  si  grand  rôle  dans  les  poé- 
sies d'Ossian.  Ce  morceau  offre  quelquefois  des  détails  qui 
touchent  de  trop  près  aux  siences,  pour  être  précisément 
du  ressort  de  la  poésie  ;  nous  y  avons  remarqué  cependant 


358  LITTERATURE. 

plusieurs  strophes  pleines  de  majesté.  Après  avoir  demande 
à  la  philosophie  une  explication  qu'elle  ne  peut  lui  donner , 
le  poète  se  demande  à  son  tour  quelle  peut  être  la  source 
de  ces  torrens  de  lumière. 

«  Nature,  quelles  sont  tes  secrètes  lois  ?  Les  feux  du 
Nord  brillent  dans  la  zone  de  l'hiver.  Comment  tes  flam- 
beaux s'allument-ils  aux  plaines  glacées  du  pôle  ?  Ton  soleil 
aurait-il,  dans  ces  froides  régions,  quelque  trône  mys- 
térieux ?  Quelle  clarté  s'élève  du  sein  de  ces  mers  im- 
mobiles !  c'est  du  milieu  d'elles  que  naît  le  jour  qui  doit 
éclairer  la  terre.  » 

L'autre  pièce  de  Lomonossof  est  d'un  genre  tout  difiërent; 
c'est  un  apologue,  un  conte  moral.  L'Eternel  assemble 
devant  son  trône  les  dieux  de  la  terre,  et  leur  demande 
compte  de  leur  administration;  il  leur  ordonne  de  pu- 
nir le  crime ,  quelque  puissans  que  soient  ses  auteurs. 
Le  poète  termine  par  cette  apostrophe  :  «  Vous  disparaîtrez 
un  jour,  comme  les  feuilles  que  l'automne  a  flétries;  votre 
trône  n'est  que  poussière;  votre  empire  n'est  qu'un  tom- 
beau; l'appareil  de  votre  grandeur  ne  sera  plus  qu'un 
cortège  funèbre,  et  le  plus  vil  de  vos  esclaves  foulera  aux 
pieds  les  débris  de  vos  palais  !  »  Si  l'on  se  reporte  à  la  date 
de  ces  poésies  (environ  i74o)  ,  et  si  l'on  se  rappelle  de  plus 
que  Lomonossof  était  en  quelque  sorte,  à  la  cour  de  Russie, 
ce  que  les  Anglais  appelaient  poète  lauréat,  c'est-à-dire 
préposé  aux  compliriiens  anniversaires,  on  trouvera  sans 
doute  ce  morceau  doublement  remarquable. 

Gabriel  Dejjavin  mérite  de  nous  arrêter  plus  long- 
lems,  du  moins  par  l'étendue  que  M.  B.  a  donnée  à  ses 
ouvrages  dans  V anthologie  russe.  Il  naquit  en  i  763 ,  se 
distingua  d'abord  dans  la  carrière  militaire,  et  Catherine 
en  fit  un  de  ses  ministres  d'état.  Son  talent,  qui  se  forma 
au  milieu  du  tumulte  des  camps,  est  marqué  d'une  em- 


LITTERATURE.  359 

preinle  guerrière,  et  à  tel  point  que,  dans  un  passage  où  il 
se  répand  en  éloges  sur  les  exploits  des  armes  russes, 
son  traducteur  a  cru  devoir  protester,  dans  une  note,  contre 
ses  principes  de  conquête.  L'ode  à  Dieu,  de  Derjavin, 
cette  ode  que  l'empereur  de  la  Chine  a  fait  imprimer  en 
caractères  d'or  sur  de  la  soie,  et  qu'il  a  fait  suspendre  aux 
murs  de  son  palais ,  est  sans  contredit  fort  belle,  et  la  tra- 
duction est  écrite  d'un  style  pur  et  majestueux  (i).  On  y  re- 
marque avec  plaisir  une  grande  économie  d'ornemens  et 
de  figures ,  qui  deviennent  presque  tous  frivoles  dans  un 
sujet  aussi  sublime  que  celui  que  le  poète  a  osé  traiter. 
Nous  n'en  citerons  rien  cependant;  car,  sans  parler  de  la 
teinte  métaphysique  qu'on  y  remarque,  ce  serait  faire  tort 
à  quelques  expressions  vraiment  miltoniennes ,  que  d'es- 
sayer de  les  rendre  en  prose.  M.  B.  nous  donne  une  autre 
pièce  du  même  auteur,  la  Cascade;  c'est  une  des  plus 
longues  et  des  plus  belles  du  recueil.  Le  vieux  guerrier 
Romamof,  disgracié  par  des  intrigues  de  cour,  abattu  par 
l'âge  et  parles  fatigues  de  la  guerre,  vient  méditer  sur 
le  néant  de  la  gloire  et  sur  les  rêves  de  l'ambition  :  il 
aime  à  s'égarer  dans  les  déserts,  à  contempler  les  eaux 
d'une  cascade  qui  se  précipite  en  flots  argentés  ,  et  dont  le 
fracas  n'est  plus  qu'un  léger  murmure,  au  fond  des  forêts. 
"Le  loup  s'arrête  sur  ses  bords,  et  n'ose  les  franchir;  le 
cheval  sauvage,  la  crinière  hérissée,  affronte  le  tumulte  de 
ses  eaux,  tandis  que  leur  bruit  fait  fuir  Ite  cerf  timide.  »  Le 
vieillard  s'égare  souvent  sur  les  rives  du  fleuve;  ses  armes 
lui  ont  été  arrachées,  la  tempête  de  l'adversité  a  fait  tom- 
ber sa  lance.  Il  s'endort  au  bruit  du  torrent  ;  de  sinistres 
visions  viennent  troubler  son  sommeil,  et  lui  annoncent 


(i)  Une  heureuse  imitation  en  vers  de  cette  ode  se  trouve  à  la  fin 
d'un  ouvrage  annoncé  dans  la  Revue,  sous  le  titre  de  Coup  d'ceit 

sur  Pétersbourg.  {  f^oyez  Tom,  IX,  pag.  586  ). 


360  LITTERATURE. 

la  mort  du  prince  de  Tauride,  favori  de  Minerve  (i  ),  celui- 
là  même  qui  avait  décidé  sa  disgrâce.  Le  vieillard  se  ré- 
veille en  soupirant,  et  s'écrie  :  Un  héros  vient  d'expirer. 
C'est  une  idée  éminemment  poétique  d'avoir  mis  dans  la 
bouche  de  Romanzof  l'oraison  funèbre  de  son  ennemi;  en 
voici  quelques  stances  : 

«  Heureux,  dit  le  vieillard,  si,  en  combattant  pour  la 
gloire,  son  bras  a  toujours  combattu  pour  la  justice  !  heu- 
reux celui  dont  le  glaive  n'a  pas  été  étranger  à  la  pitié  dans 
le  combat  le  plus  sanglant ,  et  dont  le  bouclier  a  servi  d'é- 
gide à  son  ennemi  !  Les  siècles  à  venir  diront  sa  renom- 
mée ,  et  l'ami  de  l'homme  sera  de  tous  ses  titres  le  plus 
brillant.  » 

«  Gloire,  tout  ce  que  les  hommes  ont  déplus  cher,  tu 
m'apparais  comme  cette  cascade;  sauvages,  indomptés  dans 
leur  course,  ses  flots  éblouissent  les  yeux,  en  se  précipitant 
des  monts  où  ils  prennent  naissance.  » 

«  Les  regards  enchantés  des  faibles  humains  se  tournent 
vers  le  torrent  ;  mais  ses  ondes  rapides  ne  répandent  point 
la  fertilité;  la  désolation  accompagne  ses  eaux,  qui  sillonnent 
la  plaine.  Elle  n'est  plus  qu'un  désert,  la  inante  vallée 
qu'ils  ont  traversée.  » 

«  Que  le  modeste  ruisseau  est  plus  aimable  et  plus  pur  ! 
ses  eaux  limpides  arrosent  la  prairie.  Le  murmure  de  sa 
voix  a  la  douceur  des  chansons  du  berger  ou  des  accens 
de  l'amour.  Il  n'étonne  point  par  le  mugissement  de  ses 
flots;  mais  jamais  il  ne  tarit,  et  son  cours  est  marqué  par 
des  bienfaits.  Tel  le  héros  véritable,  etc.  » 

Il  serait  inutile  de  prolonger  encore  cette  citation  de  la 
Cascade  de  Derjavin;  ce  peu  de  lignes  suffira  pour  faire 
voir  qu'il  est  digne  du  nom  de  poète,  que  sa  muse  a  quel- 

(i)  On  donnait  souvent  ce  nom  à  l'impératrice  Catherine. 
Potemkin ,  prince  de  Tauride,  se  distingua  ,  surtout  par  ses  victoires 
sur  les  Turcs. 


LITTÉRATURE.  .-561 

que  chose  de  sauvage  et  Je  grand  qui  n'exclut  pas  l'élé- 
gance, et  que  ses  images  ont  an  caractère  local  très- 
proQOQcé. 

La  plus  heureuse  traduction,   dans  V Antlwlogie  russe ^ 
estcelledes  Pénates,  deBatuschkof,ouépître  aux  dieux  do- 
mestiques, qui ,  par  ses  grâces  et  son  aimable  philosophie, 
ne  déparerait  la  littérature  d'aucune  nation.  M.  B.  l'a  tra- 
duite  avec  beaucoup  de  bonheur.  On  voit  qu'elle  est  d'un 
écrivain   nourri  de  la   lecture  d'Horace  et  de  TibuUe,  et 
peut-être  n'y  a-t-ii  rien,  dans  la  littérature  anglaise,  qui  se 
rapproche  autant  des  contes  de  Voltaire.   Le  poète    se  re- 
tire dans  ses  foyers,  dégoûté   des  succès  de   l'intrigue  et 
du  faux  brillant  de  la  puissance.  11  fait  l'inventaire  exact 
des  goûts  et  des  passions  des  hommes,  et,  après  de  mûres 
réflexions,   il  donne   sa   démission    pleine   et  entière  des 
affaires  du  monde,  ne  se  réservant  que  les  muses,  et,  comme 
Benserade,  Ysiinanx sldlfficile àcongèdier.\\-^^%'sQ  en  revue 
tous  les  poètes  de  sa  patrie;  chacun  d'eux  est  peint  d'un 
trait,  et  son  épître  offre  une   espèce  de  galerie  littéraire, 
pleine  d'images  riantes.  Enfin,  dansse,s  Pe/za^é's,  Batuschkof 
se  fait  ermite,  et  il  est  impossible  d'être  misantrope  avec 
plus  de  grâce.  On  rencontre  dans  cette  pièce  de  nombreuses 
réminiscences  des  poètes  latins  ,  des  poésies  de  La  Fon- 
taine, et  même  de  celles  de  Parny.  Lorsque  Batuschkof, 
en  parlant  des  premiers  âges  de  la  littérature   russe,  re- 
monte jusqu'aux  héros  slaves  qu'on  distingue  à  peine  dans 
la  nuit    de  leur  gloire,  on  se  rappelle  involontairement 
J.  B.  Rousseau  qui  nous  dépeint  les  anciens  sages,  «  se  dé- 
robant aux  épaisses  ténèbres  de  leur  antiquité.  »  Voici  les 
vers  des  Pénates,  qui  renferment  les  dernières  volontés  du 
poète  :  «  Lorsque  mon  pèlerinage  sera  terminé,  dit-il,  et  que 
)e  dormirai  auprès  des  miens ,  qu'on  ne  verse  pointeur  ma 
cendre  des  pleurs  mercenaires.  Quelques  amis  pourront  se 
Tome  x.  -  2A 


362  LITTÉRATURE. 

réunir,  le  soirdu  jour  qui  m'aura  vu  expirer,  et  j  eterquelque* 
fleurs  sur  la  tombe  du  poète.  Qu^on  dépose  à  côté  de  moi 
mes  pénates  chéris,  la  coupe  du  festin  et  ma  lyre,  muette 
désormais.  Ma  cendre  n'a  pas  besoin  d'être  recouverte 
d'une  pierre  et  d'une  inscription;  il  est  inutile  d'apprendre 
au  voyageur  que  celui  qui  a  tant  aimé  est  mort  tranquille 
et  serein.  »  Ces  vers  sont  précisément  dans  le  même  genre 
que  ce  passage  charmant  du  Ménestrel  de  Béattie,  qui 
mériterait  d'être  mieux  connu  en  France,  où  le  poète 
demande  à  reposer,  après  sa  mort,  dans  un  endroit  que  le 
soleil  éclaire  des  rayons  du  soir;  passage  qui  se  termine 
par  cette  pensée  :  «  Lorsque,  près  démon  tombeau,  la  nuit 
viendra  surprendre  le  fils  du  laboureur  et  la  jeune  fille 
timide,  qu'ils  ne  craignent  pas  les  ténèbres,  qu'ils  ne  se 
pressent  point  de  fuir;  mon  ombre  plaintive  ne  viendra 
point  troubler  leurs  innocentes  amours.  » 

On  regrette  que  M.  B.  n'ait  pas  donné  plus  d'étendue  à 
ses  extraits  de  Joukowski,  poète  qui,  si  l'on  doit  le  juger 
d'après  quelques  morceaux  détachés,  paraît  avoir  une  élé- 
gance soutenue  dans  sa  versification.  On  lui  doit  une  tra- 
duction russe  du  Don  Quichotte  de  Florian  ,  et  l'on  ne 
conçoit  pas  comment  un  écrivain  distingué  n'a-pas  mieux 
aimé  enrichir  sa  patrie  de  l'ouvrage  même  de  Cervantes. 
Le  morceau  que  M.  B.  nous  présente  est  jempli  de  force 
et  d'imagination ,  et  les  images  en  sont  toutes  empruntées 
de  la  poésie  calédonienne.  Il  serait  difficile  d'assigner  un 
nom  exact  à  cette  pièce  de  Joukowski;  elle  se  rapproche 
évidemment  de  ces  contes  ou  romans  poétiques,  auxquels 
on  a  long-tems  refusé  une  place  dans  la  littérature,  et  qui 
maintenant  voudraient  occuper  la  première.  Lorsque  des 
hommes  distingués  ont  créé  ce  genre ,  pour  ainsi  dire 
nouveau,  ils  n'ont  pas  prévu  avec  quelle  passion  on  se  je- 
terait  dans  cette  arène  imprudemment  ouverte;  ils  n'ont 


LITTERATURE.  365 

)pâs  prévu  que ,  dans  leur  fatale  abondance ,  la  foule  des 
imitateurs  menacerait  un   jour,    en   marchant  sur  leurs 
traces,  d'étoufFer  entièrement  la  belle  littérature  hardie  et 
chaste  à  la  fois,  qui  reparaît  encore  cependant,  en  Angle- 
terre, dans  les  ouvrages  de  Worldsworth,  de  Piogers,  et 
surtout  de  Campbell,  celui  de  tous  ses  poètes  vivans  dont 
la  réputation  sera  la  plus  durable.   Cependant  la  Harpe 
d'Eau  (i)  ,  de  l'écrivain  russe  ,  est  composée  avec  assez  de 
goût;  et,  quoiqu'il  ait  rempli  cette  pièce  d'images  quel- 
quefois ambitieuses  ,  elles  n'y  sont  pas  prodiguées  outre 
mesure.   M.  B. ,  astreint,  par  la  fidélité  avec  laquelle  il  a 
traduit,  à  un  genre  de  rhythme  croisé  et  difficile,  n'en  a 
pas  moins   rendu   presque  toutes   les   stances  avec  une 
grande   élégance.    Les    amours    malheureux    d'un    jeune 
barde  ,  qui  n'a  pour  tout  bien  que  sa  harpe  et  ses  chansons, 
font  tout  le  sujet  de  ce  petit  poème.   L'un  des  chefs  de 
Morven,  couronné  de  gloire  et  d'années,  se  repose  de  ses 
fatigues  dans  la  demeure  de  ses  pères  :  son  unique  plaisir 
est  d'entendre  célébrer  les  exploits  des  héros  de  sa  race  et 
de  voir  se  développer  la  beauté  de  sa  fille  Milvana,  dont 

(i)  En  Ecosse,  cette  contrée  si  fertile  en  inspirations  poétiques, 

la  patrie  des  bardes  ,  on  avait  remarqué  que  les  cordes  d'une  harpe, 

frappées  par  un  vif  courant  d'air,  rendaient  des  sons  harmonieux. 

Aussitôt,  on  revêtit  ce  phénomène  des  couleurs  de  l'imagination; 

c'étaient  les  ombres  des  guerriers  de   Fingal  et  des  vierges  de  Te- 

mora  ,   qui  excitaient  cette  musique  aérienne  dans  leur   passage  ; 

c'étaient  des  accens  qui  venaient  d'au-dtlà  de  la  tombe;  c'était 

la  louche    légère  des  esprits.    C'est    ce  qu'on   nomma    la    Harpe 

d'Éole.  (Est-ce  le  vent  qui  fait  résonner  ma  harpe,  ou  est-ce  le 

passage  des  esprits? — Ossian  ;  Berrathon.  Le  vent  ébranle  la  cime 

des  vieux  chênes.   L'esprit  de  la  montagne  pousse  des  cris  dans  la 

tempête.  L'orage  est  entré  dans   ma   demeure,  ma   harpe   en  est 

agitée;   des  sous    mélancoliques  s'étendent  au   loin,    comme   une 

voix   qui  sort  delà  tomhc. —  Ossian  ;  Dar-T/iula. 

2A* 


36A  LITTÉUAÏURE. 

Joukowski  trace  le  portrait  dans  le  genre  d'Ossian.  «  Elle 
est  fraîche  comme  l'air  du  matin;  elle  est  aimable  comme 
la  fleur  de  la  montagne,  qui  incline  sa  tête  argentée  de 
rosée  aux  rayons  du  soleil  levant.»  En  vain,  les  plus  fameux 
guerriers  viennent,  de  toutes  les  parties  de  l'Ecosse,  dé- 
poser leur  hommage  aux  pieds  de  Milvana  ;  elle  a  donné 
son  cœur  au  jeune  barde.  Joukowski  le  fait  parler  en  vers 
pleins  de  douceur  et  d'élégance  :  «  De  quoi  servent  pour  le 
bonheur,  dit-il,  le  courage  et  la  gloire  ?  quelles  couronnes 
sont  plus  belles  que  les  guirlandes  tressées  par  la  main  de 
la  beauté  ?  le  récit  des  exploits  d'un  héros  a-t-il  la  douceur 
des  accens  du  premier  amour?»  Nous  avons  surtout  re- 
marqué la  strophe  suivante,  qui  rappelle  l'ouverture  du 
troisiènrie  acte  de  Roméo  et  Jalietta^  l'une  des  scènes  les 
plus  gracieuses  de  Shakespeare,  qui  savait  prendre  tous 
les  tons  ;  dans  laquelle  Juliette  avertit  son  amant  qu'il  doit 
s'éloigner,  parce  qu'elle  entend  les  cris  de  l'alouette  qui 
annonce  le  matin,  et  Roméo  lui  fait  croire  que  ce  ne  sont 
que  les  chants  du  rossignol,  l'oiseau  de  la  nuit: 

«  Est-ce  le  soleil  qui  revient  nous  éclairer?  sont-ce  le» 
feux  du  jour  qui  blanchissent  l'orient  ?  le  souffle  du  vent 
s'est-il  réveillé  sur  le  sommet  de  la  colline  ?  Ce  ne  sont 
que  les  feux  du  nord  qui  sillonnent  l'obscurité  de  la  nuit: 
ce  n'est  pas  encore  le  jour  qui  s'avance.  Zéphirs  du  matin^ 
ne  descendez  pas  encore  de  vos  montagnes.  » 

Enfin  Ordail,  irrité  de  la  passion  du  jeune  barde,  le  fait 
conduire  en  des  terres  étrangères.  La  fille  du  chef  de 
Morven,  ainsi  que  le  barde  exilé,  meurent  tous  deux,  et 
leurs  ombres  viennent  visiter  les  lieux  de  leurs  amours. 
On  voit  que  cette  pièce  est  presque  entièrement  empruntée 
d'Ossian,  quant  à  la  poésie  qui  la  décore;  ce  qui  ne  lui  ôte 
pas  un  certain  mérite  d'originalité.  Joukowski  a  choisi 
avec  goût  plusieurs  dos  plus  belles  images  de  la  poésie 


LITTERATURE.  365 

écossaise,  sans  se  prononcer  sur  la  question  de  l'autiqnité 
des  compositions  d'Ossian  ou  de  Macphèrson,  Il  s'est  beau- 
coup aide  de  cette  strophe  si  remarquable,  où  Ossian,  privé 
de  la  vue,  fait  une  invocation  au  soleil;  strophe  qui  sur- 
passe, à  quelques  égards,  en  sublimité,  les  vers  où  Milton 
aveugle  célèbre  les  beautés  et  les  bienfaits  de  la  lumière. 

Le  traducteur  anglais  nous  donne  aussi,  dans  cette  An- 
thologie ,  plusieurs  morceaux  de  Karamsin ,  (jui  s'est 
surtout  distingué  par  ses  compositions  historiques  ;  une 
pièce  de  Dmitrief^  sur  un  orage  ,  qui  rappelle  les  vers  de 
Thomson,  et  quelques  parties  du  poème  de  la  Religion,  de 
Bohroff  auteur  d'un  roman  que  M.  B.  compare  à  Lalla 
Rookh,  ce  poème  auquel  l'imagination  dé  M.  Moore  a 
donné  une  si  forte  teinte  orientale,  ainsi  que  de  Davidof 
et  de  KoHtrof{y) ,  tous  auteurs  dont  les  vers  sont  plus  har- 
monieux que  les  noms  ;  enfin,  de  Meletzky ^  dont  il  pré- 
sente plusieurs  romances  et  chansons  populaires,  qui  ne 
sont  pas  sans  un  certain  charme,  quoique  leur  mérite  sOit 
surtout  national.  Enfin ,  M.  B.  cite  plusieurs  fragmens  des 
ouvrages  de  Bogdanovilch ,  «  l'Anacréon  de  la  Russie,  »  qu'il 
fait  suivre  d'une  notice  biographique  fort  intéressante,  par 
Karamsin.  Il  paraît  que  Bogdanovitch  fut  d'abord  destiné 
à  l'étude  et  à  la  carrière  du  génie  militaire  ;  mais  il  fût 
tellement  enchanté  de  la  pompe  d'une  représentation  théâ- 
trale à  laquelle  il  assistait,  qu'il  ne  voulut  plus  s'occuper 
que  de  poésie.  Son  mérite  ,  aidé  de  puissans  protecteurs, 
qui,  en  Russie,  manquent  rarement  au  talent, le  fit  envoyer 


(i)  Dans  sa  notice  biographique  sur  Kostrof ,  M.  Bowring  nous 
apprend  qu'il  n'a  pu  paraître  que  six  livres  d'une  traduction  qtie 
cet  écrivain  russe  avait  faite  de  l'Iliade,  parce  qu'un  libraire  lui 
ayant  ofifert  un  vil  prix  de  son  travail  (  i5o  roubles ,  3  le  poète 
indigné  jeta  son  ouvrage  au  feu. 


Se«  LITTERATURE. 

à  Dresde,  avec  l'ambassade  près  cette  cour.  Il  s'y  livra 
tout  entier  aux  arts,  et  ce  fut  aux  sites  rians  des  bords  de 
l'Elbe ,  aux  compositions  des  Rubens  et  des  Paul  Véronèse, 
qu'il  emprunta  les  images  gracieuses  de  sa  Douschenka 
(Psyché).  Il  parvint  à  une  vieillesse  avancée,  et  mourut 
en  i8o3.  Son  caractère  était  aimable  et  tendre  :  il  avait 
coutume  de  dire  qu'il  ne  redoutait  qu'une  seule  chose,  la 
critique;  mais  elle  était  peu  dangereuse  pour  lui;  et  d'ail- 
leurs, le  public  russe  n'a  pas  encore  le  droit  d'être  trop 
eageant. 

Dans  la  galerie  que  M.  B.  nous  fait  parcourir,  on  re- 
marque avec  surprise  que  les  fabulistes  sont  les  plus  nom- 
breux, et  peut-être  les  plus  distingués  des  écrivains  russes. 
Sans  parler  de  Soumarokof,  créateur  de  ce  genre  en  Russie, 
on  trouve,  dans  V Anthologie j  (\\xt\(\aes  fables  de  Kliem- 
Tiitzer i  dont  une  surtout  est  remarquable  :  le  roi  et  son 
conseil.  Ce  poète  paraît  avoir  eu  toute  la  bonhomie  et 
quelque  chose  du  talent  de  notre  La  Fontaine.  Son  peu  de 
fortune  et  la  négligence  qu'il  mettait  à  l'augmenter  furent 
cause  que  ses  amis  obtinrent,  presque  à  son  insu,  sa  nomi- 
nation au  consulat  général  de  Smyrne.  Ce  fut  lui  rendre 
un  triste  service.  Son  génie  s'éteignit  peu  à  peu  dans  les 
embarras  de  sa  place ,  et  sa  santé  ne  résista  pas  long-tems 
au  changement  de  climat.  Il  mourut  à  Smyrne  en  1784. 
Une  grande  simplicité  s'alliait  chez  lui  à  un  noble  enthou- 
-  siasme  pour  tout  ce  qui  est  digne  d'admiration.  On  rap- 
porte qu'assistant,  à  Paris,  à  une  représentation  de  Tan- 
crède ,  il  se  sentit  tellement  ému,  au  premier  vers  que 
Lekain  prononça,  en  entrant  sur  la  scène,  qu'il  se  leva 
au  milieu  du  parterre  et  salua  profondément  l'acteur.  Ce 
trait  de  Khemnitzer  rappelle  involontairement  l'auteur  du 
Voyage  sentimentaU  Sterne ,  qui .  la  première  fois  qu'il 
passa  devant  la  statue  de  Henri  IV,  au  Pont-Neuf,  s'age- 


LITTERATURE.  367 

nouilla  dans  la  boue  devant  l'image  du  bon  roi.  La  fable 
que  M.  B.  nous  donne  de  Krilof  fait  regretter  qu'il  n'en 
ait  traduit  qu'une  seule  :  je  ne  saurais  la  transcrire  sans 
prolonger  encore  cet  article;  mais  j'en  citerai  une  de  ce 
fabuliste  qui  donnera  une  idée  du  genre  de  son  talent.  La 
traduction  que  l'on  va  lire  en  a  été  faite  par  M.  Héreau, 
secrétaire  central  de  la  Reloue  Encyclopédique ,  qui  a  de- 
meuré pendant  dix  années  en  Russie,  et  qui  s'occupe  de- 
puis long-tems  d'un  choix  de  poésies  russes. 

LE  PIGEON,  LA   POULE   D'EAU  ET  L'ÉCREVISSE, 
FABLE  IMITÉE  DU  RUSSE. 

Il  s'en  va  mal  en  toute  affaire , 
Lorsque  des  gens,  liés  par  un  même  intérêt , 

Sont  différeus  de  caractère. 
On  pourrait  discourir  long-tems  sur  ce  sujet , 

Et  la  matière  est  assez  ample  ; 

Mais  ce  n'est  point  là  mon  projet  : 
Je  n'en  veux  aujourd'hui  que  donner  un  exemple. 
Le  pigeon ,  l'écrevisse  ,  avec  la  poule  d'eau  , 
S'étant  associés  de  plaisir  et  de  peine  , 

Eurent  à  traîner  un  fardeau. 
Ils  s'attèlent  tous  trois ,  et,  d'une  même  baleine , 
Ils  partent.  .  .  Cependant,  chacun  d'eux  «e  démène  , 
Et  le  fardeau  ne  bouge  d'un  seul  pas. 

D'où  vient  cela?  ce  n'était  pas 
Qu'il  fût  trop  lourd  ;  mais  vers  l'humide  plaine 
La  poule  d'eau  tirait  ;  le  pigeon  vers  les  cieux 

Prenait  un  vol  ambitieux. 

Et  l'écrevisse  ,  ma  commère , 
Pour  reculer  faisait  de  tout  ?on  mieux. 

Qui  des  trois  avait  tort  ?  ce  n'est  point  mon  aOairo 
De  décider  entre  eux;  mais  je  l'ai  déjà  dit, 

Et  cela  me  suffit  : 
Il  faut  s'associer  suivant  son  caraçtëra. 


368  LITTÉRATURE. 

On  pense  bien  que  M.  Bowring  a  fait  un  choix  délicat 
ayant  de  composer  son  Anthologie.  Il  ne  nous  donne  que 
les  perles  des  écrivains  russes,  et  son  recueil  ne  permet 
nullement  de  juger  l'ensemble  de  leurs  productions.  Mais 
au  moins  est-il  possible,  d'après  son  ouvrage,  de  saisir 
quelques-uns  des  traits  de  la  littérature  naissante  de  la 
Russie,  de  se  former  une  idée  de  la  manière  qu'elle  adopte 
de  préférence  et  de  la  direction  qu'elle  paraît  devoir  suivre. 
A  l'exception  de  Derjavin  et  de  Batuschkofy  qui  occupent 
le  premier  rang,  on  s'attendrait  à  trouver  des  tournures 
moins  polies  et  un  genre  plus  nettement  tranché,  quelque 
chose   de  moins  élégant,  mais   de  plus  original.   On  est 
frappé  de  la  ressemblance  de  ces  compositions  avec  plu- 
sieurs parties  de  la  littérature  anglaise;  et,  quoique  la 
nature  du  nord  leur  donne  presque  partout  un  caractère 
sombre  et  imposant,  on  conçoit  que  ces  poésies  pourraient 
êti'e  encore  plus  décidément  russes.  Il  faut  convenir,  d'un 
autre  côté,  qu'on  y  trouve  aussi  l'empreinte  d'un  goût  ju- 
dicieux et  sévère ,  une  grande  sobriété  d'images  roman- 
tiques; à  peine,  dans  le  volume  entier,  pourrait-on  citer 
un  seul  exemple  de  ces  comparaisons  vagues  et  ambi- 
tieuses en  même  tems ,  dont  plusieurs  auteurs  modernes 
affectent  de  se  servir,  comme  si  le  champ  des  vraies  beautés 
poétiques  était  devenu  stérile.  Les  écrivains   russes   pa- 
raissent généralement  d'accord  sur  ces  points  :  que  rien 
n'est  plus  contraire  ù  l'effet  de  la  poésie  que  de  vouloir  y 
introduire  l'analyse  des  sentimens  de  l'ame,  et  que  c'est 
une   entreprise  ridicule  que  de  prétendre  enluminer  la 
métaphysique,  des  couleurs  de  l'imagination.  Une  autre 
qualité  de  ces  poètes  de  la  Nevpa,  et  peut-être  la  plus  pré- 
cieuse de  toutes,  c'est  que  leur  muse  n'est  jamais  servile, 
c'est  que  des  pensées  généreuses  et  patriotiques  l'ont  cons- 
tamment  inspirée;    c'est  qu'ils  flétrissent  tour  à  tour  les 


LITTERATURE.  3C9 

tristes  exploits  de  la  guerre  et  les  espérances  de  l'ambition  , 
c'est  que  les  traces  d'un  gouvernement  militaire  et  absolu 
disparaissent  complètement  dans  leurs  vers.  Malheureuse- 
ment il  n'est  pas  permis  de  dire  (ju'en  Russie ,  cette  belle 
littérature  réfléchit  fidèlement  l'image  des  institutions  et 
des  mœurs.  Ces  charmes  ne  sont  sentis  que  dans  les  rangs 
les  plus  élevés;  chez  cette  nation,  un  abîme  sépare  l'es- 
clave de  son  seigneur,  et  il  ne  peut  y  avoir  entre  eux  que 
des  relations  de  dépendance;  sans  doute,  les  arts  sont  pro- 
tégés dans  ces  palais  où  l'élégance  de  l'Europe  s'embellit 
du  luxe  de  l'Asie;  mais  que  trouve-t-on  hors  de  leur  en- 
ceinte? de  l'ignorance  et  de  la  servitude.   Il  est  permis 
d'espérer,  avec  l'auteur  de  cette  AntJiologie,(\\\e.  l'ascen- 
dant de  tant  d'hommes  d'un  mérite  vraiment  distingué, 
en  donnant  des  goûts  intellectuels  aux  diverses  classes  de 
\&  société,  hâtera  l'instant  si  désiré  d'un  rapprochement  et 
d'une  émancipation  mutuelle.  Après  l'humiliante  histoire 
de  la  littérature  chez  les  Romains,  il  faut  qu'elle  se  jus- 
tifie d'avoir  si  l'ong-tems  langui  sous  la  république  et  d'a- 
voir attendu  le  despotisme  pour  jeter  tout  son  éclat.  Qu'il 
serait  beau  de  voir  les  arts,  par  une  marche  contraire, 
sortir  des   capitales  où  ils  sont  relégués  ,   répandue  les  ' 
premiers  germes   de   la  philosophie  et  des  lumières  au 
milieu  d'une  vaste  nation,   et  l'influence  brillante  de  la 
poésie  devenir  le  précui'seur  de  sa  liberté! 

Charles  Coquerel. 


370  LITTERATURE. 


^^WVVW W%  W W%V\A/V% 


ErKLABUNG    EINER    /EGYPTISCHEN     TJRKUNDE     AtP     PAPY- 
BUS,  etc., von August Bockh  {i),ou Explication d'uh 

CONTRAT   ÉGYPTIEN    SUR  PAPYRUS  ,  Cn  greC    CUTSif^  de 

Van  io4  avant  J.-C,  lue  le  24  janvier  1821,  à 
Cacadémie  royale  des  sciences  de  Berlin  ,  par  Au- 
guste BôcKU,  membre  des  académies  royales  de 
Berlin  et  de  Munich. 

On  se  plaint  quelquefois  de  ce  que  les  monumens  de  l'E- 
gypte, malgré  les  innombrables  sculptures  dont  ils  sont 
chargés,  n'apprennent  rien  de  positif  sur  l'histoire  ou  sur 
l'état  civil  du  pays.  L'heureuse  découverte  que  viennent  de 
faire  trois  savans  de  l'académie  de  Berlin,  et  que  l'un  d'eux, 
M.  Bockh,  a  publiée  depuis  peu,  suppléera  en  partie  le 
langage  encore  muet  des  monumens.  Il  s'agit  d'un  contrat 
égyptien,  conclu  loA  ans  avant  J.-C.,etquia  été  déchiffré 
avec  un  rare  bonheur  par  MM.  Bockh,  Buttmann  et  Bek- 
ker.  Le  document  est  écrit  sur  un  papyrus,  en  grec  cursif, 
mais  presque  illisible.  Au  premier  coup  d'œil ,  on  le  pren- 
drait pour  une  écriture  tout  autre,  mêlée  seulement  de 
quelques  lettres  grecques,  semées  çà  et  là.  Le  petit  ou- 
vrage dont  nous  rendons  compte  renferme  \efac  simile  du 
contrat,  avec  la  traduction  allemande  et  un  commentaire 
assez  étendu.  On  peut  dire,  de  ce  morceau,  qu'il  est  unique 
sous  deux  rapports  ;  d'abord,  comme  exemple  de  l'écri- 
ture cursive  ,  puis  comme  renfermant  des  détails  neufs 
sur  un  point  essentiel  de  l'administration  civile.  Voici  l'his- 
torique de  la  découverte.  M.  Jean  d'Anastasy,  consul  de 
Suède  à  Alexandrie,  s'est  procuré  dans  la  haute  Egypte  ce 

(1)  In-4°  de  36  pages,  Berlin,  i8ji. 


LITTÉRATCRE.  571 

précieux  manuscrit,  qu'il  conserye  dans  son  cabinet,  dé- 
roulé entre  deux  verres.  Le  général  Minutoli,  qui  visite 
maintenant  l'Egypte  et  les  pays  de  l'ouest,  par  ordre  du 
gouvernement  prussien,  a  obtenu  du  consul  un  fac  simile 
du  papyrus,  et  l'a  envoyé  à  l'académie  de  Berlin.  L'ori- 
ginal paraît  avoir  été  déposé  sur  une  momie  de  la  Thébaïde. 
Sa  conservation  étonnante,  après  vingt  siècles,  est  due  sans 
doute  au  baume  dont  il  a  été  imprégné  ou  parfumé,  et  à  la 
sécheresse  du  tombeau  danslequel  il  est  resté  silong-tems. 

La  copie  qui  a  été  envoyée  en  Prusse  a  été  imitée  avec 
une  scrupuleuse  exactitude;  il  est  à  regretter  cependant 
que  l'oiiginal  ne  soit  pas  en  Europe,  car  il  est  permis  de 
douter  que  le  fac  simile,  du  moins  la  gravure  ,  le  retrace 
avec  une  égale  fidélité  sur  tous  les  points. 

L'étendue  du  manuscrit  est  de  aa  pouces  environ,  sur 
5'^  A  1.  de  hauteur;  à  gauche,  on  voit  une  sorte  de  cachet, 
représentant  une  tête  barbue  avec  un  casque ,  selon  l'usage 
grec. 

L'écrit  est  composé  de  trois  parties  :  la  première,  en 
cinq  lignes,  indique  la  date  et  désigne  les  fonctionnaires  de 
l'ordre  religieux  alors  en  exercice,  indications  nécessaires 
pour  bien  déterminer  cette  époque  et  rendre  l'acte  valide. 
La  seconde,  en  huit  lignes,  contient  le  traité  conclu;  la 
troisième,  qui  est  séparée  à  la  droite,  est  une  sorte  d'en- 
registrement écrit  en  huit  lignes;  ces  lignes  sont  plus 
courtes  et  d'une  autre  main,  en  caractères  plus  menus, 
plus  serrés  et  tracés  rapidement,  en  sorte  que  l'on  conjec- 
ture que  le  manuscrit  n'est  pas  une  copie  ,  mais  bien 
l'original  de  l'acte. 

L'objet  du  contrat  est  l'acte  de  vente  d'un  fonds  de  terre, 
entre  plusieurs  particuliers  de  Ptolémaïs,  ville  capitale  de 
la  haute  Egypte  sous  les  Lagides.  M.  Bôckh  présume  qu'il 
a  été  trouvé  dans  le  tombeau  de  l'acheteur  même,  nommé 


372  LITTERATLllE. 

Nechoutes.  Les  co-vendeurs  sont  au  nombre  de  quatre;  on 
donne  .leur  signalement  dans  le  plus  grand  détail,  ainsi 
que  leur  profession,  puis  le  quartier  où  la  pièce  de  terre 
est  située,  la  nature  et  l'étendue  de  la  pièce,  ensuite  la 
désignation  des  tenans  et  aboutissans;  enfin,  le  signale- 
ment de  l'acbeteuret  le  prix  de  la  vente. 

La  partie  de  droite  est  une  sorte  de  transcription  Iki 
contrat  :  on  y  désigne  les  trois  ou  quatre  fonctionnaires 
des  contributions  ou  de  l'enregistrement  ;  on  y  répète  la  date 
de  l'année,  le  prix  de  la  terre,  le  lieu  où  elle  est  située;  enfin , 
les  noms  des  parties;  mais  le  jour  de  l'inscription  de  l'acte 
n'est  plus  le  même  ,  c'est  environ  trois  mois  plus  tard  que 
le  contrat  a  été  enregistré  à  la  requête  de  l'acheteur. 

Ce  rare  morceau  est  le  plus  curieux  qu'on  ait  encore 
trouvé  en  Egypte ,  pour  la  connaissance  de  l'ordre  civil 
dans  ce  pays.  A  la  vérité,  il  ne  remonte  pas  plus  haut  que 
l'administration  des  Grecs;  mais  tout  porte  à  croire  que 
l'ancien  usage  avait  été  conservé.  Toutefois ,  je  dififère 
d'avis  sur  un  point  avec  le  savant  interprète  ;  il  induit  de 
cette  pièce  ,  que  la  langue  grecque  était,  à  cette  époque, 
employée  universellement  dans  toute  l'Egypte ,  même  poui* 
les  affaires  privées.  Mais  Ptolémaïs  étant  une  ville  d'ori- 
gine grecque  et  fondée  par  les  Ptolémées,  pour  succéder 
à  l'ancienne  capitale,  peut-être  dans  le  dessein  même  d'in- 
troduire dans  tout  le  pays  l'usage  de  leur  langue,  il  n'est 
pas  surprenant  qu'on  y  tînt  toutes  les  écritures  administra- 
tives dans  ce  même  idiome,  à  l'exclusion  de  la  langue  na- 
tionale. Je  ne  vois  même  pas  ce  qui  empêcherait  de  croire 
que  les  habitans  de  Ptolémaïs  eussent  retenu  l'usage  dé 
celle-ci ,  bien  qu'ils  fussent  contraints  de  rédiger  tous 
les  actes  dans  la  langue  du  vainqueur;  c'est  ce  qu'on  a  vu 
en  Belgique,  en  Hollande  et  dans  d'autres  pays  ,  pendant 
l'administration  des  Français.  Il  en  est  encore  de  même 


LITTÉRATURE.  S73 

dans  quelques  parties  de  l'ancienne  Alsace.  Ptolémaïs  était 
la  première  ville  de  la  Thébaïde^  du  tems  de  Strabon  ;  il 
la  comparait,  pour  l'étendue,  à  la  ville  de  Memphis.  Les 
anciens  géographes  l'appellent  Ptolémaïs  d'Ermios,  sur- 
nom que  l'on  retrouve  dans  le  contrat.  Sa  position  est  la 
même  que  celle  d'un  gros  bourg ,  appelé  Menchyetel  nédé, 
au-dessous  de  Girgeh  la  capitale  actuelle  du  Sayd ,  et  où 
nous  avons  vu  des  ruines.  La  ville  est  appelée  ici  Ptolémaïs 
de  la  Thébaïde,  pour  la  distinguer  de  la  Ptolémaïs  qui  était 
à  l'entrée  du  nome  Arsinoïte.  Mais  ce  que  l'acte  contient 
de  plus  intéressant  pour  la  géographie,  c'est  que,  sous  le 
rapport  de  l'administration  territoriale  ,  ce  lieu  dépendait 
du  nome  Tathyrites  ^  si  toutefois  la  lecture  est  exacte  dans 
cet  endroit,  qui  est  assez  mal  écrit.  Ainsi,  Banville  s'était 
trompé  en  corrigeant,   dans  le  texte  de  Ptolémée  le  géo- 
graphe, le  nom  de    Tathyris  en    Phaturis  ^   et  Ptolémée 
lui-même  avait  donné  à  cette  préfecture  un  nom  différent; 
savoir  :  le  Memnon;  peut-être  aussi  cette  division  n'était-elle 
plus  la  même  de  son  tems,  car  les  nomes  ont  plusieurs  fois 
changé  de  circonscription.  Au  reste  ,  il  est  remarquable 
que  les  terres  de  Ptolémaïs  relevaient,  du  moins  sous  un 
rapport,  d'un  nome  éloigné  confinant  à  Thèbes,  et  séparé 
de  celui  de  Ptolémaïs  même  ,  par  deux  autres,  le  Diospo- 
lites  et  le  Tentjrites  ;  faut-il  en  conclure  qu'il  y  avait  des 
administrations  provinciales  supérieures,  qui  embrassaient 
plusieurs  préfectures  dans  leur  juridiction  ? 

Le  détail  des  règles  suivies  dans  l'administration  civile 
d'un  pays  est  toujours  curieux  ,  au  moins  comme  terme  de 
comparaison.  On  sera  bien  aise  de  les  trouver  ici,  et  sous 
la  forme  la  plus  authentique.  D'ailleurs,  si  l'on  connaît 
ces  règles  pour  les  Grecs  et  les  Romains,  on  n'en  avait  pres- 
que aucune  idée  pour  l'Egypte.  On  y  trouve,  quoiqu'en  peu 
df!  mots,  des  choses  neuves  sur  les  noms  et  la  condition 
des  habitans,  les  corporations  d'ouvriers,  les  usages  ru- 


S7A  LITTERATURE. 

raux,  le  mode  de  possession  territoriale  ;  enfin,  pour  l'his- 
toire de  l'écriture,  c'est  un  monument  capital.  M.  Bôckh 
observe  judicieusement  que  l'on  ne  se  servait  de  lettres 
détachées  que  dans  les  livres  publics  ou  destinés  à  être 
vendus,  et  qu'on  ne  s'y  astreignait  pas  dans  les  écritures 
privées  et  journalières.  M,  Akerblad  a  publié  une  inscrip- 
tion sur  une  lame  de  plomb,  trouvée  dans  un  tombeau, 
près  d'Athènes,  mais  l'époque  n'en  est  pas  certaine;  oe 
sont  des  caractères  informes,  sans  liaisons,  et  il  n'est  pas 
probable  que  l'on  fît  usage  de  l'écriture  cursive  sur  le 
plomb.  D'autres  fragmens  connus  ne  sont  pas  davantage 
de  véritable  cursif.  Les  seuls  exemples  qu'on  puisse  citer 
sont  des  mots  de  peu  d'importance,  tracés  sur  les  murs 
et  les  colonnes  de  Pompeï,  et  surtout  le  papyrus  grec  du 
musée  Borgia,  à  Velletri,  publié  par  Schow,  en  1788; 
mais  il  n'offre  qu'une  nomenclature  des  ouvriers  de  Ptolé- 
maïs  d'Arsinoïte,  employés  aux  digues  et  aux  canaux. 
Ce  dernier  fragment ,  d'ailleurs  très-curieux,  ne  remonte 
qu'au  troisième  siècle  de  l'ère  chrétienne  ,  tandis  que  celui 
de  Ptolémaïs  en  Thébaîde  est  du  deuxième  siècle  avant 
Jésus-Christ.  Voilà  donc  le  monument  d'écriture  grecque 
cursive,  le  plus  ancien  connu,  et  sa  date  est  incontestable. 
A  la  vérité,  il  existe  des  manuscrits  en  cursif,  bien  anté- 
rieurs et  en  très-grand  nombre;  ce  sont  les  papyrus  en 
langue  égyptienne,  découverts  par  les  voyageurs  français; 
mais  on  n'est  pas  en  état  de  les  lire. 

M.  Bekker  s'est  occupé  le  premier  de  déchiffrer  le  con- 
trat de  Ptolémaïs  ;  après  en  avoir  lu  la  plus  grande  partie, 
il  l'a  remis  à  M.  Bôckh  et  à  M.  Buttmann,  qui  se  sont 
attachés  à  lire  les  endroits  difficiles.  Ils  ont  réussi  presque 
partout,  et  ce  qu'il  reste  à  deviner  n'a  qu'une  faible  impor- 
tance. On  pourra  contester  quelques  mots,  mais  le  sens 
ne  paraît  susceptible  d'aucun  doute. 

Il  est  surprenant  que  les  noms  des  pontifes ,  et  ceux  des 


LITTÉRATURE.  375 

prêtresses  connues  sous  les  désignations  d'Athlophore  et 
de  Canéphore,  ne  soient  pas  devant  ceux  des  princes  la- 
gides ,  comme  dans  la  célèbre  inscription  de  Rosette.  Au- 
rait-on cherché  dans  la  suite  à  abréger  ces  longues  formules 
qu'il  fallait  répéter  si  souvent,  en  remontant  toujours  à 
l'origine  de  la  dynastie  ?  Ce  n'est  pas  la  seule  difficulté  que 
présente  le  monument. 

Voicr  mot  à  mot  la  traduction  du  contrat  t     ' 

TRADUCTION  LITTÉRALE  DU  CONTRAT. 

«Sous  le  règne  de  Cléopâtre  et  de  son  fils  Ptolémée 
surnommé  Alexandre,  dieux  Philométores,  Sotères,  en 
l'an  12  qui  est  aussi  le  9%  sous  le  pontife,  résidant  à 
Alexandrie,  d'Alexandre,  et  des  dieux  Sotères,  et  des  dieux 
Adelphes,  et  des  dieux  Evergètes,  et  des  dieux  Philopatores, 
et  des  dieux  Epiphanes ,  et  du  dieu  Philométor,  et  du 
dieu  Eupator,  et  des  dieux  Evergètes;  sous  l'athlophore 
de  Bérénice  Evergète  ,  et  la  canéphore  d'Arginoë  Phila- 
delphe  et  de  la  déesse  Arsinoë  Eupator,  dans  Alexandrie; 
à  Ptolémaïs  en  Thébaïde;  sous  les  prêtres  des  deux 
sexes,  de  Ptolémée  Soter,  qui  sont  à  Ptolémaïs;  le  29  du 
moisdetjbi;  sous  Apollonius  préposé  de  VAgornnomie, 
durant  ce  mois,  près  de  l'administration  chargée  des  fonds 
de  terre  nus ,  dans  le  Tathyrites.  » 

«  A  vendu  Pamonthes ...  de  couleur  noire,  beau,  long  de 
corps,  dévisage  rond,  nez  droit;  ainsi  ({vi"  Enachomneus .  . . 
de  couleur  jaune,  aussi  de  visage  rond,  nez  droit; et  iS^m-, 
moulins  Persinei. .  .  de  couleur  jaune,  de  visage  rond,  nez 
un  peu  aquilin  ,  bouffie;  et  Melyt  Persinei de  cou- 
leur jaune,  de  visage  rond,  nez  droit;  avec  leur  maître 
Pamonthes  co-vendeur;  tous  quatre  delà  corporation  des 
Petôlitostes,  parmi  les  ouvriers  en  cuirs  memnoniens  ;  d'un 


576  LITTÉRATURK. 

fonds  de  terre  nu,  à  eux  appartenant  dans  la  partie  du  sud 
{du  quartier)  des  Memnoniens ,  un  espace  de  cinq  mille 
cinquante  coudées  d'étendue;  les  voisins  [tenons  et  abou- 
tissans)  du  sud,  la  rue  Royale;  du  nord  et  du  levant, 
le  fonds  de  Pamonlhes  et  Bokon  Ermios  son  frère,  et 
les  terres  communales;  du  couchant,  la  maison  de  Tephis, 

fils  de  Chalomn  ;  passant  au  milieu ;  (  tels  sont  les  ) 

voisins  de  toutes  parts. 

«A  acheté  {le  champ)   Neclwuthes  petit {ici  un 

sobriquet) ,  de  couleur  jaune,  agréable,  de  visage  long,  nez 
droit,  une  cicatrice  au  milieu  du  front;  {pour  le  prix  de) 
601  pièces  de  monnaie  de  cuivre;  les  vendeurs  étant  les 
courtiers  et  les  garans  de  ce  qui  est  relatif  à  cet  achat. 

«A  accepté  Nechouthes,  l'acheteur.» 

Ici  des  signatures. 

à  la  marge  de  droite. 

«En  l'an  12  qui  est  aussi  le  y",  le  20  (les  unités  man- 
quent) de  Pharmuthi,  sous  la..,.,  sous  laquelle  Di 

était  préposé  aux  contributions  (c/za^rr/pAews);  Chotlew- 
plies,  préposé  en  second  (  hypographeus  ou  hypogramma- 
teus)',  Heracleides j,  contrôleur  de  l'achat  {antigrapheus); 
Nechoutes  pe4it  {ici  le  sobriquet) ,  un  fonds  de  terre  nu  de 
5,o5o  coudées. . .  situé  dans  la  partie  du  sud  {duquartier) 
des  Memnoniens,  qu'il  a  acheté  de  Pamonthes ,  et  aussi 
à^Enachomneus  ,  lequel  a  signé  avec  ses  sœurs  ;  pour 
601  pièces  de  cuivre.  (  Ici  des  caractèj-es  embrouillés , 
peut-être  les  initiales  des  noms  des  co~vendeurs,  en,  per). 

En  lisant  ce  traité ,  on  peut  faire  une  remarque  assez 
importante  sous  le  rapport  historique  ;  c'est  que  le  fonc- 
tionnaire principal  pour  l'administration  des  terres  est  un 
Grec  et  non  un  Egyptien.  On  voit  encore  un  ou  deux  noms 


à 


LITTÉRATURE.  V,n 

de  grcrs  parmi  les  employés  de  l'enregistremeni.  Ainsi, 
après  deux  siècles,  les  vainqueurs  occupaient  encore  les 
emplois  publics  ;  ce  qui  suppose  nécessafrement  qu'ils  leur 
avaient  été  dévolus  et  conservés  depuis  l'origine;  le  fait  est 
d'ailleurs  confirmé  par  le  monument  de  Rosette.  Dans  un 
pays  qui,  avant  les  Perses,  n'avait  jamais  reçu  lu  loi  des 
étrangers,  et  où  la  caste  sacerdotale  occupait  les  charges 
de  l'administration  ,  il  est  difficile  de  ci'oire  que  l'exclusion 
des  naturels,  des  places  éminentes,  ait  été  favorable  à  la 
prospérité  publique. 

C'est  avec  fondement  que  l'ingénieux  interprète  avance 
que  la  mesure  du  terrain  en  coudées  exprime  la  surface  et 
non  la  circonférence  :  c'est  en  coudées  carrées  que  les 
Egyptiens  mesuraient  leurs  terres.  Les  5,o5o  coudées  équi- 
valent donc  à  un  rectangle  de  loi  coudées  sur  5o;  si  le 
côté  long  avait  été  de  loo  coudées,  ce  serait  juste  la  moitié 
d'une  aroure.  M.  Bôckh  conjecture  que  le  terrain  avait  été 
mal  mesuré  ,  et  que  ,  lors  du  partage  des  terres  par 
Sésostris,  on  avait  fait  celle-ci  trop  longue  d'une  coudée. 
Il  n'est  pas  nécessaire  de  remonter  si  haut,  et  le  texte 
d'Hérodole  n'exige  point  que  toutes  les  possessions  fussent 
en  effet  de  forme  carrée,  ni  même  rectangulaire;  autre- 
ment, lagéojjiéirie  eût  été,  en  Egypte,  entièrement  inutile. 

Nous  n'avons  aucune  connaissance  certaine  du  prix  des 
terres,  ni  de  la  valeur  des  monnaies  dans  la  Thébaïde.  En 
quoi  différaient  les  terres  appelées  nues  des  autres  espèces 
de  terrains?  faut-iî,  par-là,  entendre  seulement  des  terres  à 
blé?  de  quel  poids  étaient  les  pièces  de  cuivre  dont  il  est 
question  dans  le  contrat?  quelle  quantité  do  blé  repré- 
sentaient les  6oi  pièces?  Voilà  des  questions  sur  lesquelles 
M.  Bôckh  ne  prononce  pas,  et  qu'il  serait  indispensable  de 
résoudre  pour  avoir  une  idée  complète  de  la  transaction. 
Puisqu'on  est  aujourd'hui  sur  le  chemin  des  découvertes 
Tome  x.  25 


378  LITTÉRATURE. 

les  plus  heureuses  ,  espérons  qu'on  découvrira  quelque 
autre  manuscrit,  qui  éclaircira  cette  matière  si  importante 
pour  l'hisloire  de  la  monnaie. 

Après  les  détails  si  minutieux  et  même  si  étranges  du 
signalement  des  parties  qui  ont  figuré  dans  le  contrat  de 
Ptolemaïs ,  on  est  surpris  de  ne  pas  trouver  une  seule 
mention  de  l'âge.  M.  Bôckh  avait  d'abord  conjecturé  qu'il 
était  compris  dans  un  mot  composé,  placé  constamment 
après  chaque  nom  propre  et  commençant  par  ces  lettres 
«<r«;  le  reste  du  mot  a  une  physionomie  égyptienne;  mai» 
cette  conjecture  ne  s'est  pas  vérifiée.  C'est  presque  la 
seule  lacune  que  les  savans  de  Berlin  aient  laissée  dans  leur 
interprétation,  et  l'on  voit  qu'elle  n'ôte  rien  au  sens. 

L'intervalle  du  29  de  tybi  au  20  de  pharmuthi ,  ou  du 
i3  février  au  5  mai  (d'après  le  calcul  de  l'année  vague  ) , 
est  de  82  jours.  On  doit  conclure  de  là  qu'il  fallait  laisser 
écouler  environ  trois  mois  avant  l'enregistrement  des  actes; 
car,  les  unités  manquant  après  le  R,  la  date  de  pharmuthi 
a  pu  être  du  20  au  29  du  mois,  ce  qui  fait  une  latitude  de 
82  à  91  jours.  En  prenant  le  2g,  c'est-à-dire  le  lendemain 
du  troisième  mois  écoulé,  l'époque  tomberait  sur  le  lA  mai  ; 
à  cet  instant  de  l'anné* ,  les  terres  étaient  dépouillées  ,  et 
c'était  un  moment  favorable  pour  entrer  en  possession. 
Environ  un  mois  après  ,  l'accroissement  du  Nil  allait  se 
faire  sentir.  ' 

On  voit,  par  le  contenu  de  la  formule  d'enregistrement, 
que  la  vente  devait  être  faite  par  l'intermédiaire  des  cour- 
tiers et  des  cautions;  mais  qu'en  certain  cas,  apparemment 
quand  le  prix  était  modique,  les  vendeurs  pouvaient  en 
tenir  lieu,  sans  doute  pour  éviter  les  frais. 

Ce  qui  a  le  plus  d'importance  dans  ce  document,  c'est 
sans  doute  le  passage  qui  a  rapport  à  la  division  des  castes. 
On  voit  ici  une  corporation  des  ouvriers  en  cuir,  avec  une 


LITIÉRATURH.  379 

sous-division  qui  est  appelée  les  Petôlitosles;  deux  lemines 
en  font  partie.  Ces  ouvriers  appartenaient  à  la  grande 
classe  des  artisans ,  qui ,  selon  Platon  ,  Diodore  et  Strabon, 
était  l'une  de  celles  dont  se  composait  la  population  de 
l'Egypte.  On  trouve  à  cet  égard  des  différences  entre  les 
trois  auteurs.  Hérodote  diffère  aussi  avec  tous;  cependant 
les  uns  et  les  autres  s'accordent  à  mettre  au  premier  rang 
la  classe  des  prêtres  et  celle  des  gens  de  guerre.  Strabon , 
qui  à  ces  deux  n'en  ajoute  qu'une  seule,  celle  des  culti- 
vateurs comprenant  les  artisans ,  a  oublié  celle  des  ber- 
gers; celle-ci,  à  son  tour,  comprend  les  bouviers  et  les 
porchers  d'Hérodote,  ainsi  que  les  chasseurs  cités  par  Pla- 
ton. Quant  aux  pilotes,  aux  marchands  et  aux  interprètes, 
dont  Hérodote  fait  autant  de  classes  différentes,  il  faut  les 
réunir  à  celle  des  artisans.  Il  suit  de  là  que  Diodore  de 
Sicile  ,  en  partageant  le  peuple  d'Egypte  en  cinq  classes, 
les  prêtres ,  les  guerriers  ,  les  pasteurs  j  les  artisans  et  les 
laboureurs ,  a  donné  la  véritable  division  des  castes. 

On  peut  remarquer  encore  dans  le  contrat:  i°  que  des 
ouvriers  d'une  profession  subalterne  sont  propriétaires 
fonciers;  t.»  qu'un  fonds  de  terre  nu  et  assez  médiocre, 
puisqu'il  n'équivaut  pas  à  un  tiers  d'arpent  de  Pari? ,  est 
possédé  en  commun  par  quatre  personnes;  3°  que  trois  des 
co-vendeurs  sont  subordonnés  à  l'autre,  qui  prend  le  titre 
de  maître  ou  seigneur,  quoique  ouvrier  lui-même  et  de  la 
même  corporation.  Ce  dernier  point  est  resté  obscur  dans 
le  savant  commentaire  de  M.  Bockh.  Il  n'y  a  pas,  en  effet, 
dans  l'acte,  de  quoi  expliquer  suffisamment  la  condition 
des  personnes.  Le  mot  Kyp/ou  est  bien  lisible  dans  la  pièce; 
mais  il  est  impossible  de  voir,  dans  l'un  des  co-vendeurs, 
un  seigneur  suzerain,  et,  dans  les  autres,  des  vassaux,  en- 
core moins  des  serfs,  des  esclaves  ou  des  ilotes.  Au  reste, 

25* 


380  LlTTERAïUIlt;. 

lélal  actuel  des  fellahs  en  Egypte  pourrait  jeter  quelques 
lumières  sur  cette  importante  question  ;  A^  le  vendeur  prin- 
cipal est  le  seul  de  couleur  noire  ;  les  trois  autres  vendeurs, 
qui  lui  sont  subordonnés,  sont  jaunes  de  peau;  l'acheteur 
est  également  de  couleur  jaune;  5''  les  Femmes  sont  les 
seules  qui  aient  un  nom  et  un  surnom,  indépendamment 
du  mot  barbare  dont  j'ai  parlé.  Ce  surnom  paraît  appar- 
tenir à  la  langue  égyptienne,  ainsi  que  les  noms  propres 
des  cinq  parties  qui  sont  intervenues  dans  le  contrat;  seu- 
lement, on  y  a  joint  des  finales  grecques;  6*^  le  mot  barbare 
qui  vient  après  chaque  nom,  est  le  même  pour  le  vendeur 
en  titre  et  pour  l'acheteur;  et  ce  mot,  après  les  deux  noms 
de  femme,  a  la  même  finale  ;  peut-être,  est-ce  un  nom  de 
tribu  ;  mais,  dans  ce  cas,  il  devrait  être  le  même  pour  le 
frère  et  les  deux  sœurs.  Nous  devons  borner  ici  les  re- 
marques, puisque  l'objet  principal  de  cette  notice  est  de 
répandre  la  connaissance  d'un  monument  curieux. 

Si  l'emploi  de  plusieurs  tournures  inusitées  jette  un  peu 
<l'incertitude  sur  l'interprétation  de  quelques  passages,  on 
doit  avouer  qu'il  ne  s'agit  que  d'un  petit  nombre  de  mots. 
Ainsi  M.  Bockh  et  ses  collaborateurs  auront  laissé  très-peu 
y  faire  pour  l'intelligence  du  texte,  et  ils  auront  eu  le  mé- 
rite entier  d'une  découverte,  qui  ne  peut  manquer  d'ajou- 
ter à  la  réputation  de  ces  savans  hellénistes.  Aussi,  je  ne 
doute  nullement  que  le  contrat  de  Ptolemaîs  n'acquière 
un  jour  la  même  célébrité  que  la  pierre  de  Rosette. 

JoMARD  .  de  r Institut. 


*\\'\V»,Vt%.l.\'V\%^\VV1rX\\l\lV'*'V\,VVVV\VV\*'*ïA'VVl1\%V\V\\\VV\-\X\X\*,V\V\V\'\\'^X'\\%V» 

m.  BULLLETTN  BIBLIOGRAPHIQUE. 

LIVRES    ÉTRAINGERS  (i). 


AMERIQUE. 

ÉTATS-IMS. 

1 15.  —  Brackenrid^es  Kede  iiber  gleichc  rtchle  der  Juden  mil  den 
Liiristcn.  —  Discours  sur  l'égalité  des  droits  entre  les  juifs  et  le» 
chrétiens. 

Ce  discours  a  été  prononcé  dans  la  maison  du  délégué  de  la  pro- 
vince de  Maryland,  en  Amérique  ;  il  avait  pour  but  d'obtenir  l'abro- 
gation du  bill  ,  qui  ne  permet  pas  que  dans  cette  province  les 
Israélites  arrivent  aux  emplois  publics.  L'auteur  prouve  que  les  per- 
sécutions seules  ont  j)u  altérer  le  caractère  de  ceux  qui  professent  le 
judaïsme.  Peut-on  attendre  de  l'aiTeclion,  des  hommes  auxquels  on 
ne  témoigne  que  de  la  malveillance  ?  est-on  en  droit  d'exiger  de  l'ac- 
tivité et  de  l'industrie  de  malheureux  qui,  dans  certains  pays,  n'onï 
pas  même  le  droit  d'acquérir  une  propriété?  enfin,  ceux  qu'une 
aveugle  superstition  expose  à  la  haine  et  aux  insultes  de  la  populace 
peuvent-ils  être  bons  voisins?  Ce  n'est  donc  pas  en  Europe,  où  ils 
sont  victimes  de  tant  de  préjugés  ;  c'est  en  Amérique  qu'il  convient 
de  juger  les  juifs.  Là,  n'existent  pointées  odieuses  préventions;  et, 
la  cause  ayant  disparu ,  les  effets  ne  se  sont  pas  reproduits.  Les  juifs  , 
plus  encore  que  les  autres  citoyens ,  se  montrent  attachés  aux  insti- 
tutions de  ce  pays,  le  seul  qu'ils  puissent  à  bon  droit  regarder  comme 
leur  patrie.  Que  l'exemple  de  l'Amérique  instruise  donc  l'Europe, 
où  une  intolérance  barbare  appelle  encore  ,  surtout  une  communion 
religieuse,  les  proscriptions  et  les  confiscations  du  moyen  âge.  En 
France  ,  un  décret  avait  suspendu  les  droits  des  juifs  pour  dix  ans  ; 
à  l'expiration  de  ce  terme  ,  le  gouvernement  s'est  fait  rendre  compte 
de   leur  conduite.    11  a  appri.s    que  ,  s'il    se   trouve   parmi   eux   des 


(i)  Nous  indiquerons,  par  un  astérisque  (*)  placé  a  côté  du  titre 
de  chaque  ouvrage  ,  ceux  des  livres  étrangers  ou  français  qui 
paraîtront  dignes  d'une  altenlion  particulière  ,  et  dent  nou* 
vendrons   quelquefois   compte   dans  la   section    des  analyses. 


S82  LIVKES  ETRANGERS. 

usuriers  ,  il  en  est  chez  les  chrétiens  qui  ne  leur  cèdent  en  rien ,  et  la 
mesure  d'exception  n'a  point  été  renouvelée.        Ph.  Golbert. 

EUROPE. 

ANGLETERRE. 

1 16. — Sélections fiom lelters  written  during a  tour  irough  the  United 
States,  etc. — Choix  de  lettres  écrites  dans  un  voyage  fait  aux  Etats- 
Unis,  pendant  l'été  et  l'automne  de  1819,  auxquelles  on  a  ajouté  un 
précis  sur  les  mœurs  des  Indiens ,  qu'on  suppose  descendre  des  dix 
tribus  d'Israël ,  une  description  de  la  situation  et  des  souffrances  des 
émigrans ,  et  un  coup  d'oeil  sur  le  sol  et  l'état  de  l'agriculture  ;  par 
E.  HowiTT.  Mansfield ,  1820;  un  vol.  in-i2  de  23o  pages. 

Le  but  de  l'auteur  de  ce  voyage  est  évidemment  de  détourner  se» 
compatriotes  du  projet  d'émigrer  en  Amérique ,  mais  surtout  aux 
nouveaux  états  du  À'en/Mc/// ,  de  i'indiana,  des  Illinois,  de  \'0- 
hio,  etc.,  qui  sont  situés  dans  la  partie  occidentale  de  ce  continent.  II 
renferme  des  renseignemens  qui  peuvent  être  utiles ,  quoiqu'ils 
doivent  être  reçus  avec  précaution ,  à  cause  de  l'esprit  de  partialité 
qui  a  dicté  l'ouvrage.  «  Ma  patience  ,  dit  l'auteur ,  a  été  souvent 
poussée  à  bout,  en  voyant  tous  les  agriculteurs  qui,  dans  leur  pays, 
passaient  pour  d'excellens  fermiers,  quitter  l'Angleterre,  avec  la  ferme 
résolution  de  se  conformer  à  la  pratique  qu'ils  avaient  toujours  suivie, 
en  l'adaptant  toutefois  au  sol  et  au  climat,  et  Unir,  au  bout  de 
quelques  années,  par  devenir  aussi  insoucians  que  les  Américains  et 
par  suivre  leurs  usages  les  plus  absurdes.  La  classe  des  fermiers  de 
ce  pays  se  compose  des  descendans  d'artisans ,  ou  de  gens  ayant 
exercé  eux-mêmes  diverses  professions,  et  que  la  nécessité  a  réduits 
à  se  faire  cultivateurs.  Ils  ont  adopté  entièrement  les  pratiques  des 
premiers  colons,  quelque  mauvaises  qu'elles  soient,  en  dépit  de 
la  raison  et  des  efforts  des  hommes  les  plus  sensés ,  qui,  ayant  aperçu 
le  mal ,  ont  vainement  établi  des  sociétés  d'agriculture  pour  y  re- 
médier. Ils  les  suivent  avec  cette  suffisance  et  cette  opiniâtreté  qui 
caractérisent  beaucoup  d'Américains.  Le  fermier  qui,  en  quittant 
l'Angleterre,  se  flatterait  de  voir  le  cultivateur  d'Amérique  suivre 
un  système  régulier  de  culture,  adapté  au  climat,  au  sol  et  à  la  si- 
tuation locale,  tomberait  dans  une  grave  erreur:  tout  le  système  de" 
rAméricain  se  réduit  à  semer  le  gi-ain  dont  il  a  besoin,  sans  jamai*  ' 


LIVRES  ÉlRANGEllS.  S8S 

songer  à  alterner  les  semailles.  II  cultive  souvent  dans  le  même  sol  le 
môme  grain  ,  pendant  sept  ou  huit  années  consécutives,  et  quelque- 
fois davantage  ,  si  le  terrain  le  lui  permet.  Il  semble  ne  consulter  que 
sa  convenance  du  moment,  et  vouloir  épargner  uniquement  la  main 
d'œuvre;  ce  qui  est,  à  la  vérité,  un  objet  important  dans  ce  pays. 
L'Américain  ne  s'occupe  jamais  ,  ou  du  moins  fort  rarement,  d'amé- 
liorer la  qualité  de  ses  terres,  et  il  s'en  sert  comme  on  en  use  à  l'égard 
des  ânes  en  Angleterre,  où  on  les  fait  travailler  tant  qu'il  leur  reste 
un  souffle  de  vie,  sans  prendre  le  moindre  soin  de  leur  conservation. 
Mais,  si  vous  trouvez  des  charmes  dans  une  société  choisie  ;  si  vous 
aimez  la  compagnie  de  voisins,  dont  les  mœurs,  les  goûts  et  le  carac- 
tère soient  semblables  aux  vôti'es;  si  vous  préférez  la  propreté  à  la 
malpropreté,  la  discrétion  à  la  curiosité,  la  probité  à  la  friponnerie, 
la  politesse  à  la  grossière  effronterie  d'hommes  qui  s'imaginent  qu'une 
licence  effrénée  constitue  la  liberté  ;  si  vous  aimez  mieux  vous  établir 
dans  une  maison  bien  tenue  et  agréable  que  dans  une  habitation  sale 
et  incommode  ;  si ,  la  nuit ,  vous  désirez  vous  reposer  des  fatigues  de 
la  journée,  et  non  vous  coucher  pour  être  rongé  de  vermine;  enfin, 
si  vous  vous  plaisez  dans  la  société  de  gens  d'une  tenue  décente ,  do 
mœurs  douces  et  modestes,  plutôt  que  dans  celle  d'un  ramas  confus 
d'étrangers  de  toutes  les  nations,  malpropres,  bruyans  et  insolens , 
vous  n'avez  d'autre  parti  à  prendre  que  de  vous  associer  quelques- 
uns  de  vos  compatriotes  et  d'acheter  une  étendue  de  terre,  où  vous 
ferez  un  établissement  à  part.  Vous  oublierez,  en  quelque  sorte,  que 
vous  êtes  sur  un  sol  étranger;  autrement,  vous  ne  devez  vous  attendre 
qu'à  des  désagrémens  sans  nombre  » 

t  Les  anciens  Américains  ou  Yankees  affectent  le  plus  grand  mé- 
pris pour  les  émigrés  qui  arrivent  chez  eux;  ils  les  regardent  comme 
des  malheureux ,  chassés  d'un  pays  d'ilotes  et  venant  chercher  une 
existence  dans  leur  glorieuse  patrie.  Ils  croient,  d'ailleurs,  qu'il  n'est 
aucun  de  ceux  qui  viennent  s'établir  parmi  eux  qui  n'ait  été  obligé 
de  quitter  son  pays  natal,  pour  en  avoir  violé  les  lois.  • 
'  Mus  par  une  soif  insatiable  du  gain  et  par  leur  mépris  pour  les 
immio-rans,  ils  regardent  ce  que  ceux-ci  possèdent  comme  de  bonne 
prise ,  et  ils  ne  laissent  échapper  aucune  occasion  d'exploiter  à  leur 
pro&t  leur  ignorance  du  prix  des  marchandises,  des  coutumes  et  des 
lois  du  pays,  et  du  caractère  de  ses habitans.  Quiconque  vient  se  Gxer 
ici  doit  bien  se  tenir  sur  ses  gardes  :  s'il  n'a  pas  soin  de  se  procurer 


S8A  LIVRES  ÉTRANGERS. 

les  provisions  nécessaires  pour  son  voyage  dans  l'intérieur,  il  les  j 
paiera  dix  fois  plus  que  leur  valeur  ;  et ,  quand  il  se  trouvera  une  fois 
dans  l'intérieur  du  pays,  il  lui  faudra  peut-être  acheter  sans  caution 
des  terres  d'un  squalter ,  c'est-à-dire  d'un  individu  qui  se  sera  ap- 
proprié ces  terres ,  sans  titre  quelconque ,  et  les  aura  cultivées  ,  au 
risque  d'en  être  dépouillé  par  le  véritable  propriétaire.  Ajoutez  à  cela 
les  maux  qui  résultent  du  système  des  banques.  Je  vous  ai  marqué 
les  causes  qui  tendent  à  attacher  l'acquéreur  au  sol  et  à  en  faire  un 
mendiant  ou  un  esclave  ;  il  faut  ajouter  les  rigueurs  extrêmes  du  froid 
et  du  chaud  ,  et  les  essaims  d'insectes  qui  infestent  non  seulement  ses 
plantations  et  dévorent  le  feuillage  des  arbres  de  ses  vergers,  mais  qui 
se  répandent  jusque  dans  sa  maison,  et  s'attachent  même  à  sa  per- 
sonne. Vous  verrez  sans  doute,  par  la  récapitulation  des  maux  qui 
désolent  ce  pays,  qu'un  homme  doit  s'armer  d'un  grand  courage, 
pour  s'exposer  à  tous  ces  désagrémens. 

«  Il  me  faut  enfin  conclure ,  et  dire  franchement  mon  opinion  sur 
cette  contrée.  Je  ne  doute  nullement  que  l'Amérique  ne  devienne  un 
grand  état ,  et  que,  lorsque  le  caractère  de  ses  habitans  aura  éprouvé 
l'influence  bienfaisante  des  sciences  et  des  arts  industriels,  mais  sur- 
tout du  tems  et  d'une  civilisation  progressive,  elle  ne  soit  un  pays 
heureux.  Mais,  aujourd'hui,  je  pense  que  l'étranger  qui  va  s'y  établir 
pour  toujours  fait  une  véritable  folie.  Avant  de  prendre  ce  parti ,  un 
homme  sensé  doit  se  demander,  s'il  ne  vaut  pas  mieux  supporter  les 
maux  qu'il  éprouve ,  que  de  s'exposer  à  d'autres  plus  grands,  qu'il  ne 
connaît  pas.  » 

ï  17. — An  Altempt  to  analyse  ihe  automaton  chess player-,  etc. — . 
Essai  sur  le  joueur  d'échecs  automate  de  M.  de  Kempelen,  suivi  d'une 
méthode  facile  pour  imiter  les  mouvemens  de  cette  célèbre  méca- 
nique ;  orné  de  gravures.  Londres,  1821.  Brochure  in-S"  de  4o  pages. 

Cet  automate  ,  promené  pendant  quarante  ans  dans  toute  l'Europe, 
où  il  excita  l'étonnement  des  mécaniciens  les  plus  habiles,  n'est, 
selon  l'auteur  de  cette  brochure  ,  qu'un  coffre  assez  grand  pour  con- 
tenir un  homme,  qui  dirige  les  mouvemens  de  la  main  et  prête  à  une 
tête  de  bois  les  combinaisons  d'un  être  pensant  et  réfléchissant.  La 
mécanique,  qu'on  semblait  mettre  en  jeu  au  moyen  d'un  ressort, 
n'était  qu'un  artifice  destiné  à  tromper  les  spectateurs.  La  difficulté 
d'expliquer  G€  phénomène  avait  toujours  fait  supposer  la  présence  d'un 
agent  raisonnable,  qui  faisait  agir  la  machine.  On  avait  même  soup^ 


LIVRES  ETRANGERS.  385 

çonnc  quelque  rapport  secret  entre  la  marche  mesurée  de  M.  de 
Kcmpelen  dans  l'appartement  où  se  faisait  la  partie,  et  les  mouvemens 
de  l'automate  ;  mais  il  paraît  qu'on  n'avait  pas  cru  possible  qu'un 
homme  pût  se  glisser  dans  le  corps  du  joueur.  C'est  ce  que  l'auteur 
de  ce  petit  écrit  prétend  avoir  prouvé  ;  il  cite ,  à  l'appui  de  son  juge- 
ment, plusieurs  faits  dont  il  a  été  témoin,  et  sa  propre  expérience, 
comme  mécanicien.  L.  S, 

118. — A  Grammar  ofnalural and  expérimental  Philosophy ,  etc. 
— Grammaire  de  philosophie  naturelle  et  expérimentale ,  exécutée 
sur  le  nif-me  plan  que  la  grammaii-e  géographique  de  Goldsmith  et 
la  grammaire  historique  de  Ilobinson,  et  adoptée  comme  livre  élé- 
mentaire pratique  ,  dans  les  collèges  et  pensions,  par  le  révéread 
Dauid^i.KivL.  Londres,  1821.  Sherwood.  Prix,  7  schellings. 

Simplifier  l'étude  de  la  philosophie ,  marquer  les  bornes  où  elle 
doit  se  renfermer ,  mettre  ses  préceptes  à  la  portée  de  tous  les  esprits, 
les  développer  d'une  manière  simple  et  concise,  voilà  ce  que  s'est 
proposé  le  docteur  Blair  en  publiant  cette  grammaire,  qu'il  a  fait 
suivre,  comme  ses  autres  ouvrages,  d'une  série  d'interrogations,  qui 
ont  pour  but  d'exercer  la  mémoire  de  l'élève  et  son  intelligence  , 
en  l'obligeant  à  se  rendre  compte  à  lui-même  de  ce  qu'il  a  lu ,  et  à 
en  donner  une  idée  claire  et  distincte  au  professeur  qui  l'interroge. 
Cette  méthode,  appliquée  avec  discernement,  est  d'un  grand  avan- 
tage dans  l'éducation,  et  contribue  à  fortifier  l'esprit  et  le  jugement 
des  jeunes  gens.  L.  S. 

1 19. — Letters  from  the  Hauannah. — Lettres  écrites  de  la  Havane, 
pendant  l'année  1820 ,  contenant  une  description  de  l'état  actuel  de 
l'île  de  Cuba ,  suivies  d'observations  sur  le  commerce  des  esclaves. 
Londres  ,  1821.  1  vol.  in-S»  de  i55  pages. 

L'auteur  de  ces  lettres  est  un  philantrope  éclairé  et  un  écrivain 
spirituel ,  qui  a  fort  bien  su  tirer  parti  d'un  séjour  d'un  an  dans  la 
plus  belle  île  de  l'archipel  occidental ,  pour  bien  observer,  et  pour 
reproduire  fidèlement  ce  qu'il  a  observé.  C'est  de  l'année  1778, 
lorsque  le  commerce  commença  à  prendre  un  peu  d'essor,  que  date 
véritablement  l'histoire  de  l'ile  de  Cuba.  L'auteur  décrit,  avec  une 
étonnante  vérité  et  avec  beaucoup  de  concision,  l'aspect  du  pays, 
ses  productions  naturelles ,  ses  habitans ,  leurs  mœurs ,  leurs  cou- 
tumes. Ses  remarques  sur  le  commerce  des  esclaves  et  sur  la  tyrannie 
exercée  contre  les  noirs  expriment  l'indignation  d'une  amc  honnête